Municipales en Espagne, fin de partie

Les Municipales, rappelons-le étaient les seules élections se tenant sur tout le territoire de l’Espagne. La règle électorale obligeait les municipalités de se voir dotées d’un exécutif deux  semaines après le scrutin. En cas de majorité relative et d’absence d’accord entre les différentes listes représentées au nouveau conseil municipal, c’était la tête de la liste ayant obtenu le plus de conseillers qui était élue maire, mais avec un soutien minoritaire, autrement dit très fragile.  Il a a donc eu des accords, quelquefois étranges ou des désaccords qui ont permis ceraints succès.

Globalement, ces élections profitent au PSOE qui gagne 7 capitales de provinces (l’Espagne en compte 50 au total) et n’en perd que deux, au bénéfice de la droite.  Les coalitions auxquelles participait Podemos en gagnent 5 et no des moindres, Madrid, Barcelone, Saragosse, Cadix, La Corogne. Dans le cas de la capitale, c’est le soutien des élus minoritaires du PSOE qui permettent à la nouvelle égérie de la gauche madrilène, l’ex-communiste Manuel Carmena, de devenir maire. A Barcelone c’est un accord avec les élus nationalistes de gauche qui permettent à Ada Colau de devenir maire et de ravir la ville aux nationalistes conservateurs de CiU (qui sont, en Catalogne, les grands perdants du scrutin municipal). Ces deux femmes maires n’appartiennent pas à Podemos mais à des mouvements associatifs nés de la crise.

Moins visibles cependant un certain nombre d’accords opportunistes entre le PSOE, le PP ou les nouveaux venus Ciudadanos ont permis ici et là de permettre aux deux grands partis de conserver certaines positions. Dans d’autres cas, des alliances larges ont poussé dehors des maires sortants. Par exemple, à Badalona, ville de 220 000 habitants de la banlieue de Barcelone, le maire sortant du PP, don la liste est pourtant arrivée en tête, a été battu par une coalition réunissant les alternatifs –Badalona en comú-, les socialistes, la gauche nationaliste –ERC- et les communistes). A Sabadell, la municipalité échappe aux socialistes, bien que leur candidat soit arrivé en tête, alors qu’ils la détenaient depuis 1999 après l’avoir gagnée aux communistes. Cette ville de l’ancien arc industriel de Barcelone de 206 000 habitants sera gouvernée par un militant de la gauche nationaliste (ERC).

Le perdant à l’échelle nationale, c’est le PP, ou la droite en général. Le gagnant, le PSOE grâce aux accords qu’il a accepté de signer ici et là avec les alternatifs. La force de ces derniers est urbaine, elle trouve sa force dans une classe moyenne aux abois depuis les débuts de la crise immobilière et financière.

Après les élections des nouveaux exécutifs des parlements régionaux élus le mois dernier, il faudra ne pas perdre de vue que les élections législatives de novembre prochain constituent l’enjeu décisif. Le résultat des alternatifs, des communistes –qui résistent finalement assez bien à la vague Podemos sauf à Madrid-, et des socialistes peut obliger ces derniers à accepter, pour la première fois depuis 1982, de gouverner en coalition.

Et que chacun garde à l’esprit l’aphorisme marqué au coin du bon sens du seul philosophe espagnol vivant, Vicente Del Bosque, qui déclarait il y a peu : « Quien pita a un jugador, pita a la Selección ». Et vice versa.

Del-Bosque-Gerard-Pique

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Elections municipales er régionales en Espagne II

Dans ma page de lundi, je relevais trois éléments relatifs à la percée des organisations anti-partis en Espagne. Nous parlerons du troisième plus tard, le temps de laisser les choses se décanter, les coalitions se faire ou ne pas se faire au sein des nouveaux conseils municipaux et parlements régionaux.

