Consul de Pétain en Andalousie

Voici un livre anecdotique, acquis dans une brocante du vieux Caen.

Le titre est déjà une sorte de plaisanterie de mauvais goût: Eau de Vichy, vin de Malaga. Mauvais goût saturé quand on voit qu’il a été publié par les Editions du Conquistador en 1952. Il s’agit des souvenirs de Simon Arbellot de Vacqueur qui fut nommé consul général de l’Etat Français à Málaga en avril 1943. Journaliste monarchiste, il publia une biographie de Charles Maurras en 1937 chez Denoël, Maurras, homme d’action. Pendant l’occupation il fut sous-directeur de la presse et de la censure rattaché au Ministère de l’information jusqu’en 1942. Il est surtout connu pour avoir affirmé être intervenu, à la demande de l’intéressé, pour que François Mitterrand soit décoré de la francisque. En janvier 1966, il raconte dans la revue Les Écrits de Paris :« François Mitterrand me demanda un jour, à moi et à Gabriel Jeantet, animateur des mouvements de jeunesse, de présenter sa candidature à la Francisque. Il fut admis à l’unanimité du conseil de l’ordre sous le feu approbateur du monocle de l’amiral Platon ». Un vrai collaborateur, bien inséré dans la machine politique vichyste, autant d’un point de vue idéologique que carriériste. Je vais le lire, je vous dirai.

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À la Une

TV

La télévision est un monstre. Avide de temps, de bruit, de fureur… Quand elle échappe de la fiction pour nous remontrer la vie réelle, celle que nous connaissons parfaitement, elle élude, élague, manipule, cache, exagère, moque. Elle se comporte comme un monstre de conte de fée, aussi méchant que bête.

La télévision et ses torses agités qui jouent tous les soirs une partie de poker menteur, les chaînes de flot continu que nous connaissons tous rivalisent de démagogie (le goût du sang, de la sueur et des larmes) pour se disputer quelques milliers de suiveurs (followers), parce que ces chaînes sont, à leur manière, des réseaux sociaux. De ce nombre dépend leurs ressources, de leurs ressources le retour sur investissement et les salaires de leurs têtes de gondole.

Cette télévision n’a pas besoin de beaucoup d’espace, un bureau, quatre experts ou journalistes ou invités (l’invité est souvent seul face à deux journalistes et un expert) et un donneur de cartes ou croupier selon qu’il s’agit d’une table de poker ou d’une table de chemin de fer. Des dossiers de l’écran sans film puisque le film, c’est nous.

Et le flot se met en place comme une tranche napolitaine, une tranche de tour de table, une tranche d’images, une tranche d’engueulades. Le sujet abordé, c’est nous. Ou plutôt ce qu’ils pensent que nous devrions être, penser, sentir, vouloir. Nous et nos sondages, nous et nos colères, nous et nos ras-le bol-des grèves, ras-le-bol des impôts, nous et notre indiscipline, nous et notre soif du toujours plus, nous et Poutine, nous et Macron. Et quelquefois des directs (live): Macron à la plage, Macron à la campagne, Macron à l’usine. Philippe au gouvernail, Philippe à la manœuvre.

Et souvent le dézingage par la recherche du mot d’esprit. La bonne société fait toujours consensus contre un seul. Il faut isoler d’abord pour démolir ensuite. En général ceux qui sont hors de leur jeu, de leur univers de petites souris éduquées en milieu protégé. Revoyez le film Ridicule de Patrice Leconte et vous aurez tout compris.

Ridicule de Patrice Leconte : la preuve de l'existence de Dieu ...

L’ambiguité de l’article 15 du Traité d’Aix-la-Chapelle

Dans le cadre que nous avons essayé de comprendre, autrement dit dans le cadre du bilinguisme transfrontalier proposé par le texte, on peut se demander si, dans les faits ce bilinguisme (dont le Président a bien dit, qu’à ses yeux, il ne pouvait être confondu avec la coofficialité).

Voici ce que le quotidien Ouest France retient de son discours sur la langue corse du 6 février dernier (vous pouvez aussi ire le discours du président ici:

Emmanuel Macron a fermé la porte à la reconnaissance de la langue corse comme langue officielle au même titre que le français. La langue française « a été le premier sédiment » de la France, a-t-il estimé, jugeant « indispensable que nous gardions ce qui nous a faits ».

« La langue corse doit être préservée et développée », a-t-il néanmoins concédé, et le « bilinguisme pleinement reconnu et accepté » mais « le bilinguisme, ce n’est pas la co-officialité », a précisé le chef de l’État, prévenant qu’il n’accepterait « jamais de réserver à celui qui parle corse tel ou tel emploi ».

Le bilinguisme « est la reconnaissance de la diversité » mais « n’est pas une nouvelle frontière dans la République, la division de la Nation et du peuple français », a-t-il poursuivi…

Dans le discours d’Emmanuel Macron on trouve une ébauche de définition du bilinguisme qui n’éclaire pas la question. Même la notion de « premier sédiment » est contestable. S’il est fait allusion à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, nous retrouvons le sens profond du discours de continuité de’Emmanuel Macron, continuité entre l’ancien et régime et notre temps, l’une de ses marottes:

…dans la République française, et d’avant même la République, il y a une langue officielle, et c’est le français.

Cette ébauche correspond à que nous pourrions appeler une idée reçue, un lieu commun, érigé en dogme, en ignorant les travaux des sociolinguistes (au Canada en particulier) qui distinguent plusieurs types de bilinguisme (additif, soustractif,etc.), ce qui ne permet pas de généraliser « l’enrichissement éventuel » du fait bilingue:

Le bilinguisme, c’est le contraire de ce qui exclut ou ce qui discrimine. C’est le fait de voyager entre plusieurs univers linguistiques. C’est un enrichissement, une ouverture. La défense légitime de la langue corse ne doit donc pas relever d’une logique de l’entre-soi qui pourrait mener, par exemple, à la fermeture du marché du travail à qui n’est pas Corse ! Mais elle doit permettre de mieux s’enraciner à bon escient.

 

Nous pourrions objecter que le bilinguisme est une affaire privée qui témoigne des variétés de contacts ou d’imprégnations culturelles des personnes et des familles. On ne comprend donc pas vraiment pourquoi la loi (ici le Traité, qui, une fois ratifié aura force de loi) tente de légiférer ce qui est de l’ordre de la vie privée. Ou alors le terme de bilinguisme vient masquer celui qu’on ne veut pas entendre, celui de coofficalité.

Soyons concrets. Est-ce que l’article 15 prévoit que les mairies de ces territoires devront gérer leur accueil au public dans les deux langues? Est-ce que la classe de l’école primaire de ces territoires devra permettre l’apprentissage et l’usage des deux langues? Est-ce que l’affichage commercial devra ou pourra se faire dans les deux langues?  Il n’y a pas de réponse à ces questions. D’autres questions se posent: y-aura-t-il réciprocité? Dans quels territoires allemands?

Enfin pour finir, on peut se poser la question de la survie de l’alsacien. Quelques expériences associatives défendent le concept de bilinguisme en Alsace mais pas comme pourrait l’entendre le président, elles préconisent et appliquent un bilinguisme immersif alsacien-allemand, « pour sauver l’alsacien » menacé de disparition. Malgré les menaces d’arrêts des aides et subventions, elles ont réussi à faire céder le Rectorat, autrement dit l’Etat.

Le traité d’Aix-la-Chapelle et le bilinguisme

Depuis quelques jours, la chronique médiatique se déchaîne à propos des critiques avancées par les uns et les autres (les « souverainistes » français, dit-on) contre le Traité portant  « sur la coopération et l’intégration franco-allemandes » signé entre la France et la RFA le 22 janvier dernier. Ce traité dit « d’Aix-la-Chapelle », renoue avec une tradition remontant à 1963 de traités bilatéraux qui définissent et redessinent les contours de la coopération franco-allemande. Je note que le Traité d’Aix-la-Chapelle est « de coopération et d’intégration », le second terme de son intitulé étant sûrement celui qui a créé le plus d’équivoques et attiré le plus de critiques.

Sans enter dans le détail du texte, relativement bref par ailleurs (12 pages et 28 articles) pour déterminer si cette intégration voulue est synonyme de perte de souveraineté ou de mise en commun des ressources, je retiens que le préambule indique que les deux parties agissent, dans le cadre de ce traité « conformément à leurs règles constitutionnelles et juridiques nationales respectives ». Cette conformité suppose que le traité soit ratifié par les deux parlements et que son contenu soit conforme aux constitutions respectives des deux Etats, examen qui revient aux tribunaux constitutionnels de chacun des deux pays.  S’il y a conformité le traité devient un texte de rang constitutionnel, s’il n’y a pas conformité sur tel ou tel point ou aspect, soit il est modifié et renégocié, soit la constitution est modifiée selon les procédures connues d’avance et fixées par le texte fondamental lui-même.

Langues d’apprentissage

Voici donc la question qui se pose. Dans le texte du traité de 1963 la question des langues est placée sous le signe exclusif de leur apprentissage:

Les deux Gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. Ils s’efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande.

Dans le dernier texte, la question de l’apprentissage est toujours évoquée dans le chapitre 3, « Culture, enseignement, recherche et mobilité ». Est rappelé le rôle de l’OFAJ et encouragée la mise en place de programmes destinés à la jeunesse et d’une plate-forme numérique. Dans les articles 10 et 11 on retrouve les mêmes propos, dans un langage correspondant au contexte actuel, c’est-à-dire en mettant plus l’accent sur les coopérations dans l’enseignement supérieur:

Article 10
Les deux États rapprochent leurs systèmes éducatifs grâce au développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre, à l’adoption, conformément à leur organisation constitutionnelle, de stratégies visant à accroître le nombre d’élèves étudiant la langue du partenaire, à une action en faveur de la reconnaissance mutuelle des diplômes et à la mise en place d’outils d’excellence franco-allemands pour la recherche, la formation et l’enseignement professionnels, ainsi que de doubles programmes franco-allemands intégrés relevant de l’enseignement supérieur.
Article 11
Les deux États favorisent la mise en réseau de leurs systèmes d’enseignement et de recherche ainsi que de leurs structures de financement. Ils poursuivent le développement de l’Université franco-allemande et encouragent les universités françaises et allemandes à participer à des réseaux d’universités européennes.

Donc rien de bien nouveau si ce n’est qu’on est étonné d’apprendre entre les lignes qu’il y a encore une difficulté à reconnaître les diplômes acquis dans un pays ou dans l’autre, des décennies après la mise en place des coopérations universitaires, mais c’est l’une des réalités européennes: il y a de véritables politiques de protection des diplômes nationaux en Europe relevant de la crainte d’une concurrence déloyale dans les métiers de haute qualification.

Langues d’usage et bilinguisme

Pour entrer dans le vif de la question, il faut tout d’abord comprendre que nous sommes dans le traitement des questions transfrontalières (chapitre 4). La proposition est celle qui verra la mise en place d’un « comité de coopération transfrontalière » (Art. 14) dont le rôle n’est en rien nouveau si on se fie aux structures de dialogue déjà instaurées dans un cadre interrégional, avec l’eurorégion  Pyrénées-Méditerranée qui rassemble les Baléares, l’Occitanie et la Catalogne, par exemple. Ici la nuance tient au fait que ce comité sera piloté par les deux Etats, même si les entités transfrontalières locales y seront associées, ce qui n’est pas le cas dans les instance de coopération interrégionales qui entrent dans le domaine de compétences des seules régions et dans un cadre juridique européen (Règlement (CE) n°1082/2006 du Parlement et du Conseil du 5 juillet 2006, Règlement (CE) n°1302/2013 du Parlement et du Conseil du 17 décembre 2013).

Là ou il a un réel changement c’est quand on lit l’article 15 du traité. Que stipule-t-il?

« Les deux Etats sont attachés à l’objectif du bilinguisme dans les territoires frontaliers et accordent leur soutien aux collectivités frontalières afin d’élaborer et de mettre en oeuvre des stratégies appropriées.  »

On peut remarquer que la promotion du bilinguisme n’est définie que vaguement: bilinguisme dans l’affichage commercial? Bilinguisme dans les administrations des « territoires frontaliers », autrement dit, dans les communes, les Intercoms, peut-être aussi les région entières. Disons, pour être clairs: l’Alsace est-elle un « territoire frontalier » ou seules le sont les communes dont l’une des limites est la frontières franco-allemande? Ou, faut-il comprendre que l’allemand pourrait être envisagé comme l’autre langue de l’Alsace ou seulement comme l’autre langue de zones strictement frontalières, à Strasbourg et à Kehl mais pas à Hagenau ni Freudenstadt?

Dernier point: la question elle-même du bilinguisme pose problème.

La Constitution française stipule dans  son article 2 que « La langue de la République est le français. »Cet article s’applique partout sur le territoire français, même en Corse où une proposition votée en 2013 par le parlement corse proposant que le corse soit langue co-officielle de l’Île a été rejetée par l’Etat, rejet confirmé par Emmanuel Macron en février 2018: «  »Le bilinguisme, ce n’est pas la co-officialité ». Formule mystérieuse, puisqu’on peut se demander alors ce que peut bien être le bilinguisme étendu à des espaces publics (« territoires » dit le texte), et non pas limité à des pratiques privées? Personne n’a jamais interdit à personne de parler allemand en Alsace.

