La fausse-bonne idée: le droit de pétition

Le Président de l’Assemblée Nationale française, Richard Ferrand a adressé aux députés français un courrier de quelques feuillets immédiatement rendu public.

Ce courrier informe les députés de l’état d’avancement de divers sujets qui peuvent relever de la compétence de la Présidence: travaux entrepris, amélioration des conditions de travail matérielles des députés et statutaires des assistants parlementaires.

Il informe également sur le projet de réforme du Règlement de l’Assemblée. Il prévoit de resserrer le temps accordé aux question au gouvernement, et de rendre plus fluides les échanges, or le timing imposé dépend de la Conférence des Présidents.

Mais, plus intéressant, il propose de « revivifier le droit de pétition, celles ayant recueilli un nombre significatif de signatures pourraient par exemple donner lieu à un débat en séance. » La proposition reste vague, sans développement, mais tente visiblement de proposer cette voie pour satisfaire l’une des revendications des gilets jaunes, celle du RIC, en permettant de fixer un seuil au nombre de signatures recueillies pour ouvrir un débat sur la question posée.

J’ai tendance à penser que quand on n’a pas d’offre autre que le droit de pétition comme alternative, c’est que le droit démocratique de représentation et mandature est défaillant.

Dans un article écrit il a plusieurs années,  je m’étais intéressé à la façon dont le franquisme, au début des année soixante, tentait de modifier quelque peu son image d’Etat autoritaire en promouvant à la fois l’ultralibéralisme économique et en déployant un discours pseudo-démocratique savant pour expliquer que la « démocratie parfaite » dépendait de l’usage de ce  droit venu de la tradition ecclésiale catholique.En effet, le droit de pétition est central dans le Droit Public Chrétien, puisqu’il est le seul recours possible du peuple (ou de la communauté) devant une décision du Souverain. Au cours du troisième Congrès catholique, qui s’est tenu en octobre 1892 à Séville, c’est-à-dire dans les débats postérieurs à la publication de l’Encyclique Rerum Novarum (Léon XIII, 15 mai 1891), c’est ce droit qui est mis en avant pour combattre la menace de laïcisation des Etats et le recours au suffrage universel, qui s’applique en Espagne en tant que droit de vote pour tous les hommes de plus de 25 ans sans condition censitaire depuis quelques semaines:

Insistiendo, pues, en lo acordado por el Congreso Católico de Zaragoza, el derecho de petición, que asiste a todos los españoles, según la Constitución vigente, debe ejercitarse sin interrupción alguna por los católicos, mientras existan escuelas laicas toleradas por el Estado con infracción del art. II de la misma Ley fundamental y mientras no se conceda a la Iglesia la inspección que le corresponde en la enseñanza.

La charge de « revivifier » le droit de pétition à l’espagnole était confié à un membre connu de l’Opus Dei, Laureano López Rodó.

Comme certains journalistes le soulignent, voici un droit ancien, peu usité qui réapparaît dans le discours politique de la majorité. Droit ancien certes, mais droit démocratique?

J’en concluais ceci:…

« le droit de pétition devient, si l’on suit le discours de López Rodó, « el colofón que cierra perfectamente el sistema representativo », autrement dit la seule voie de recours et d’intervention du peuple dans les affaires de la Cité. Le corps social dispose donc d’un maillage réactif (une sorte de système nerveux) qui peut faire parvenir des informations à sa tête pour la préservation du bien commun du corps tout entier. Cette communication c’est le droit de pétition, activation du système nerveux social, merveilleuse mécanique représentative qui vient en couronner la perfection. Comme l’analysent fort justement Francisco González Navarro et José Francisco Alenza García dans leur ouvrage commentant la loi de novembre 2001 [15]: la loi de 1960 consistait à revivifier une fonction ancienne du droit de pétition en tant que mécanisme compensatoire démocratique, autrement dit pour pouvoir ne pas concéder d’autres libertés politiques. Ni toutes les libertés qui lui sont naturellement associées, comme le droit de réunion et les droits d’expression et d’opinion au sens large, ni non plus l’exercice du droit de vote pour l’élection des députés (procuradores), ce qui reviendrait à changer la nature de l’édifice de l’Etat en restituant la souveraineté au peuple conçu comme un ensemble d’individus formant une volonté générale, ce qui, bien évidemment renvoyait au concept rousseauiste de l’Etat, volonté tellement redoutée par les élites.

Ce droit devient dans ce discours la marque de la générosité extrême de la tête qui condescend à écouter toute partie du tout (puisque l’individu est réduit à cette portion congrue). Une générosité sans limites puisque López Rodó fait remarquer qu’il était même accordé aux femmes mariées ! On ne sait pas s’il s’agissait d’épater les Procuradores devant l’audace d’un discours aux nettes inflexions savantes ou si le souci était de se montrer brillant et digne d’un grand avenir aux yeux des faiseurs de carrière. On reste étonné par l’aristotélisme vibrant du Ministre qui cite même nommément l’auteur du Livre des Politiques, quand il soutient que les dimensions idéales de la Cité étaient les limites de la portée de la voix humaine (on peut supposer qu’il pense aux limites de l’hémicycle lui-même) ! »

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A bove ante, ab asino retro, a stulto undique caveto …

 

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Catalogne: la photo du jour

Voilà presque un an que ce blog est resté muet. La faute à personne mais plutôt à d’autres occupations qui ont absorbé l’essentiel du temps de cerveau disponible de son auteur. En particulier le rédaction et l’édition d’un petit ouvrage à six mains avec Manuelle Péloille et Cyril Trépier rédigé au cours de l’hiver dernier sur la question catalane  « L’indépendance catalane en question« , édité par Atlande.

Le retour au blog a été motivé par le document suivant.

Moncloa avisa a Torra de que pone en peligro la normalización con su “aliento” a los “radicales”

Il s’agit d’une photo prise hier par le photographe de La Vanguardia, Alex Garcia, et publiée ce matin. On y voit des indépendantistes « radicaux » comme les qualifie le quotidien, tenter de prendre d’assaut le siège du Parlement catalan en réclamant la démission de Quim Torra pour en finir avec les tergiversations sans fin et proclamer l’indépendance une fois pour toutes. On y voit aussi les Mossos d’esquadra -la police catalane- les contenir et les charger. On n’en sait pas plus, ces manifestants sont-ils affiliés aux associations qui ont organisé la manifestation (pacifique, celle-ci) de commémoration du référendum du 1er octobre 2017 (ANC, Omnium)? Aux CDR (Comités de Défense de la République) qui sont des groupes d’action indépendantistes plus ou moins contrôlés par les associations et partis catalanistes? Le même jour, Quim Torra s’adressait à ces derniers en leur disant: « Chers amis, vous faites pression et vous faites bien de faire pression » pour saluer leurs actions, blocages de trains et d’autoroutes. Sont-ce des « radicaux liés à d’autres mouvements? Difficile à savoir.Même les Mossos ne savent pas…

Mais si nous regardons bien la photo, alors que l’article est parfait, informatif et caractéristique de La Vanguardia, c’est-à-dire peu partisan ( « una de cal, una de arena »), la photo renvoie à autre chose et semble faire preuve d’empathie pour ces manifestants grâce à un truc de mise en scène qui en fait des victimes de la force brutale de la police (catalane). Pourquoi le penser? Pour la raison et l’image suivante:

Image associée

Édifiant, non?

Notes sur les nouvelles formes de l’agir politique

Les élections législatives espagnoles du 26 juin et du 20 décembre 2015 comme l’élection présidentielle française de mai 2017 conduisent à poser un certain nombre de questions autour des phénomènes politiques qui se développent depuis quelques années en Espagne et en France ou, plus largement, dans les Etats constitués et dont la souveraineté repose sur le suffrage dit « universel ».

Ces phénomènes sont le plus souvent classés comme NMS (nouveaux mouvements sociaux)[1] dans la mesure où  ils rejettent dans leur discours la forme-parti, tant en matière de structure (centralisée, hiérarchisée) que de fonctionnement, en particulier dans les prises de décision qui dépassent l’échelon local. Sont-ils proches de ce que furent les Conseils révolutionnaires de l’Europe du début du XXe siècle ou même des clubs de la Révolution ? Sont-ils plutôt une manifestation parmi d’autres d’un mouvement de crise et  rénovation du système des partis politiques ou sont-ils symptomatiques d’une période de grand  reclassement idéologique mondial? Telles sont les questions qui se posent au moment d’observer et d’apprécier les situations locales.

Il est nécessaire de réfléchir aujourd’hui au lien qui peut exister entre les conditions de l’affaiblissement de la forme-parti et le surgissement de tels mouvements, assez similaire au conflit permanent autour de l’idée religieuse qui opposa et oppose toujours des formes intégrées, centralisées et hiérarchisées, dont l’église catholique est un exemple, et les nébuleuses de croyances qui se développent à sa périphérie et qui le plus souvent se fédèrent autour d’une figure charismatique ou d’un discours livré « à portée de voix » autrement dit à l’échelle locale avec, de temps à autre, la conquête de positions dominantes. C’est, en gros, le même phénomène. En un sens, l’application de la rhétorique hobbesienne d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe[2] a été parfaitement mise en route non pas par Podemos ou la FI, ni par Syriza mais bien par les partis nationalistes séparatistes (le Scottish National Party ou l’Unió Democràtica de Catalunya) et, cas d’exception, par la candidature d’Emmanuel Macron et sa République en marche, s’agissant dans les trois cas de mouvements défendant avec acharnement la libre entreprise et un Etat autoritaire, même s’ils sont loin de la figure du Léviathan de Hobbes ou n’en sont que la caricature.[3]

Dans l’histoire du XXe siècle, un certain nombre de ces groupes émergents combinaient d’ailleurs aussi bien la revendication sociale que mystique[4]. Si nous prenons le cas des révoltes paysannes en Andalousie au début du XXe siècle, en s’opposant à la foi catholique, souvent considérée comme celle du maître, ce sont les idéaux anarchistes qui jouaient le rôle de ferment coagulateur de nombreuses luttes pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail[5]. Sans abandonner ces objectifs très concrets, ces idéaux se teintaient fortement d’une certaine forme de « radicalisme illuminé » qu’Eric Hobsbawm qualifiait, faute de mieux, de «millénariste » en s’appuyant sur les études de terrain de Juan Díaz del Moral pour les années 1918-1920 (pendant le « triennio bolchevique ») et de Gérald Brenan pour les années 30 (The Spanish Laberinth, 1942)[6].

Ni gauche ni droite ?

Mais on peut aussi mettre en parallèle le discours fasciste espagnol des années trente. Le vieux concept du « ni gauche ni droite » a repris des couleurs en Espagne avec cette force politique nouvelle dont le nom signale que la volonté peut tout, Podemos. Ce concept ayant été repris sous toutes ses variantes possibles par le leader de ce mouvement, ce dernier  s’est vu accuser de reprendre ce que José Antonio Primo de Rivera disait dans son discours de fondation de Falange Española en 1933:

Qu’il soit clair dorénavant que notre mouvement, qui n’est pas un parti mais un mouvement antiparti, n’est ni de droite ni de gauche. Parce qu’au fond la droite aspire à perpétuer une organisation économique même si elle est injuste et la gauche n’exprime pas autre chose que le désir de l’annihiler, même si en le faisant, beaucoup de bonnes choses devront disparaître. Ensuite tout ceci est habillé par les uns et les autres de tout un lot de considérations spirituelles. Que ceux qui nous écoutent et sont de bonne foi, qu’ils sachent que ces considérations spirituelles se retrouvent toutes dans notre mouvement qui, pour rien au monde, ne liera son destin aux intérêts d’un groupe ou aux intérêts d’une classe, intérêts qu’occulte la division superficielle entre droite et gauche.[7]

Les critiques viennent de l’extrême gauche, la gauche modérée préfère parler de fascismo cool, expression que Pablo Iglesias avait lui même employé pour critiquer un petit parti socialiste dissident, aujourd’hui moribond, UPyD[8], qui lui-aussi se disait ni de droite ni de gauche:

Les périodes de crises ouvrent de grandes opportunités. Ce sont des périodes pendant lesquelles les mouvements de gauche se déploient       avec grande facilité, mais aussi le fascisme et d’autres formes réactionnaires de restauration du régime. L’émergence d’UPyD en est un bon exemple. Cette organisation présente de nombreuses caractéristiques du fascisme cool, quand elle dit : « Nous ne sommes ni de gauche ni de droite, nous sommes espagnols ».[9]

Le concept de fascisme cool dispose d’une histoire, Pablo Iglesias ne manque pas de culture politique pour employer ce concept sans raison. La question et le problème c’est que sa vision tacticienne de l’espace politique espagnol d’aujourd’hui l’a amené à se ranger sous la bannière même de ce qu’il critiquait il y a à peine quelques années, autrement dit avant qu’il ne devienne une figure non seulement présente dans les médias mais également au parlement.

