Poker menteur

Nous connaissons le résultat des élections.  Une période de crise politique aiguë s’ouvre en Espagne. retenons au passage, qu’à la différence des sondages, les sièges obtenus par Podemos seul ou par Podemos en coalition sont décomptés séparément.

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Ce résultat est considéré par certains comme inextricable puisque toutes les combinaisons possibles sauf une grande coalition (que les socialistes rejettent avec vigueur) ne donnent de majorité à personne.  On peut cependant imaginer qu’ont été nombreux  les coups de fil venus des institutions européennes ou de la République Fédérale d’Allemagne pour défendre l’hypothèse de sortie de la crise politique par la coalition PP-PSOE, principe moins repoussoir qu’il n’y paraît puisqu’il fait son chemin en Europe et même en France. Les éditorialistes espagnols et les leaders des différents partis et mouvements y vont de leurs propositions, de leurs appels du pied, de leurs avertissements, surtout pour ne pas perdre le bénéfice de leur gain et surtout pour se garder une certaine visibilité en cas d’éventuelle dissolution.

Mais revenons au détail des étapes à venir pour les semaines qui viennent.

Elles sont clairement définies par la Constitution :

  1. Installer le nouveau parlement pour cette législature, avec l’élection de son bureau (la Mesa), sa présidence et ses vice-présidences parlementaires. Ces postes peuvent faire l’objet d’un paquet négocié, naturellement, sous la forme bien connue: je te donne une présidence ou une vice-présidence ou deux et tu votes mon investiture, ou tu t’abstiens au deuxième tour.
  1. Les élus procèdent à la constitution des groupes. Il n’y aura de problème majeur que pour les communistes et pour les petits partis nationalistes qui pourront siéger dans un groupe mixte s’ils ne trouvent pas d’accord avec d’autres partis avec affinités et si le Parlement les autorise à le faire.  Le seul groupe qui semble  poser problème est celui de Podemos. Pablo Iglesias, après avoir insisté sur le fait que sa formation avait gagné 69 sièges, insiste aujourd’hui sur la nécessité absolue pour les élus ayant gagné leurs sièges dans un contexte d’alliances larges avec Podemos, en Catalogne, au Pays Basque, en Galice et à Valence forment leur propre groupe avec leur identité propre  (il en oublie que leur diversité est aussi programmatique, écologique, associative, nationaliste, communiste). Il ajoute, assez curieusement comme s’il voulait se prémunir d’un refus: «… espero que la Mesa (de la Cámara Baja) lo entienda”. Or rien dans la loi ne l’interdit. Un groupe est constitué à partir de 15 députés dans le cas général, de 5 députés si leurs listes ont obtenu au moins 15% des voix dans les circonscriptions où ils ont présenté des candidats ou 5% s’ils ont présenté des candidatures dans tout  le pays. Mais, par ailleurs, il ne cesse d’expliquer que les 69 élus ne parleront que d’une seule voix, ce qui, sur certains sujets, n’est pas du tout acquis. Des partis qui ont fait campagne les uns contre les autres ne peuvent constituer un même groupe, ni des élus s’étant présenté sous la même étiquette (ce qui n’est pas le cas dans les régions précitées).
  1. Voter la confiance ou la défiance à la proposition d’orientation présentée, selon la tradition,  par le leader du parti arrivé en tête (en l’occurrence le PP). Si la majorité absolue approuve cette orientation (176 sur 350), il est nommé chef du gouvernement. S’il n’obtient pas cette majorité, il représente sa candidature 48 heures plus tard, la majorité simple étant seule exigible (Art. 99-3). Si, au bout de deux mois cette majorité n’est pas obtenue, le roi doit dissoudre le parlement et convoquer, par l’entremise du Président élu du parlement, de nouvelles élections (Art. 99-5).

Il faudra attendre et laisser passer le flot des déclarations des uns et des autres.

Partie à deux

Après que les médias espagnols aient rivalisé d’ingéniosité et de matraquage publicitaire pour organiser des débats de campagne électorale entre les quatre leaders des formations les mieux représentées par les sondages, la dernière semaine a vu se jouer un retour spectaculaire vers le bipartisme puis que le seul débat organisé avant-hie l’a été entre Pedro Sánchez, le leader du PSOE et Mariano Rajoy, qui avait refusé tout débat à quatre, yenvoyant ses seconds couteaux , ou personne, selon le cas. Ainsi a pu apparaître en pleine lumière la VP de son gouvernement,  Soraya Sáenz de Santamaría, appelée désormais « la menina », à cause de sa petite taille, bien sûr, mais aussi parce qu’elle serait présentée comme le successeur possible de Mariano Rajoy. On critique le fait d’avoir monté une « Operation Menina« , autrement dit d’avoir orchestré sa propre succession, opération dont les tenants et aboutissants relèvent plus de l’enfumage ou de la spéculation que du débat sur les politiques menées ou à mener.