Introduire le principe de bilinguisme de territoires c’est consacrer une co-officialité de fait des deux langues dans le même espace. Envisagé ainsi, le Conseil Constitutionnel devra trancher et nous expliquer en quoi le bilinguisme n’est pas la co-officialité. S’il n’y a en effet pas de signe égal juridique entre les deux langues sur ces territoires, c’est qu’il n’y a pas et il n’y aura pas de bilinguisme territorial. Sinon il faut adopter le schéma de la constitution espagnole qui, dans son article 3, ne se pose pas la question oiseuse de la différence supposée entre co-officialité et bilinguisme, mais bien de l’application de plein droit du principe bilingue:

Article 3.
1. Le castillan est la langue espagnole officielle de l’État. Tous les
Espagnols ont le devoir de la savoir et le droit de l’utiliser.
2. Les autres langues espagnoles seront également officielles
dans les Communautés autonomes respectives, conformément à
leurs statuts.

Je remarque pour finir que sur le site officiel franco-allemand, dans le résumé des 15 objectifs du traité, cet élément n’apparaît pas.

L’anticapitalisme est-il devenu tendance?

Si vous lisez l’article du journal El Pais qui fait la synthèse du bilan de l’année 2018 et de ce que l’on peut attendre en 2019, vous y trouvez la mère d’un discours analytique officiel convenu: tout change, et le temps où l’ancien résiste encore et le nouveau  n’est pas encore là. Une sorte d’ère révolutionnaire ouverte depuis trois ans qui dessine deux camps: de façon très imprécise celui des gagnants  (ceux qui ont su « cabalgar la ola de la nueva economía »?) et celui des perdants dont la liste est longue. En Occident, l’auteur énumère  les ouvriers, les classes moyennes ne disposant pas de « la culture suffisante pour affronter les nouveaux défis », les agriculteurs vivant de subsides qui ne savent pas comment faire face à la concurrence, jeunes qui ne s’insèrent plus dans le marché du travail. Si on ajoutait les vieux, les retraités on aurait là l’énumération de la quasi-totalité du spectre social européen, une immense majorité qui (hélas, pensent de plus en plus d’analystes) dispose encore du droit de vote pour exprimer son refus de crever sans combattre, en particulier aux prochaines élections européennes (« Dadas sus características —cierta percepción de lejanía—, las citas electorales europeas son terreno muy fértil para el voto de protesta. »).

L’auteur (Andrea Rizzi) semble ne pas se rendre compte que s’il n’y avait pas d’élections (ou de vote intermédiaire) c’est la rue qui parlerait, pourtant il a l’exemple français sous le nez.

Parlons de cet exemple. Comme beaucoup j’ai entendu Emmanuel Macron prononcer ses trois vœux hier soir. Chiffre trois emprunté aux facultés du génie de la lampe d’Aladin (la lampe est vendue 8 euros 26 sur Amazon):

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Plus sérieusement, le chiffre trois du discours est un classique de la dissertation argumentative française et notre Président est un bon élève respectueux des effets nécessaires et suffisants de la rhétorique académique, un  peu trop peut-être.

Au-delà de cette application très scolaire du triptyque ressassé ad nauseam, j’ai trouvé, glissé au beau milieu du discours, un élément de langage assez curieux quand on sait d’où vient Emmanuel Macron, élément qu’aucun journaliste ou commentateur n’a relevé. Je cite

« Nous sommes en train de vivre plusieurs bouleversements inédits : le capitalisme ultralibéral et financier trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns, va vers sa fin ; notre malaise dans la civilisation occidentale et la crise de notre rêve européen sont là. »

Que vient faire ici cette prédiction qui n’est pas sans rappeler les prémonitions réformistes sur « la mort inéluctable du capitalisme »?  Voici que l’ancien de chez Rothschild renie son propre passé, au sein du département « fusions-acquisitions » de cette banque d’affaires? Le pari de demain est-il de combattre le capitalisme, de le laisser mourir de sa capacité auto-phage ou de la moraliser (libéral, oui, mais pas ultra)… N’y a-t-il pas non plus une certaine dose de xénophobie que de pointer du doigt « l’avidité de quelques-uns » et d’en faire la source du malaise (freudien) dans la civilisation « occidentale »?

Tout ceci est retors, ambigu et correspond bien à ce que ce personnage a appris: pour gagner il faut dire à chacun ce qu’il attend, quitte à dire dans le même discours une chose et son contraire. On appelle ça « segmenter ». Mais à trop segmenter on devient incompréhensible, en tout cas le discours présidentiel apparaît comme ce qu’il est: un exercice scolaire.

Enfin, il y a tout de même un vrai malaise, la page de vœux que j’ai lue sur le site de l’Elysée ce matin était datée du 31 décembre … 2019!

 

Sociologiser le politique

Deux réflexions qui tentent de se hausser au niveau « sacré » de l’analyse péremptoire ont attiré mon attention ces jours derniers.

La première est celle du sociologue Alain Bertho qui à propos des « gilets jaunes » déclare:  « On ne peut pas sociologiser trop le mouvement des gilets jaunes. Visiblement c’est un mouvement de la France des petites villes, de gens qui ne sont pas très riches. »  (Regards.fr, jeudi 29 novembre 2018). Le malaise de cette science du social découpée en une multitude de sous-spécialités sectorielles dont je vous épargne la liste est évident. L’objet d’études « gilets jaunes » semble échapper à toute insertion dans telle ou telle catégorie d’analyse, qu’elle soit  sociale, électorale ou philosophique (il est « insaisissable » dit Alain Bertho) et en dehors de la maigre définition qu’Alain Bertho en donne (« mouvement de la France des petites villes »),  cette difficulté est au  fondement d’une réticence certaine de cet universitaire qui lui vaut sur Youtube un chapelet de critiques quelquefois très acerbes.

La seconde est liée au résultat des élections régionales andalouses, scrutin qui s’est déroulé dimanche dernier et qui a entériné un très fort recul (qualifié d’historique) du Psoe, une progression spectaculaire de la droite ultra-libérale (Ciudadanos) le recul de la mouvance Podemos/IU andalouse (la liste Adelante) et l’irruption d’une mouvance nationaliste xénophobe (le mouvement Vox) qui obtient 12 sièges sur 110 et près de 400 000 voix. Les explications existent à ce surgissement :pression migratoire, chômage et pauvreté, corruption des élites socialistes. Le quotidien La Vanguardia parle lui de dystopie, faute de mieux. Pour lui c’est là l’effet de ce « fantôme qui parcourt l’Europe », du réveil d’un Béhémoth menaçant, d’un fascisme qui n’en porte pas le nom, en quelque sorte.

Nous voici donc devant deux dystopies, autrement dit deux récits du monde dans lequel nous vivons, difficilement saisissables par l’analyse classique. Revenons sur le sens même du terme dystopie. C’est un récit social, la projection fictive d’une pensée sombre. Le dictionnaire La Toupie donne comme exemple le roman 1984 de Georges Orwell.

Le journaliste de La Vanguardia qui analyse le résultat de ces élections y voit reflétée la dystopie trumpienne, une vision d’un monde où le bonheur n’est plus de mise puisque « les gens heureux » sont assaillis de tous côtés par le mal. Ce mal c’est le politiquement correct (les lois contre les violences faites aux femmes, par exemple), la menace d’éclatement de  l’Espagne (la question catalane y est pour beaucoup) , les flux migratoires, etc. Les lignes de programme de Vox sont assez éloquentes et très proches d’autres mouvements nés en Europe au cours de ces trente dernières années qui ont acquis une authentique puissance électorale.  En tentant de savoir d’où viennent ces 400 000 voix, le journaliste Carles Castro, après un subtil jeu de bonneteau avec les chiffres et en usant de catégories étranges (votes « structurels » de gauche, etc.) en conclue:

En el caso de Vox, han convergido votantes de la derecha clásica, pero también sectores populares en contacto con la inmigración que hasta ahora votaban al PSOE o a Podemos (o que no votaban). Y esa hipótesis se apoya en el hecho de que los resultados de la izquierda en zonas con alta presencia migratoria suelen situarse por debajo de la media (y los de Vox, por encima). Y eso ha ocurrido incluso en históricos feudos socialistas o comunistas.

Cette vielle antienne selon laquelle c’est la gauche qui fait l’extrême droite est familière aux analystes français, puisque leur dogme a toujours été que le vote FN (ou RN) est en bonne partie un ancien vote communiste. J’en veux pour preuve qu’en évoquant l’histoire du poujadisme, les journalistes ne cessent de répéeter qu’ne son temps ce mouvement avait été soutenu par le PCF. Or aujourd’hui cette façon d’analyser les poussées de l’extrême droite n’ont aucun sens puisqu’il y a bientôt plus d’une génération qu’il n’y a plus de vote communiste. Ajoutons, pour donner bonne mesure que, même au temps de leur puissance militante et électorale, les PC d’Europe, hormis le PCI dans les années 40/50, n’ont été hégémoniques chez les ouvriers.

L’art moderne du discours : segmenter

Segmenter: dire à chacun ce qu’il attend que vous lui disiez… pour faire ensuite comme bon vous semble. Mais ici le discours est reflet commun de la pensée et de l’action. Il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit (voir notre billet antérieur). Comme si entre progressisme et nationalisme (l’antagonisme « moderne » selon le chef de l’Etat), la différence n’était qu’une affaire de ton.

Le discours comme l’histoire ne se segmentent pas sinon pour dissimuler le mensonge. Et avec ou sans papiers, les étrangers ont été présents dans les heures difficiles:

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La normalidad

En feuilletant El Pais ce matin (14 octobre), j’ai lu un entretien accordé par le Président de l’association Omnium Cultural, Jordi Cuixart, qui a reçu la journaliste de ce quotidien dans la prison catalane de Lledoners. Il critique l’action de la justice espagnole, ou plus exactement, celle du juge d’instruction du Tribunal Suprême [Cour de cassation], en disant qu’il ne cesse d’intervenir dans « la normalité de la vie parlementaire ».

Les termes de « normalité » et de « normalisation » sont assez souvent présents dans le discours « souverainiste », c’est-à-dire indépendantiste. Mais cet emploi vient de plus loin et trouve son origine dans le texte même du discours catalaniste (qu’il ne faut pas confondre avec le discours indépendantiste ou séparatiste). Par exemple, la première loi linguistique portant sur l’usage et l’officialité du catalan de juillet 1983 porte le nom de « Loi de normalisation linguistique ».

Cette référence revient de façon systématique. Autre exemple, on la retrouve dans ce que rapporte El Confidencial en janvier 2018 quand il était question d’élire le président de la Généralité après les élections de décembre:

« En una entrevista en ‘Más de Uno’ de Onda Cero, Pascal considera que investir a Puigdemont « es normalizar » la situación porque « es lo que manifestaron en las urnas ». Eso sí, advierte que esta opción « no es una apuesta por la unilateralidad », algo que sí defiende la CUP, que ha exigido a Junts Per Catalunya y ERC materializar la república por cualquier vía para apoyar la investidura. »

Pour ceux qui ne connaîtraient pas Marta Pascal, c’était l’une des porte-parole du PdeCat, le parti de Puigdemont, elle est aussi membre de l’Omnium Cultural.

Ce discours de « normalité » est l’une des manifestations des opérations de triangulation auxquelles se livrent en permanence les indépendantistes. La normalité c’est le choix de rester dans la norme. Or la déclaration d’indépendance d’octobre 2017 et le coup de force engagé n’avaient rien à voir avec ce principe.

La triangulation est l’un des vices du discours politique. Et puisque, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la question catalane, je m’intéresse à la question tchécoslovaque, je rappellerai que la politique de normalisation pour ce pays en 1968 a signifié la fin de l’espérance soulevé par le printemps de Prague et à terme, la dissolution de l’Etat tchécoslovaque.

