Le traité d’Aix-la-Chapelle et le bilinguisme

Depuis quelques jours, la chronique médiatique se déchaîne à propos des critiques avancées par les uns et les autres (les « souverainistes » français, dit-on) contre le Traité portant  « sur la coopération et l’intégration franco-allemandes » signé entre la France et la RFA le 22 janvier dernier. Ce traité dit « d’Aix-la-Chapelle », renoue avec une tradition remontant à 1963 de traités bilatéraux qui définissent et redessinent les contours de la coopération franco-allemande. Je note que le Traité d’Aix-la-Chapelle est « de coopération et d’intégration », le second terme de son intitulé étant sûrement celui qui a créé le plus d’équivoques et attiré le plus de critiques.

Sans enter dans le détail du texte, relativement bref par ailleurs (12 pages et 28 articles) pour déterminer si cette intégration voulue est synonyme de perte de souveraineté ou de mise en commun des ressources, je retiens que le préambule indique que les deux parties agissent, dans le cadre de ce traité « conformément à leurs règles constitutionnelles et juridiques nationales respectives ». Cette conformité suppose que le traité soit ratifié par les deux parlements et que son contenu soit conforme aux constitutions respectives des deux Etats, examen qui revient aux tribunaux constitutionnels de chacun des deux pays.  S’il y a conformité le traité devient un texte de rang constitutionnel, s’il n’y a pas conformité sur tel ou tel point ou aspect, soit il est modifié et renégocié, soit la constitution est modifiée selon les procédures connues d’avance et fixées par le texte fondamental lui-même.

Langues d’apprentissage

Voici donc la question qui se pose. Dans le texte du traité de 1963 la question des langues est placée sous le signe exclusif de leur apprentissage:

Les deux Gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. Ils s’efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande.

Dans le dernier texte, la question de l’apprentissage est toujours évoquée dans le chapitre 3, « Culture, enseignement, recherche et mobilité ». Est rappelé le rôle de l’OFAJ et encouragée la mise en place de programmes destinés à la jeunesse et d’une plate-forme numérique. Dans les articles 10 et 11 on retrouve les mêmes propos, dans un langage correspondant au contexte actuel, c’est-à-dire en mettant plus l’accent sur les coopérations dans l’enseignement supérieur:

Article 10
Les deux États rapprochent leurs systèmes éducatifs grâce au développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre, à l’adoption, conformément à leur organisation constitutionnelle, de stratégies visant à accroître le nombre d’élèves étudiant la langue du partenaire, à une action en faveur de la reconnaissance mutuelle des diplômes et à la mise en place d’outils d’excellence franco-allemands pour la recherche, la formation et l’enseignement professionnels, ainsi que de doubles programmes franco-allemands intégrés relevant de l’enseignement supérieur.
Article 11
Les deux États favorisent la mise en réseau de leurs systèmes d’enseignement et de recherche ainsi que de leurs structures de financement. Ils poursuivent le développement de l’Université franco-allemande et encouragent les universités françaises et allemandes à participer à des réseaux d’universités européennes.

Donc rien de bien nouveau si ce n’est qu’on est étonné d’apprendre entre les lignes qu’il y a encore une difficulté à reconnaître les diplômes acquis dans un pays ou dans l’autre, des décennies après la mise en place des coopérations universitaires, mais c’est l’une des réalités européennes: il y a de véritables politiques de protection des diplômes nationaux en Europe relevant de la crainte d’une concurrence déloyale dans les métiers de haute qualification.

Langues d’usage et bilinguisme

Pour entrer dans le vif de la question, il faut tout d’abord comprendre que nous sommes dans le traitement des questions transfrontalières (chapitre 4). La proposition est celle qui verra la mise en place d’un « comité de coopération transfrontalière » (Art. 14) dont le rôle n’est en rien nouveau si on se fie aux structures de dialogue déjà instaurées dans un cadre interrégional, avec l’eurorégion  Pyrénées-Méditerranée qui rassemble les Baléares, l’Occitanie et la Catalogne, par exemple. Ici la nuance tient au fait que ce comité sera piloté par les deux Etats, même si les entités transfrontalières locales y seront associées, ce qui n’est pas le cas dans les instance de coopération interrégionales qui entrent dans le domaine de compétences des seules régions et dans un cadre juridique européen (Règlement (CE) n°1082/2006 du Parlement et du Conseil du 5 juillet 2006, Règlement (CE) n°1302/2013 du Parlement et du Conseil du 17 décembre 2013).

Là ou il a un réel changement c’est quand on lit l’article 15 du traité. Que stipule-t-il?

« Les deux Etats sont attachés à l’objectif du bilinguisme dans les territoires frontaliers et accordent leur soutien aux collectivités frontalières afin d’élaborer et de mettre en oeuvre des stratégies appropriées.  »

On peut remarquer que la promotion du bilinguisme n’est définie que vaguement: bilinguisme dans l’affichage commercial? Bilinguisme dans les administrations des « territoires frontaliers », autrement dit, dans les communes, les Intercoms, peut-être aussi les région entières. Disons, pour être clairs: l’Alsace est-elle un « territoire frontalier » ou seules le sont les communes dont l’une des limites est la frontières franco-allemande? Ou, faut-il comprendre que l’allemand pourrait être envisagé comme l’autre langue de l’Alsace ou seulement comme l’autre langue de zones strictement frontalières, à Strasbourg et à Kehl mais pas à Hagenau ni Freudenstadt?

Dernier point: la question elle-même du bilinguisme pose problème.

La Constitution française stipule dans  son article 2 que « La langue de la République est le français. »Cet article s’applique partout sur le territoire français, même en Corse où une proposition votée en 2013 par le parlement corse proposant que le corse soit langue co-officielle de l’Île a été rejetée par l’Etat, rejet confirmé par Emmanuel Macron en février 2018: «  »Le bilinguisme, ce n’est pas la co-officialité ». Formule mystérieuse, puisqu’on peut se demander alors ce que peut bien être le bilinguisme étendu à des espaces publics (« territoires » dit le texte), et non pas limité à des pratiques privées? Personne n’a jamais interdit à personne de parler allemand en Alsace.

Introduire le principe de bilinguisme de territoires c’est consacrer une co-officialité de fait des deux langues dans le même espace. Envisagé ainsi, le Conseil Constitutionnel devra trancher et nous expliquer en quoi le bilinguisme n’est pas la co-officialité. S’il n’y a en effet pas de signe égal juridique entre les deux langues sur ces territoires, c’est qu’il n’y a pas et il n’y aura pas de bilinguisme territorial. Sinon il faut adopter le schéma de la constitution espagnole qui, dans son article 3, ne se pose pas la question oiseuse de la différence supposée entre co-officialité et bilinguisme, mais bien de l’application de plein droit du principe bilingue:

Article 3.
1. Le castillan est la langue espagnole officielle de l’État. Tous les
Espagnols ont le devoir de la savoir et le droit de l’utiliser.
2. Les autres langues espagnoles seront également officielles
dans les Communautés autonomes respectives, conformément à
leurs statuts.

Je remarque pour finir que sur le site officiel franco-allemand, dans le résumé des 15 objectifs du traité, cet élément n’apparaît pas.

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Un commentaire sur “Le traité d’Aix-la-Chapelle et le bilinguisme

  1. Où avez-vous vu, entendu, constaté, que l’on parlait l’allemand en Alsace ? On peut y parler le français, l’alsacien, mais l’allemand ? A moins d’être Allemand ou Autrichien en vacances…

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