L’anticapitalisme est-il devenu tendance?

Si vous lisez l’article du journal El Pais qui fait la synthèse du bilan de l’année 2018 et de ce que l’on peut attendre en 2019, vous y trouvez la mère d’un discours analytique officiel convenu: tout change, et le temps où l’ancien résiste encore et le nouveau  n’est pas encore là. Une sorte d’ère révolutionnaire ouverte depuis trois ans qui dessine deux camps: de façon très imprécise celui des gagnants  (ceux qui ont su « cabalgar la ola de la nueva economía »?) et celui des perdants dont la liste est longue. En Occident, l’auteur énumère  les ouvriers, les classes moyennes ne disposant pas de « la culture suffisante pour affronter les nouveaux défis », les agriculteurs vivant de subsides qui ne savent pas comment faire face à la concurrence, jeunes qui ne s’insèrent plus dans le marché du travail. Si on ajoutait les vieux, les retraités on aurait là l’énumération de la quasi-totalité du spectre social européen, une immense majorité qui (hélas, pensent de plus en plus d’analystes) dispose encore du droit de vote pour exprimer son refus de crever sans combattre, en particulier aux prochaines élections européennes (« Dadas sus características —cierta percepción de lejanía—, las citas electorales europeas son terreno muy fértil para el voto de protesta. »).

L’auteur (Andrea Rizzi) semble ne pas se rendre compte que s’il n’y avait pas d’élections (ou de vote intermédiaire) c’est la rue qui parlerait, pourtant il a l’exemple français sous le nez.

Parlons de cet exemple. Comme beaucoup j’ai entendu Emmanuel Macron prononcer ses trois vœux hier soir. Chiffre trois emprunté aux facultés du génie de la lampe d’Aladin (la lampe est vendue 8 euros 26 sur Amazon):

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Plus sérieusement, le chiffre trois du discours est un classique de la dissertation argumentative française et notre Président est un bon élève respectueux des effets nécessaires et suffisants de la rhétorique académique, un  peu trop peut-être.

Au-delà de cette application très scolaire du triptyque ressassé ad nauseam, j’ai trouvé, glissé au beau milieu du discours, un élément de langage assez curieux quand on sait d’où vient Emmanuel Macron, élément qu’aucun journaliste ou commentateur n’a relevé. Je cite

« Nous sommes en train de vivre plusieurs bouleversements inédits : le capitalisme ultralibéral et financier trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns, va vers sa fin ; notre malaise dans la civilisation occidentale et la crise de notre rêve européen sont là. »

Que vient faire ici cette prédiction qui n’est pas sans rappeler les prémonitions réformistes sur « la mort inéluctable du capitalisme »?  Voici que l’ancien de chez Rothschild renie son propre passé, au sein du département « fusions-acquisitions » de cette banque d’affaires? Le pari de demain est-il de combattre le capitalisme, de le laisser mourir de sa capacité auto-phage ou de la moraliser (libéral, oui, mais pas ultra)… N’y a-t-il pas non plus une certaine dose de xénophobie que de pointer du doigt « l’avidité de quelques-uns » et d’en faire la source du malaise (freudien) dans la civilisation « occidentale »?

Tout ceci est retors, ambigu et correspond bien à ce que ce personnage a appris: pour gagner il faut dire à chacun ce qu’il attend, quitte à dire dans le même discours une chose et son contraire. On appelle ça « segmenter ». Mais à trop segmenter on devient incompréhensible, en tout cas le discours présidentiel apparaît comme ce qu’il est: un exercice scolaire.

Enfin, il y a tout de même un vrai malaise, la page de vœux que j’ai lue sur le site de l’Elysée ce matin était datée du 31 décembre … 2019!

 

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