Le droit de décider ou le droit de choisir

Dans la constitution espagnole (comme dans d’autres), un référendum est consultatif et non pas « vinculante » ( voirArt. 92), il doit être suivi du vote d’une loi organique (majorité absolue requise), et, dans le cas de la mise en route d’une réforme constitutionnelle, un vote à la  majorité des 3/5e est requis suivi d’une ratification par référendum. Par conséquent, demander à tous les espagnols s’ils veulent que la Catalogne se sépare de l’Espagne non seulement est légal mais parfaitement légitime. Ou alors on passe par dessus la loi et c’est un coup de force et on accorde de la légitimité aux uns et pas aux autres.
Enfin il n’est pas question du droit de choisir (comme celui de choisir son sexe, son genre ou je ne sais quoi), mais dans le langage des indépendantistes du droit de décider (un droit émanant de la sphère civile: droit de décider de sa propre mort, par ex.). Les doctrinaires du droit de décider catalans avaient argumenté pendant ces dernières années pour qu’il soit étendu aux questions d’ordre constitutionnel vs le droit à l’autodétermination, les Cahiers de civilisation de l’Espagne contemporaine  ont publié il y a un an deux ou trois articles  qui argumentent dans ce sens. Or Puigdemont a glissé depuis le 1-O du droit de décider au droit à l’autodétermination sans qu’on sache pourquoi sinon qu’il figure dans les traités internationaux et dont on sait qu’il est inapplicable dans les faits. Un vote référendaire unilatéral à la majorité simple est un peu court comme mode d’application au regard de ce que j’écris plus haut en matière de réforme constitutionnelle.
On ne peut décider de la disparition d’un Etat ou de la création d’un autre Etat par application d’un droit civil étendu et à la majorité simple, on le fait par consentement après délibération de toutes les parties concernées (les Espagnols sont concernés, que je sache).
Ceci est une conséquence de la manie moderne de faire des droits de la personne un droit absolu pour magnifier le choix de l’individu de se prendre pour ce qu’il veut.
En tout cas, l’acceptation d’un droit de choisir en matière d’Etat est l’antithèse du principe fédératif, plutôt proche de ce qu’en Espagne on a appelé au XIXe siècle « el cantonalismo », issu d’une conception du droit de choisir qui s’opposait au fédéralisme « pactista » de Pi i Margall. Pendant les brefs mois de la Ière république, le canton de Cartagena proclama donc son indépendance et demanda à adhérer aux Etats Unis pour sortir de son isolement (La Catalogne pourrait-elle finir par demander à être intégrée, par exemple, à l’Etat belge, Etat fortement décentralisé et au fédéralisme différentiel?). Tout ceci a fini comme il était coutume au XIXe siècle: déclaration de guerre à l’Espagne, bombardements, assaut final et arrestation des promoteurs du coup puis amnistie.
En France, le droit de décider ou, pire, le droit de choisir devrait en toute logique être accordé aux Hauts de Seine qui en ont marre de payer pour les autres, et qui demanderaient, ipso facto, l’annexion du XVIe arrondissement de Paris comme prolongement naturel de leur entité cohérente entité ou à la Savoie en fonction de critères historiques et fromagers. Et à la Normandie « enfin réunifiée » qui pourrait réclamer en vertu du choix d’Edouard le confesseur, le retour de la couronne anglaise dans le giron normand de Guillaume.
On pourrait aussi imaginer le droit de choisir des catalans rattachistes à rester en Espagne en se partageant le territoire catalan avec les autres (en suivant l’exemple de la Corée du Vietnam post colonial ou de Chypre) puisque rien n’est plus au-dessus du droit de choisir… On pourrait leur laisser la côte maritime et le sud, plus rattachistes que les comarques intérieures et du nord.
 
Les séquelles de tout ce mic-mac seront profondes et durables. Les promoteurs de cette fuite en avant « choisiste » ne se sont pas bien rendu compte qu’ils allaient balkaniser la Catalogne, les catalans, les familles, les esprits ou alors ce sont des apprentis sorciers. Ils on joué avec le feu et tout le monde va s’y brûler les doigts quelle que soit l’issue de la chose. Seul le capital y retrouvera ses petits (dividendes). Ils recommencent donc à ambigüiser sur la question de l’indépendance en essayant de laisser croire que c’est la censure par le tribunal constitutionnel  de quelques passages du statut réformé de la Catalogne en 2010 qui est la cause de tout. Ce qui a été censuré c’est pour l’essentiel la création d’un organe judiciaire supplémentaire alors qu’il existe déjà un TSJ, une allusion à la parité dans l’effort fiscal (autrement dit un démenti au principe de solidarité), une chouillette autour du critère préférentiel et non paritaire de l’usage et enseignement de la langue catalane et c’est à peu près tout. Pas de quoi en faire un fromage de Savoie ou alors on accepte le critère du café para todos, le droit de choisir comme critère universel inaliénable et supérieur et  dans ce cas tout est permis.
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Notes sur les nouvelles formes de l’agir politique

Les élections législatives espagnoles du 26 juin et du 20 décembre 2015 comme l’élection présidentielle française de mai 2017 conduisent à poser un certain nombre de questions autour des phénomènes politiques qui se développent depuis quelques années en Espagne et en France ou, plus largement, dans les Etats constitués et dont la souveraineté repose sur le suffrage dit « universel ».

Ces phénomènes sont le plus souvent classés comme NMS (nouveaux mouvements sociaux)[1] dans la mesure où  ils rejettent dans leur discours la forme-parti, tant en matière de structure (centralisée, hiérarchisée) que de fonctionnement, en particulier dans les prises de décision qui dépassent l’échelon local. Sont-ils proches de ce que furent les Conseils révolutionnaires de l’Europe du début du XXe siècle ou même des clubs de la Révolution ? Sont-ils plutôt une manifestation parmi d’autres d’un mouvement de crise et  rénovation du système des partis politiques ou sont-ils symptomatiques d’une période de grand  reclassement idéologique mondial? Telles sont les questions qui se posent au moment d’observer et d’apprécier les situations locales.

Il est nécessaire de réfléchir aujourd’hui au lien qui peut exister entre les conditions de l’affaiblissement de la forme-parti et le surgissement de tels mouvements, assez similaire au conflit permanent autour de l’idée religieuse qui opposa et oppose toujours des formes intégrées, centralisées et hiérarchisées, dont l’église catholique est un exemple, et les nébuleuses de croyances qui se développent à sa périphérie et qui le plus souvent se fédèrent autour d’une figure charismatique ou d’un discours livré « à portée de voix » autrement dit à l’échelle locale avec, de temps à autre, la conquête de positions dominantes. C’est, en gros, le même phénomène. En un sens, l’application de la rhétorique hobbesienne d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe[2] a été parfaitement mise en route non pas par Podemos ou la FI, ni par Syriza mais bien par les partis nationalistes séparatistes (le Scottish National Party ou l’Unió Democràtica de Catalunya) et, cas d’exception, par la candidature d’Emmanuel Macron et sa République en marche, s’agissant dans les trois cas de mouvements défendant avec acharnement la libre entreprise et un Etat autoritaire, même s’ils sont loin de la figure du Léviathan de Hobbes ou n’en sont que la caricature.[3]

Dans l’histoire du XXe siècle, un certain nombre de ces groupes émergents combinaient d’ailleurs aussi bien la revendication sociale que mystique[4]. Si nous prenons le cas des révoltes paysannes en Andalousie au début du XXe siècle, en s’opposant à la foi catholique, souvent considérée comme celle du maître, ce sont les idéaux anarchistes qui jouaient le rôle de ferment coagulateur de nombreuses luttes pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail[5]. Sans abandonner ces objectifs très concrets, ces idéaux se teintaient fortement d’une certaine forme de « radicalisme illuminé » qu’Eric Hobsbawm qualifiait, faute de mieux, de «millénariste » en s’appuyant sur les études de terrain de Juan Díaz del Moral pour les années 1918-1920 (pendant le « triennio bolchevique ») et de Gérald Brenan pour les années 30 (The Spanish Laberinth, 1942)[6].

Ni gauche ni droite ?

Mais on peut aussi mettre en parallèle le discours fasciste espagnol des années trente. Le vieux concept du « ni gauche ni droite » a repris des couleurs en Espagne avec cette force politique nouvelle dont le nom signale que la volonté peut tout, Podemos. Ce concept ayant été repris sous toutes ses variantes possibles par le leader de ce mouvement, ce dernier  s’est vu accuser de reprendre ce que José Antonio Primo de Rivera disait dans son discours de fondation de Falange Española en 1933:

Qu’il soit clair dorénavant que notre mouvement, qui n’est pas un parti mais un mouvement antiparti, n’est ni de droite ni de gauche. Parce qu’au fond la droite aspire à perpétuer une organisation économique même si elle est injuste et la gauche n’exprime pas autre chose que le désir de l’annihiler, même si en le faisant, beaucoup de bonnes choses devront disparaître. Ensuite tout ceci est habillé par les uns et les autres de tout un lot de considérations spirituelles. Que ceux qui nous écoutent et sont de bonne foi, qu’ils sachent que ces considérations spirituelles se retrouvent toutes dans notre mouvement qui, pour rien au monde, ne liera son destin aux intérêts d’un groupe ou aux intérêts d’une classe, intérêts qu’occulte la division superficielle entre droite et gauche.[7]

Les critiques viennent de l’extrême gauche, la gauche modérée préfère parler de fascismo cool, expression que Pablo Iglesias avait lui même employé pour critiquer un petit parti socialiste dissident, aujourd’hui moribond, UPyD[8], qui lui-aussi se disait ni de droite ni de gauche:

Les périodes de crises ouvrent de grandes opportunités. Ce sont des périodes pendant lesquelles les mouvements de gauche se déploient       avec grande facilité, mais aussi le fascisme et d’autres formes réactionnaires de restauration du régime. L’émergence d’UPyD en est un bon exemple. Cette organisation présente de nombreuses caractéristiques du fascisme cool, quand elle dit : « Nous ne sommes ni de gauche ni de droite, nous sommes espagnols ».[9]

Le concept de fascisme cool dispose d’une histoire, Pablo Iglesias ne manque pas de culture politique pour employer ce concept sans raison. La question et le problème c’est que sa vision tacticienne de l’espace politique espagnol d’aujourd’hui l’a amené à se ranger sous la bannière même de ce qu’il critiquait il y a à peine quelques années, autrement dit avant qu’il ne devienne une figure non seulement présente dans les médias mais également au parlement.

Revenons au concept de fascisme cool . Il apparaît aux Etats-Unis en 1932 lorsqu’il s’est agi de définir ce qu’est le régime japonais de l’époque. L’expression était considérée comme équivalente à une autre, celle de fascisme légal. Mais il est aussi une tentative d’explication des nouvelles modalités de « containment » de l’extrême droite qui tente de faire oublier ses fondements : régression sociale, libéralisme économique, haine de l’étranger, glorification d’une élite sociale, génétique et possédante. Ou encore il s’agit d’un concept plaqué sur une  analyse des dérives des systèmes et institutions démocratiques, par exemple telle qu’elle apparaît dans une nouvelle forme de critique du parlementarisme qui rappelle furieusement le phalangisme social historique. Dans Reconnaître le fascisme, Umberto Eco énumère quatorze caractéristiques du fascisme dont il dit qu’elles peuvent être combinées à l’infini mais « …il suffit que l’une d’entre elles soit présente pour faire coaguler une nébuleuse fasciste ». Dans ce cas, on peut tout à fait abuser de ce qualificatif qui devient « syntagme vide » ou affirmer avec le sémioticien italien qu’il est très vite devenu la synecdoque (la pars pro toto) des totalitarismes parce qu’il était un totalitarisme fuzzy, autrement dit infiniment malléable puisque sans contours bien définis.[10]

Pour Iglesias, c’est le refus de la gauche et de la droite comme concepts opératoires qui heurte, ce que certains ont appelé en Espagne son ninisme. Reconnaissons que, peut-être grâce aux critiques qui lui sont faites, ce ninisme marche. Pourquoi? Parce que les lois dites d’alternance au pouvoir ont toujours laissé croire que le PP c’était la droite et le PSOE, la gauche, ou en France les Républicains et le PS et qu’il n’y avait rien d’autre sous le soleil. Le rejet de ces deux partis par les espagnols correspond à celui qu’ont (mollement) exprimé les français, rejet récupéré avec habilité par les lepénistes à travers le fameux slogan qui parle de lui-même, UMPS. Il est vrai que les socialistes espagnols et français ont volontiers annexé le label de « gauche » pour se l’attribuer en toute exclusivité alors que les électeurs ne voient pas quelle est la différence de fond entre leur politique et celle de ce qu’ils appellent « la droite ». Le fascisme cool serait donc l’apanage de ceux qui ne veulent plus de cette alternance d’étiquettes et veulent une alternance politique authentique. Or la politique est une affaire de programmes et d’alliances, jamais une affaire de positionnement. Etre ici ou là, être en haut ou en bas, à gauche ou à droite, importe peu. Ce qui importe c’est: faire quoi et avec qui.

Une question de circonstances et d’époque

On peut ajouter, toujours à propos du monde ibérique, que le mouvement associatif est né au XXe siècle pendant les périodes de restriction des libertés, autrement dit, en particulier, pendant les deux dictatures militaires espagnoles. Et, sans aller plus loin, les zones d’influences idéologiques des différents courants politiques du tournant du siècle, carlisme légitimiste, républicanisme fédéraliste. Courants qui continuent à s’exprimer et à se retraduire sans cesse dans les nouveaux espaces politiques.

