Le
tumulte qui vient
Il se trouve que ces démarches
« horizontales » s’auto-définissent souvent comme
« révolutionnaires » et peuvent aussi être indéfiniment dépassées par
une nouvelle vague aux contours organisationnels plus ou moins identiques. Le
titre du petit livre blanc du candidat Macron se prévalait de cette référence).
Ainsi Macron candidat ne disait-il pas dans la préface de cet ouvrage, préface
qui était aussi sa déclaration de candidature :
Nous ne pouvons pas non plus demander aux Français de faire des efforts sans fin en leur promettant la sortie d’une crise qui n’en est pas une. De cette attitude indéfiniment reprise depuis trente ans par nos dirigeants viennent la lassitude, l’incrédulité et même le dégoût,
Ou encore :
Les Français sont plus conscients des nouvelles exigences du temps que leurs dirigeants. Ils sont moins conformistes, moins attachés à ces idées toutes faites qui assurent le confort intellectuel d’une vie politique.
Dans ce trait de plume, qui ne dépasse pas le stade de la sociologie de comptoir ou de l’analyse politique d’éditorialiste de télévision, on retrouve l’idée de fond du génie des peuples, génie anti-élitiste et intuitif. On est évidemment loin du Macron président, maître des horloges qui, quelques mois plus tard, fustigeait l’impatience, la vacuité, l’inexistence même d’une bonne part des Français ne prenant en considération que certains d’entre-eux. Cette idée rejoint une pensée en réalité malthusienne qui exprime de la part des élites l’idée que le manque d’occupation est structurel (9% est le taux de chômage structurel selon le président) et qu’on ne sait pas (ou plus) quoi faire de ces personnes sinon les côtoyer en traînant leur « inutilité » comme un péché originel ou, pis encore, un coefficient d’erreur incompressible . Cette idée est parfaitement illustrée par une phrase prononcée en juillet 2017 devant un parterre de futurs informaticiens en formation dans l’ancienne gare Freyssinet : « « Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». En 2016, répondant à un quidam qui lui reprochait ses costumes, il répondait : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre t-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». En 2014, présentant son plan mobilité (les bus Macron), plan dont on sait qu’il n’a eu, outre son intention non-écologique évidente, aucun effet sinon de mettre en place une activité (déficitaire et anti-écologique) concurrençant le chemin de fer : le ministre d’alors exprimait encore son embarras devant l’existence même de ces pauvres: « Quand on me dit ‘les pauvres voyageront en autocar’, j’ai tendance à penser que c’est une caricature, mais les pauvres qui ne peuvent pas voyager, voyageront plus facilement ». Enfin il martelait cette vison duale discriminante de la société en octobre 2017 à la télévision en usant d’une métaphore alpine qui fait encore grincer des dents, celle du trickle down à la française (la théorie du ruissellement) : « Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu’ils ont des talents, je veux qu’on les célèbre […] Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée c’est toute la cordée qui dégringole », et, pour finir le déterminisme social et comment ne pas en sortir : « La politique sociale… Regardez : on met un pognon de dingue dans les minima sociaux, et les gens sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens naissent pauvres et restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres restent pauvres… Il faut qu’ils puissent s’en sortir ».
Le mouvement des « gilets jaunes », venant reprendre la même forme horizontale de structure qu’En marche, répondait, en novembre 2018 aux mêmes critères pour s’opposer à lui frontalement. Devant ce mouvement dont le sociologue Alain Bertho estime « qu’on ne peut [le] sociologiser»[1], autrement dit comme échappant à toute étude relevant de la sociologie des organisations, la réponse de l’Etat et des moyens de communications, au lieu d’être horizontale et attentive aux doléances exprimées, revêtait les mêmes critères conventionnels que ceux que ce pays avait connus. Dans un premier temps, de nombreux politiques et commentateurs se lançaient dans une vaste opération de discrédit du contenu de ses revendications, de ses méthodes si tant est qu’ils en aient eu (mise en avant de quelques faits de violence physique et verbale), de ses objectifs politiques –servir les objectifs de l’extrême droite- et, l’Etat usant de « la force légitime », mettait en place une répression policière d’envergure provoquant elle-même des actes de violence. Dans un deuxième temps, une fois le mouvement bien affaibli, politiquement divisé ou physiquement émoussé, une offre de dialogue assortie de quelques promesses compensatoires. Rien de bien différent aux agissements du monde ancien.