La tête de liste de la coalition madrilène Ahora Madrid,Manuela Carmena, qui talonne la droite pour le gain de la mairie de Madrid est évoquée par un article d’El País, sous forme de jeu de mots et de sens, comme une héritière du  roman de Mikhaïl Aleksandrovitch Cholokhov, Le Don paisible,  « el don apacible »… peut-être pour souligner qu’elle fut communiste et activiste pendant le franquisme mais aussi une personnalité de consensus. Certains médias ont tôt fait de la surnommer  Manuela « la rouge » à cause de ce passé. Il est vrai que les opposants au franquisme dans les années soixante ne se bousculaient pas au portillon et que la seule force à peu près constituée lui résistant était la mouvance communiste, PCE en Espagne et PSUC en Catalogne. Pour aller vite, je dirai que si on était antifranquiste, on se retrouvait soit proche des communistes soit chez eux dans ces années-là. La transition a balayé cette force hégémonique de la clandestinité pour donner leur place à des partis politiques plus conformes au réformisme libéral que l’Europe souhaitait, un parti conservateur à l’anglaise et un Parti Socialiste calquant sa structure et sa politique sur celle de ses soutiens les plus déterminés, le Parti Social-Démocrate allemand (SPD). Tel fut le choix d’une majorité d’espagnols. Manuela Carmena appartient à cette génération oubliée ou dissoute dans les méandres de la politique des partis et son irruption spectaculaire à plus de 70 ans sur le devant de la scène est méritée. Son passé de militante contre la dictature, puis de juge démocrate et anti-corruption témoignent de la fin du conformisme politique en Espagne. Pour combien de temps?

Quand le langage de la sociologie politique reprend la main, on retrouve chez le leader de Podemos des éléments d’analyse qui, s’ils ne deviennent pas des « éléments de langage », n’en constituent pas moins des bases de réflexion sur les choix politiques espagnols selon que celui-ci soit exprimé par des régions en perte de vitesse démographiques, par les zones rurales ou par les zones urbaines hyper-concentrées.  Pablo Iglesias a déclare au soir du scrutin que « les grandes villes montraient la voie, qu’elles étaient le moteur du changement». On peut être d’accord pour penser que l’opposition ville-campagne est restée ce qu’elle a toujours été en Espagne: un vote révolutionnaire ou, plus modestement, de gauche d’une part, un vote réactionnaire ou, plus simplement conservateur, dans les campagnes. Souvenons-nous seulement que c’est à la suite d’élections municipales que la République a été proclamée en 1931. Car, bien que le nombre de conseillers municipaux favorables au maintien de la monarchie eut dépassé largement celui des élus républicains (29.953  contre 8.855), ces derniers étant élus dans les grandes concentrations urbaines, ils représentaient une force démographique plus grande que l’espace rural. L’immense majorité des capitales de province avait voté pour les partis républicains, sauf la zone d’influence carliste (Pampelune, Alava) et la Castille du nord (Burgos). Ces capitales seront humiliées et punies par le franquisme triomphant. Le beau-frère de Franco déclarait en mai 1939 à propos de Madrid, la ville qui ne s’est jamais rendue:

«Hay que hacer un Madrid nuevo, lo que no quiere decir precisamente el gran Madrid en el sentido material y proletario de los Ayuntamientos republicano-socialistas, sino el Madrid con la grandeza moral que corresponde a la España heroica. Trabajen ustedes para que todos podamos acabar con la españolería trágica del Madrid decadente y castizo, aunque hayan de desaparecer la Puerta del Sol y ese edificio de la Gobernación que es caldo de cultivo de los peores gérmenes políticos.»

Inteligentísima interpretación del Madrid futuro, Madrid, ABC, dimanche 21 mai 1939, p. 9.

Elections municipales et régionales en Espagne

Il est difficile de dire ce matin si la percée électorale de Podemos et de Ciudadanos a un sens profond et aura des conséquences dans la structuration électorale des partis politiques en Espagne. Ces deux formations nées du ras-le-bol des classes moyennes devant les effets désastreux des politiques d’austérité menées par le gouvernement du PSOE puis par celui du PP depuis 2008, ont gagné une certaine visibilité sans pour autant conquérir de positions véritablement hégémoniques.

Leur percée rappelle, toutes choses égales par ailleurs, la poussée poujadiste des années cinquante en France, avec son fameux slogan « Sortez les sortants » avec des nuances profondes, il s’agissait de la manifestation de ras-le-bol d’une autre fraction de la classe moyenne, les commerçants et artisans, alors puissante en France et à l’aube d’un déclin social définitif…  avant sa résurgence sous des formes plus politiques sous la bannière du FN qui se présentait aussi et se présente encore comme « anti-système ».