Dans le cas français, les assises politiques des partis ont connu des périodes de stabilisation mais sans pour autant échapper aux crises politiques profondes et en subir de grandes modifications. La première est celle qui s’ouvrira au sein du mouvement socialiste au moment de la guerre de 14-18, creusant une ligne de partage entre le socialisme pacifiste et la défense de la patrie. La deuxième correspondra à la transformation radicale du paysage politique en deux étapes, à la Libération tout d’abord, avec le surgissement d’un gaullisme mêlant défense de la souveraineté nationale et recherche du dépassement des conflits sociaux par le corporatisme et en 1958, en pleine crise politique née de la crise coloniale, dans l’étape de conquête du pouvoir menée par un De Gaulle qui, seul, se proclamant « au-dessus des partis », avait mis en sommeil le RPF, forme-parti créée à son initiative en 1947.

L’intérêt de la comparaison tient au fait que le bouleversement actuel du paysage politique n’est pas propre à la France et l’Espagne mais est bien assez général dans l’Europe d’aujourd’hui où il prend des formes aussi diverses que le Mouvement en marche et La France Insoumise en France, Cinque Stelle en Italie, Syrisa en Grèce ou même les nouvelles mouvances ultranationalistes et xénophobes en Allemagne, Pologne, Hongrie, Autriche, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Il est évident qu’il ya de fortes dissemblances entre tous ces nouveaux mouvements, la plus importante étant que ceux qui se classent dans les espaces hyper-nationalistes ne prétendent pas « faire de la politique autrement », critère très fortement présent chez les autres, mais affirment clairement être également des mouvements de « remplacement » des formes-parti jugées défaillantes et obsolètes.[11] C’est pour cette raison qu’une réflexion s’impose sur la corrélation entre l’absence de libertés publiques et droits fondamentaux ou leur affaiblissement, la défaillance des politiques administrées (ce que certains appellent « le recul de l’Etat ») et le surgissement de mouvements culturels ou de voisinage militant dans les années soixante et soixante-dix.[12]  C’est le sens-même de la thèse développée par Régis Debray, celle du lien entre « le changement dans la matière organisée » et « le changement dans les organisations matérialisées » qui touche aussi bien la forme-église que la forme-parti.[13]

Il nous faut aussi réfléchir au fait que ces mouvements se fondent et s’articulent souvent (ou en tout cas prétendent le faire) sur des territoires qui n’ont pas de correspondances immédiate avec celui de l’imperium étatique. Souvent beaucoup plus liés à des espaces plus restreints, ils n’existent qu’à l’échelle du quartier, de l’usine, de l’université et s’imaginent comme solidaires.

Horizontalité vs verticalité

La prétention à l’horizontalité et la pratique du consensus dans la prise des décisions constituent une rupture dans la conception de l’intervention sociale, hiérarchisée et même militarisée des partis mais que de la même façon selle subit l’usure du temps et  finit souvent par fédérer, unir et hiérarchiser à son tour ses organisations et ses pratiques lorsque l’échelle d’intervention devient plus large que locale et que les conflits d’intérêts deviennent trop aigus[14]. Pourtant dans les discours, on se réclame d’une démocratie délibérative, celle du choix de la discussion comme méthode. Il n’en reste pas moins que les praticiens de la politique préfèrent continuer à penser leur rassemblement  comme une troupe en mouvement et non comme un forum, avec un maître mot, l’efficacité et la décision.  C’est ce que revendique par exemple Manolo Monereo, l’un des fondateurs de Podemos, dans un article récent qui pose la question même de la structuration de ce mouvement : affirmer l’ancrage local des organisation de base (les cercles), former des cadres politiques ayant vocation à la gestion des affaires publiques, consolider une équipe dirigeante « efficace, capable, plurielle et unie », autrement dit passer de l’état liquide à l’état solide.[15]   Même si on doit fortement nuancer le sens même de l’horizontalité comme fonctionnement émancipé des bases, le vieil expert en partis qu’est Jean-Luc Mélenchon le dit en tentant d’expliquer que le mouvement France Insoumise ne sera jamais un parti politique :

…dans le mouvement, on s’efforce de ne jamais en faire un sujet de conflictualité interne. Il n’y a donc pas de « majorité », de « minorités », pas de plateformes concurrentes, pas d’orientation générale opposée les unes aux autres. Autrement dit : le mouvement se soucie d’abord d’être inclusif et collectif davantage que formellement « démocratique », sachant à quelles violences et dérives conduisent les soi-disant pratiques « démocratiques » organisées par les règlements intérieur des partis traditionnels.

Il est un lieu de rassemblement où chaque personne décide individuellement et au coup par coup du niveau de son engagement et de sa participation effective aux diverses tâches et campagnes qui sont proposées. Dans les faits, tout repose évidemment sur la plate-forme internet qui permet ce que l’on appelle « l’horizontalité ». Pour ma part, je n’aime guère ce terme. D’abord parce qu’il sous-entend souvent une opposition à la verticalité qui est parfois tout simplement incontournable dans l’organisation d’une action. Ensuite, parce que les connexions rendues possibles par une telle plate-forme vont dans tous les sens ; elles sont par définition polymorphes.[16]

 

Pour autant, parmi les députés élus sous ce sigle en juin 2017 (17), huit appartiennent au Parti de gauche, deux à Ensemble, deux au PCF, les autres étant soit des élus indépendants (dont François Ruffin) soit des ralliés. Ceci signifie clairement que si la France Insoumise n’est pas un parti, l’ossature militante qui soutient le tout est bel est bien le Parti de Gauche, autrement dit un parti conventionnel né d’une dissidence du PS, qui a conservé sa structure hiérarchique et ses racines politiques. On en vient donc à se demander qui décide quoi dans FI, certainement la structure dominante, celle des cadres du Parti de Gauche qui souhaitent donner leur agrément à toute initiative des groupes FI de base[17]. La Charte des groupes d’appui de la France Insoumise  rappelle qu’aucun groupe d’appui « …ne peut engager la France insoumise dans des élections hors d’un cadre national. Une cohérence nationale est indispensable à la réussite de nos objectifs. Aucun groupe ou rassemblement de groupes d’appui ne peut constituer de structuration ou d’outils intermédiaires à l’échelle d’un département, d’une région ou tout autre échelon en dehors de ceux décidés par le mouvement. ». La « sortie » de Jean-Luc Mélenchon contre l’accord électoral FI-PCF en Corse en vue des élections territoriales de décembre 2017 exprimée dans un tweet daté du 3 septembre 2017 en illustre bien la pratique: « Des insoumis ont engagé 1 liste avec le PCF en Corse sans prendre aucun avis. Je ne soutiens pas cette initiative et condamne cette tambouille. » On mesurera le sens de la formule « prendre un avis » qui ne se donne plus la peine de masquer la verticalité du fonctionnement de la France Insoumise. Ce qui permet au secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, quand il évoque le prochain congrès de son parti le présente comme celui de sa transformation en spécifiant clairement et non sans ironie :

Une chose est sûre : il n’est pas question de construire un mouvement sous la forme de La République en marche ou de LFI. « Ce sont des organisations ultra-centralisées, explique M. Laurent. Au contraire, on veut construire quelque chose qui soit coopératif, très ouvert et très décentralisé.»[18]

Quelques repères historiques espagnols

Dans le cas de l’Espagne, la constitution de ce que l’on appelle aujourd’hui les NMS dans leur forme contemporaine, fondamentalement associative, est une affaire aussi ancienne en Espagne que le suffrage universel (1891). Ces mouvements sociaux prennent des formes multiples et ont une origine diverse selon qu’ils sont l’émanation d’une demande locale, de l’implantation locale d’un dessein plus ample ou une combinaison des deux.

Tout d’abord ils furent le fait de l’Eglise ou des laïcs liés de très près à l’Eglise catholique, à l’image de ce que fut le catholicisme social en France, et à la faveur de nouvelles lois protégeant les associations (1887).

Après le grand mouvement caritatif social catholique des années 1880-1900 (avec une figure emblématique, celle de Concepción Arenal, femme, catholique et sociologue avant la lettre), dès le début du XXe siècle le sociologue universitaire catholique Severino Aznar crée une association, La Paz social, à visée éducative – El Curso social– qui, au-delà du fait de représenter une réponse explicite de l’Eglise aux « ravages » que produit dans ce pays l’idéologie socialiste dénoncés par la De rerum novarum, suscitera le développement d’ un puissant mouvement associatif chrétien à profil social. Il sera à l’origine des fraternités ouvrières de l’Action catholique (HOAC) et d’un mouvement coopératif ouvrier significatif dont le fleuron est toujours aujourd’hui la Mondragón Corporación Cooperativa, la plus grande entreprise coopérative du monde, créée au Pays basque par un prêtre au tout début des années quarante avec l’intention première de former des techniciens de haut niveau.

Ces mouvements, reconnus par la loi pendant le franquisme, le seront dans un cadre légal associatif qui ne changera pas substantiellement au cours de la dictature (Décret du 25 janvier 1941 sur le droit d’association, lui-même limité par l’article 28 de la loi de sécurité intérieure, véritable loi anti-terroriste, datée de mars 1941). En 1964, une tentative pour ouvrir légèrement cet espace aux associations de type politique sera portée par les éléments les plus libéraux du régime. Elle restera sans effet puisque la loi prévoyait dans son article 1-3 qu’étaient proscrites toute les associations dont les visées seraient « contraires aux Lois fondamentales du régime », celles qui mettraient en danger « la morale et l’ordre public » ainsi que celles qui « représenteraient un danger pour l’unité politique et sociale de l’Etat.»[19]

Dans ce cadre législatif qui interdit la création de toute association ayant des fins politiques ou sociales (partis et syndicats libres) les associations liées à l’Eglise et non soumises à la loi (Article 2-1) joueront un rôle décisif dans la création des Commissions Ouvrières (dont on peut dire que la genèse au tournant des années 50/60 en fait un NMS typique) en accord ou collaboration avec les secteurs communistes clandestins de cette époque. Dans un cadre politico-institutionnel extrêmement étroit, frôlant souvent l’illégalité, un mouvement associatif très diversifié verra le jour en s’appuyant le plus souvent sur l’église des paroisses de quartiers ou sur les aumôneries d’usines. Dans ces lieux, les réunions étaient permises, sans contrôle policier, par conséquent, se retrouver entre gens du même quartier, de la même entreprise, de la même école ou de la même université était possible. On pouvait y traiter de l’organisation de fêtes, mais on pouvait aussi s’y réunir pour tenter de trouver une solution collective à tel ou tel problème ou à telle ou telle question collective de voisinage ou professionnelle.

Par exemple, avec le développement accéléré de l’urbanisation qui se produit à la même époque, c’est un mouvement incarné par  des associations de quartier (movimiento vecinal), qui va jouer un rôle prépondérant dans la solidarisation de demandes concrètes fondamentales (droit au logement, droit à l’éducation, droit à l’accès aux soins)[20]. Ce mouvement, concentré principalement dans les grandes agglomérations et leurs nouveaux quartiers populaires, Madrid, Barcelone, Bilbao, Séville et leurs banlieues, et animé une fois de plus par des militants communistes et des fraternités liées à l’Eglise catholique, jouera aussi un rôle déterminant dans la lutte globale contre le régime. Citons le cas emblématique d’une association animée par un prêtre jésuite devenu communiste, le père Llanos dans un quartier de Madrid, où il exerça son apostolat à partir de 1955[21]. Cette association est connue par le nom de cet immense bidonville devenu quartier urbanisé après des années de luttes et de protestations, El Pozo del tío Raimundo. La figure de Llanos, toujours considéré positivement depuis peut très bien correspondre à une figure apostolique, mais aussi à ces figures individuelles charismatiques qui ont synthétisé l’élan associatif de ces années-là : l’association de la composante charitable et humaniste de l’Eglise et du communisme social. Il y eut des figures similaires en Catalogne et au Pays Basque qui surent développer des mouvements du même ordre.

Le mouvement des associations de quartier continuera à être présent et formera en 1980 une première coordination qui essaimera dans toute l’Espagne et existe toujours. Elle est devenue l’un des appuis du mouvement social local qui donna non seulement le 15 mai 2011 mais aussi, antérieurement, un soutien à tous les mouvements liés au droit au travail (mileuristas), au droit au logement, à l’éducation, etc. A Madrid, existe la Federación Regional de asociaciones de vecinos7[22] , à Barcelone, la Federació d’associacions de veïns i veines de Catalunya8[23] dont le rôle est plus coordinateur que centralisateur. Dans les Asturies le mouvement fut similaire. L’historienne Claudia Cabrero le souligne:

Dans les années 60 eurent lieu les premières mobilisations de quartier dont les femmes constituaient le contingent le plus dynamique. C’set en 1969 que se déroula l’évènement le plus significatif, la manifestation des cierges. Un groupe de femmes du quartier de Barredos, à la tête desquelles se trouvait Aida Fuentes Concheso réussit à rassembler 1500 habitants du quartier qui, un cierge allumé à la main, marchèrent vers la Mairie de Laviana. La Garde civile bloqua la manifestation, blessant un participant, mais finalement les manifestants obtinrent gain de cause. On leur promit la mise en route de l’alimentation électrique du quartier bloquée pour cause de conflit entre la mairie et la compagnie d’électricité. De ces premières actions revendicatives, on est passé dans les années 70 à une “pression organisée”, avec pétitions, occupation de locaux publics, assistance aux conseils municipaux pour faire connaître leurs demandes. [24]

 

On pourrait multiplier les exemples, mais il faut souligner que ces mouvements sont nés et ont vécu dans ce cadre légal étroit et continuent encore à conserver une certaine capacité offensive dans les grandes concentrations populaires et qu’ils donnaient aux femmes un rôle prépondérant. Les travaux de José Babiano sur ces mouvements et leur articulation avec les luttes politiques apportent d’abondants éléments.[25]

Si nous intéressons à la création des Commissions ouvrières à la fin des années cinquante et au début des années soixante, nous retrouvons un contexte similaire. La loi syndicale interdit tout autre syndicat que la CNS, syndicat intégré au pouvoir d’Etat, ce que l’on appelle par traditions le syndicat vertical à cause de sa structure corporative qui nie l’existence d’intérêts de classe. Cette structure syndicale va voir se développer dans ses marges des structures que l’on qualifierait aujourd’hui de « spontanées » qui vont rapidement se multiplier et s’enraciner de façon souple au sein des grandes entreprises puis se fédérer par branches et se constituer en confédération en 1964.