Revenons au concept de fascisme cool . Il apparaît aux Etats-Unis en 1932 lorsqu’il s’est agi de définir ce qu’est le régime japonais de l’époque. L’expression était considérée comme équivalente à une autre, celle de fascisme légal. Mais il est aussi une tentative d’explication des nouvelles modalités de « containment » de l’extrême droite qui tente de faire oublier ses fondements : régression sociale, libéralisme économique, haine de l’étranger, glorification d’une élite sociale, génétique et possédante. Ou encore il s’agit d’un concept plaqué sur une  analyse des dérives des systèmes et institutions démocratiques, par exemple telle qu’elle apparaît dans une nouvelle forme de critique du parlementarisme qui rappelle furieusement le phalangisme social historique. Dans Reconnaître le fascisme, Umberto Eco énumère quatorze caractéristiques du fascisme dont il dit qu’elles peuvent être combinées à l’infini mais « …il suffit que l’une d’entre elles soit présente pour faire coaguler une nébuleuse fasciste ». Dans ce cas, on peut tout à fait abuser de ce qualificatif qui devient « syntagme vide » ou affirmer avec le sémioticien italien qu’il est très vite devenu la synecdoque (la pars pro toto) des totalitarismes parce qu’il était un totalitarisme fuzzy, autrement dit infiniment malléable puisque sans contours bien définis.[10]

Pour Iglesias, c’est le refus de la gauche et de la droite comme concepts opératoires qui heurte, ce que certains ont appelé en Espagne son ninisme. Reconnaissons que, peut-être grâce aux critiques qui lui sont faites, ce ninisme marche. Pourquoi? Parce que les lois dites d’alternance au pouvoir ont toujours laissé croire que le PP c’était la droite et le PSOE, la gauche, ou en France les Républicains et le PS et qu’il n’y avait rien d’autre sous le soleil. Le rejet de ces deux partis par les espagnols correspond à celui qu’ont (mollement) exprimé les français, rejet récupéré avec habilité par les lepénistes à travers le fameux slogan qui parle de lui-même, UMPS. Il est vrai que les socialistes espagnols et français ont volontiers annexé le label de « gauche » pour se l’attribuer en toute exclusivité alors que les électeurs ne voient pas quelle est la différence de fond entre leur politique et celle de ce qu’ils appellent « la droite ». Le fascisme cool serait donc l’apanage de ceux qui ne veulent plus de cette alternance d’étiquettes et veulent une alternance politique authentique. Or la politique est une affaire de programmes et d’alliances, jamais une affaire de positionnement. Etre ici ou là, être en haut ou en bas, à gauche ou à droite, importe peu. Ce qui importe c’est: faire quoi et avec qui.

Une question de circonstances et d’époque

On peut ajouter, toujours à propos du monde ibérique, que le mouvement associatif est né au XXe siècle pendant les périodes de restriction des libertés, autrement dit, en particulier, pendant les deux dictatures militaires espagnoles. Et, sans aller plus loin, les zones d’influences idéologiques des différents courants politiques du tournant du siècle, carlisme légitimiste, républicanisme fédéraliste. Courants qui continuent à s’exprimer et à se retraduire sans cesse dans les nouveaux espaces politiques.

Dans le cas français, les assises politiques des partis ont connu des périodes de stabilisation mais sans pour autant échapper aux crises politiques profondes et en subir de grandes modifications. La première est celle qui s’ouvrira au sein du mouvement socialiste au moment de la guerre de 14-18, creusant une ligne de partage entre le socialisme pacifiste et la défense de la patrie. La deuxième correspondra à la transformation radicale du paysage politique en deux étapes, à la Libération tout d’abord, avec le surgissement d’un gaullisme mêlant défense de la souveraineté nationale et recherche du dépassement des conflits sociaux par le corporatisme et en 1958, en pleine crise politique née de la crise coloniale, dans l’étape de conquête du pouvoir menée par un De Gaulle qui, seul, se proclamant « au-dessus des partis », avait mis en sommeil le RPF, forme-parti créée à son initiative en 1947.

L’intérêt de la comparaison tient au fait que le bouleversement actuel du paysage politique n’est pas propre à la France et l’Espagne mais est bien assez général dans l’Europe d’aujourd’hui où il prend des formes aussi diverses que le Mouvement en marche et La France Insoumise en France, Cinque Stelle en Italie, Syrisa en Grèce ou même les nouvelles mouvances ultranationalistes et xénophobes en Allemagne, Pologne, Hongrie, Autriche, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Il est évident qu’il ya de fortes dissemblances entre tous ces nouveaux mouvements, la plus importante étant que ceux qui se classent dans les espaces hyper-nationalistes ne prétendent pas « faire de la politique autrement », critère très fortement présent chez les autres, mais affirment clairement être également des mouvements de « remplacement » des formes-parti jugées défaillantes et obsolètes.[11] C’est pour cette raison qu’une réflexion s’impose sur la corrélation entre l’absence de libertés publiques et droits fondamentaux ou leur affaiblissement, la défaillance des politiques administrées (ce que certains appellent « le recul de l’Etat ») et le surgissement de mouvements culturels ou de voisinage militant dans les années soixante et soixante-dix.[12]  C’est le sens-même de la thèse développée par Régis Debray, celle du lien entre « le changement dans la matière organisée » et « le changement dans les organisations matérialisées » qui touche aussi bien la forme-église que la forme-parti.[13]

Il nous faut aussi réfléchir au fait que ces mouvements se fondent et s’articulent souvent (ou en tout cas prétendent le faire) sur des territoires qui n’ont pas de correspondances immédiate avec celui de l’imperium étatique. Souvent beaucoup plus liés à des espaces plus restreints, ils n’existent qu’à l’échelle du quartier, de l’usine, de l’université et s’imaginent comme solidaires.

Horizontalité vs verticalité

La prétention à l’horizontalité et la pratique du consensus dans la prise des décisions constituent une rupture dans la conception de l’intervention sociale, hiérarchisée et même militarisée des partis mais que de la même façon selle subit l’usure du temps et  finit souvent par fédérer, unir et hiérarchiser à son tour ses organisations et ses pratiques lorsque l’échelle d’intervention devient plus large que locale et que les conflits d’intérêts deviennent trop aigus[14]. Pourtant dans les discours, on se réclame d’une démocratie délibérative, celle du choix de la discussion comme méthode. Il n’en reste pas moins que les praticiens de la politique préfèrent continuer à penser leur rassemblement  comme une troupe en mouvement et non comme un forum, avec un maître mot, l’efficacité et la décision.  C’est ce que revendique par exemple Manolo Monereo, l’un des fondateurs de Podemos, dans un article récent qui pose la question même de la structuration de ce mouvement : affirmer l’ancrage local des organisation de base (les cercles), former des cadres politiques ayant vocation à la gestion des affaires publiques, consolider une équipe dirigeante « efficace, capable, plurielle et unie », autrement dit passer de l’état liquide à l’état solide.[15]   Même si on doit fortement nuancer le sens même de l’horizontalité comme fonctionnement émancipé des bases, le vieil expert en partis qu’est Jean-Luc Mélenchon le dit en tentant d’expliquer que le mouvement France Insoumise ne sera jamais un parti politique :

…dans le mouvement, on s’efforce de ne jamais en faire un sujet de conflictualité interne. Il n’y a donc pas de « majorité », de « minorités », pas de plateformes concurrentes, pas d’orientation générale opposée les unes aux autres. Autrement dit : le mouvement se soucie d’abord d’être inclusif et collectif davantage que formellement « démocratique », sachant à quelles violences et dérives conduisent les soi-disant pratiques « démocratiques » organisées par les règlements intérieur des partis traditionnels.

Il est un lieu de rassemblement où chaque personne décide individuellement et au coup par coup du niveau de son engagement et de sa participation effective aux diverses tâches et campagnes qui sont proposées. Dans les faits, tout repose évidemment sur la plate-forme internet qui permet ce que l’on appelle « l’horizontalité ». Pour ma part, je n’aime guère ce terme. D’abord parce qu’il sous-entend souvent une opposition à la verticalité qui est parfois tout simplement incontournable dans l’organisation d’une action. Ensuite, parce que les connexions rendues possibles par une telle plate-forme vont dans tous les sens ; elles sont par définition polymorphes.[16]

 

Pour autant, parmi les députés élus sous ce sigle en juin 2017 (17), huit appartiennent au Parti de gauche, deux à Ensemble, deux au PCF, les autres étant soit des élus indépendants (dont François Ruffin) soit des ralliés. Ceci signifie clairement que si la France Insoumise n’est pas un parti, l’ossature militante qui soutient le tout est bel est bien le Parti de Gauche, autrement dit un parti conventionnel né d’une dissidence du PS, qui a conservé sa structure hiérarchique et ses racines politiques. On en vient donc à se demander qui décide quoi dans FI, certainement la structure dominante, celle des cadres du Parti de Gauche qui souhaitent donner leur agrément à toute initiative des groupes FI de base[17]. La Charte des groupes d’appui de la France Insoumise  rappelle qu’aucun groupe d’appui « …ne peut engager la France insoumise dans des élections hors d’un cadre national. Une cohérence nationale est indispensable à la réussite de nos objectifs. Aucun groupe ou rassemblement de groupes d’appui ne peut constituer de structuration ou d’outils intermédiaires à l’échelle d’un département, d’une région ou tout autre échelon en dehors de ceux décidés par le mouvement. ». La « sortie » de Jean-Luc Mélenchon contre l’accord électoral FI-PCF en Corse en vue des élections territoriales de décembre 2017 exprimée dans un tweet daté du 3 septembre 2017 en illustre bien la pratique: « Des insoumis ont engagé 1 liste avec le PCF en Corse sans prendre aucun avis. Je ne soutiens pas cette initiative et condamne cette tambouille. » On mesurera le sens de la formule « prendre un avis » qui ne se donne plus la peine de masquer la verticalité du fonctionnement de la France Insoumise. Ce qui permet au secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, quand il évoque le prochain congrès de son parti le présente comme celui de sa transformation en spécifiant clairement et non sans ironie :

Une chose est sûre : il n’est pas question de construire un mouvement sous la forme de La République en marche ou de LFI. « Ce sont des organisations ultra-centralisées, explique M. Laurent. Au contraire, on veut construire quelque chose qui soit coopératif, très ouvert et très décentralisé.»[18]

Quelques repères historiques espagnols

Dans le cas de l’Espagne, la constitution de ce que l’on appelle aujourd’hui les NMS dans leur forme contemporaine, fondamentalement associative, est une affaire aussi ancienne en Espagne que le suffrage universel (1891). Ces mouvements sociaux prennent des formes multiples et ont une origine diverse selon qu’ils sont l’émanation d’une demande locale, de l’implantation locale d’un dessein plus ample ou une combinaison des deux.

Tout d’abord ils furent le fait de l’Eglise ou des laïcs liés de très près à l’Eglise catholique, à l’image de ce que fut le catholicisme social en France, et à la faveur de nouvelles lois protégeant les associations (1887).

Après le grand mouvement caritatif social catholique des années 1880-1900 (avec une figure emblématique, celle de Concepción Arenal, femme, catholique et sociologue avant la lettre), dès le début du XXe siècle le sociologue universitaire catholique Severino Aznar crée une association, La Paz social, à visée éducative – El Curso social– qui, au-delà du fait de représenter une réponse explicite de l’Eglise aux « ravages » que produit dans ce pays l’idéologie socialiste dénoncés par la De rerum novarum, suscitera le développement d’ un puissant mouvement associatif chrétien à profil social. Il sera à l’origine des fraternités ouvrières de l’Action catholique (HOAC) et d’un mouvement coopératif ouvrier significatif dont le fleuron est toujours aujourd’hui la Mondragón Corporación Cooperativa, la plus grande entreprise coopérative du monde, créée au Pays basque par un prêtre au tout début des années quarante avec l’intention première de former des techniciens de haut niveau.

Ces mouvements, reconnus par la loi pendant le franquisme, le seront dans un cadre légal associatif qui ne changera pas substantiellement au cours de la dictature (Décret du 25 janvier 1941 sur le droit d’association, lui-même limité par l’article 28 de la loi de sécurité intérieure, véritable loi anti-terroriste, datée de mars 1941). En 1964, une tentative pour ouvrir légèrement cet espace aux associations de type politique sera portée par les éléments les plus libéraux du régime. Elle restera sans effet puisque la loi prévoyait dans son article 1-3 qu’étaient proscrites toute les associations dont les visées seraient « contraires aux Lois fondamentales du régime », celles qui mettraient en danger « la morale et l’ordre public » ainsi que celles qui « représenteraient un danger pour l’unité politique et sociale de l’Etat.»[19]

Dans ce cadre législatif qui interdit la création de toute association ayant des fins politiques ou sociales (partis et syndicats libres) les associations liées à l’Eglise et non soumises à la loi (Article 2-1) joueront un rôle décisif dans la création des Commissions Ouvrières (dont on peut dire que la genèse au tournant des années 50/60 en fait un NMS typique) en accord ou collaboration avec les secteurs communistes clandestins de cette époque. Dans un cadre politico-institutionnel extrêmement étroit, frôlant souvent l’illégalité, un mouvement associatif très diversifié verra le jour en s’appuyant le plus souvent sur l’église des paroisses de quartiers ou sur les aumôneries d’usines. Dans ces lieux, les réunions étaient permises, sans contrôle policier, par conséquent, se retrouver entre gens du même quartier, de la même entreprise, de la même école ou de la même université était possible. On pouvait y traiter de l’organisation de fêtes, mais on pouvait aussi s’y réunir pour tenter de trouver une solution collective à tel ou tel problème ou à telle ou telle question collective de voisinage ou professionnelle.