Ciudadanos est plutôt de droite, plutôt hyper-réformiste au sens moderne du terme, autrement dit c’est une formation libérale, favorable à la réduction du poids de l’administration, mais pour le maintien d’une politique sociale, et également et surtout  marquée par une forme de nationalisme unitaire espagnol.

Podemos est né du discours anti-crise des années 2000 en Espagne, de ces mêmes classes moyennes,  plus jeunes et très diplômées. Les accents de son discours sont à dominante anti-capitaliste, menant une critique des banques et du système financier, défendant aussi l’idée d’une juste répartition des richesses et d’ une démocratie participative et réactive.

Les deux partagent le même point de vue critique sur l’état avancé de corruption des professionnels de la politique en Espagne.

Il est difficile d’évaluer leur percée aux municipales qui ont eu lieu ce dimanche 24 mai, pourtant il s’agissait d’un scrutin mobilisant tous les Espagnols sur la totalité du territoire national. En effet, Ciudadanos n’a pas présenté de listes partout et obtient un résultat global de 6, 65% des voix. Podemos a adopté une autre stratégie. Certainement conscients   de la jeunesse de leur organisation,  ses dirigeants ont probablement pensé qu’il serait difficile de poursuivre la campagne tribunicienne de conquête hégémonique de l’espace des idées engagée au cours de ces deux dernières années en se voyant assigné un pourcentage de voix qui figerait à jamais Podemos dans un rôle subalterne. Aussi ont-ils choisi de ne pas se présenter à ces élections sous leurs couleurs mais de se fondre dans des alliances locales à géométrie variable avec les écologistes ou même les communistes locaux. Ce fut le cas à Madrid et Barcelone, avec un certain succès.

Il en a été différemment pour les élections des parlements régionaux qui concernaient toute l’Espagne sauf l’Andalousie, la Catalogne, la Galice et le Pays Basque, quatre régions dont le degré d’‘autonomie est élevé et qui représentent, à elles seules,  près de 45% de la population.

Ces élections se faisant à la proportionnelle de circonscription (chaque province –l’équivalent espagnol de nos départements- en constituant une), Podemos a présenté des listes sous son label dans chacune d’entre elles avec des résultats variables mais significatifs (de 8% en Estrémadure à un peu plus de 20% en Aragon).

Ce sont donc deux percées mais qui ne sont pas suffisantes pour renverser la vapeur politique en Espagne.

D’un point de vue global, le mécanisme du choix électoral reste le même : on sanctionne celui qui gouverne –le PP perd beaucoup de ses positions dominantes-. La différence c’est que le vote contre au lieu de profiter aux socialistes a choisi de se porter sur ces candidatures critiques, signe que les Espagnols n’oublient pas que le PSOE a été un contributeur actif aux politiques d’austérité engagées depuis 2008. C’est là la nouveauté. Les effets collatéraux sont toujours les mêmes : ce sont les communistes (Izquierda Unida) qui perdent, et qui perdent même, ici ou là, toute visibilité, Podemos ayant agi comme une pompe aspirante de ses voix, voire de ses militants et même de ses cadres -tel est le cas de Madrid, tant aux élections municipales qu’aux régionales. Il résiste dans ses vœux bastions historiques, ici ou là (Asturies, Andalousie) mais sort très affaibli du scrutin.

Je reviendrai plus tard sur deux détails et une question :

Les détails:

  1. La tête de liste de la coalition madrilène qui talonne la droite pour le gain de la mairie de Madrid est présentée par un article d’El País sous le label-jeu de mot cholokhovien « el don apacible »… peut-être pour souligner qu’elle fut communiste et activiste pendant le franquisme. Elle est en passe de devenir une sorte d’Enrique Tierno Galván au féminin –Mater matuta ou Pasionaria des classes moyennes- si elle est élue, ce qui est loin d’être fait.
  2. Pablo Iglesias a déclare au soir du scrutin que « les grandes villes montraient la voie, qu’elles étaient le moteur du changement». Quand le sociologue politique reprend la main…
  3. La question:

Quelles seront les stratégies d’alliances des uns et des autres? Alliances sur programme ou alliances sous forme de partage du gâteau: tu me laisses faire ici et je te soutiendrai là-bas?