La première phase fut est celle de la création au sein des entreprises de commissions qui tentaient de peser sur les syndicats officiels pour obtenir quelques avancées en matière de salaires et de conditions de travail. La première commission fut créée en 1957 par les mineurs de La Camocha, dans les Asturies. L’insistance aujourd’hui sur la célébration de ce fait protestaire correspond bien à l’état d’esprit de la création de ces entités. S’exprimait avant tout une volonté unitaire dépassant les différences politiques, ce que le PCE soulignait encore à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire de sa création :

En janvier 1957, un phalangiste connu, un communiste clandestin, un militant catholique, un socialiste de cœur et un mineur sans engament déclaré défièrent la dictature franquiste pendant neuf jours. Leur action, soutenue par 1500 travailleurs de La Camocha, fut à l’origine d’un mythe : la mine de la région de Gijón fut le berceau des Commissions Ouvrières.[26]

Elles vont devenir commissions ouvrières et s’étendre à travers tout le pays à partir des grèves de 1962, date qui mérite encore qu’elle soit pensée dans un principe de continuité et de rupture dans les formes prises par les mouvements sociaux pour agir dans un espace social totalement fermé[27]. C’est en septembre 1964 qu’un comité de liaison à l’échelle nationale verra le jour, esquisse d’une future confédération. Cette création  verra émerger une figure charismatique de ces commissions ouvrières, celle du communiste Marcelino Camacho Abad.

Ces quelques exemples viennent souligner le fait que, quand les canaux légaux et institutionnels ne donnent pas de voie à l’expression des conflits, et, à propos du franquisme, nous ne sommes pas dans un contexte d’Etat affaibli mais bien d’Etat autoritaire et répressif, le mouvement associatif devient le lieu où se combinent actions légales et actions illégales à travers lesquelles s’exprime la demande sociale.

Quelques repères historiques français

Dans le cas français, c’est essentiellement l’effondrement du Parti communiste à la fin des années 70[28] après celui de la SFIO en 1969 qui généra une multiplication des mouvements locaux et espaces dissidents à teneur et couleur politique[29]. On ne peut négliger non plus le recul général de l’influence syndicale après ces mêmes années de reflux[30]. Les syndicats, à travers leurs unions locales ou leurs sections d’entreprises, avaient une présence qui ne se réduisait pas à la défense des intérêts professionnels mais menaient une action intégratrice dans les secteurs où la présence de travailleurs étrangers était forte (le bâtiment) et une action culturelle dans les zones à forte concentration ouvrière (les bassins miniers du nord, la Lorraine, les chantiers navals et la sidérurgie) et dans les secteurs publics et parapublics nés après 1945,  par l’entremise des Comités d’entreprise[31].

La présence du PCF dans les quartiers modestes jouait un rôle essentiel. Le maillage socio-éducatif qu’il proposait, sa fonction à la fois de contrôle et de régulation de la vie sociale, des modes de sociabilités à travers son omniprésence reflétée par ses organisations de jeunesses et ses organisations féminines comme sa politique municipale fédérait et orientait avec une certaine efficacité les mouvements de protestation qui se faisaient jour ici ou là. La première manifestation politique qui tenta de « capitaliser »  d’un point de vue électoral cet effondrement fut le mouvement éphémère des « rouges-verts » qui, au cours des années 80, réunit en son sein de nombreux dissidents du PCF mais aussi des militants de la gauche du PSU, des écologistes et une partie de la mouvance trotskiste. L’échec de ce mouvement à la suite de l’élection présidentielle de 1988 (la candidature de Pierre Juquin ne recueille qu’à peine un peu plus de 2% des exprimés) prépara à sa façon l’étape suivante de tentatives de mise en place de nouvelles formes d’organisation de l’intervention politique qui, d’une part, concourut à la naissance du parti des Verts dans un premier temps, et, dans un deuxième temps, en s’appuyant sur le référendum d’approbation du Traité européen de 2005 rejeté par les Français, à la création du Parti de gauche, réunissant des dissidents du PS, et à celle de la mise en place de l’alliance éphémère du Front de gauche en 2012. La dernière étape fut celle de la création, sur les ruines du Front de Gauche, de la mouvance de la France Insoumise autour de la figure charismatique de l’ex-trotskiste et ex-socialiste Jean Luc Mélenchon. Le plus grand écueil dans ce domaine restait le mode de scrutin, majoritaire à deux tours, donnant une forte prime à la formation obtenant 30% des voix à l’échelle nationale (en 2007, avec 39,54% des voix, l’UMP obtient 313 sièges, soit 24 sièges de plus que la majorité+1 nécessaire, ; en 2012, le PS, avec 29,354% des voix obtient 48,53% des 577 sièges) et annihilant la présence des formations obtenant moins de 15% des voix. Le scrutin de juin 2017 amplifiera ce profond déséquilibre entre représentation et représentativité en y ajoutant un niveau d’abstention inédit (avec 18,9 % des inscrits, la République en Marche obtient 350 députés sur 577, soit 60,6% des sièges).

Le scrutin proportionnel espagnol, inspiré du système allemand, atténue ces disparités sans pour autant assurer le reflet parfait du vote à l’échelle nationale. La représentation des candidatures non majoritaires est assurée mais la façon de penser le système d’alliances est totalement différente puisque celles-ci peuvent se négocier après scrutin et le sont en général ainsi au moment du vote de confiance parlementaire à l’ouverture de la nouvelle législature. En France l’accord de désistement réciproque du 20 décembre 1966 entre le PCF, la FGDS et le PSU reste encore la seule parade efficace attestée face aux effets amplifiants du scrutin français, effets aggravés par la réforme du mandat présidentiel et l’assujettissement de l’élection parlementaire au rythme de renouvèlement du quinquennat. Il se maintiendra, vaille que vaille, sous d’autres formes et non sans tiraillements et coups bas, jusqu’au dernier avatar d’une union de la gauche moribonde : la gauche plurielle du gouvernement Jospin (1997-2002).

Traduction ou recyclage politique des mouvements sociaux?

La situation espagnole est bien différente aujourd’hui. Peu ou prou, les libertés fondamentales sont exercées, le droit d’association est reconnu, et pourtant la voie syndicale n’est pas celle qui se pose en meilleur défenseur des intérêts des classes appauvries, la voie politique est elle engluée dans un système d’alternance libérale depuis bientôt quarante ans. Il est certain que la crise de 2008 a été le moment de la revitalisation du mouvement associatif qui, sous des formes nouvelles, influencées par le fait que les couches moyennes étaient celles qui se manifestaient le plus depuis une décennie, avaient la main.

Dans un entretien accordé à Mediapart en avril 2016, au moment des luttes déclenchées en France autour de la loi de réforme du Code du Travail, dite loi El-Khomri, Chantal Mouffe analysait les liens possibles entre les mouvements nés en 2011 en Espagne et ce qu’il se passait alors en France :

Podemos a donné aux Indignados une traduction institutionnelle. Même s’il est trop tôt pour juger les formes que le mouvement « Nuit Debout » peut prendre, il me semble être davantage sur une ligne proche de celle d’Occupy, avec une attitude très horizontaliste et basiste, refusant tout leader ou tout engagement vers les institutions. Ce que je trouve problématique.

Naturellement, parler de « traduction institutionnelle » peut sembler jeter le trouble puisqu’il s’est agi en réalité de « traduction électorale » ou encore de « traduction politique », mais la référence à l’Espagne telle qu’elle est développée reste encore très mécaniste. Les faits sont justes mais l’analyse pèche par insuffisance. Si nous pouvons suivre la philosophe dans son raisonnement factuel (« Podemos a bien expliqué qu’il n’était pas le « parti des Indignados », mais qu’il n’aurait pas été possible sans ce mouvement qui a créé un terreau favorable. »), il devient difficile de suivre son raisonnement quand elle affirme que le choix de participer aux élections est né de la nette victoire du PP aux législatives de 2012 malgré « deux ans de mouvements  indignés  et de marées dans plusieurs villes d’Espagne. ». Sa conclusion en guise de conseil était la suivante : « Pour changer les choses, on ne peut se contenter soit du mouvement social, soit de la politique traditionnelle. »[32] Mais qu’est-ce donc que « la politique traditionnelle » ? A l’évidence, le conseil a été suivi par le courant de la France Insoumise qui engageait au même moment son long parcours vers l’élection présidentielle, mais en laissant de côté un volet de ce qu’on suppose être  consubstantiel de « la politique traditionnelle » : les politiques d’alliances et de compromis.

Par ailleurs, l’analyse proposée par Chantal Mouffe ne rend pas vraiment compte du processus de formation à la fois des Indignés, qui ne se résume pas à la stratégie d’occupation des places, mais comprend aussi une multitude d’actions depuis les interventions « dansées et chantées » dans les banques au moment de la crise par le groupe flo6x8 à Séville[33], ou de blocage des expulsions par divers groupes d’activistes, Stop desnonaments à Barcelone, ou la Plataforma de Afectados por la Hipoteca, mouvement d’où est issue Ada Colau, Maire de Barcelone, et à bien d’autres formes de lutte de voisinage, locales ou plus générales en matière d’endettement, de logement et de chômage.

Si l’on revient aux causes du 15- M 2011, il faut se souvenir que la crise liée au logement et aux bas salaires est bien antérieure en Espagne dans ses effets à l’éclatement de la bulle financière. Avant qu’elle n’éclate, la bulle avait déjà provoqué des dégâts sociaux importants depuis le début du siècle. Depuis le milieu des années 2000, la hausse vertigineuse du prix du logement et la perte en pouvoir d’achat des salaires avaient provoqué des manifestations endémiques de mécontentement. En particulier, chez les jeunes diplômés qui ne trouvaient pas d’emploi à une hauteur de rémunération correspondant à leur qualification et, par conséquent, avaient de grandes difficultés à se loger. Ils ne pouvaient, leur précarisation étant telle, ni acheter, ni louer un logement (ce dernier marché, le marché locatif, étant très restreint, faute de politiques sociales du logement).

Le mouvement le plus caractéristique fut celui des “mileuristas”. Mille euros c’était un peu plus du double du salaire minimum d’alors (il est aujourd’hui de 655, 20 euros brut c’est-à-dire 200 euros au-dessous des préconisations de la charte sociale européenne). Dans ces années 2004-2005 la moyenne brute des salaires était de 1600 euros mensuels. 11 millions de personnes vivaient avec un salaire proche ou inférieur à 1000 euros. Ce néologisme apparaît dans la presse en août 2005 dans la lettre d’une lectrice publiée par le quotidien El Pais, courrier qui aura un impact public considérable.

Par ailleurs, la politique effrénée d’encouragement au crédit hypothécaire menée par les banques et les gouvernements successifs, qu’ils soient de droite ou de gauche, avaient conduit à  l’alourdissement spectaculaire de la dette privée à la fin des années 90 et la venue massive d’une main d’œuvre immigrée peu ou pas qualifiée qui trouvait un emploi dans une industrie du bâtiment surdimensionnée (entre 1999 et 2007, l’Espagne accueillera 7 millions d’immigrés, sa population passant de 40 à 47 millions d’habitants). L’emballement de la machine du crédit, des crédits hypothécaires à taux variable d’une durée pouvant atteindre 50 ans, conduira à une appréciation rapide et brutale du m2 urbain, l’augmentation du prix du logement et la recherche par les banques de fonds disponibles sur les marchés financiers les plus risqués. Tout ceci provoquera, en relation directe avec la crise financière américaine, une explosion du coût du crédit, le défaut massif des banques et des personnes endettées. La surchauffe était telle qu’elle provoqua immédiatement la paralysie de l’industrie du bâtiment, l’augmentation massive du chômage (jusqu’à 400 000 chômeurs de plus par mois au cours de l’hiver 2009). Cette industrie, principale bénéficiaire de cet alourdissement de la dette privée, avait massivement recruté au cours de ces années de nombreux ouvriers sans qualification, pour la plupart issus de cette immigration massive évoquée plus haut. Cette dernière sera la victime directe de la crise à double titre : perte d’emploi et surendettement.