Par exemple, avec le développement accéléré de l’urbanisation qui se produit à la même époque, c’est un mouvement incarné par  des associations de quartier (movimiento vecinal), qui va jouer un rôle prépondérant dans la solidarisation de demandes concrètes fondamentales (droit au logement, droit à l’éducation, droit à l’accès aux soins)[20]. Ce mouvement, concentré principalement dans les grandes agglomérations et leurs nouveaux quartiers populaires, Madrid, Barcelone, Bilbao, Séville et leurs banlieues, et animé une fois de plus par des militants communistes et des fraternités liées à l’Eglise catholique, jouera aussi un rôle déterminant dans la lutte globale contre le régime. Citons le cas emblématique d’une association animée par un prêtre jésuite devenu communiste, le père Llanos dans un quartier de Madrid, où il exerça son apostolat à partir de 1955[21]. Cette association est connue par le nom de cet immense bidonville devenu quartier urbanisé après des années de luttes et de protestations, El Pozo del tío Raimundo. La figure de Llanos, toujours considéré positivement depuis peut très bien correspondre à une figure apostolique, mais aussi à ces figures individuelles charismatiques qui ont synthétisé l’élan associatif de ces années-là : l’association de la composante charitable et humaniste de l’Eglise et du communisme social. Il y eut des figures similaires en Catalogne et au Pays Basque qui surent développer des mouvements du même ordre.

Le mouvement des associations de quartier continuera à être présent et formera en 1980 une première coordination qui essaimera dans toute l’Espagne et existe toujours. Elle est devenue l’un des appuis du mouvement social local qui donna non seulement le 15 mai 2011 mais aussi, antérieurement, un soutien à tous les mouvements liés au droit au travail (mileuristas), au droit au logement, à l’éducation, etc. A Madrid, existe la Federación Regional de asociaciones de vecinos7[22] , à Barcelone, la Federació d’associacions de veïns i veines de Catalunya8[23] dont le rôle est plus coordinateur que centralisateur. Dans les Asturies le mouvement fut similaire. L’historienne Claudia Cabrero le souligne:

Dans les années 60 eurent lieu les premières mobilisations de quartier dont les femmes constituaient le contingent le plus dynamique. C’set en 1969 que se déroula l’évènement le plus significatif, la manifestation des cierges. Un groupe de femmes du quartier de Barredos, à la tête desquelles se trouvait Aida Fuentes Concheso réussit à rassembler 1500 habitants du quartier qui, un cierge allumé à la main, marchèrent vers la Mairie de Laviana. La Garde civile bloqua la manifestation, blessant un participant, mais finalement les manifestants obtinrent gain de cause. On leur promit la mise en route de l’alimentation électrique du quartier bloquée pour cause de conflit entre la mairie et la compagnie d’électricité. De ces premières actions revendicatives, on est passé dans les années 70 à une “pression organisée”, avec pétitions, occupation de locaux publics, assistance aux conseils municipaux pour faire connaître leurs demandes. [24]

 

On pourrait multiplier les exemples, mais il faut souligner que ces mouvements sont nés et ont vécu dans ce cadre légal étroit et continuent encore à conserver une certaine capacité offensive dans les grandes concentrations populaires et qu’ils donnaient aux femmes un rôle prépondérant. Les travaux de José Babiano sur ces mouvements et leur articulation avec les luttes politiques apportent d’abondants éléments.[25]

Si nous intéressons à la création des Commissions ouvrières à la fin des années cinquante et au début des années soixante, nous retrouvons un contexte similaire. La loi syndicale interdit tout autre syndicat que la CNS, syndicat intégré au pouvoir d’Etat, ce que l’on appelle par traditions le syndicat vertical à cause de sa structure corporative qui nie l’existence d’intérêts de classe. Cette structure syndicale va voir se développer dans ses marges des structures que l’on qualifierait aujourd’hui de « spontanées » qui vont rapidement se multiplier et s’enraciner de façon souple au sein des grandes entreprises puis se fédérer par branches et se constituer en confédération en 1964.

La première phase fut est celle de la création au sein des entreprises de commissions qui tentaient de peser sur les syndicats officiels pour obtenir quelques avancées en matière de salaires et de conditions de travail. La première commission fut créée en 1957 par les mineurs de La Camocha, dans les Asturies. L’insistance aujourd’hui sur la célébration de ce fait protestaire correspond bien à l’état d’esprit de la création de ces entités. S’exprimait avant tout une volonté unitaire dépassant les différences politiques, ce que le PCE soulignait encore à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire de sa création :

En janvier 1957, un phalangiste connu, un communiste clandestin, un militant catholique, un socialiste de cœur et un mineur sans engament déclaré défièrent la dictature franquiste pendant neuf jours. Leur action, soutenue par 1500 travailleurs de La Camocha, fut à l’origine d’un mythe : la mine de la région de Gijón fut le berceau des Commissions Ouvrières.[26]

Elles vont devenir commissions ouvrières et s’étendre à travers tout le pays à partir des grèves de 1962, date qui mérite encore qu’elle soit pensée dans un principe de continuité et de rupture dans les formes prises par les mouvements sociaux pour agir dans un espace social totalement fermé[27]. C’est en septembre 1964 qu’un comité de liaison à l’échelle nationale verra le jour, esquisse d’une future confédération. Cette création  verra émerger une figure charismatique de ces commissions ouvrières, celle du communiste Marcelino Camacho Abad.

Ces quelques exemples viennent souligner le fait que, quand les canaux légaux et institutionnels ne donnent pas de voie à l’expression des conflits, et, à propos du franquisme, nous ne sommes pas dans un contexte d’Etat affaibli mais bien d’Etat autoritaire et répressif, le mouvement associatif devient le lieu où se combinent actions légales et actions illégales à travers lesquelles s’exprime la demande sociale.

Quelques repères historiques français

Dans le cas français, c’est essentiellement l’effondrement du Parti communiste à la fin des années 70[28] après celui de la SFIO en 1969 qui généra une multiplication des mouvements locaux et espaces dissidents à teneur et couleur politique[29]. On ne peut négliger non plus le recul général de l’influence syndicale après ces mêmes années de reflux[30]. Les syndicats, à travers leurs unions locales ou leurs sections d’entreprises, avaient une présence qui ne se réduisait pas à la défense des intérêts professionnels mais menaient une action intégratrice dans les secteurs où la présence de travailleurs étrangers était forte (le bâtiment) et une action culturelle dans les zones à forte concentration ouvrière (les bassins miniers du nord, la Lorraine, les chantiers navals et la sidérurgie) et dans les secteurs publics et parapublics nés après 1945,  par l’entremise des Comités d’entreprise[31].

La présence du PCF dans les quartiers modestes jouait un rôle essentiel. Le maillage socio-éducatif qu’il proposait, sa fonction à la fois de contrôle et de régulation de la vie sociale, des modes de sociabilités à travers son omniprésence reflétée par ses organisations de jeunesses et ses organisations féminines comme sa politique municipale fédérait et orientait avec une certaine efficacité les mouvements de protestation qui se faisaient jour ici ou là. La première manifestation politique qui tenta de « capitaliser »  d’un point de vue électoral cet effondrement fut le mouvement éphémère des « rouges-verts » qui, au cours des années 80, réunit en son sein de nombreux dissidents du PCF mais aussi des militants de la gauche du PSU, des écologistes et une partie de la mouvance trotskiste. L’échec de ce mouvement à la suite de l’élection présidentielle de 1988 (la candidature de Pierre Juquin ne recueille qu’à peine un peu plus de 2% des exprimés) prépara à sa façon l’étape suivante de tentatives de mise en place de nouvelles formes d’organisation de l’intervention politique qui, d’une part, concourut à la naissance du parti des Verts dans un premier temps, et, dans un deuxième temps, en s’appuyant sur le référendum d’approbation du Traité européen de 2005 rejeté par les Français, à la création du Parti de gauche, réunissant des dissidents du PS, et à celle de la mise en place de l’alliance éphémère du Front de gauche en 2012. La dernière étape fut celle de la création, sur les ruines du Front de Gauche, de la mouvance de la France Insoumise autour de la figure charismatique de l’ex-trotskiste et ex-socialiste Jean Luc Mélenchon. Le plus grand écueil dans ce domaine restait le mode de scrutin, majoritaire à deux tours, donnant une forte prime à la formation obtenant 30% des voix à l’échelle nationale (en 2007, avec 39,54% des voix, l’UMP obtient 313 sièges, soit 24 sièges de plus que la majorité+1 nécessaire, ; en 2012, le PS, avec 29,354% des voix obtient 48,53% des 577 sièges) et annihilant la présence des formations obtenant moins de 15% des voix. Le scrutin de juin 2017 amplifiera ce profond déséquilibre entre représentation et représentativité en y ajoutant un niveau d’abstention inédit (avec 18,9 % des inscrits, la République en Marche obtient 350 députés sur 577, soit 60,6% des sièges).

Le scrutin proportionnel espagnol, inspiré du système allemand, atténue ces disparités sans pour autant assurer le reflet parfait du vote à l’échelle nationale. La représentation des candidatures non majoritaires est assurée mais la façon de penser le système d’alliances est totalement différente puisque celles-ci peuvent se négocier après scrutin et le sont en général ainsi au moment du vote de confiance parlementaire à l’ouverture de la nouvelle législature. En France l’accord de désistement réciproque du 20 décembre 1966 entre le PCF, la FGDS et le PSU reste encore la seule parade efficace attestée face aux effets amplifiants du scrutin français, effets aggravés par la réforme du mandat présidentiel et l’assujettissement de l’élection parlementaire au rythme de renouvèlement du quinquennat. Il se maintiendra, vaille que vaille, sous d’autres formes et non sans tiraillements et coups bas, jusqu’au dernier avatar d’une union de la gauche moribonde : la gauche plurielle du gouvernement Jospin (1997-2002).

Traduction ou recyclage politique des mouvements sociaux?

La situation espagnole est bien différente aujourd’hui. Peu ou prou, les libertés fondamentales sont exercées, le droit d’association est reconnu, et pourtant la voie syndicale n’est pas celle qui se pose en meilleur défenseur des intérêts des classes appauvries, la voie politique est elle engluée dans un système d’alternance libérale depuis bientôt quarante ans. Il est certain que la crise de 2008 a été le moment de la revitalisation du mouvement associatif qui, sous des formes nouvelles, influencées par le fait que les couches moyennes étaient celles qui se manifestaient le plus depuis une décennie, avaient la main.

Dans un entretien accordé à Mediapart en avril 2016, au moment des luttes déclenchées en France autour de la loi de réforme du Code du Travail, dite loi El-Khomri, Chantal Mouffe analysait les liens possibles entre les mouvements nés en 2011 en Espagne et ce qu’il se passait alors en France :

Podemos a donné aux Indignados une traduction institutionnelle. Même s’il est trop tôt pour juger les formes que le mouvement « Nuit Debout » peut prendre, il me semble être davantage sur une ligne proche de celle d’Occupy, avec une attitude très horizontaliste et basiste, refusant tout leader ou tout engagement vers les institutions. Ce que je trouve problématique.

Naturellement, parler de « traduction institutionnelle » peut sembler jeter le trouble puisqu’il s’est agi en réalité de « traduction électorale » ou encore de « traduction politique », mais la référence à l’Espagne telle qu’elle est développée reste encore très mécaniste. Les faits sont justes mais l’analyse pèche par insuffisance. Si nous pouvons suivre la philosophe dans son raisonnement factuel (« Podemos a bien expliqué qu’il n’était pas le « parti des Indignados », mais qu’il n’aurait pas été possible sans ce mouvement qui a créé un terreau favorable. »), il devient difficile de suivre son raisonnement quand elle affirme que le choix de participer aux élections est né de la nette victoire du PP aux législatives de 2012 malgré « deux ans de mouvements  indignés  et de marées dans plusieurs villes d’Espagne. ». Sa conclusion en guise de conseil était la suivante : « Pour changer les choses, on ne peut se contenter soit du mouvement social, soit de la politique traditionnelle. »[32] Mais qu’est-ce donc que « la politique traditionnelle » ? A l’évidence, le conseil a été suivi par le courant de la France Insoumise qui engageait au même moment son long parcours vers l’élection présidentielle, mais en laissant de côté un volet de ce qu’on suppose être  consubstantiel de « la politique traditionnelle » : les politiques d’alliances et de compromis.

Par ailleurs, l’analyse proposée par Chantal Mouffe ne rend pas vraiment compte du processus de formation à la fois des Indignés, qui ne se résume pas à la stratégie d’occupation des places, mais comprend aussi une multitude d’actions depuis les interventions « dansées et chantées » dans les banques au moment de la crise par le groupe flo6x8 à Séville[33], ou de blocage des expulsions par divers groupes d’activistes, Stop desnonaments à Barcelone, ou la Plataforma de Afectados por la Hipoteca, mouvement d’où est issue Ada Colau, Maire de Barcelone, et à bien d’autres formes de lutte de voisinage, locales ou plus générales en matière d’endettement, de logement et de chômage.

Si l’on revient aux causes du 15- M 2011, il faut se souvenir que la crise liée au logement et aux bas salaires est bien antérieure en Espagne dans ses effets à l’éclatement de la bulle financière. Avant qu’elle n’éclate, la bulle avait déjà provoqué des dégâts sociaux importants depuis le début du siècle. Depuis le milieu des années 2000, la hausse vertigineuse du prix du logement et la perte en pouvoir d’achat des salaires avaient provoqué des manifestations endémiques de mécontentement. En particulier, chez les jeunes diplômés qui ne trouvaient pas d’emploi à une hauteur de rémunération correspondant à leur qualification et, par conséquent, avaient de grandes difficultés à se loger. Ils ne pouvaient, leur précarisation étant telle, ni acheter, ni louer un logement (ce dernier marché, le marché locatif, étant très restreint, faute de politiques sociales du logement).

Le mouvement le plus caractéristique fut celui des “mileuristas”. Mille euros c’était un peu plus du double du salaire minimum d’alors (il est aujourd’hui de 655, 20 euros brut c’est-à-dire 200 euros au-dessous des préconisations de la charte sociale européenne). Dans ces années 2004-2005 la moyenne brute des salaires était de 1600 euros mensuels. 11 millions de personnes vivaient avec un salaire proche ou inférieur à 1000 euros. Ce néologisme apparaît dans la presse en août 2005 dans la lettre d’une lectrice publiée par le quotidien El Pais, courrier qui aura un impact public considérable.

Par ailleurs, la politique effrénée d’encouragement au crédit hypothécaire menée par les banques et les gouvernements successifs, qu’ils soient de droite ou de gauche, avaient conduit à  l’alourdissement spectaculaire de la dette privée à la fin des années 90 et la venue massive d’une main d’œuvre immigrée peu ou pas qualifiée qui trouvait un emploi dans une industrie du bâtiment surdimensionnée (entre 1999 et 2007, l’Espagne accueillera 7 millions d’immigrés, sa population passant de 40 à 47 millions d’habitants). L’emballement de la machine du crédit, des crédits hypothécaires à taux variable d’une durée pouvant atteindre 50 ans, conduira à une appréciation rapide et brutale du m2 urbain, l’augmentation du prix du logement et la recherche par les banques de fonds disponibles sur les marchés financiers les plus risqués. Tout ceci provoquera, en relation directe avec la crise financière américaine, une explosion du coût du crédit, le défaut massif des banques et des personnes endettées. La surchauffe était telle qu’elle provoqua immédiatement la paralysie de l’industrie du bâtiment, l’augmentation massive du chômage (jusqu’à 400 000 chômeurs de plus par mois au cours de l’hiver 2009). Cette industrie, principale bénéficiaire de cet alourdissement de la dette privée, avait massivement recruté au cours de ces années de nombreux ouvriers sans qualification, pour la plupart issus de cette immigration massive évoquée plus haut. Cette dernière sera la victime directe de la crise à double titre : perte d’emploi et surendettement.

Mais le 15-M ne se présente pas comme un mouvement de protestation ouvrier ou de protestation des plus pauvres. Il s’agit d’un mouvement de protestation qui critique les premières mesures d’austérité du gouvernement socialiste de Rodriguez Zapatero mais pas sa politique d’aide au retour dans leur pays d’origine des immigrés14[34]. Il est à l’initiative de groupes de militants urbains, classe moyenne dont nous avons parlé précédemment, qui s’appuie sur Internet et les réseaux sociaux, et avait orienté son action selon de modalités combinant idéalisme pacifiste et mondialiste, discours contre les discriminations et foi dans « les masses en mouvement ». Ce mouvement se retrouve dans un conglomérat appelé « ¡Democracia real ya! ». Comme le 22 mai devaient se tenir des élections régionales et municipales, ces groupes ont décidé d’occuper l’espace public jusqu’à ce terme en organisant des marches sur la capitale et les grandes concentrations urbaines. Ce qui devait être itinérant, à la manière des pronunciamientos du XIXe siècle, s’est vite transformé en occupation permanente des places centrales des villes, des lieux à fort passage piétonnier tels que la Place de Catalogne à Barcelone ou la Puerta del Sol à Madrid. Naturellement nous ne pouvons oublier les effets de retour provoqués par les printemps arabes et par l’énorme engouement suscité par les 27 pages du pamphlet-manifeste de Stéphane Hessel publié sous le titre Indignez-vous ! Ces lieux de palabres continuelles permettaient de multiplier à la fois des débats sur toutes sortes de sujets, de témoigner des effets de la crise et de manifester tout le mécontentement nourri par les politiques du moment, leur corruption, leur trop grande complaisance envers les banques et les milieux d’affaires et leur mépris profond pour les petit peuple. Des universitaires comme Manuel Castells, Eduardo Punset, Eduardo Galeano donnèrent une certaine visibilité à ce mouvement par leur soutien et leurs écrits. En juillet 2011 le mouvement était terminé même si encore quelques acharnés étaient présents dans ces espaces.

Pour reprendre la question de Chantal Mouffe : Podemos traduit –il ce mouvement? Ou, pour reprendre une vieille formule léniniste : capitalise-t-il ce mouvement ? Ou, dans l’esprit soixante-huitard, il faut se demander « qui récupère » ce mécontentement ? Certainement une grande partie de ces mécontentements et dissonances, y compris une certaine part de la pensée utopiste, se développent « à bas bruit » sans aspirer à un débouché politique et électoral. Si la classe moyenne ayant peur du déclassement est omniprésente dans ces tentatives de « traduction », les principales victimes de cette crise instituée, de l’appauvrissement des plus pauvres, en sont absentes. Comme le souligne Philippe Corcuff dans Politis du 14 septembre 2017: « On parle au nom du peuple mais les paroles populaires sont peu présentes. »

Podemos, France Insoumise, mouvements « attrape-tout » ?

Il faut être prudent avant d’apporter une réponse corrélée entre le fait social que l’on peut appeler la « précarisation des couches moyennes et populaires » et les NMS. Une certaine forme d’opportunisme politique vient tenter de reprendre le discours des victimes. Ce phénomène signifie clairement que le communisme politique -dans toutes ses variantes- qui estimait avoir vocation à le capitaliser, n’y arrive pas. Pour ceux qui sont séduits par ces opportunismes, la question n’est plus de « transformer le monde », mais de l’interpréter. Le socle philosophique qui soutient l’édifice Podemos est tout sauf matérialiste, au sens marxiste du terme. Sa capacité quasiment nulle à intégrer la question écologique, la question du modèle d’Etat ou la question même du travail et de l’exploitation est une preuve de cette fragilité. Le discours de Podemos, loin d’être creux, a toujours été « segmenté » disant à chacun ce que chacun est en droit d’attendre. Ce n’est pas par hasard si son programme électoral de la campagne législative de 2015 est présenté aux espagnols sous la forme d’un catalogue IKEA, une indication nette de ce qu’est son « ciblage électoral », agrémenté d’une certaine dose de cynisme de second degré auquel est sensible la classe moyenne urbaine.

Un autre aspect compte dans la perception des limites de cette forme d’organisation. Dès sa naissance, Podemos a choisi très vite la forme-parti, structurée autant que possible avec une direction inamovible, qui impose aux structures de base, beaucoup plus spontanément horizontalistes par la nature même de leur création, une forme de discipline organisationnelle. Cette rigidité de la forme-parti s’est manifestée dans le choix des candidatures pour les élections de décembre 2016. Les ordres de candidatures sur les listes furent assez souvent remaniés par les dirigeants pour imposer ici et là des candidats « parachutés ». Il en est résulté des dissensions, des ruptures quelquefois. Ce passage s’est fait dans la douleur et a provoqué des réactions ironiques et polémiques, retournant contre Podemos l’apostrophe du « fascisme cool » par celle du « léninisme aimable » de Juan Carlos Monedero ou du « léninisme 3.0 » de Felipe González.

Plus largement, cette récupération est possible parce que le monde espagnol a changé. Les classes moyennes ont certes été paupérisées, mais elles ont investi massivement ces espaces politiques que les ouvriers et paysans occupaient et ont déserté. Si on dressait la liste des dirigeants ou fondateurs de Podemos on verrait qu’ils sont pour la plupart universitaires, assez souvent dotés de diplômes universitaires en sciences politiques (Pablo Iglesias, Iñigo Errejón, la députée européenne Tania González), en économie (Juan Carlos Monedero), en sociologie politique (Carolina Bescansa), en histoire ou sciences humaines (Xavier Domènech). La plupart sont universitaires. Il n’y a là rien de bien nouveau dans le processus de formation des élites[35] sauf que l’université espagnole a depuis quarante ans élargi considérablement son spectre social à la petite classe moyenne sans pour autant lui assurer une vraie place en son sein. Les élites du franquisme venaient des mêmes horizons, celles du PSOE aussi, du droit, pour l’essentiel, puisqu’il faut rappeler que la science politique comme la sociologie sont des disciplines universitaires organiquement et administrativement liée au droit en Espagne. Les « mentors » de ces jeunes politiciens (tous âgés de 30 à 40 ans), sont des figures historiques de l’enseignement de l’économie, de la sociologie, de la philosophie et du droit, Jorge Vestrynge ou José Luis Sampedro, Manolo Monereo ou encore les marxistes Francisco Fernández Buey et Manuel Sacristán. C’est en ce sens que l’on peut penser le surgissement de Podemos comme on été pensées les renaissances du socialisme au début des années soixante-dix (Congrès d’Epinay pour le PS français en 1971, Congrès de Suresnes pour le PSOE en octobre 1974). Sauf que la rénovation ne se fait pas depuis les décombres intérieurs mais de l’extérieur.

On ne peut donc ranger Podemos dans la catégorie des nouveaux mouvements sociaux mais plutôt dans un processus de renouvellement des espaces, structures et conditions de l’exercice politique en Espagne observables dans le monde assujetti au suffrage universel. Son leader a appelé « un nouveau système de partis » en situant son mouvement dans un cadre politico-historique, celui de la « nouvelle social-démocratie » qui, tout en la supplantant, recherche une alliance avec l’autre social-démocratie, l’ancienne (« la vieja socialdemocracia »), celle qui appartient au XXe siècle, qui devra s’allier à cette nouvelle force ou qui finira par se dissoudre dans des alliances ou des compromis douteux à droite[36].

Tout ceci n’est pas purement cosmétique. Il y a cette part du discours, irritante, et il y a la réalité des alliances contractées. Celle qui prévaut pour les scrutins à venir pourrait devenir le moment le plus positif que vivent les communistes depuis 1977, se retrouver avec une force social-démocrate qui ne les rejette pas, qui les réintroduit avec force dans un espace de propositions. Quand on examine les 50 points de l’alliance contractée pour les élections de décembre 2015, on y retrouve l’essentiel de la demande sociale et une authentique proposition alternative. L’alternative se trouve dans des politiques substitutives, une vie quotidienne administrée localement en ce qui concerne les quatre grands champs publics d’intervention sociale (travail, logement, santé, éducation), plus d’Etat, un Etat démocratique avancé dont les critères sont multiples (proportionnelle intégrale, démocratie parlementaire, référendum d’initiative populaire, suppression du Sénat sous sa forme de chambre haute, un CESE disposant non seulement d’un droit consultatif mais aussi délibératif, intégration des droits sociaux dans les normes constitutionnelles contraignantes, création d’une banque de crédit populaire, nationalisation des secteurs productifs stratégiques, contrôle démocratique de l’entreprise – participation paritaire des travailleurs au CA, accès aux comptes de l’entreprise pour tous ses acteurs, etc.).A ces points alternatifs il faut ajouter le droit à l’autodétermination ou au droit à disposer de soi.

Ces questions se posaient déjà dans ces termes dans les années soixante. Le seul parti qui ait fait, alors, une tentative d’aggiornamento, de prise en compte des nouveautés sociales et des transformations de la vie espagnole fut le PCE. C’est ce que laisse voir la transcription des débats du « séminaire d’Arras », réunion de cadres du parti réunis en 1963 dans la clandestinité[37].

