Dans ma page de lundi, je relevais trois éléments relatifs à la percée des organisations anti-partis en Espagne. Nous parlerons du troisième plus tard, le temps de laisser les choses se décanter, les coalitions se faire ou ne pas se faire au sein des nouveaux conseils municipaux et parlements régionaux.
La tête de liste de la coalition madrilène Ahora Madrid,Manuela Carmena, qui talonne la droite pour le gain de la mairie de Madrid est évoquée par un article d’El País, sous forme de jeu de mots et de sens, comme une héritière du roman de Mikhaïl Aleksandrovitch Cholokhov, Le Don paisible, « el don apacible »… peut-être pour souligner qu’elle fut communiste et activiste pendant le franquisme mais aussi une personnalité de consensus. Certains médias ont tôt fait de la surnommer Manuela « la rouge » à cause de ce passé. Il est vrai que les opposants au franquisme dans les années soixante ne se bousculaient pas au portillon et que la seule force à peu près constituée lui résistant était la mouvance communiste, PCE en Espagne et PSUC en Catalogne. Pour aller vite, je dirai que si on était antifranquiste, on se retrouvait soit proche des communistes soit chez eux dans ces années-là. La transition a balayé cette force hégémonique de la clandestinité pour donner leur place à des partis politiques plus conformes au réformisme libéral que l’Europe souhaitait, un parti conservateur à l’anglaise et un Parti Socialiste calquant sa structure et sa politique sur celle de ses soutiens les plus déterminés, le Parti Social-Démocrate allemand (SPD). Tel fut le choix d’une majorité d’espagnols. Manuela Carmena appartient à cette génération oubliée ou dissoute dans les méandres de la politique des partis et son irruption spectaculaire à plus de 70 ans sur le devant de la scène est méritée. Son passé de militante contre la dictature, puis de juge démocrate et anti-corruption témoignent de la fin du conformisme politique en Espagne. Pour combien de temps?
Quand le langage de la sociologie politique reprend la main, on retrouve chez le leader de Podemos des éléments d’analyse qui, s’ils ne deviennent pas des « éléments de langage », n’en constituent pas moins des bases de réflexion sur les choix politiques espagnols selon que celui-ci soit exprimé par des régions en perte de vitesse démographiques, par les zones rurales ou par les zones urbaines hyper-concentrées. Pablo Iglesias a déclare au soir du scrutin que « les grandes villes montraient la voie, qu’elles étaient le moteur du changement». On peut être d’accord pour penser que l’opposition ville-campagne est restée ce qu’elle a toujours été en Espagne: un vote révolutionnaire ou, plus modestement, de gauche d’une part, un vote réactionnaire ou, plus simplement conservateur, dans les campagnes. Souvenons-nous seulement que c’est à la suite d’élections municipales que la République a été proclamée en 1931. Car, bien que le nombre de conseillers municipaux favorables au maintien de la monarchie eut dépassé largement celui des élus républicains (29.953 contre 8.855), ces derniers étant élus dans les grandes concentrations urbaines, ils représentaient une force démographique plus grande que l’espace rural. L’immense majorité des capitales de province avait voté pour les partis républicains, sauf la zone d’influence carliste (Pampelune, Alava) et la Castille du nord (Burgos). Ces capitales seront humiliées et punies par le franquisme triomphant. Le beau-frère de Franco déclarait en mai 1939 à propos de Madrid, la ville qui ne s’est jamais rendue: