La citation tirée de l’Epitre XLII de Clément Marot a de quoi surprendre mais pour qui connaît l’histoire du commerce et de la navigation comme l’histoire religieuse, il y a toujours eu des étrangers installés en nombre sur le sol français. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hispa_0007-4640_1914_num_16_3_1874
De façon remarquable depuis le Moyen-âge et surtout depuis Philippe le Bel qui leur accorda des privilèges de résidence.
Profitant des journées du Patrimoine (et d’un temps assez maussade), j’ai visité aujourd’hui, en bonne compagnie, l’Abbaye aux Hommes de la ville de Caen. Cette abbaye bénédictine fut fondée par Guillaume le Conquérant. Il fit bâtir deux abbayes en les installant à la périphérie de son château mais dans des directions diamétralement opposées : l’Abbaye aux Dames à l’Est et l’Abbaye aux Hommes à l’Ouest. Maintes fois remaniée et partiellement détruite (au XVIIIe siècle en particulier), elle était devenue lycée à l’époque napoléonienne, lycée devenu le Lycée Malherbe au cours du XIXe siècle. Le Lycée ayant émigré vers des locaux neufs en 1961, l’Abbaye est devenue l’Hôtel de Ville de Caen depuis 1965. Seule l’église St Etienne reste vouée au culte catholique.
Revenons à Clément Marot. Dans ce qui est appelé la Salle des Gardes de cet ensemble, j’ai pu voir une pierre portant une inscription intrigante (photo ci-dessus).
Si l’on en croit le texte de commentaire qui présent l’objet, il s’agit d’une « dalle de pierre de Caen taillée et gravée, provenant du mur du parc de l’Abbaye aux Hommes ». Elle porte une inscription gravée en espagnol et une date difficilement lisible: 1531 ou 1581. L’inscription est la suivante : « Antes muerto que mudado », autrement dit « Plutôt mourir que changer ». Je ne reviendrai pas sur les influences artistiques ou culturelles au sens large de l’Espagne dans ces régions qui se trouvaient tout au long des lignes de navigation commerciale entre l’Espagne et la Flandre (le cas d’Harfleur en témoigne). On sait également qu’il y eut de nombreux clercs espagnols à l’Abbaye aux Hommes.
C’est la formule qui me plaît. Voici un espagnol, clerc ou artiste qui, dans un moment de « fougue hispanique », épanche sa colère en usant de son don pour la taille de pierre. Bravache, orgueilleuse, la formule détonne dans un ensemble qui devait encore appliquer les 73 règles de Saint Benoit dont la règle 6, Garder le silence :
1 Faisons ce que dit le Prophète : « J’ai mis un frein à ma bouche. J’ai gardé le silence. Je me suis fait petit et je n’ai même pas parlé de choses bonnes » (Psaume 38, 2-3).
Notre espagnol a respecté la règle et, en silence, a revendiqué par écrit le droit de rester « debout dans ses bottes ». Cet homme me plaît. Il reste à déchiffrer les arabesques… qui présentent ces deux lettres de l’alphabet grec superposées : ϒ (upsilon), indiquant symboliquement les deux chemins de vie qui divergent, celui du vice et celui de la vertu, et λ (lambda), indiquant la non-personne, l’indifférenciation ou l’anonymat. Mais les deux superposées… je ne sais pas, peut-être une signature cryptée. Ou une étoile à six branches… gravée par un juif espagnol qui résiste à la conversion.