Face à cette riposte
violente qui se réduit à la pratique habituelle à ne pas répondre aux demandes
formulées, on trouve des mouvements qui refusent « l’articulation »,
l’éventualité même de la délégation ou représentation ou de la négociation. Les
gilets jaunes parlent toujours de « préalable », annuler les taxes
injustes et rétablir l’impôt sur la fortune dans son assiette originelle. Cette
notion de préalable, on la retrouve aussi du côté de l’Etat mais elle est
limitée par sa propre action : demander la condamnation de toute violence.
Autant dire que le refus de revenir sur des mesures prises ne peut conduire
qu’à la mise en avant de la violence comme terme absolu et donc un raidissement
de la posture de l’Etat : proclamation de l’état d’urgence, mise en route
de l’article 16. Toutes décisions qui s’apparentent à un coup d’Etat larvé et
ouvrent la porte à l’effondrement.
Or, la décision de
considérer quelques revendications des gilets jaunes a répondu à la nécessité
de ne pas laisser le champ libre à la seule violence, la violence de l’insurrection
ou la violence légale, à défaut d’être légitime, de l’Etat. L’étape du discours
de contrition de Macron ramène comme pilier de l’hégémonie le langage, sa
flexibilité, sa segmentation, l’absorption des arguments de l’autre pour
alimenter son propre discours, ce que l’on appelle la triangulation, vieilles pratiques déjà éprouvées. Les
annonces ne laissent aucune illusion : elles sont faussées voire
mensongères ou en tout état de cause, suffisamment floues pour concéder aux
insurgés qu’ils ont obtenu une victoire. Le deuxième discours du président e de la
république est peut-être encore plus caricatural que le premier à ceci près
qu’il contient deux perles ou fausses perles que d’aucun a du mal à insérer
dans le déroulement des faits et dans les perspectives de la politique engagée
il y a sept ans, dés le jours où Emmanuel Macron était engagé comme conseiller
par François Hollande. La première est celle-ci qui vient conclure une
description sommaire des changements à l’échelle mondiale :
…nous sommes en train de vivre plusieurs bouleversements inédits : le capitalisme ultralibéral et financier trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns, va vers sa fin…
Le subliminal emploi du terme « avidité» évoque par retour les discours anti-banque des années 80 du XIXe siècle. Il manque le qualificatif de « cosmopolite » et le terme « parasite» pour retrouver quelques accents étranges a ce discours.
Le deuxième trait du discours est la diatribe contre les
violents :
Nous ne vivons libres dans notre pays que parce que des générations qui nous ont précédé, se sont battues pour ne subir ni le despotisme, ni aucune tyrannie. Et cette liberté, elle requiert un ordre républicain ; elle exige le respect de chacun et de toutes les opinions ; que certains prennent pour prétexte de parler au nom du peuple – mais lequel, d’où ? Comment ? Et n’étant en fait que les porte-voix d’une foule haineuse, s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c’est tout simplement la négation de la France ! Le peuple est souverain. Il s’exprime lors des élections. Il y choisit des représentants qui font la loi précisément parce que nous sommes un Etat de droit.
Ce dernier passage est riche de références. Mais retenons ce qui a choqué : le qualificatif de « foule haineuse ». Donc une référence à Hobbes et Tardé qui prend soin d’extraire du lot un certain nombre de catégories qui ne sont pas la foule : forces de l’ordre, journalistes, juifs, étrangers et homosexuels, ceux qui seraient visées par elle. Cette foule haineuse, sans chef, sans principe, sans morale, il prend soin de la distinguer du peuple souverain qui, dans une démocratie représentative, s’exprime par les urnes quand on le sollicite et jamais autrement.
« La sévérité du général se déploie contre les particuliers; mais quand toute une armée a déserté, le pardon est nécessaire. Qu’est-ce qui désarme la colère du sage ? La foule des coupables (**) » Sénèque, (Lib. II, De ira, cap. x).
[1] « On ne peut pas sociologiser trop le mouvement des gilets jaunes.
Visiblement c’est un mouvement de la France des petites villes, de gens qui ne
sont pas très riches. » Regards.fr,
jeudi 29 novembre 2018, https://www.youtube.com/watch?v=pZNqajMf1Aw&feature=youtu.be