Le dirigeant communiste Tomás García défendait l’hypothèse de la mise en place de conseils ouvriers où le souverain aurait été l’assemblée des travailleurs de l’entreprise, comme fondement de l’action communiste dans le milieu ouvrier :

Je ne crois pas nécessaire d’insister sur le fait que le point de départ c’est la commission ouvrière, selon l’idée que nous nous en faisons, élue démocratiquement, révocable à tout moment par les travailleurs et directement contrôlée à chaque moment également par des assemblées de travailleurs… nous devons faire l’effort de consolider par tous les moyens ces commissions, commissions ouvrières, commissions paysannes, etc., tout le programme de développement des commissions.

 

Depuis la fin des années cinquante, le PCE cherchait à installer des bases militantes ouvrières dans la vie de l’entreprise. L’organisation clandestine du Parti ne permettait pas de développer une présence permanente de ses idées. Il lui fallait être au contact de ceux qui combattaient pour défendre leurs droits, et rien n’était plus efficace que l’organisation au sein même de l’entreprise. Cette implantation devint vitale car elle correspondait bien à l’idée d’une « conquête graduelle de positions » (dans le sens léniniste/gramscien de la métaphore militaire) en particulier dans l’entreprise, afin de donner plus de poids à sa politique de réconciliation nationale et de se faire identifier comme un véritable parti ouvrier au service des intérêts populaires. La volonté déclarer était d’« institutionnaliser » la commission d’usine et d’y être fortement présents. Mais la phase des conseils ne pouvait être qu’une étape dans la construction d’un ensemble plus hiérarchisé et structuré, le syndicat unique:

… ces commissions laisseront a place à un syndicat qui, en s’appuyant sur les commissions ouvrières, syndicats unis et démocratiques qui permettront à la classe ouvrière d’intervenir de tout son poids et dans l’unité dans le développement national.[38]

Ce qui court dans cette vision de la nécessité de construction à terme d’un syndicat issu (ou s’appuyant sur) des commissions ouvrières, c’est la garantie de disposer d’un outil révolutionnaire rassembleur [39]et non d’un outil horizontal (à l’échelle de l’entreprise) qui serait tenté par la collaboration de classe proposée sous toutes les formes (actionnariat ouvrier, participation, cogestion) :

… intéresser les ouvriers à l’entreprise et leur distribuer des actions est une façon de las associer qui, je le crois, conduit à la collaboration de classe, […] nous avons à mener une bataille idéologique pour montrer avec toute la patience et le bon sens nécessaires, que la solution se trouve dans l’amplification de la lutte pour le contrôle démocratique de [la maîtrise] des problèmes de la vie nationale et nationale mais également pour que l’entreprise soit celle des travailleurs et non des capitalistes.

 

Finalement, l’option sera pluri-syndicale, avec la renaissance de l’UGT, syndicat sous contrôle socialiste mais disposant d’une réelle implantation au Pays Basque en particulier, la naissance d’un groupe syndicaliste réformiste indépendant des partis (USO), la réapparition ratée de la CNT, et l’émergence de syndicats d’obédience chrétienne, autogestionnaires, qui rejoindront plus tard l’UGT fin 1977. La consolidation des Commissions Ouvrières comme première force syndicale, se fera dans ce cadre de pluralisme syndical, reflet du pluralisme politique espagnol. Elle deviendra une confédération bâtie sur le modèle de l’UGT des années 20 et ressemblant comme deux gouttes d’eau à la CGT du 40e Congrès19[40]. Mais ne sera plus cet instrument de la révolution que les communistes rêvaient de voir.

Dernières remarques : populisme ou bonapartisme ?

Il est difficile, voire il serait source de malentendu de voir dans le surgissement de Podemos il y a un peu plus de trois ans ou de la France Insoumise il y a dix-huit mois l’expression d’un nouveau mouvement social. Il s’agit plutôt du plus classique processus de création d’un parti (« repeindre la vieille voie réformiste » estime Philippe Corcuff dans Politis). La preuve par l’absurde nous la tenons dans la création simultanée de deux forces conservatrices du point de vue institutionnel et néolibérales en matière économique, Ciudadanos en Espagne et En Marche en France. Deux structures nées dans des conditions identiques que Podemos ou FI, usant des mêmes stratégies et quelquefois du même discours « dégagiste » mais situées bien à droite, comme si la droite économique ne pouvait plus se satisfaire de la politique telle qu’elle se déroulait et craignait de voir ces nouvelles forces conquérir l’espace du suffrage universel et remettre en cause leurs intérêts. Le fascisme fut une option dans l’histoire récente du XXe siècle européen, ce que rappelait le trotskiste historique Ernest Mandel :

Une dictature militaire ou un Etat purement policier – pour ne rien dire de la monarchie absolue – ne dispose pas de moyens suffisants pour atomiser, décourager et démoraliser, durant une longue période, une classe sociale consciente, riche de plusieurs millions d’individus, et pour prévenir ainsi toute poussée de la lutte des classes la plus élémentaire, poussée que le seul jeu des lois du marché déclenche périodiquement. Pour cela, il faut un mouvement de masse qui mobilise un grand nombre d’individus. Seul un tel mouvement peut décimer et démoraliser la frange la plus consciente du prolétariat par une terreur de masse systématique, par une guerre de harcèlement et des combats de rue, et, après la prise du pouvoir, laisser le prolétariat non seulement atomisé à la suite de la destruction totale de ses organisations de masse, mais aussi découragé et résigné. Ce mouvement de masse peut, par ses propres méthodes adaptées aux exigences de la psychologie des masses arriver […] à soumette les salariés conscients politiquement à une surveillance permanente, mais aussi à ce que la partie la moins consciente des ouvriers et, surtout, des employés soit influencée idéologiquement et partiellement réintégrée dans une collaboration de classes effective.[41]

 

Ce qui peut être trompeur, c’est la vitesse d’enracinement dans le champ politique de cette organisation. Mais rien de bien neuf non plus car elle n’est pas sans rappeler la création du PSOE en Espagne le 2 mai 1879 (l’un des plus anciens partis socialistes d’Europe né quatre ans après le SPD), au moins par le discours, dans un contexte différent marqué par l’absence de suffrage universel jusqu’en 1891, mais similaire puisqu’il correspond à une période d’alternance ininterrompue ( « el turno ») entre deux partis libéraux-conservateurs que les espagnols connaissent bien à travers un mot valise rappelant les noms des deux leaders de cette alternance, Sagasta et Cánovas : « el sagastacanovismo ». Le fondateur du PSOE, Pablo Iglesias, affirmait dans son discours inaugural: « L’attitude du Parti socialiste ouvrier espagnol envers les partis bourgeois, quelle que soit leur appellation, ne peut ni ne doit être conciliatrice ou généreuse, elle doit être une guerre constante et implacable.»[42] Présentant des candidats aux premières élections libres, il n’obtiendra pas de sièges, ce qui l’obligera à modérer son discours et à contracter des alliances avec deux de ces partis bourgeois, le PR Radical et le PR Démocratique Fédéral pour finalement obtenir une représentation politique en 1910.

Podemos a vécu ce même processus de façon accélérée en s’appuyant sur de puissants moyens de communication (la télévision et les nouvelles techniques d’expression publique) et une tactique fondée sur la segmentation du discours. C’est, au fond, la conjonction de cette stratégie de positionnement plus proche du jeu de société que de la « vraie politique » et l’accumulation d’expériences collectives concrètes de terrain qui est une nouveauté. Elle ne doit pas nous cacher que les facteurs essentiels sont toujours les mêmes : un cadre politique fondé sur l’expression comme exercice d’une liberté et le suffrage universel uninominal comme attestation de l’hégémonie du discours. La revendication récente de Pablo Iglesias de se situer dans une sorte de nuovo corsso de la social-démocratie est le vrai signe de cette continuité politique qui montre bien que Podemos est plus un instrument de rénovation générationnel des élites politiques qu’un outil de rupture révolutionnaire. Nous pouvons également conclure que le cas de la France Insoumise est une imitation à peu près fidèle de la politique telle qu’elle a été conçue par Podemos : recherche d’hégémonie à gauche, refus de pactes ou alliances avec d’autres mouvances de gauche[43]. Si l’expérience du Parti de Gauche, qui regroupait des dissidents socialistes encore sensibles au moule de la forme-parti, a été abandonnée en apparence, même si ce parti n’a pas disparu, ce n’est pas par refus de toute stratégie politique mais plutôt parce que le groupe dirigeant du PdG a considéré qu’il était nécessaire de conquérir l’hégémonie politique dans le pays et de ne s’engager dans des étapes d’alliances qu’une fois assise cette position centrale avec quelques députés et une assise financière et organisationnelle plus stable, donc plus proche de celle d’un parti traditionnel[44]. Le bilan de la France insoumise est maigre  puisqu’il est aussi réduit que celui de Podemos, moins de vingt députés parmi lesquels quelques-uns peuvent encore s’émanciper du carcan culturel et juridique de FI (le programme et la charte) et une perte vertigineuse en voix (plus de 40%)  entre la présidentielle et les législatives (qui demeure le marqueur essentiel de la force d’influence). Pourquoi ne pas avoir combiné les deux stratégies : conquête de l’hégémonie et conclusion d’alliances (en particulier pour contrecarrer le système électoral majoritaire) ?

Dans le  numéro de septembre 2015 du Monde Diplomatique  un article de Razmig Keucheyan et Renaud Lambert[45] se penche sur l’une des sources principales du mouvement Podemos, celle des écrits d’Ernesto Laclau, intellectuel argentin qui, pendant 25 ans, jusqu’à son décès récent, fut professeur de théorie politique en Grande-Bretagne. Le titre évoque ce dernier comme l’inspirateur de Podemos sans pour autant mettre de point d’interrogation, puisque selon l’avis des auteurs il s’agit d’une inspiration explicite et un choix assumé, celui du populisme.

Cette pensée affirme en premier lieu l’échec du marxisme  puisqu’il ne peut y avoir autonomie du politique et que ses « catégories classistes » ont montré leur non-pertinence (effondrement de l’Union Soviétique, effondrement des partis communistes d’Europe[46]).  Seuls les mouvements catégoriels ou corporatistes sont l’essence même des combats sociaux (la « logique de la différence »). Leur convergence ne peut être décrétée mais la conquête de l’hégémonie par le discours peut en créer la condition. Ce discours, parsemé de « signifiants vides » (la castalos de arriba contra los de abajo, « le dégagisme », « les gens », etc.) est celui de Podemos et, dans sa traduction française, celui de la France Insoumise. La deuxième condition de la convergence, c’est la mise en avant d’un leader, nous l’avons, Pablo Iglesias (dont le nom lui-même est l’un de ces signifiants vides dont il est question) comme l’est Jean-Luc Mélenchon, ses incantations hugoliennes et son discours autobiographique. Comme dans les grandes époques du music-hall (costume bleu et cravate à pois de Gilbert Bécaud, les collants et justaucorps des Frères Jacques) l’aspect général de la personne ou le vêtement lui-même concourent à cette tonalité autobiographique du discours : la queue de cheval et le casual dress de Pablo Iglesias, le veston Coltin moleskine Le Laboureur (74 euros 95 ttc chez Largeot et Coltin) de Jean Luc Mélenchon ou le costume « Blue dark » (450 euros chez Jonas et Cie) d’Emmanuel Macron.

Enfin, il est nécessaire d’entretenir le flou programmatique en donnant à chacun ce qu’il veut (l’effet bien connu de « la segmentation du discours ») et d’entretenir également  l’ambiguïté des politiques d’alliances, dernier volet qui complète ces outils stratégiques qui ont fait Podemos.  La baisse continue des intentions de vote d ce mouvement dans les sondages au cours de l’année 2015 et son positionnement stable autour de 18/20% pour les derniers comme la perte de près de quatre millions de voix pour la France insoumise entre l’élection présidentielle de mai  et les législatives de juin 2017 montrent  bien que « l’inscription dans la durée » ne se fait pas au niveau souhaité, parce que cette recette néo-péroniste de construction d’un imaginaire collectif oublie certainement ce que sont les cultures nationales. Comme il est souligné dans cet article ce que Podemos ou FI ont finalement  trouvé chez Laclau, ce ne sont pas de outils théoriques mais seulement des outils rhétoriques (en particulier ceux qui ressortissent du e-marketing) et les ficelles d’une stratégie (pas de stratégie sans stratagème ni stratège). Ce n’est pas la même chose. La meilleure des preuves, nous le disions plus haut, c’est que cette stratégie a également été employée par les nouvelles droites espagnoles et françaises (droites qui se parent d’un centrisme attrape-tout de bon aloi), autrement dit par Ciudadanos, le Front National et par la mouvement de soutien à Emmanuel Macron. Ce dernier l’a finalement appliqué jusqu’au bout, autrement dit jusqu’à la victoire électorale, laissant alors apparaître une fine pointe machiavélique dans sa défense d’une présidence théocratique (jupitérienne, disait le candidat).  Dans la mise en place de sa candidature, l’ancien thermidorien préparait son 18 Brumaire en niant la primauté de la loi comme fondement légitime du pouvoir en France:

La France, contrairement à l’Allemagne par exemple, n’est pas un pays qui puise sa fierté nationale dans l’application des procédures et leur respect. Le patriotisme constitutionnel n’existe pas en tant que tel. Les Français, peuple politique, veulent quelque chose de plus. De là l’ambiguïté fondamentale de la fonction présidentielle qui, dans notre système institutionnel, a partie liée avec le traumatisme monarchique.

… / …

Qu’est-ce que l’autorité démocratique aujourd’hui ? Une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et une direction ancrés dans l’Histoire du peuple français. C’est une autorité qui est reconnue parce qu’elle n’a pas besoin d’être démontrée, et qui s’exerce autant en creux qu’en plein.[48]

Cette vision du pouvoir que certains peuvent considérer comme cynique est radicalement bonapartiste. L’assimilation n’est pas à entendre à la lettre mais elle est authentifiable en ce sens que les mêmes causes (affaiblissement de l’Etat, crise économique, reniements politiques) produisent les mêmes effets : plébiscite d’un sauveur désigné par la providence (cette autorité « qui n’a pas besoin d’être démontrée »), désertions des anciennes formations et alliances de provenances diverses (de Jean-Jacques de Cambacérès et Emmanuel-Joseph Sieyès à Jacques-Nicolas  Billaud-Varenne  et Bertrand Barère[49]).

Le chef (de l’Etat) « sait, dit et éclaire » sans qu’il y ait autre chose au fond de sa légitimité que l’immanence de sa propre figure. Il est « le maître des horloges », autrement dit, s’ajoute sa vision et à son savoir la maîtrise du temps ou, plus simplement, de l’agenda. Si les analystes contemporains se penchaient un peu sur les discours de ce personnage politique singulier, ils y verraient la vraie trace du populisme empruntant aux stratégies de l’homme providentiel et à la catégorie de la mission divine du Prince.

Ceci nous ramène à l’analyse que Francisco J. Conde, philosophe du droit espagnol et idéologue du régime franquiste proposait de l’histoire des révolutions dans trois articles publiés au début des années 50 dans la revue qu’il dirigeait, la Revista de Estudios Políticos, il affirmait que si des tendances apparaissent au Bas Moyen-âge, les États se constituent réellement au XVIIe siècle. Ils s’identifient alors au territoire et se constituent en « corporations». Ainsi se retrouvent face à face  le Populus et le Prince, figure éminente de l’État, confrontation marquée par une grande intensité. Le Prince réduit les droits anciens, il se dote d’instruments rationnels et transforme le droit pour en faire un droit positif au sens plein, c’est-à-dire imposé. Il dispose donc du monopole du droit et de la force. Il agit en permanence pour réduire, annihiler tout ce qui pourrait confisquer une parcelle de son imperium.  Le Populus est devenu une masse grégaire, celle des sujets dont la seule égalité est celle de leur soumission au même État absolu. Cette égalisation de tous devant l’absolu conduit à l’affrontement par la pensée et par les armes et aux révolutions.[50]

A toutes ces formes nouvelles de politique, nous pourrions opposer ce que Karl Marx affirmait dans Le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte :

Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française, accomplirent dans le costume romain et en se servant d’une phraséologie romaine la tâche de leur époque, à savoir l’éclosion et l’instauration de la société bourgeoise moderne. Si les premiers brisèrent en morceaux les institutions féodales et coupèrent les têtes féodales, qui avaient poussé sur ces institutions, Napoléon, lui, créa, à l’intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu’à l’extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire pour créer à la société bourgeoise en France l’entourage dont elle avait besoin sur le continent européen.

Le Danton français et le Camille Desmoulins espagnol, Jean-Luc Mélenchon et Pablo Iglesias ouvriraient ainsi  la voie au Bonaparte des temps nouveaux. Celui-ci gouverne déjà en France, avec les perspectives politiques et sociales que l’on sait.

NOTES

[1] Jean LOJKINE,  Une autre façon de faire de la politique, Le temps des cerises, Paris, 2012.

[2] Signifiants vides (l’ordre en tant que tel), relation hégémonique et posture antisystème. Voir à ce sujet Ernesto LACLAU, La guerre des identités, grammaire de l’émancipation, Paris, Editions de la Découverte, 2000/ 2015, 141 p.

[3] – Job 41:17 : « Quand il se dresse, les flots prennent peur et les vagues de la mer se retirent. »

[4] E. J. HOBSBAWM, Les Bandits, 4e édition revue et augmentée par l’auteur, traduction de l’anglais par J. P. Rospars et N. Guilhot de Bandits, Weidenfield & Nicolson Ltd, London. 2000 (1ère  édition en 1969), Paris, Zones, 2008, 21 p.

[5] Rose DUROUX, « Jacques Maurice, El anarquismo andaluz, una vez más », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 26 octobre 2012, consulté le 20 juin 2016. URL : http://ccec.revues.org/863

[6] J. HOBSBAWM, Les primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Paris, Fayard, col. Pluriel, 2012 (p. 132); Juan DIAZ DEL MORAL, Historia de las agitaciones campesinas andaluzas, Alianza Editorial, Madrid, 1967. 509 p.; Gérald BRENAN, Le labyrinthe espagnol, origines sociales et politiques de la guerre civile, Paris, Editions Ruedo Ibérico, 1962, 281 p.

[7] «El movimiento de hoy, que no es de partido, sino que es un movimiento, casi podríamos decir un antipartido, sépase desde ahora, no es de derechas ni de izquierdas. Porque en el fondo, la derecha es la aspiración a mantener una organización económica, aunque sea injusta, y la izquierda es, en el fondo, el deseo de subvertir una organización económica, aunque al subvertirla se arrastren muchas cosas buenas. Luego, esto se decora en unos y otros con una serie de consideraciones espirituales. Sepan todos los que nos escuchan de buena fe que estas consideraciones espirituales caben todas en nuestro movimiento; pero que nuestro movimiento por nada atará sus destinos al interés de grupo o al interés de clase que anida bajo la división superficial de derechas e izquierdas.» José Antonio PRIMO DE RIVERA, Teatro de la Comedia, Madrid, 29/10/1933, discours de fondation de la Phalange espagnole (les traductions de l’espagnol sont de l’auteur).

[8] Unión Progreso y Democracia, parti fondé en 2007 par quelques militants du Psoe (dont la figure la plus connue est celle qui fut son porte-parole jusqu’en 2015, Rosa Díez) et des membres du collectif anti-ETA ¡Basta ya !

[9] « Los momentos de crisis son momentos de oportunidad. Son momentos en los que se mueve más cómodo el movimiento de izquierda, pero en los que también hay fascismo u otras formas reaccionarias de restauración del régimen. La emergencia de UPyD es un ejemplo. UPyD tiene muchos elementos de fascismo cool, con eso de ‘no somos ni izquierdas ni de derechas, somos españoles’.», Pablo Iglesias, entretien accordé  à La Opinión A Coruña le 20 septembre 2013.

[10] Umberto Eco, Reconnaître le fascisme, Paris, Grasset, 2017, 51 pages.

[11] Le discours de remplacement est également repris par FI : « « Je ne veux pas affaiblir le PS, je veux le remplacer », a déclaré, jeudi 11 mai à Marseille, le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, venu officialiser sa candidature aux législatives dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, où il affrontait notamment le député socialiste sortant, Patrick Mennucci. « Nous allons tourner la page des gens qui nous ont trahis pendant cinq ans. » Naturellement, ce discours est repris au moment où FI tente de percer dans le cadre des élections législatives, dont le scrutin majoritaire est la clé de voute, alors que l’élection présidentielle est fondamentalement une élection proportionnelle avec un double-seuil d’élimination : 5% des inscrits et la qualification des deux candidats arrivés en tête au premier tour.

[12] « La grande révolution des quartiers du monde » chantée par les toulousains du groupe des « Fabulous troubadours » dans les années 90, http://chichechambery.free.fr/spip/spip.php?article11.

[13] « … substitution du Mouvement, fluide et ondoyant, au Parti, pyramide rigide de l’âge industriel, que ses derniers rescapés appellent pudiquement une famille, terme moins compromettant. […] Substitution du transversal au vertical, du réseau au camp, de la connexion à l’affiliation, et de la marque (commerciale) à l’étiquette (idéologique). », Régis DEBRAY, Le nouveau pouvoir, Paris, Cerf, 2017, p. 17.

[14] C’est les cas dans les multiples polémiques qui ont surgi surgissent au moment de la désignation de responsables nationaux  ou dans les choix de candidatures aux élections nationales.

[15] Manolo Monereo, « Los dilemas estratégicos de Podemos: la esperanza como problema político», El viejo Topo, n° 352, mai 2017.

[16] Jean-Luc MELENCHON, « À propos du mouvement «La France insoumise», L’ère du peuple, dimanche 28 mai 2017. http://melenchon.fr/2017/05/28/a-propos-du-mouvement-la-france-insoumise/

[17]https://lafranceinsoumise.fr/groupes-appui/charte-groupes-dappui-de-france-insoumise/

[18] « Entre Mélenchon et le PS le PCF se rêve en pivot de la gauche anti-Macron », Le Monde, 15 septembre 2015.

[19] Ley 191/1964 de 24 de diciembre, de Asociaciones, BOE n° 311 du 28 décembre 1964, page 17334.

[20] http://www.zabalganabatuz.org/2013/04/20/auzo-del-movimiento-de-barrios-al-movimiento-vecinal/

[21] José María de Llanos Pastor, Fundación Gustavo Bueno, http://www.filosofia.org/ave/001/a032.htm

[22] http://www.aavvmadrid.org/

[23] http://www.favb.cat/

[24] La Nueva España, , 13 mai 2011, http://www.lne.es/gijon/2011/05/13/claudia-cabrero-asociaciones-vecinalesfranquismo- escuelas-democracia/1073972.html

[25] Del hogar a la huelga, trabajo, género y movimiento obrero durante el franquismo, Madrid, Fundación 1ero

de mayo, 2007.

[26] Secretaría de Comunicación del PCE/ la Nueva España / 25 février 2007.

[27] «Realmente, la primavera de 1962, a pesar del efecto óptico que podía proyectar, no fue el inicio de un nuevo ciclo de conflictividad como el que inauguró 1956, sino la transición de un modelo de conflictividad expansiva y con un tiempo marcado, a otro de carácter policéntrico y sostenido en el ámbito regional que aún se encontraba en sus albores.» Xavier DOMÈNECH SEMPERE, El cambio político (1962-1976). Materiales para una perspectiva desde abajo, Barcelone, Espai marx, 10 avril 2016.

[28] Cet article n’est pas le lieu d’un développement plus approfondi sur la question, nous ne nous livrerons pas à  ce que Bernard Pudal appelle « l’expertise médicale  des experts ès communisme » tout en le suivant quand il propose de ne pas dissocier l’étude du communisme de celle de l’anticommunisme et de concevoir « l’énigme du communisme » comme « l’énigme de toute société politique », nous renvoyons donc à son ouvrage : Bernard PUDAL, Un monde défait, les communistes français de 1956 à nos jours, Editions du Croquant, 2009, 215 p.

[29] Serge Buj, « El ocaso del Partido comunista francés, los años setenta», in Carme Molinero, Pere Ysàs (eds.), Las izquierdas en tiempos de transición, Valencia, PUV, 2016, p. 33-58.

[30] Labbé Dominique, « La crise des syndicats français » In: Revue française de science politique, 42ᵉ année, n°4, 1992. pp. 646- 653.

[31],  Maurice Cohen, « Les comités d’entreprise à la française », dossier des Cahiers d’histoire sociale,  Institut d’Histoire sociale, CGT, p. 6-11, n° 93, mars 2005. http://www.ihs.cgt.fr/IMG/pdf_CIHS93__006.pdf, Jean-Pierre Le Crom, « Le comite d’entreprise : une institution sociale instable », L’enfance des comités d’entreprise (Actes du colloque des 22-23 mai 1996), Roubaix, Centre des archives du monde du travail, 1997, pp. 173-197. Publié par https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00191007.

[32] Chantal Mouffe, «Il est nécessaire d’élaborer un populisme de gauche», entretien réalisé par Joseph Confavreux, Mediapart, 8 avril 2016.

[33] http://www.flo6x8.com/

[34] Décret du 19 septembre 2008, https://www.boe.es/buscar/pdf/2008/BOE-A-2008-15278-consolidado.pdf

[35] Serge Buj, Pensée politique, sociologie, franquisme et transition. La tentation de l’expertise sociale, inédit, octobre 2011.

[36] «Somos la alternativa», Agence EFE, Entretien de Sergio Barrenechea avec Pablo Iglesias, 3 juin 2016.

[37] Serge BUJ, «El seminario de Arras. Los comunistas debaten del futuro de España», in Historia del PCE, I

Congreso, 1920-1977, vol. 2, FIM, Madrid, 2007, pages 227/242, ISBN 84-96831-00-0.

[38] Id.

[39]  Le dirigeant communiste Manuel Delicado souligne quelques points de convergence avec le catholicisme social “…à l’intérieur du mouvement catholique apparaissent quelques groupes qui ont une conception plus avancée de ce que doivent être les syndicats et le mouvement syndical.

[40] Sur ces dernières questions, on pet consulter le numéro de la revue Etudes de février 1979.

[41] Ernest Mandel, préface à Léon Trotski,  Comment vaincre le fascisme,  Ecrits sur l’Allemagne, 1930-1933. ttps://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/cvf/cvf_intro.html

[42] «La actitud del Partido Socialista Obrero con los partidos burgueses, llámense como se llamen, no puede ni debe ser conciliadora ni benévola, sino de guerra constante y ruda.» Gustavo VIDAL MANZANARES,  La vida y la época del fundador del PSOE, Pablo Iglesias, Madrid, Nowtilus, 2009, p. 158.

[43] Dans les développements récents des questions politiques à gauche, relevons ce que nous dit le journal L’Humanité en date du 25 août par la voix d’Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF: « … la question n’est pas pour une gauche au lus mal de se regarder le nombril mais […] de faire converger tous les progressistes sur une unité de riposte contre la loi travail dès la rentrée. », Pendant ce temps le journal Le Monde (daté du 26 août 2017) relève la déclaration de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF : « La France insoumise estime peut-être pouvoir incarner à elle seule l’ensemble des différentes oppositions, c’est une erreur. Nous, on va continuer de tendre la main à toutes les forces de gauche. » Cet embarras devant le refus d’alliances (qui touche également le Mouvement du 1er juillet, animé par l’ex-socialiste Benoît Hamon) montre bien comment les luttes d’influence portent plus sur la posture que sur le fond.

[44] «On a réglé tous les problèmes qui vont occuper tous les autres. Le problème de leadership est réglé, le problème du programme est réglé. On a demandé au peuple et sa réponse a été 7 millions de voix et 17 députés. Le problème de la stratégie est réglé : nous ne nous occupons pas de rassembler des étiquettes, nous voulons fédérer le peuple. »  Propos rapportés par Abel Mestre, «A Marseille, Jean-Luc Mélenchon promet « du combat, pas de bla-bla », Le Monde, 27 aout 2017.

[45] «Ernesto Laclau, inspirateur de Podemos», Le Monde Diplomatique, Paris, n° 738, septembre 2015, p.3.

[46] Chacun se souvient du SMS envoyé par Jena Luc Mélenchon à Pierre Laurent dans lequel, s’adressant aux communistes il leur dit : « Vous êtes la mort et le néant » rappelant furieusement les considérations voisines de Juan Carlos Monedero prononcées en septembre 2011 au cours d’une conférence : « “Un proceso liderado por IU tiene el mismo vuelo que una boa después de comerse un venado. La reconstrucción de la izquierda se hará ya no con IU, sino desde sus cenizas. Ya no tiene capacidad de armar nada”.

[48] Itw Challenges, 16 octobre 2016, https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886

[49] « Tous les partis sont venus à moi, m’ont confié leurs desseins, dévoilé leurs secrets, et m’ont demandé mon appui : j’ai refusé d’être l’homme d’un parti. » Napoléon Bonaparte, Proclamation du général en chef Bonaparte, 19 brumaire 1799 à onze heures du soir.

[50]  -Francisco Javier  CONDE, Sociología de la sociología: Los supuestos históricos de la sociología, Revista de Estudios Políticos, n°58, Madrid, 1951, p 15-29.

– Francisco Javier  CONDE, Sociología de la sociología (Continuación),  II La Revolución (Constitución del Orden por concurrencia), Revista de Estudios Políticos, nº 65, Madrid, 1952, p. 15-36.

– Francisco Javier CONDE, Sociología de la sociología, III, El teorema político de la concurrencia en Rousseau, Revista de Estudios Políticos,  n° 68, Madrid, 1953, p. 8-33.

 

Mal menor…

Javier Fernández dont on suit avec curiosité et même compassion le chemin de croix que son parti lui a demandé d’entreprendre a finalement lâché le dernier des arguments possibles à quelques jours de la réunion du comité fédéral du Psoe : s’abstenir et permettre à la droite de gouverner, c’est « el mal menor », le moindre mal. La rhétorique mise en œuvre baigne dans ambiguïté constante (double langage, non dits et approximations) dont nous avons ici en France, un maître (de Florange 2012 à Florange 2016).

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Il s’agit d’une stratégie sans objectifs, sans contenu, sans idée, et plus qu’une stratégie, un aveu de défaite ou, pour le moins, d’extrême faiblesse.  Certains députés regrettent que le choix de l’abstention n’ait pas été fait après les élections de juin, en oubliant que le débat avait déjà eu lieu de façon indirecte et, encore une fois ambiguë, cet été. La même ambiguïté règne au sein de la fédération socialiste catalane du PS, la seul qui ait tenu congrès ces derniers jours et dispose d’un mandat légitimé.

Après avoir réitéré le choix du Psc de ne pas s’abstenir mais de voter non à l’investiture du PP, Miguel Iceta, secrétaire général du Psc a nuancé sons propos en défendant l’idée d’une « abstention technique », autrement dit que seuls 12 députés socialistes s’abstiennent. Disons aussi que le premier discours est celui qu’il tient en Catalogne, le second ailleurs en Espagne. Dans ces conditions, on peut supposer que les sept députés socialistes catalans voteraient non, respectant ainsi leur mandat, et que, de leur côté, les députés socialistes andalous s’abstiendraient comme ils semblent vouloir le faire.

Le seul problème c’est la sanction ultérieure probable des électeurs socialistes (ou d’une bonne moitié de ces derniers) qui, même si l’idée même qu’il n’y ait pas d’autres solution (une TINA à toutes les sauces) leur semblait acquise à une courte majorité, pardonneraient difficilement au Psoe de les avoir livré pieds et poings liée à une nouvelle législature d’une droite corrompue (Gürtel) et ultralibérale (recortes).

Au fond, la question est toujours la même : qui voudra bien porter le chapeau ? Ce jeu de la barbichette socialiste finira bientôt par ne plus intéresser les Espagnols.

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El embozo de la corrupción se llama retórica

On peut être surpris par le ton pessimiste et même fataliste du Président en exercice de la direction provisoire du PSOE, Javier Fernández. Depuis sa nomination il distille un discours de défaite ou de résignation. Cette ligne de discours est volontaire, elle vise à couper l’herbe sous les pieds des plus déterminés des socialistes à un vote contre l’investiture de la droite. C’est une variante du dogme TINA, appliqué non pas aux orientations économiques ou sociales, mais au jeu institutionnel (si on peut prétendre aujourd’hui qu’il s’agit d’un jeu). Par exemple, cette phrase sibylline que le journal El Pais met en une aujourd’hui : « La política exige convivir con la decepción ». Il s’agit peut-être d’une nouvelle inflexion du concept de « convivance », ou de « commun », dont le fondement serait, plus que le renoncement encore, la perte de toute illusion.

On comprend bien le dilemme, voter contre ou s’abstenir ouvrir à ouvrir à nouveau le débat à l’intérieur du parti, débat qui avait déjà été tranché en faveur d’un vote non. Et surtout on comprend le dilemme personnel d’un Président de région (Les Asturies) qui avait gagné son mandat en 2012 avec un nombre de sièges insuffisant (17/45), grâce à l’appui d’Izquierda Unida et des dissidents socialistes d’UPD. Autrement dit une parfaite coalition de gauche. Or l’essentiel de son discours consiste à disqualifier toute possibilité d’alliance avec Unidios Podemos. Ils sont populistes, des pharisiens, des Savonarole de poche, etc.

Prudemment, il dit que sa fonction est d’organiser un débat au sein du Comité Fédéral et non pas d’organiser une abstention favorable à la droite au sein du parlement. On sent comme une certaine amertume chez ce cadre socialiste , celle d’avoir accepté d’être à la manouevre dans cette opération peu reluisante et risuqée alors que ses partisans les plus déterminés restent bien à l’abri (Susana Díaz, Felipe González et les autres). Il doit craindre de payer localement son choix.

Comme pour sa plus grande affliction, s’est ouvert il y a quelques jours le plus grand procès pour corruption que l’Espagne ait connu, le procès dit du « caso Gürtel ». Ce procès montre à quel point la corruption à des fins de financement politique avait dérivé vers un enrichissement personnel de certains intermédiaires agissant pour le compte du PP. Ce procès risque d’invalider toute alliance possible entre le PP et Ciudadanos et rendre donc sans objet le hara-kiri du PSOE. On comprend pourquoi Felipe González souhaitait que Pedro Sánchez pousse les députés socialistes à s’abstenir en septembre. Cet homme a toujours eu un sens aigu de l’agenda.

Ajoutons, cerise sur le gâteau, que des soupçons de détournement de biens publics pèsent sur le Psoe andalou et le syndicat UGT.

Je me souviens de l’une des trois courtes citations que Raúl Morodo, ancien disciple et compagnon de route d’Enrique Tierno Galván qui ne l’avait pas suivi au Psoe, avait mise en exergue à ses mémoires (Atando cabos, memorias de un conspirador moderado, Madrid, Taurus, 2003):

«Todos los hechos son hijos de la corrupción; fuera de ellos reside lo irreal. De la inocencia surge la inocencia, de la corrupción, la necesidad. El embozo de la corrupción se llama retórica. Sabedlo para siempre: la corrupción es irremediable. Aprended a corromper y poseeréis la Tierra. Así hablaron los amantes de la Tradición: siempre que se restableció la corrupción, se restableció el Orden.»

 

[Cette citation est de Miguel Espinosa (Escuela de Mandarines), un penseur hétérodoxe espagnol comme il y en a eu quelques-uns au siècle dernier.  Par certains aspects vifs et tranchants de sa pensée, il rappelle aussi bien les fulminations du philosophe Gustavo Bueno, que les ratiocinations poético-linguistiques de celui que Cabellero Bonald appelait affectueusement (?) « el viejo hippie »,  le linguiste Agustín García Calvo.]

 

 

S’abstenir de s’abstenir?

Le Psoe est-il en état de mort clinique? La réunion de samedi dernier du Comité Fédéral (instance délibérative du parti) a sanctionné la gestion politique de Pedro Sánchez, qui,  tirant les conséquences, de ce vote, a remis sa démission. Un organe de gestion provisoire  composé de dix membres a été immédiatement mis en place pour préparer les nouvelles échéances dont la plus importante sera d’infirmer les votes antérieurs de cet organe dirigeant pour se prononcer en faveur d’une abstention pour une éventuelle nouvelle candidature du PP à l’investiture parlementaire.

Le quotidien El pais a publié une rafale d’articles et d’éditoriaux le dimanche 2 octobre qui attribuent les raisons de la crise à Pedro Sánchez, sans aucune ambiguïté et avec une certaine violence verbale qui étonne, sans évoquer un seul moment le fond des raisons de cette crise. Sa défense des votes antérieurs du Comité Fédéral pour refuser de laisser passer par l’abstention un gouvernement de droite a été sanctionnée mais sans être explicitement citée comme raison fondamentale de désaveu. Les détracteurs de Sánchez continuent tous à affirmer que leur choix reste celui du non à l’abstention. Mais, dans le même temps, ils continuent à soutenir qu’une alliance avec Podemos est inenvisageable et qu’une troisième élection serait une catastrophe. Leur obstination a refuser que leur parti se prononce pour ou contre cette abstention est paradoxal mais compréhensible: une majorité de militants y est opposée. La meilleure des preuves de ces grandes réticences on la trouve du côté du PSC (fédération socialiste catalane du Psoe) qui doit tenir congrès début novembre et affiche une position -presque- claire en affirmant son refus de l’abstention: «  La primera reflexión que se planteará es la abstención o el voto contrario a Rajoy. Creo que el PSC debe seguir diciendo que no.  » réaffirme avec prudence Nuria Marin , l’une de ses dirigeantes en employant un « creo que » qui en dit long sur le trouble interne du parti socialiste. Même plus nuancée, la position des socialistes basques est voisine.

Dans un mois, une nouvelle tentative de débat d’investiture doit avoir lieu, il faudra que le Psoe et ses nouveaux dirigeants (dont il est dit qu’ils ont agi en « tueurs » pour mettre Sánchez en minorité) trouvent les mots nécessaires pour justifier leur choix de s’abstenir lors du vote d’investiture si Rajoy se présente, tout en continuant à affirmer dans leur discours public  qu’ils ne le feront pas (« Los socialistas andaluces siguemos apoyando el no a Rajoy y el no a los independentistas » dit, par exemple, Juan Cornejo, n° 2 du Psoe d’Andalousie). Cette bataille gagnée à la hussarde pourrait se transformer en victoire à la Pyrrhus au moment où un congrès extraordinaire, désormais nécessaire, se tiendra. Javier Fernandez qui préside la direction provisoire mise en place samedi, avance avec prudence et a bien laisser entendre que s’abstenir ce n’est pas soutenir,  mais il aura beaucoup de peine à faire comprendre ce choix à ses militants.

Quoi qu’il en soit, le Psoe ne sortira pas indemne de cette crise majeure et rien ne dit que le processus d’éviction de Pedro Sánchez ne soit pas infirmé par la base, à l’image du conflit qui a opposé les militants du Labour à ses députés et qui s’est conclu par un vote de confiance massif au dirigeant contesté, il y a quelques jours.

Ces tensions ne sont pas nouvelles: il y a dix ans, déjà, …

 

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Psoe, le torchon brûle… la casa (cosa) está que arde

Rien ne va plus au sein du Psoe. Les deux mauvais résultats aux élections régionales en Galice et au Pays basque comme les résultats médiocres aux élections législatives ont plongé  ce parti dans une crise interne sans précédent. Elle n’est pas sans rappeler celle qui secoua les communistes espagnols au début des années 80, toutes proportions gardées et toutes choses égales par ailleurs. Elle a un trait commun, c’est qu’elle s’insère dans une crise mondiale de la social-démocratie comme celle qui toucha les communistes espagnols était liée à l’affaissement général de l’influence des quelques partis communistes encore sur pied et à la fin programmée du bloc soviétique.

Il s’agit donc d’une crise dont les raisons ne sont pas seulement espagnole mais bien mondiales qui voient émerger des forces plus radicales à la gauche des grands partis réformistes et des forces profondément conservatrices, nationalistes et xénophobes. Le plus souvent parce que les politiques menées par ces partis se définissant eux-mêmes comme »socio-démocrates » n’ont pas répondu aux demandes essentielles des peuples mais ont choisi d’appliquer avec quelques retouches et faux-semblants la même politique que les droites conservatrices. L’idée même qu’il n’y a pas d’alternative (la fameuse TINA de Margaret Thatcher) domine encore leur discours.

En Espagne, c’est un coup de force qui s’engage contre le secrétaire du Psoe, Pedro Sánchez. A l’origine de ce « pulso », les cadres élus du parti, quelques dirigeants historiques, autrement dit l’élite professionnelle socialiste. A la tête de cette fronde, des présidents de régions dont Susana Díaz, qui préside de la communauté autonome d’Andalousie grâce au soutien de Podemos, et qui ne cache pas depuis presque un an son souhait de prendre les rênes du parti. parallèlement, autour de Felipe González, dirigeant historique, se sont agglutinés quelques-uns des anciens dirigeants et anciens ministres (A. Pérez Rubalcaba, J. Bono) pour crier haro sur le baudet.

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La raison avancée est simple: on reproche au secrétaire général du Psoe que ses députés ne se soient pas abstenus début septembre dans le second débat d’investiture pour permettre à la droite de gouverner en minorité et éviter de nouvelles élections.

D’autres figures historiques sont plus prudentes et soutiennent Pedro Sánchez en affirmant que ce choix était celui du parti et qu’il n’a fait que respecter ce mandat. Tel est le cas de José Borrell qui reproche au passage « la division du travail » entre les prétendants au secrétariat général et les historiques. Les premiers n’évoquent jamais la question de l’abstention, se contentant de demander plus de démocratie dans le fonctionnement du parti. Ils laissent ce soin à Felipe González. Josep Borrell s’en prend directement à Susana Díaz, en soutenant que la dirigeante andalouse n’évoque jamais ce choix dans ses discours et invectives contre Pedro Sánchez par pur opportunisme, c’est ce qu’il affirmait à La Vanguardia ce matin:

 »  Cuando señala la necesidad de ir a la oposición porque con 85 diputados no se puede gobernar, no [dice] también que “nos tenemos que abstener”; no lo dijo “porque es impopular”.

En réalité tout ceci laisse voir un parti socialiste profondément divisé entre une droite conservatrice et très proche du centre droit espagnol et une gauche plus alternative qui espère qu’une alliance à gauche soit encore possible. Le bras de fer engagé a aussi pour enjeu d’empêcher sous quelque forme que ce soit le moindre rapprochement avec Podemos. C’est toujours Felipe Gonzalez qui est à la manœuvre. Au cours d’une réunion publique dans la banlieue de Madrid à la fin de la campagne de juin il avait qualifié Podemos de « populista, rupturista, una pseudo izquierda que quiere romper la solidaridad entre los españoles. » On voit bien que dans les trois critères négatifs choisis -qui peuvent mériter à eux-seuls une étude plus approfondie mais dans le calme des études de science politique et non pas comme arguments assénés dans des meetings électoraux- c’est le dernier qui pèse le plus lourd, car il ne s’agit pas de solidarité sociale ou économique mais bien d’unité territoriale.

Un référendum parlementaire?

Félix Ovejero[1], professeur à l’Université de Barcelone, met en balance dans un point vue publié par El Pais ce matin, en quoi le savoir, la connaissance, participe de la décision humaine dans tous les domaines y compris en matière de choix politique.

La question de la décision est cruciale dans cette matière. Nous rappelions il y a quelques jours l’évaluation que faisait Julio Anguita du (relatif) recul de la coalition Podemos-IU aux dernières élections : « Cuando llegan los momentos decisivos mucha gente se asusta.” Ce recours à la peur du changement comme moteur principal des choix négatifs privilégie le choix personnel, individuel et n’est en aucune façon une explication « rationnelle » d’un vote régressif. L’explication rationnelle est difficile à former, nous pouvons l’admettre.

Cette individuation du choix des personnes en matière politique contingente repose sur un postulat que Félix Ovejero concrétise ainsi: «Uno de cada cuatro británicos cree que Churchill fue un personaje de ficción, no como Sherlock Holmes, que existió para un 58%. »

Autrement dit, l’ignorance des individus de l’histoire de leur propre société ou nation, leur non-volonté de savoir et d’user de ce savoir pour former la décision pourrait être la raison de choix contraires à leurs intérêts.

Or, en politique et, plus particulièrement dans les contextes politiques démocratiques, le choix de l’individu n’apparaît pas comme essentiel dans la mesure où il s’insère dans un processus global, collectif, aux allures sempiternellement  référendaire, qui donne à la décision globale une valeur supérieure aux choix de chacun.

Or, le délitement des formes-parti, la délégation de l’expertise à des think-tanks ou à des « spécialistes », phénomène qui dépasse largement les cadres nationaux, ont fini par considérer comme irrationnels les choix des individus au moment du vote, permettant ainsi à « ceux qui savent » de ne pas tenir compte de l’avis exprimé. les exemples abondent depuis les référendums revotés (Irlande, référendum sur le traité de Lisbonne revoté en 2009) aux référendums contredits par un vote parlementaire (France, 2005 -2008-2012) et aux référendums en voie de « non-application (Royaume-Uni 2016). J’ajouterai la persistance du discours politique dominant qui met en avant « l’ignorance » des citoyens qui s’opposent (ils n’ont pas lu le Traité de Lisbonne, ils n’ont pas lu la Loi Travail, etc.).

Or, il y a une certaine rationalité dans les votes examinés d’un point de vue collectif ou sociologique. Cette rationalité est peu perméable aux discours politiques, elle repose sur des constats concrets pur lesquels aujourd’hui il manque une gnose, ou pour le dire simplement une philosophie de cette rationalité. Cette intuition était déjà présente chez Marx et Engels dans les réflexions sur le rapport individu-collectif: « La véritable richesse intellectuelle de l’individu dépend entièrement de la richesse de ses rapports réels. » (L’idéologie allemande).

Cette difficulté est montrée dans le recours incessant, en particulier dans les discours de Pablo Iglesias, au concept très mouvant de «gente»

Si estamos aquí es por y para la gente.

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Ce concept de gente dont ont usé et usent encore les nationalistes catalans pour signifier par cette référence à la Santa Espina ( Som i serem gent catalana…) à la fois l’unité de corps mais aussi un rejet certain de l’autre:

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Le vote parlementaire peut être considéré comme un vote référendaire, nous dit Félix Ovejero, puisqu’il finit par être dichotomique. Naturellement, vu sous l’angle pratique, ce raisonnement signifie que le vote d’aujourd’hui en Espagne devrait permettre de trouver une solution à la crise parlementaire : soit par l’abstention socialiste, permettant ainsi une nouvelle législature de droite (même minoritaire), ou par la coalition improbable de tous les votes qui, avant-hier, se sont exprimés contraires à ce choix. Il faut éloigner le spectre de l’indécision qui serait un troisième tour d’élections en décembre, oublier le peuple et s’entendre sans l’entendre.

[1] Né en 1957, il est professeur d’économie, d’éthique et de sciences sociales. Il est l’un des fondateurs avec Arcadi Espada, Félix de Azúa et Albert Boadella de l’association fondée en 2005, Ciutadans de Catalunya , matrice du parti de centre-droit Ciudadanos. L’origine catalane de Ciudadanos trouve sa source unique dans une expression réactive au nationalisme catalan qui apparaît à ses yeux comme une absurdité dans les termes : « La nació, somiada com un ens homogeni, ocupa el lloc d’una societat forçosament heterogènia. »

Le repos des guerriers avant la bataille, version 2016

L’été français a été mouvementé et rude. Je n’évoque pas le temps qu’il a fait, chaleurs extrêmes dans le sud, petites températures bien modestes  dans l’ouest .

Mais ce sont surtout de belles images qui ont peuplé les imaginaires des deux côtés des Pyrénées.

Tout d’abord il y a eu cette image d’un futur démissionnaire les pieds dans l’eau.

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Le titre de Paris Match était sans équivoque puisqu’il nous montrait le ministre préféré des plus de 65 ans en vacances sur la Côte basque avec son épouse, en short et tee-shirt , saluant un baigneur en tenue intégrale.

Chacun se souvient de celles de Nicolas Sarkozy (il en existe des centaines):

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Ou de  beaucoup d’autres.175c76b81cef8b592fb04965da8e9ddd

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En Espagne les étés 2015 et 2016 n’ont pas failli. Les leaders politiques se sont aussi autorisé quelques images plus ou moins allégoriques:

Par exemple Mariano Rajoy en 2015, façon nageur en eaux troubles:

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… ou Pablo Iglesias dans une version chrsitique du Lagon Bleu:

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En 2016, année d’incertitudes électorales, l’été du chef du gouvernement était studieux et sportif:

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Aucune image de Pablo Iglesias n’était disponible, entretenant ainsi le mystère sur son lieu de vacances. Le secrétaire général du Psoe était finalement le seul à proposer un véritable alignement sur la coutume:

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Chacun se demandera quel livre lisait Pedro Sánchez à travers ses polaroïds pendant que son épous l’enduisait de crème anti-uv. Peut-être  Le Prince de Machiavel, en letra gorda (à cause des lunettes ).

Un gouvernement aux tirs au but?

Si on observe le résultat des élections du 26 juin, on peut noter qu’encore une fois aucune majorité ne s’est formée. Le Parti populaire sera, selon  la règle, le parti appelé à tenter de former un gouvernement, autrement dit de présenter un projet et un programme de législature devant le Parlement.

S’il obtient la majorité absolue (176 sur 350) à au premier vote, il y aura un gouvernement de droite. S’il ne l’obtient pas, dans un délai assez court de huit jours, un vote à la majorité simple sera suffisant et il y aura aussi un gouvernement de droite.

Autrement dit, nous verrons dans un premier temps s’engager des tractations pour former une coalition majoritaire ou proche de la majorité requise et, dans un deuxième temps, des tractations pour obtenir l’abstention « bienveillante »de certains groupes . Avec 137 élus le Parti populaire est sorti renforcé de ce scrutin, il peut donc négocier le vote participatif actif de certains élus régionalistes et, peut-être, trouver une base d’accord pour signer un pacte de gouvernement avec Ciudadanos dont le score s’est effrité. Il peut aussi, ce qu’il a fait avec constance, demander aux socialistes, qui ont perdu 5 sièges, de former une grande coalition, que ces derniers refuseront pour ne pas perdre définitivement leur rôle d’alternative à la droite et de signer ainsi leur arrêt de mort politique.  Quelle que soit l’hypothèse, il y aura un gouvernement de droite.

Un a alliance à gauche est difficilement envisageable, car elle aurait besoin du soutien des indépendantistes et nationalistes catalans qui ne manqueraient pas de poser la question du droit à l’autodétermination auquel le Psoe est farouchement opposé. Il y aura donc un gouvernement de droite.

Le quotidien El Mundo propose un petit jeu interactif qui permet de former et modifier toutes les combinaisons possibles. Un jeu de société simple et divertissant.

PP 7.906.185 33,03% 137
PSOE 5.424.709 22,66% 85
PODEMOS-IU-EQUO 3.201.170 13,37% 45
C’s 3.123.769 13,05% 32
ECP 848.526 3,55% 12
PODEMOS-COMPROMÍS-EUPV 655.895 2,74% 9
ERC-CATSÍ 629.294 2,63% 9
CDC 481.839 2,01% 8
PODEMOS-EN MAREA-ANOVA-EU 344.143 1,44% 5
EAJ-PNV 286.215 1,20% 5
EH Bildu 184.092 0,77% 2
CCa-PNC 78.080 0,33% 1