Le 20 avril 1963, il y a tout juste 50 ans aujourd’hui, s’achevait dans le sang l’un des épisodes les plus marquants et les plus étrangement médiatiques de l’histoire du franquisme.
Le dirigeant communiste Julián Grimau, arrêté à Madrid au mois de novembre de l’année précédente, était fusillé au petit matin dans la cours de la prison de Carabanchel, après six mois d’interrogatoires violents, de tortures invraisemblables menées par la BPS (Brigade policière spécialisée dans le délit politique).
L’acte d’accusation sur lequel est fondée la condamnation à mort évoque à peine ses activités présentes, considérées comme illégales, mais surtout son passé de policier entre 1937 et 1939 à Barcelone. La presse du régime se déchaîne et l’accuse d’avoir torturé, mutilé des centaines de personnes, d’en avoir assassiné ou fait assassiner des dizaines, d’avoir commis des crimes de guerre. Oui, c’est vrai, il était entre 37 et 39 responsable de la Brigade barcelonaise d’Enquêtes Criminelles de la Police de la République, une police chargée en temps de guerre de démanteler des groupes de saboteurs. Non, bien sûr, il n’était pas un ange, mais certainement pas un tchékiste, l’une de ces polices parallèles qu’auraient montées les communistes à l’instigation des Russes. Par ailleurs les délits liés à la guerre étaient prescrits, mais pour la circonstance avait été inventée l’étrange notion de « delito continuado », autrement dit d’imprescriptibilité ad hoc. Et, problème supplémentaire, le nom de Grimau n’apparaissait dans aucun des listes que le régime avait établies des crimes perpétrés par la police, l’armée ou des personnes connues pour leurs liens avec la République. Pourtant, dans son Aubiografia de Federico Sanchez, à demi-mot, Jorge Semprun, alors très proche de Grimau, puisqu’il été l’un des dirigeants clandestins du PCE à Madrid, donne volontiers crédit à la thèse franquiste:
A raíz de su detención [de Grimau], y sobre todo después de su asesinato, cuando participé en la elaboración del libro (Julián Grimau — El hombre — El crimen — La protesta, Éditions Sociales, 1963) que el Partido consagró a su memoria, fui conociendo algunos aspectos de su vida que ignoraba por completo mientras trabajaba con él en la clandestinidad madrileña. Así, por ejemplo, yo no sabía que Julián Grimau, pocas semanas después de comenzada la guerra civil, cuando todavía era miembro del Partido Republicano Federal —sólo se hizo comunista en octubre de 1936—, había ingresado en los Cuerpos de Seguridad de la República, trabajando primero en la Brigada Criminal de la policía de Madrid. Un día, mientras preparábamos la confección del libro ya citado, Fernando Claudín, bastante desconcertado y con evidente malestar y disgusto, me enseñó un testimonio sobre Grimau que acababa de recibir. Allí se exponía con bastante detalle la labor de Grimau en Barcelona, en la lucha contra los agentes de la Quinta Columna franquista, pero también —y eso era lo que provocaba el malestar de Claudín— en la lucha contra el POUM. No conservo copia de dicho documento y no recuerdo exactamente los detalles de esta última faceta de la actividad de Grimau, que el testigo de América Latina reseñaba como si tal cosa, con pelos y señales. Sé únicamente que la participación de Grimau en la represión contra el POUM quedaba claramente establecida por aquel testimonio, que fue edulcorado y censurado en sus aspectos más problemáticos, antes de publicarse muy extractado en el libro al que ya he aludido.
Fernando Claudín, dans sa biographie de Santiago Carrillo, reprend le même témoignage en précisant qu’il émanait d’un espagnol réfugié au Mexique en insistant que sur le fait que lui comme les autres dirigeants communistes ignoraient tout du passé de Grimau et que le fait de lui avoir confié une mission aussi risquée à Madrid avait été une erreur criminelle. De son côté, dans ses mémoires, publiées en 1993, Santiago Carrillo évoque l’acte d’accusation en relevant ces éléments comme un tissu d’infamies fondé sur de faux témoignages et de faux documents. Il évoque aussi le traitre qui l’aurait donné et dont on aurait perdu la trace, un certain Lara. Un regret: ne pas l’avoir persuadé de respecter « el turno », autrement dit de se laisser exfiltrer vers la France comme il était d’usage pour éviter de laisser trop de traces à la police politique. On le voit, les explications sont souvent confuses ou partielles, un témoignage à charge dont on a perdu la trace, un traitre dont on connaît le (faux) nom mais qui a également disparu. Difficile à juger.
En réalité, face à l’absence de preuves, de témoignages, en s’appuyant sur une campagne de presse incroyablement violente, le régime, toujours calculateur, tentait ainsi, sans en faire l’objet principal du procès, de couper court par la peur et la menace aux progrès enregistrés dans le pays par l’opposition clandestine et en particulier par le communistes.