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La salita, equipo crónica, 1970

Le plus curieux c’est qu’après avoir adoré les débats à quatre (comme au mus) et pas à cinq (comme au poker), c’est-à-dire sans les communistes, cette semaine les médias ont adoré les débats à deux, à l’ancienne. Comme s’ils manifestaient une certaine jalousie face au système à deux tours français et aux grands duels de fin de campagne après lesquels « après avoir choisi, on élimine ». Le républicanisme médiatique à la française avance donc ses pions dans cette monarchie parlementaire où changer de roi n’est ni source d’émotions ni de surprises divertissantes.

Qu’est-ce que la politique en Espagne aujourd’hui?

De retour d’un séjour studieux à Barcelone, j’ai ramené un couffin bien rempli d’impressions, de discours divers et multiples, d’images étranges et de livres. D’abord les impressions: qu’est donc ce monde où les journalistes qui animent les émissions politiques doivent absolument ressembler à des pin-ups ou à des play-boys? Cette tendance « beau-gosse » ou « blonde -ou fausse-blonde- filiforme » envahit tout et, dans ce domaine, l’Espagne a pris de l’avance. On ne distingue plus aujourd’hui quand on allume la télé là-bas, entre le jeu télévisé et l’émission d’informations. Les journalistes ont aussi pris pour habitude (comme les nôtres) d’interrompre sans cesse leur invité politique, de ne pas le laisser répondre, en croyant peut-être que c’est là la méthode du vrai journalisme, la méthode anglo-saxonne. Cette tendance envahit aussi la politique et son personnel (même le personnel dissident). Voyez les leaders des partis alternatifs et même le dirigeant du PSOE, Pedro Sánchez.  « Que seriez-vous prêt à faire pour gagner? »,  « Danser« … Le degré zéro de la politique. Pourtant il y a des enjeux, la crise, la pauvreté, mais non… on danse sur le volcan.

La télé adore. Elle aime aussi les parties à quatre. Puisque c’est elle, aidée par la presse écrite, qui la suit, qui a inventé le quadripartisme. Plus spectaculaire que le bipartisme, puisque on peut ainsi varier les discours et intéresser le spectre le plus large possible. Même s’il y a une chaise vide. Les candidats, jeunes et beaux, se tutoient, renforçant ainsi la connivence entre eux contre le candidat de la droite, absent de leur arène.

En réalité le quadripartisme de la télé et des médias n’est mis en avant que pour mieux écarter les partis ou groupes qui gênent: la gauche unie, et les partis nationalistes ou indépendantistes des grandes régions périphériques. Et il est fondé sur les prévisions électorales, seulement sur celle-ci.

Le paysage électoral est donc à ce point consternant de vulgarité et de superficialité que je me suis demandé si on ne pourrait penser la même chose à propos de la France. Bon, des beaux gosses ou des blondes -ou fausses blondes- filiformes, on n’en n’a pas encore beaucoup dans le personnel politique… Chez les journalistes de télé, on est pas mal. Mais ça s’arrête là. On a la chance d’avoir une guerre à mener contre le réchauffement climatique, ce qui a permis de laisser passer sans commentaires que le chiffre du chômage en France a dépassé les 10% et enregistré +42 000 en octobre.

Deux façons différentes d’installer des formes nouvelles de populisme démocratique: segmentation du discours, gommage des conflits de classe, exaltation des liens affectifs, négation de l’esprit critique et eaux glacées du calcul égoïste. Le philosophe José Luis Villacañas ne dit pas autre chose:  » El liberalismo, al producir hombres económicos cuyo rasgo de vida es el cálculo individual, es una fábrica de seres humanos que anhelan vínculos afectivos… Cuanto más triunfe el liberalismo como régimen social, más probabilidades tiene el populismo de triunfar como régimen político. » (José Luis Villacañas, Populismo, Madrid, La huerta grande, 2015, p. 105).

Gustavo Bueno, philosophe nonagénaire et sulfureux résume parfaitement la chose avec quelques épithètes bien senties:

«¿Sánchez? Sicofante. ¿Iglesias? Demagogo. ¿Rivera? Ajedrecista.»

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