Valls-Martínez, pas de deux?

Je n’ai pas pour habitude d’évoquer la vie politique ou sociale de la France mais, aujourd’hui, je vais faire une exception.

Depuis quelques jours, les sacro-saints « éléments de langage » du gouvernement français, du patronat et des médias, presse, radio et télévision, visent à présenter Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, comme le seul empêcheur d’adopter en rond la loi travail. Les attaques ad hominem n’ont pas manqué (les moustaches de l’un, les colères de l’autre) mais nous avons compris qu’insister à faire de la CGT la seule organisation opposée à la réforme avait un avantage tactique: diviser et isoler les syndicats hostiles à cette réforme (avec des arguments qui nous ramènent aux années bénies des trente glorieuses). Ainsi, brusquement, que la demande de retrait de la loi soit aussi formulée par  le syndicat CGT-FO, par Solidaires-Sud, par la FSU, n’intéresse plus. Il faut isoler à tout prix la CGT. On nous présente donc la situation actuelle comme le fruit de l’obstination de deux hommes (Valls et Martinez), qui, comme des boxeurs poids lourds se livreraient un combat en quinze rounds. Les termes ( ou « éléments de langage » employés) ne manquent pas , on parle de face-à-face, de duel, de bras-de-fer, de clash, et j’en passe.

J’aurais parlé de « pulso » ou de mano-a-mano ». Pourquoi? Parce qu’il se trouve que ces deux personnages publics ont tous deux des origines espagnoles et qu’ils les revendiquent. Philippe Martinez est né dans la petite Espagne de Saint-Denis dont Natacha Lillo avait superbement rendu compte dans un petit ouvrage publié il y a une dizaine d’années dans la collection Autrement. Il revendique aussi un lien fort avec l’antifascisme des années trente à travers la figure de son père, engagé dans les brigades internationales.

la-petite-espagne-de-la-plaine-saint-denis_9782746705081Manuel Valls est d’origine catalane par son père, Xavier Valls, artiste peintre. Le père de ce dernier, banquier, avait cofondé un quotidien catholique conservateur catalan, El Matí, dont la publication avait été interdite en temps de guerre. Ses locaux serviront à éditer le journal communiste catalan Treball. Quand il est devenu chef du gouvernement, Manuel Valls a revendiqué à nouveau un passé familial anti-franquiste, redoublant ainsi  la polémique qui était entretenue à ce propos. Disons qu’aujourd’hui le doute persiste encore.

Ainsi donc, voici les démons espagnols convoqués dans l’histoire sociale et politique française.

Dans le cortège parisien de jeudi dernier, un manifestant brandissait une drôle de pancarte:

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Pendant ce temps Philippe Martinez devenait le jumeau préféré des Français (les moustaches) et un héros médiatique:

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Corto es el aliento que respira entre la cuna y la tumba; corto pero bastante a causar graves daños, si se emplea mal.

Cette sentence raisonnablement pessimiste est tirée d’une sorte de Miroir aux princes datant de 1640 et dont l’auteur est Diego Saavedra Fajardo, Idea de un príncipe politico-cristiano,  Empresa Cien, « Qui legitime certaverit ».

Si elle m’est revenue, c’est parce qu’elle trouverait à s’appliquer à certains, hommes politiques ou hommes de sciences.

Aux hommes politiques, quand Manuel Valls donne son avis dans les médias français sur tout et sur rien. On se demande dans ce cas si « la liberté des tribunes » n’est pas étroitement dépendante du statut social du tribunitien. Le chef du gouvernement publie dans Le Monde, le 7 mai, c’est-à-dire le jour-même de la sortie en librairie du livre d’Emmanuel Todd, « Qui est Charlie? », une réfutation des thèses ou hypothèses du sociologue alors que seuls quelques initiés ont lu ce livre (titre de la tribune:
« Non, la France du 11 janvier n’est pas une imposture »). On se demande quand notre chef de gouvernement qui « conduit la politique de l’Etat » a pris le temps de lire et de répondre à Emmanuel Todd. Il s’en était pris déjà à Michel Onfray qui avait répondu en le traitant de crétin, Todd, lui, l’a traité de pétainiste. Finalement, Pascal Bruckner a raison de rappeler une évidence: « Les hommes politiques ne sont pas les agents de la circulation des idées, triant les bonnes des mauvaises, décrétant lesquelles ont droit de cité, lesquelles doivent être bannies. » (Non aux intellos godillots, Le Monde du 17 mai). Ils ont autre chose à faire, non?

Aux hommes de science: Emmanuel Todd affiche, dans ses commentaires scientifiques sur qui fait quoi et pourquoi, une sérieuse tendance déterministe qui peut heurter. Mais c’est peut-être son humour à lui. Dans l’ouvrage cité plus haut, pendant qu’il se glorifie d’être un produit du métissage à la française comme tant d’autres, il reproche à d’autres intellectuels – ou « pseudo-intellectuels », qui se prennent pour les arbitres de la mode déplorative (Eric Zemmour et Alain Finkelkraut, pour ne pas les nommer) de ne pas avoir pratiqué l’exogamie comme l’ont fait les siens et lui-même. On comprend la colère d’Alain Finkelkraut. Dans la même veine, il estime que la tendance xénophobe et autoritaire de Valls (l’emploi absurde du terme apartheid pour parler des banlieues)  est déterminée par ses origines catalanes: « Manuel Valls est né à Barcelone. Un des hauts lieux du différencialisme ibérique. Le nationalisme est, dans cette ville et sa région, en phase ascendante aujourd’hui et menace l’Espagne de dislocation. »

M Todd, votre livre est intéressant et bien conduit, le plus souvent juste dans ses analyses sur Charlie ou pas Charlie, mais, là, « vostè s’ha passat », vous êtes allé trop loin… Les choses, même en Catalogne, sont plus compliquées que vous ne l’affirmez. Et la menace de dislocation est plutôt du côté de l’Ecosse aujourd’hui, ou même de l’Europe toute entière.

Court est le souffle qui sépare le berceau de la tombe, …

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