L’année 1962 avait été particulièrement difficile pour le régime, il lui fallait tenter de couper les liens qui se tissaient entre cette opposition et les milieux libéraux catholiques ou les intellectuels de l‘époque en tentant de les isoler des communistes.
Le résultat de cet acte sera tout autre. La campagne internationale lancée par les communistes en Europe, campagne d’accusation qui ne fera qu’amplifier celle qui avait été engagée en 1962, s’élargira et la charge d’émotion créée se retournera contre le régime en l’isolant un peu plus encore des courants humanistes chrétiens et même de figures aussi peu suspectes de sympathies communistes que le Pape Jean XXIII.
Julián Grimau sera le dernier communiste condamné à mort et exécuté par le régime, d’autre subiront de lourdes peines de prison pendant encore plus de dix ans, mais plus la peine capitale. Ses cibles seront différentes au cours des douze années qu’il lui restait à vivre ; elles seront ajustées au moment, toujours selon cet esprit de calcul que Franco avait appris dans les bataillons disciplinaires au cours de la guerre du Maroc : cibler la répression des mutins avec violence, rapidité et discernement. Après 1968, elles seront anarchistes et basques après l’assassinat de Carrero Blanco.
Sur ces quelques mois de troubles, il existe un ouvrage formidable, unique par la qualité de sa documentation, l’intelligence du récit, sa structure nerveuse qui en fait autant un thriller politique qu’un roman policier, de ceux qui se lisent d’une traite en une nuit. Il s’agit d’une sorte de reportage-fiction fascinant dans lequel tous les personnages sont vrais, dont tous les moindres faits évoqués ont été recoupés et vérifiés. « Une reconstruction romanesque des années les plus fiévreuses du Parti communiste espagnol dans la clandestinité .» nous dit le quatrième de couverture.
Cet ouvrage, « Caza de rojos, un relato urbano de la clandestinidad comunista », a été publié en 2005 mais n’a malheureusement pas été traduit en français. Son auteur est journaliste, il s’appelle José Luis Losa.
En voici un court extrait (traduit par mes soins, que le dieu des traducteurs me pardonne!) :
Ramón Menéndez Pidal¸ président de l’Académie Royale d’Histoire, signe depuis des années toutes les pétitions qu’on lui soumet qui s’en prennent à celui qu’il appelle « ce putain de Franco ».
« C’est quoi ça? C’est contre ce putain de Franco ? »
Et de sa plus belle plume, il appose son nom sur des dizaines de demandes de grâce. Dans le cas de Julian Grimau, l’énergie de l’engagement de cet homme de 92 ans est incroyable. Il insiste auprès de l’Evêque de Madrid, Ejío y Garay[1] pour qu’il soit reçu au Pardo…
Parce que le Conseil des Ministres doit se tenir le 19 au matin. Et Franco, qui dispose seul du droit de commuer la peine et de gracier le condamné à mort, décide habilement, que ce jour-là ,cette décision devra être celle de tous les membres du Conseil. Que chacun participe. Que l’on vote. Que la responsabilité soit partagée par tous, cette fois, cette fois seulement, que chacun assume, par délégation, sa responsabilité « devant Dieu et devant l’Histoire ».
Que les dix-neuf ministres donnent leur assentiment à ce règlement de comptes avec le passé. Qu’aucun d’eux ne puisse dire qu’il n’était pas d’accord que l’on fusille un communiste en guise d’avis aux navigateurs. Pour rappeler à ceux qui pensent qu’une rencontre à Munich de salonards monarchistes, socialistes, démo-chrétiens, traitres à la Phalange, dilettantes de tout poil, peut légitimer la liquidation de son pouvoir absolu. Pour que les grèves des Asturies ou de Biscaye n’apparaissent pas comme la mèche allumée d’une explosion imminente. Pour qu’en pleine guerre froide, l’Occident comprenne qu’il continue à être, lui, dans sa résidence du Pardo, le seul rempart contre l’authentique ennemi, le communisme. Et pour recouvrer, par un acte de sang d’une grande cruauté, la légitimité née de la victoire. Ce message, il veut l’envoyer avec la complicité de son gouvernement, cet amalgame de militaires, de membres de l’Opus Dei, de technocrates, d’improbables ambitieux et de personnages folkloriques…
… Tous les ministres vont voter la mort. Il y en aura plus tard qui prétendront avoir tenté de remettre en question la décision, avoir exercé certaines pressions morales. Hé bien, non. Une seule réflexion critique, celle de Fernando Castiella[2], d’ordre purement pragmatique : évoquer les problèmes que cette exécution pourrait soulever hors d’Espagne, dans le prolongement de la campagne menée par les communistes, et les difficultés à craindre alors qu’est attendue la visite, cette même semaine, de Giscard, qui vient signer des accords commerciaux avantageux pour le pays[3]. Les autres ne disent mot, ils consentent.