Mais le 15-M ne se présente pas comme un mouvement de protestation ouvrier ou de protestation des plus pauvres. Il s’agit d’un mouvement de protestation qui critique les premières mesures d’austérité du gouvernement socialiste de Rodriguez Zapatero mais pas sa politique d’aide au retour dans leur pays d’origine des immigrés14[34]. Il est à l’initiative de groupes de militants urbains, classe moyenne dont nous avons parlé précédemment, qui s’appuie sur Internet et les réseaux sociaux, et avait orienté son action selon de modalités combinant idéalisme pacifiste et mondialiste, discours contre les discriminations et foi dans « les masses en mouvement ». Ce mouvement se retrouve dans un conglomérat appelé « ¡Democracia real ya! ». Comme le 22 mai devaient se tenir des élections régionales et municipales, ces groupes ont décidé d’occuper l’espace public jusqu’à ce terme en organisant des marches sur la capitale et les grandes concentrations urbaines. Ce qui devait être itinérant, à la manière des pronunciamientos du XIXe siècle, s’est vite transformé en occupation permanente des places centrales des villes, des lieux à fort passage piétonnier tels que la Place de Catalogne à Barcelone ou la Puerta del Sol à Madrid. Naturellement nous ne pouvons oublier les effets de retour provoqués par les printemps arabes et par l’énorme engouement suscité par les 27 pages du pamphlet-manifeste de Stéphane Hessel publié sous le titre Indignez-vous ! Ces lieux de palabres continuelles permettaient de multiplier à la fois des débats sur toutes sortes de sujets, de témoigner des effets de la crise et de manifester tout le mécontentement nourri par les politiques du moment, leur corruption, leur trop grande complaisance envers les banques et les milieux d’affaires et leur mépris profond pour les petit peuple. Des universitaires comme Manuel Castells, Eduardo Punset, Eduardo Galeano donnèrent une certaine visibilité à ce mouvement par leur soutien et leurs écrits. En juillet 2011 le mouvement était terminé même si encore quelques acharnés étaient présents dans ces espaces.

Pour reprendre la question de Chantal Mouffe : Podemos traduit –il ce mouvement? Ou, pour reprendre une vieille formule léniniste : capitalise-t-il ce mouvement ? Ou, dans l’esprit soixante-huitard, il faut se demander « qui récupère » ce mécontentement ? Certainement une grande partie de ces mécontentements et dissonances, y compris une certaine part de la pensée utopiste, se développent « à bas bruit » sans aspirer à un débouché politique et électoral. Si la classe moyenne ayant peur du déclassement est omniprésente dans ces tentatives de « traduction », les principales victimes de cette crise instituée, de l’appauvrissement des plus pauvres, en sont absentes. Comme le souligne Philippe Corcuff dans Politis du 14 septembre 2017: « On parle au nom du peuple mais les paroles populaires sont peu présentes. »

Podemos, France Insoumise, mouvements « attrape-tout » ?

Il faut être prudent avant d’apporter une réponse corrélée entre le fait social que l’on peut appeler la « précarisation des couches moyennes et populaires » et les NMS. Une certaine forme d’opportunisme politique vient tenter de reprendre le discours des victimes. Ce phénomène signifie clairement que le communisme politique -dans toutes ses variantes- qui estimait avoir vocation à le capitaliser, n’y arrive pas. Pour ceux qui sont séduits par ces opportunismes, la question n’est plus de « transformer le monde », mais de l’interpréter. Le socle philosophique qui soutient l’édifice Podemos est tout sauf matérialiste, au sens marxiste du terme. Sa capacité quasiment nulle à intégrer la question écologique, la question du modèle d’Etat ou la question même du travail et de l’exploitation est une preuve de cette fragilité. Le discours de Podemos, loin d’être creux, a toujours été « segmenté » disant à chacun ce que chacun est en droit d’attendre. Ce n’est pas par hasard si son programme électoral de la campagne législative de 2015 est présenté aux espagnols sous la forme d’un catalogue IKEA, une indication nette de ce qu’est son « ciblage électoral », agrémenté d’une certaine dose de cynisme de second degré auquel est sensible la classe moyenne urbaine.

Un autre aspect compte dans la perception des limites de cette forme d’organisation. Dès sa naissance, Podemos a choisi très vite la forme-parti, structurée autant que possible avec une direction inamovible, qui impose aux structures de base, beaucoup plus spontanément horizontalistes par la nature même de leur création, une forme de discipline organisationnelle. Cette rigidité de la forme-parti s’est manifestée dans le choix des candidatures pour les élections de décembre 2016. Les ordres de candidatures sur les listes furent assez souvent remaniés par les dirigeants pour imposer ici et là des candidats « parachutés ». Il en est résulté des dissensions, des ruptures quelquefois. Ce passage s’est fait dans la douleur et a provoqué des réactions ironiques et polémiques, retournant contre Podemos l’apostrophe du « fascisme cool » par celle du « léninisme aimable » de Juan Carlos Monedero ou du « léninisme 3.0 » de Felipe González.

Plus largement, cette récupération est possible parce que le monde espagnol a changé. Les classes moyennes ont certes été paupérisées, mais elles ont investi massivement ces espaces politiques que les ouvriers et paysans occupaient et ont déserté. Si on dressait la liste des dirigeants ou fondateurs de Podemos on verrait qu’ils sont pour la plupart universitaires, assez souvent dotés de diplômes universitaires en sciences politiques (Pablo Iglesias, Iñigo Errejón, la députée européenne Tania González), en économie (Juan Carlos Monedero), en sociologie politique (Carolina Bescansa), en histoire ou sciences humaines (Xavier Domènech). La plupart sont universitaires. Il n’y a là rien de bien nouveau dans le processus de formation des élites[35] sauf que l’université espagnole a depuis quarante ans élargi considérablement son spectre social à la petite classe moyenne sans pour autant lui assurer une vraie place en son sein. Les élites du franquisme venaient des mêmes horizons, celles du PSOE aussi, du droit, pour l’essentiel, puisqu’il faut rappeler que la science politique comme la sociologie sont des disciplines universitaires organiquement et administrativement liée au droit en Espagne. Les « mentors » de ces jeunes politiciens (tous âgés de 30 à 40 ans), sont des figures historiques de l’enseignement de l’économie, de la sociologie, de la philosophie et du droit, Jorge Vestrynge ou José Luis Sampedro, Manolo Monereo ou encore les marxistes Francisco Fernández Buey et Manuel Sacristán. C’est en ce sens que l’on peut penser le surgissement de Podemos comme on été pensées les renaissances du socialisme au début des années soixante-dix (Congrès d’Epinay pour le PS français en 1971, Congrès de Suresnes pour le PSOE en octobre 1974). Sauf que la rénovation ne se fait pas depuis les décombres intérieurs mais de l’extérieur.

On ne peut donc ranger Podemos dans la catégorie des nouveaux mouvements sociaux mais plutôt dans un processus de renouvellement des espaces, structures et conditions de l’exercice politique en Espagne observables dans le monde assujetti au suffrage universel. Son leader a appelé « un nouveau système de partis » en situant son mouvement dans un cadre politico-historique, celui de la « nouvelle social-démocratie » qui, tout en la supplantant, recherche une alliance avec l’autre social-démocratie, l’ancienne (« la vieja socialdemocracia »), celle qui appartient au XXe siècle, qui devra s’allier à cette nouvelle force ou qui finira par se dissoudre dans des alliances ou des compromis douteux à droite[36].

Tout ceci n’est pas purement cosmétique. Il y a cette part du discours, irritante, et il y a la réalité des alliances contractées. Celle qui prévaut pour les scrutins à venir pourrait devenir le moment le plus positif que vivent les communistes depuis 1977, se retrouver avec une force social-démocrate qui ne les rejette pas, qui les réintroduit avec force dans un espace de propositions. Quand on examine les 50 points de l’alliance contractée pour les élections de décembre 2015, on y retrouve l’essentiel de la demande sociale et une authentique proposition alternative. L’alternative se trouve dans des politiques substitutives, une vie quotidienne administrée localement en ce qui concerne les quatre grands champs publics d’intervention sociale (travail, logement, santé, éducation), plus d’Etat, un Etat démocratique avancé dont les critères sont multiples (proportionnelle intégrale, démocratie parlementaire, référendum d’initiative populaire, suppression du Sénat sous sa forme de chambre haute, un CESE disposant non seulement d’un droit consultatif mais aussi délibératif, intégration des droits sociaux dans les normes constitutionnelles contraignantes, création d’une banque de crédit populaire, nationalisation des secteurs productifs stratégiques, contrôle démocratique de l’entreprise – participation paritaire des travailleurs au CA, accès aux comptes de l’entreprise pour tous ses acteurs, etc.).A ces points alternatifs il faut ajouter le droit à l’autodétermination ou au droit à disposer de soi.

Ces questions se posaient déjà dans ces termes dans les années soixante. Le seul parti qui ait fait, alors, une tentative d’aggiornamento, de prise en compte des nouveautés sociales et des transformations de la vie espagnole fut le PCE. C’est ce que laisse voir la transcription des débats du « séminaire d’Arras », réunion de cadres du parti réunis en 1963 dans la clandestinité[37].

Le dirigeant communiste Tomás García défendait l’hypothèse de la mise en place de conseils ouvriers où le souverain aurait été l’assemblée des travailleurs de l’entreprise, comme fondement de l’action communiste dans le milieu ouvrier :

Je ne crois pas nécessaire d’insister sur le fait que le point de départ c’est la commission ouvrière, selon l’idée que nous nous en faisons, élue démocratiquement, révocable à tout moment par les travailleurs et directement contrôlée à chaque moment également par des assemblées de travailleurs… nous devons faire l’effort de consolider par tous les moyens ces commissions, commissions ouvrières, commissions paysannes, etc., tout le programme de développement des commissions.

 

Depuis la fin des années cinquante, le PCE cherchait à installer des bases militantes ouvrières dans la vie de l’entreprise. L’organisation clandestine du Parti ne permettait pas de développer une présence permanente de ses idées. Il lui fallait être au contact de ceux qui combattaient pour défendre leurs droits, et rien n’était plus efficace que l’organisation au sein même de l’entreprise. Cette implantation devint vitale car elle correspondait bien à l’idée d’une « conquête graduelle de positions » (dans le sens léniniste/gramscien de la métaphore militaire) en particulier dans l’entreprise, afin de donner plus de poids à sa politique de réconciliation nationale et de se faire identifier comme un véritable parti ouvrier au service des intérêts populaires. La volonté déclarer était d’« institutionnaliser » la commission d’usine et d’y être fortement présents. Mais la phase des conseils ne pouvait être qu’une étape dans la construction d’un ensemble plus hiérarchisé et structuré, le syndicat unique:

… ces commissions laisseront a place à un syndicat qui, en s’appuyant sur les commissions ouvrières, syndicats unis et démocratiques qui permettront à la classe ouvrière d’intervenir de tout son poids et dans l’unité dans le développement national.[38]

Ce qui court dans cette vision de la nécessité de construction à terme d’un syndicat issu (ou s’appuyant sur) des commissions ouvrières, c’est la garantie de disposer d’un outil révolutionnaire rassembleur [39]et non d’un outil horizontal (à l’échelle de l’entreprise) qui serait tenté par la collaboration de classe proposée sous toutes les formes (actionnariat ouvrier, participation, cogestion) :

… intéresser les ouvriers à l’entreprise et leur distribuer des actions est une façon de las associer qui, je le crois, conduit à la collaboration de classe, […] nous avons à mener une bataille idéologique pour montrer avec toute la patience et le bon sens nécessaires, que la solution se trouve dans l’amplification de la lutte pour le contrôle démocratique de [la maîtrise] des problèmes de la vie nationale et nationale mais également pour que l’entreprise soit celle des travailleurs et non des capitalistes.

 

Finalement, l’option sera pluri-syndicale, avec la renaissance de l’UGT, syndicat sous contrôle socialiste mais disposant d’une réelle implantation au Pays Basque en particulier, la naissance d’un groupe syndicaliste réformiste indépendant des partis (USO), la réapparition ratée de la CNT, et l’émergence de syndicats d’obédience chrétienne, autogestionnaires, qui rejoindront plus tard l’UGT fin 1977. La consolidation des Commissions Ouvrières comme première force syndicale, se fera dans ce cadre de pluralisme syndical, reflet du pluralisme politique espagnol. Elle deviendra une confédération bâtie sur le modèle de l’UGT des années 20 et ressemblant comme deux gouttes d’eau à la CGT du 40e Congrès19[40]. Mais ne sera plus cet instrument de la révolution que les communistes rêvaient de voir.

Dernières remarques : populisme ou bonapartisme ?

