Parlez-vous japonais?

Lu dans une brochure produite par l’Union européenne, « Traducteurs et interprètes, Le sens des langues »

(http://ec.europa.eu/dgs/translation/bookshelf/traduc_int_fr.pdf) :

La compréhension est une condition essentielle aux processus de traduction et d’interprétation. On ne peut en effet restituer le contenu d’un texte ou d’un discours de manière claire que si on l’a parfaitement compris. Le traducteur et l’interprète doivent donc posséder une connaissance approfondie de la langue de départ, une grande capacité d’analyse ainsi qu’une connaissance de la matière traitée. On peut discuter des termes employés par la brochure (restituer, contenu, texte, connaissance) et penser à d’autres (rendre, sens, document, culture)… Là n’est pas mon propos. Curieusement, en lisant cette brochure je reviens à l’une de mes marottes, le cinéma de Clint Eastwood. Ceux qui ont vu Flags of Our Fathers ont certainement vu aussi Lettres d’Iwo Jima qui reprend la même histoire : le combat pour la conquête d’une île située au sud du Japon par les troupes américaines en pleine bataille du Pacifique. 20 à 25 000 soldats japonais retranchés résisteront pendant 40 jours à une troupe de 100 000 soldats américains appuyés par leur puissance de feu aérienne et navale. Les pertes seront lourdes : 25 000 à 30 000 soldats américains et autant de japonais (seuls environ 300 d’entre eux se rendront). L’histoire repose sur les lettres du général Kuribayashi qui commandait la garnison et qui mourra lors de l’assaut final. Retrouvées par des chercheurs japonais enterrées dans le sol de l’une des grottes de l’ile, elles décrivent par le détail non seulement les réflexions tactiques du général mais aussi des réflexions plus privées. Mais voilà, il est question de lettres, donc de textes. Traduits, scénarisés par Paul Haggis et transposés (traduits) en images, sons et dialogues par Clint Eastwood. Mon objet n’est pas de vous raconter cette histoire qui nous donne l’un des films de guerre les plus nobles et les aboutis que le cinéma américain ait produit. Mais de revenir sur une courte scène du film. Les soldats japonais, hantés par la mort et la défaite font un prisonnier, un jeune soldat américain (avec une gueule d’adolescent embarqué dans un cauchemar terrible, on le comprend). L’un des officiers japonais, le lieutenant Ito, demande à ses soldats de l’épargner et l’interroge. Cet officier parle anglais, et, comme le général Kuribayashi, il a séjourné aux Etats-Unis. Il l’a fait comme champion de saut d’obstacles, participant aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1932. Plus tard, ce jeune soldat étant endormi, il trouve une lettre qu’il a adressée à sa famille et la lit à ses propres soldats. En japonais, bien sûr. Nous avons ici à faire à une scène exceptionnelle et inédite dans le cinéma qui pose une question : comment filmer une scène de traduction orale ? Pour Clint Eastwood, c’est l’effet de la lecture sur les jeunes soldats japonais qui compte, il filme donc leurs visages. Ils s’identifient, retrouvent les mêmes sentiments. Ce jeune américain venu à 20 ans de son Oklahoma natal, c’est eux, il n’y a pas de différence. Le succès de la traduction, sa qualité tient à l’intérêt et à la connaissance que cet officier a eu de l’ennemi en temps de paix. Il réunit toute les qualités pour être un bon traducteur : la connaissance de la matière — la guerre —, la connaissance de la langue source — l’anglais — et la culture des américains. Dans les films de John Ford on lit aussi des lettres mais surtout pour compenser l’analphabétisme de ses destinataires ou leur statut d’immigrants non anglophones (la famille Jorgensen dans The searchers, La fille du désert). On ment aussi en les traduisant. Dans ceux d’Eastwood, c’est le pont entre cultures qui éclaire la langue (on retrouve cette forte rhétorique magnifiquement rendue dans Gran Torino). Traduire n’est donc pas qu’une affaire de dictionnaire mais aussi de connaissance, de culture, j’ose le dire, de curiosité. Comprendre avant de traduire, est-ce là le bon moyen d’éviter les conflits ?

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