Il est difficile, voire il serait source de malentendu de voir dans le surgissement de Podemos il y a un peu plus de trois ans ou de la France Insoumise il y a dix-huit mois l’expression d’un nouveau mouvement social. Il s’agit plutôt du plus classique processus de création d’un parti (« repeindre la vieille voie réformiste » estime Philippe Corcuff dans Politis). La preuve par l’absurde nous la tenons dans la création simultanée de deux forces conservatrices du point de vue institutionnel et néolibérales en matière économique, Ciudadanos en Espagne et En Marche en France. Deux structures nées dans des conditions identiques que Podemos ou FI, usant des mêmes stratégies et quelquefois du même discours « dégagiste » mais situées bien à droite, comme si la droite économique ne pouvait plus se satisfaire de la politique telle qu’elle se déroulait et craignait de voir ces nouvelles forces conquérir l’espace du suffrage universel et remettre en cause leurs intérêts. Le fascisme fut une option dans l’histoire récente du XXe siècle européen, ce que rappelait le trotskiste historique Ernest Mandel :

Une dictature militaire ou un Etat purement policier – pour ne rien dire de la monarchie absolue – ne dispose pas de moyens suffisants pour atomiser, décourager et démoraliser, durant une longue période, une classe sociale consciente, riche de plusieurs millions d’individus, et pour prévenir ainsi toute poussée de la lutte des classes la plus élémentaire, poussée que le seul jeu des lois du marché déclenche périodiquement. Pour cela, il faut un mouvement de masse qui mobilise un grand nombre d’individus. Seul un tel mouvement peut décimer et démoraliser la frange la plus consciente du prolétariat par une terreur de masse systématique, par une guerre de harcèlement et des combats de rue, et, après la prise du pouvoir, laisser le prolétariat non seulement atomisé à la suite de la destruction totale de ses organisations de masse, mais aussi découragé et résigné. Ce mouvement de masse peut, par ses propres méthodes adaptées aux exigences de la psychologie des masses arriver […] à soumette les salariés conscients politiquement à une surveillance permanente, mais aussi à ce que la partie la moins consciente des ouvriers et, surtout, des employés soit influencée idéologiquement et partiellement réintégrée dans une collaboration de classes effective.[41]

 

Ce qui peut être trompeur, c’est la vitesse d’enracinement dans le champ politique de cette organisation. Mais rien de bien neuf non plus car elle n’est pas sans rappeler la création du PSOE en Espagne le 2 mai 1879 (l’un des plus anciens partis socialistes d’Europe né quatre ans après le SPD), au moins par le discours, dans un contexte différent marqué par l’absence de suffrage universel jusqu’en 1891, mais similaire puisqu’il correspond à une période d’alternance ininterrompue ( « el turno ») entre deux partis libéraux-conservateurs que les espagnols connaissent bien à travers un mot valise rappelant les noms des deux leaders de cette alternance, Sagasta et Cánovas : « el sagastacanovismo ». Le fondateur du PSOE, Pablo Iglesias, affirmait dans son discours inaugural: « L’attitude du Parti socialiste ouvrier espagnol envers les partis bourgeois, quelle que soit leur appellation, ne peut ni ne doit être conciliatrice ou généreuse, elle doit être une guerre constante et implacable.»[42] Présentant des candidats aux premières élections libres, il n’obtiendra pas de sièges, ce qui l’obligera à modérer son discours et à contracter des alliances avec deux de ces partis bourgeois, le PR Radical et le PR Démocratique Fédéral pour finalement obtenir une représentation politique en 1910.

Podemos a vécu ce même processus de façon accélérée en s’appuyant sur de puissants moyens de communication (la télévision et les nouvelles techniques d’expression publique) et une tactique fondée sur la segmentation du discours. C’est, au fond, la conjonction de cette stratégie de positionnement plus proche du jeu de société que de la « vraie politique » et l’accumulation d’expériences collectives concrètes de terrain qui est une nouveauté. Elle ne doit pas nous cacher que les facteurs essentiels sont toujours les mêmes : un cadre politique fondé sur l’expression comme exercice d’une liberté et le suffrage universel uninominal comme attestation de l’hégémonie du discours. La revendication récente de Pablo Iglesias de se situer dans une sorte de nuovo corsso de la social-démocratie est le vrai signe de cette continuité politique qui montre bien que Podemos est plus un instrument de rénovation générationnel des élites politiques qu’un outil de rupture révolutionnaire. Nous pouvons également conclure que le cas de la France Insoumise est une imitation à peu près fidèle de la politique telle qu’elle a été conçue par Podemos : recherche d’hégémonie à gauche, refus de pactes ou alliances avec d’autres mouvances de gauche[43]. Si l’expérience du Parti de Gauche, qui regroupait des dissidents socialistes encore sensibles au moule de la forme-parti, a été abandonnée en apparence, même si ce parti n’a pas disparu, ce n’est pas par refus de toute stratégie politique mais plutôt parce que le groupe dirigeant du PdG a considéré qu’il était nécessaire de conquérir l’hégémonie politique dans le pays et de ne s’engager dans des étapes d’alliances qu’une fois assise cette position centrale avec quelques députés et une assise financière et organisationnelle plus stable, donc plus proche de celle d’un parti traditionnel[44]. Le bilan de la France insoumise est maigre  puisqu’il est aussi réduit que celui de Podemos, moins de vingt députés parmi lesquels quelques-uns peuvent encore s’émanciper du carcan culturel et juridique de FI (le programme et la charte) et une perte vertigineuse en voix (plus de 40%)  entre la présidentielle et les législatives (qui demeure le marqueur essentiel de la force d’influence). Pourquoi ne pas avoir combiné les deux stratégies : conquête de l’hégémonie et conclusion d’alliances (en particulier pour contrecarrer le système électoral majoritaire) ?

Dans le  numéro de septembre 2015 du Monde Diplomatique  un article de Razmig Keucheyan et Renaud Lambert[45] se penche sur l’une des sources principales du mouvement Podemos, celle des écrits d’Ernesto Laclau, intellectuel argentin qui, pendant 25 ans, jusqu’à son décès récent, fut professeur de théorie politique en Grande-Bretagne. Le titre évoque ce dernier comme l’inspirateur de Podemos sans pour autant mettre de point d’interrogation, puisque selon l’avis des auteurs il s’agit d’une inspiration explicite et un choix assumé, celui du populisme.

Cette pensée affirme en premier lieu l’échec du marxisme  puisqu’il ne peut y avoir autonomie du politique et que ses « catégories classistes » ont montré leur non-pertinence (effondrement de l’Union Soviétique, effondrement des partis communistes d’Europe[46]).  Seuls les mouvements catégoriels ou corporatistes sont l’essence même des combats sociaux (la « logique de la différence »). Leur convergence ne peut être décrétée mais la conquête de l’hégémonie par le discours peut en créer la condition. Ce discours, parsemé de « signifiants vides » (la castalos de arriba contra los de abajo, « le dégagisme », « les gens », etc.) est celui de Podemos et, dans sa traduction française, celui de la France Insoumise. La deuxième condition de la convergence, c’est la mise en avant d’un leader, nous l’avons, Pablo Iglesias (dont le nom lui-même est l’un de ces signifiants vides dont il est question) comme l’est Jean-Luc Mélenchon, ses incantations hugoliennes et son discours autobiographique. Comme dans les grandes époques du music-hall (costume bleu et cravate à pois de Gilbert Bécaud, les collants et justaucorps des Frères Jacques) l’aspect général de la personne ou le vêtement lui-même concourent à cette tonalité autobiographique du discours : la queue de cheval et le casual dress de Pablo Iglesias, le veston Coltin moleskine Le Laboureur (74 euros 95 ttc chez Largeot et Coltin) de Jean Luc Mélenchon ou le costume « Blue dark » (450 euros chez Jonas et Cie) d’Emmanuel Macron.

Enfin, il est nécessaire d’entretenir le flou programmatique en donnant à chacun ce qu’il veut (l’effet bien connu de « la segmentation du discours ») et d’entretenir également  l’ambiguïté des politiques d’alliances, dernier volet qui complète ces outils stratégiques qui ont fait Podemos.  La baisse continue des intentions de vote d ce mouvement dans les sondages au cours de l’année 2015 et son positionnement stable autour de 18/20% pour les derniers comme la perte de près de quatre millions de voix pour la France insoumise entre l’élection présidentielle de mai  et les législatives de juin 2017 montrent  bien que « l’inscription dans la durée » ne se fait pas au niveau souhaité, parce que cette recette néo-péroniste de construction d’un imaginaire collectif oublie certainement ce que sont les cultures nationales. Comme il est souligné dans cet article ce que Podemos ou FI ont finalement  trouvé chez Laclau, ce ne sont pas de outils théoriques mais seulement des outils rhétoriques (en particulier ceux qui ressortissent du e-marketing) et les ficelles d’une stratégie (pas de stratégie sans stratagème ni stratège). Ce n’est pas la même chose. La meilleure des preuves, nous le disions plus haut, c’est que cette stratégie a également été employée par les nouvelles droites espagnoles et françaises (droites qui se parent d’un centrisme attrape-tout de bon aloi), autrement dit par Ciudadanos, le Front National et par la mouvement de soutien à Emmanuel Macron. Ce dernier l’a finalement appliqué jusqu’au bout, autrement dit jusqu’à la victoire électorale, laissant alors apparaître une fine pointe machiavélique dans sa défense d’une présidence théocratique (jupitérienne, disait le candidat).  Dans la mise en place de sa candidature, l’ancien thermidorien préparait son 18 Brumaire en niant la primauté de la loi comme fondement légitime du pouvoir en France:

La France, contrairement à l’Allemagne par exemple, n’est pas un pays qui puise sa fierté nationale dans l’application des procédures et leur respect. Le patriotisme constitutionnel n’existe pas en tant que tel. Les Français, peuple politique, veulent quelque chose de plus. De là l’ambiguïté fondamentale de la fonction présidentielle qui, dans notre système institutionnel, a partie liée avec le traumatisme monarchique.

… / …

Qu’est-ce que l’autorité démocratique aujourd’hui ? Une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et une direction ancrés dans l’Histoire du peuple français. C’est une autorité qui est reconnue parce qu’elle n’a pas besoin d’être démontrée, et qui s’exerce autant en creux qu’en plein.[48]

Cette vision du pouvoir que certains peuvent considérer comme cynique est radicalement bonapartiste. L’assimilation n’est pas à entendre à la lettre mais elle est authentifiable en ce sens que les mêmes causes (affaiblissement de l’Etat, crise économique, reniements politiques) produisent les mêmes effets : plébiscite d’un sauveur désigné par la providence (cette autorité « qui n’a pas besoin d’être démontrée »), désertions des anciennes formations et alliances de provenances diverses (de Jean-Jacques de Cambacérès et Emmanuel-Joseph Sieyès à Jacques-Nicolas  Billaud-Varenne  et Bertrand Barère[49]).

Le chef (de l’Etat) « sait, dit et éclaire » sans qu’il y ait autre chose au fond de sa légitimité que l’immanence de sa propre figure. Il est « le maître des horloges », autrement dit, s’ajoute sa vision et à son savoir la maîtrise du temps ou, plus simplement, de l’agenda. Si les analystes contemporains se penchaient un peu sur les discours de ce personnage politique singulier, ils y verraient la vraie trace du populisme empruntant aux stratégies de l’homme providentiel et à la catégorie de la mission divine du Prince.

Ceci nous ramène à l’analyse que Francisco J. Conde, philosophe du droit espagnol et idéologue du régime franquiste proposait de l’histoire des révolutions dans trois articles publiés au début des années 50 dans la revue qu’il dirigeait, la Revista de Estudios Políticos, il affirmait que si des tendances apparaissent au Bas Moyen-âge, les États se constituent réellement au XVIIe siècle. Ils s’identifient alors au territoire et se constituent en « corporations». Ainsi se retrouvent face à face  le Populus et le Prince, figure éminente de l’État, confrontation marquée par une grande intensité. Le Prince réduit les droits anciens, il se dote d’instruments rationnels et transforme le droit pour en faire un droit positif au sens plein, c’est-à-dire imposé. Il dispose donc du monopole du droit et de la force. Il agit en permanence pour réduire, annihiler tout ce qui pourrait confisquer une parcelle de son imperium.  Le Populus est devenu une masse grégaire, celle des sujets dont la seule égalité est celle de leur soumission au même État absolu. Cette égalisation de tous devant l’absolu conduit à l’affrontement par la pensée et par les armes et aux révolutions.[50]

A toutes ces formes nouvelles de politique, nous pourrions opposer ce que Karl Marx affirmait dans Le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte :

Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française, accomplirent dans le costume romain et en se servant d’une phraséologie romaine la tâche de leur époque, à savoir l’éclosion et l’instauration de la société bourgeoise moderne. Si les premiers brisèrent en morceaux les institutions féodales et coupèrent les têtes féodales, qui avaient poussé sur ces institutions, Napoléon, lui, créa, à l’intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu’à l’extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire pour créer à la société bourgeoise en France l’entourage dont elle avait besoin sur le continent européen.

Le Danton français et le Camille Desmoulins espagnol, Jean-Luc Mélenchon et Pablo Iglesias ouvriraient ainsi  la voie au Bonaparte des temps nouveaux. Celui-ci gouverne déjà en France, avec les perspectives politiques et sociales que l’on sait.

NOTES

[1] Jean LOJKINE,  Une autre façon de faire de la politique, Le temps des cerises, Paris, 2012.

[2] Signifiants vides (l’ordre en tant que tel), relation hégémonique et posture antisystème. Voir à ce sujet Ernesto LACLAU, La guerre des identités, grammaire de l’émancipation, Paris, Editions de la Découverte, 2000/ 2015, 141 p.

[3] – Job 41:17 : « Quand il se dresse, les flots prennent peur et les vagues de la mer se retirent. »

[4] E. J. HOBSBAWM, Les Bandits, 4e édition revue et augmentée par l’auteur, traduction de l’anglais par J. P. Rospars et N. Guilhot de Bandits, Weidenfield & Nicolson Ltd, London. 2000 (1ère  édition en 1969), Paris, Zones, 2008, 21 p.

[5] Rose DUROUX, « Jacques Maurice, El anarquismo andaluz, una vez más », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 26 octobre 2012, consulté le 20 juin 2016. URL : http://ccec.revues.org/863

[6] J. HOBSBAWM, Les primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Paris, Fayard, col. Pluriel, 2012 (p. 132); Juan DIAZ DEL MORAL, Historia de las agitaciones campesinas andaluzas, Alianza Editorial, Madrid, 1967. 509 p.; Gérald BRENAN, Le labyrinthe espagnol, origines sociales et politiques de la guerre civile, Paris, Editions Ruedo Ibérico, 1962, 281 p.

[7] «El movimiento de hoy, que no es de partido, sino que es un movimiento, casi podríamos decir un antipartido, sépase desde ahora, no es de derechas ni de izquierdas. Porque en el fondo, la derecha es la aspiración a mantener una organización económica, aunque sea injusta, y la izquierda es, en el fondo, el deseo de subvertir una organización económica, aunque al subvertirla se arrastren muchas cosas buenas. Luego, esto se decora en unos y otros con una serie de consideraciones espirituales. Sepan todos los que nos escuchan de buena fe que estas consideraciones espirituales caben todas en nuestro movimiento; pero que nuestro movimiento por nada atará sus destinos al interés de grupo o al interés de clase que anida bajo la división superficial de derechas e izquierdas.» José Antonio PRIMO DE RIVERA, Teatro de la Comedia, Madrid, 29/10/1933, discours de fondation de la Phalange espagnole (les traductions de l’espagnol sont de l’auteur).

[8] Unión Progreso y Democracia, parti fondé en 2007 par quelques militants du Psoe (dont la figure la plus connue est celle qui fut son porte-parole jusqu’en 2015, Rosa Díez) et des membres du collectif anti-ETA ¡Basta ya !

[9] « Los momentos de crisis son momentos de oportunidad. Son momentos en los que se mueve más cómodo el movimiento de izquierda, pero en los que también hay fascismo u otras formas reaccionarias de restauración del régimen. La emergencia de UPyD es un ejemplo. UPyD tiene muchos elementos de fascismo cool, con eso de ‘no somos ni izquierdas ni de derechas, somos españoles’.», Pablo Iglesias, entretien accordé  à La Opinión A Coruña le 20 septembre 2013.

[10] Umberto Eco, Reconnaître le fascisme, Paris, Grasset, 2017, 51 pages.

[11] Le discours de remplacement est également repris par FI : « « Je ne veux pas affaiblir le PS, je veux le remplacer », a déclaré, jeudi 11 mai à Marseille, le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, venu officialiser sa candidature aux législatives dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, où il affrontait notamment le député socialiste sortant, Patrick Mennucci. « Nous allons tourner la page des gens qui nous ont trahis pendant cinq ans. » Naturellement, ce discours est repris au moment où FI tente de percer dans le cadre des élections législatives, dont le scrutin majoritaire est la clé de voute, alors que l’élection présidentielle est fondamentalement une élection proportionnelle avec un double-seuil d’élimination : 5% des inscrits et la qualification des deux candidats arrivés en tête au premier tour.

[12] « La grande révolution des quartiers du monde » chantée par les toulousains du groupe des « Fabulous troubadours » dans les années 90, http://chichechambery.free.fr/spip/spip.php?article11.

[13] « … substitution du Mouvement, fluide et ondoyant, au Parti, pyramide rigide de l’âge industriel, que ses derniers rescapés appellent pudiquement une famille, terme moins compromettant. […] Substitution du transversal au vertical, du réseau au camp, de la connexion à l’affiliation, et de la marque (commerciale) à l’étiquette (idéologique). », Régis DEBRAY, Le nouveau pouvoir, Paris, Cerf, 2017, p. 17.

[14] C’est les cas dans les multiples polémiques qui ont surgi surgissent au moment de la désignation de responsables nationaux  ou dans les choix de candidatures aux élections nationales.

[15] Manolo Monereo, « Los dilemas estratégicos de Podemos: la esperanza como problema político», El viejo Topo, n° 352, mai 2017.

[16] Jean-Luc MELENCHON, « À propos du mouvement «La France insoumise», L’ère du peuple, dimanche 28 mai 2017. http://melenchon.fr/2017/05/28/a-propos-du-mouvement-la-france-insoumise/

[17]https://lafranceinsoumise.fr/groupes-appui/charte-groupes-dappui-de-france-insoumise/

[18] « Entre Mélenchon et le PS le PCF se rêve en pivot de la gauche anti-Macron », Le Monde, 15 septembre 2015.

[19] Ley 191/1964 de 24 de diciembre, de Asociaciones, BOE n° 311 du 28 décembre 1964, page 17334.

[20] http://www.zabalganabatuz.org/2013/04/20/auzo-del-movimiento-de-barrios-al-movimiento-vecinal/

[21] José María de Llanos Pastor, Fundación Gustavo Bueno, http://www.filosofia.org/ave/001/a032.htm

[22] http://www.aavvmadrid.org/

[23] http://www.favb.cat/

[24] La Nueva España, , 13 mai 2011, http://www.lne.es/gijon/2011/05/13/claudia-cabrero-asociaciones-vecinalesfranquismo- escuelas-democracia/1073972.html

[25] Del hogar a la huelga, trabajo, género y movimiento obrero durante el franquismo, Madrid, Fundación 1ero

de mayo, 2007.

[26] Secretaría de Comunicación del PCE/ la Nueva España / 25 février 2007.

[27] «Realmente, la primavera de 1962, a pesar del efecto óptico que podía proyectar, no fue el inicio de un nuevo ciclo de conflictividad como el que inauguró 1956, sino la transición de un modelo de conflictividad expansiva y con un tiempo marcado, a otro de carácter policéntrico y sostenido en el ámbito regional que aún se encontraba en sus albores.» Xavier DOMÈNECH SEMPERE, El cambio político (1962-1976). Materiales para una perspectiva desde abajo, Barcelone, Espai marx, 10 avril 2016.

[28] Cet article n’est pas le lieu d’un développement plus approfondi sur la question, nous ne nous livrerons pas à  ce que Bernard Pudal appelle « l’expertise médicale  des experts ès communisme » tout en le suivant quand il propose de ne pas dissocier l’étude du communisme de celle de l’anticommunisme et de concevoir « l’énigme du communisme » comme « l’énigme de toute société politique », nous renvoyons donc à son ouvrage : Bernard PUDAL, Un monde défait, les communistes français de 1956 à nos jours, Editions du Croquant, 2009, 215 p.

[29] Serge Buj, « El ocaso del Partido comunista francés, los años setenta», in Carme Molinero, Pere Ysàs (eds.), Las izquierdas en tiempos de transición, Valencia, PUV, 2016, p. 33-58.

[30] Labbé Dominique, « La crise des syndicats français » In: Revue française de science politique, 42ᵉ année, n°4, 1992. pp. 646- 653.

[31],  Maurice Cohen, « Les comités d’entreprise à la française », dossier des Cahiers d’histoire sociale,  Institut d’Histoire sociale, CGT, p. 6-11, n° 93, mars 2005. http://www.ihs.cgt.fr/IMG/pdf_CIHS93__006.pdf, Jean-Pierre Le Crom, « Le comite d’entreprise : une institution sociale instable », L’enfance des comités d’entreprise (Actes du colloque des 22-23 mai 1996), Roubaix, Centre des archives du monde du travail, 1997, pp. 173-197. Publié par https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00191007.

[32] Chantal Mouffe, «Il est nécessaire d’élaborer un populisme de gauche», entretien réalisé par Joseph Confavreux, Mediapart, 8 avril 2016.

[33] http://www.flo6x8.com/

[34] Décret du 19 septembre 2008, https://www.boe.es/buscar/pdf/2008/BOE-A-2008-15278-consolidado.pdf

[35] Serge Buj, Pensée politique, sociologie, franquisme et transition. La tentation de l’expertise sociale, inédit, octobre 2011.

[36] «Somos la alternativa», Agence EFE, Entretien de Sergio Barrenechea avec Pablo Iglesias, 3 juin 2016.

[37] Serge BUJ, «El seminario de Arras. Los comunistas debaten del futuro de España», in Historia del PCE, I

Congreso, 1920-1977, vol. 2, FIM, Madrid, 2007, pages 227/242, ISBN 84-96831-00-0.

[38] Id.

[39]  Le dirigeant communiste Manuel Delicado souligne quelques points de convergence avec le catholicisme social “…à l’intérieur du mouvement catholique apparaissent quelques groupes qui ont une conception plus avancée de ce que doivent être les syndicats et le mouvement syndical.

[40] Sur ces dernières questions, on pet consulter le numéro de la revue Etudes de février 1979.

[41] Ernest Mandel, préface à Léon Trotski,  Comment vaincre le fascisme,  Ecrits sur l’Allemagne, 1930-1933. ttps://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/cvf/cvf_intro.html

[42] «La actitud del Partido Socialista Obrero con los partidos burgueses, llámense como se llamen, no puede ni debe ser conciliadora ni benévola, sino de guerra constante y ruda.» Gustavo VIDAL MANZANARES,  La vida y la época del fundador del PSOE, Pablo Iglesias, Madrid, Nowtilus, 2009, p. 158.

[43] Dans les développements récents des questions politiques à gauche, relevons ce que nous dit le journal L’Humanité en date du 25 août par la voix d’Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF: « … la question n’est pas pour une gauche au lus mal de se regarder le nombril mais […] de faire converger tous les progressistes sur une unité de riposte contre la loi travail dès la rentrée. », Pendant ce temps le journal Le Monde (daté du 26 août 2017) relève la déclaration de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF : « La France insoumise estime peut-être pouvoir incarner à elle seule l’ensemble des différentes oppositions, c’est une erreur. Nous, on va continuer de tendre la main à toutes les forces de gauche. » Cet embarras devant le refus d’alliances (qui touche également le Mouvement du 1er juillet, animé par l’ex-socialiste Benoît Hamon) montre bien comment les luttes d’influence portent plus sur la posture que sur le fond.

[44] «On a réglé tous les problèmes qui vont occuper tous les autres. Le problème de leadership est réglé, le problème du programme est réglé. On a demandé au peuple et sa réponse a été 7 millions de voix et 17 députés. Le problème de la stratégie est réglé : nous ne nous occupons pas de rassembler des étiquettes, nous voulons fédérer le peuple. »  Propos rapportés par Abel Mestre, «A Marseille, Jean-Luc Mélenchon promet « du combat, pas de bla-bla », Le Monde, 27 aout 2017.

[45] «Ernesto Laclau, inspirateur de Podemos», Le Monde Diplomatique, Paris, n° 738, septembre 2015, p.3.

[46] Chacun se souvient du SMS envoyé par Jena Luc Mélenchon à Pierre Laurent dans lequel, s’adressant aux communistes il leur dit : « Vous êtes la mort et le néant » rappelant furieusement les considérations voisines de Juan Carlos Monedero prononcées en septembre 2011 au cours d’une conférence : « “Un proceso liderado por IU tiene el mismo vuelo que una boa después de comerse un venado. La reconstrucción de la izquierda se hará ya no con IU, sino desde sus cenizas. Ya no tiene capacidad de armar nada”.

[48] Itw Challenges, 16 octobre 2016, https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886

[49] « Tous les partis sont venus à moi, m’ont confié leurs desseins, dévoilé leurs secrets, et m’ont demandé mon appui : j’ai refusé d’être l’homme d’un parti. » Napoléon Bonaparte, Proclamation du général en chef Bonaparte, 19 brumaire 1799 à onze heures du soir.

[50]  -Francisco Javier  CONDE, Sociología de la sociología: Los supuestos históricos de la sociología, Revista de Estudios Políticos, n°58, Madrid, 1951, p 15-29.

– Francisco Javier  CONDE, Sociología de la sociología (Continuación),  II La Revolución (Constitución del Orden por concurrencia), Revista de Estudios Políticos, nº 65, Madrid, 1952, p. 15-36.

– Francisco Javier CONDE, Sociología de la sociología, III, El teorema político de la concurrencia en Rousseau, Revista de Estudios Políticos,  n° 68, Madrid, 1953, p. 8-33.