Imposible Sinaí

maxaubyAndreMalraux_en_Sieera_de_TeruelpeliMax Aub et André Malraux dans les rues de Madrid pendant le tournage de Sierra de Teruel (L’espoir).

 

En rangeant mes livres (déménager est toujours un moment pénible  où les souvenirs  des lectures passées remontent à la surface comme bois flotté), j’ai retrouvé, au milieu de tout un bric-à-brac littéraire, un petit livre de Max Aub que j’avais acheté il y a une vingtaine d’année en furetant dans les rayons de la Libraire espagnole de la rue de Seine. Il s’agit de Imposible Sinaí . En vérité je cherchais une version espagnole des Crimes exemplaires de cet auteur. Depuis je l’ai trouvée à Madrid, rassurez-vous.

D’abord l’anecdote. Quelques semaines plus tôt, en me rendant à Madrid, je fis une halte  à Burgos pour déguster  morcilla et leche frita et me donner du temps pour déjeuner le lendemain, à Lerma, d’un fabuleux corderito lechal (toujours en bonne compagnie).  Passant devant un libraire du centre de la ville, j’avisai une librairie disposant à première vue d’un fonds intéressant. J’entre. Je demande s’ils ont en rayon des ouvrages de Max Aub. Réponse du libraire: « Aquí no vendemos literatura extranjera. » Max Aub, l’une des plus brillantes écritures espagnoles du siècle était donc inconnu de ce libraire. A méditer.

Imposible Sinaí a été publié par Seix Barral en 1982, dix ans après la mort de son auteur. Dans la courte note qui ouvre le livre, Max Aub nous dit:

« Estos escritos fueron encontrados en bolsillos y mochilas de muertos árabes y judíos de la llamada « guerra de los seis días » en 1967. Las traducciones deben mucho a mis alumnos. Se lo agradezco. No tomo parte; sólo escojo para su publicación los que me parecieron más característicos. »

De ces textes courts je retiens quatre lignes, signées par  Salomon Chavsky, soldat israelien mort au cours du cinquième jour à Bir GifGafa, en plein Sinaï:

« Pobres árabes, árabes pobres… ¿Cuál es el adjetivo, cuál es el sustantivo? »

 

 

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Michael Kohlhaas, Un Quichotte sans Sancho

PHOedcc2c62-c47c-11e2-82bd-ed616738bb79-805x453Voici quelques jours j’ai vu le film d’Arnaud des Paillères, Michael Kohlhaas, adaptation du roman éponyme d’Heinrich Von Kleist publié au début du XIXe siècle.

L’histoire de ce marchand de chevaux, homme de la classe moyenne paisible qui va jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la violence pour faire respecter son droit est à la fois exceptionnelle et glaçante. Le contexte est celui de la réforme et de l’établissement de frontières douanières entre la Saxe et la Prusse et la subsistance de certaines formes de violence féodale dans la structure de ces Etats germaniques, tout ceci au milieu d’une tourmente religieuse  née un siècle plus tôt, le développement de la Réforme luthérienne.

Arnaud des Paillères déplace l’intrigue dans d’autres paysages, dans un autre contexte historique, il la déplace vers la France de ce même XVIe siècle finissant et vers le sud, entre Béarn et Navarre. Le Prince Electeur de Saxe devient une Marguerite de Navarre machiavélique, aussi forte qu’un lion et aussi rusée qu’un renard. Et les paysages sont ceux d’une Lozère austère et froide, ce qu’elle est en vérité pendant la saison hivernale, ceux qui aiment ces paysages-là le savent bien. Les changements sont nombreux. La fille de Michael Kohlhaas est un personnage ajouté, le chemineau catalan interprété par Sergi Lopez aussi et Denis Lavant est une synthèse de la pensée protestante sur le pouvoir qui engage à la soumission et à la pénitence.

http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2013/08/13/arnaud-des-pallieres-a-50-ans-ce-qui-m-interesse-c-est-toujours-la-question-de-la-revolte_3460684_3246.html

L’homme Michael Kohlhass qui en résulte (sous les traits de Mads Mikkelsen) me plaît. Il n’est pas sans me rappeler l’espagnol de l’Abbaye aux Hommes de Caen dont je parlais il y a quelques jours qui écrivait sur l’un des murs de cette abbaye, à la même époque ou peu s’en faut,  « Antes muerto que mudado ».

Dans l’entretient que j’ai mis en référence ci-dessus Arnaud des Paillères évoque un fait avéré qu’il a tenté de restitué dans son film : « …il y avait à l’époque, notamment dans le sud de la France, des tas de petits parlers, de dialectes… Les gens se comprenaient d’une langue à l’autre, surtout les marchands. »

Ainsi il propose un échange bref entre Michael Kohlhaas et le pasteur qui protège sa fille en hochdeutsch, passage incongru mais fascinant et il donne à Sergi Lopez l’occasion de nous proposer, sous la silhouette d’un Sancho Panza venu d’une autre culture, un long monologue cervantin en langue catalane. Voici ce qu’il en dit dans le même entretien :

« Alors que j’étais en phase d’écriture, je me suis pris de passion pour le plus beau film d’époque que j’aie vu depuis des années : Honor de Cavalleria, d’Albert Serra. Je tombe par terre en le voyant, je rêve un jour de pouvoir faire une chose comme celle-là, tellement pure, tellement splendide, tellement délicate ! Le personnage joué par Sergi Lopez est une sorte d’hommage au film. Il ne vient pas de Kleist, c’est une invention pure. Ensuite, un peu pour remercier Sergi d’avoir accepté ce petit rôle, je lui ai proposé de dire son texte en catalan. »

En France, ce manque de linéarité des langages a toujours importuné, ceci apparaît toujours dans les critiques faites au film (par exemple on peut lire dans Le Figaro du 24 mai 2013 cette petite, toute petite remarque:

« Dépayser Kleist, pourquoi pas? Mais les acteurs – le Danois Mads Mikkelsen et l’Allemand Bruno Ganz – dialoguent en français, chacun avec son accent. »

Perfide remarque… pourtant la diversité des langues  est un élément moteur et nécessaire des fictions  qui  se situent dans une France diverse, celle des temps monarchiques.

En voyant la figure de Michael Kohlhaas telle que la propose le film, homme blessé à mort par l’injustice, on ne peut s’empêcher de penser à  Don Quichotte et la référence d’Arnaud des Paillères au film d’Albert Serra Honor de cavalleria est explicite. Michael Kohlhaas serait un Don Quichotte qui n’aurait pas rencontré son Sancho alors que leurs chemins s’étaient croisés.

Pour terminer cette note, je pense que ce film est tout d’abord un hommage à René Allio mais aussi à John Ford et à Clint Eastwood. La façon de filmer la violence, la rendre étouffante, indécise, muette, de prendre un parti pris austère dans les dialogues –on parle peu, sans aucun excès de ton, sans effets-, l’ombre et la lumière se mêlant en contrastant chaque scène. Bref du bon cinéma, humaniste et sans concessions.  

Note de fin: Le roman d’Heinrich Von Kliest a été réédité cet été dans la collection des Mille et unes nuits (n° 622) accompagné d’un commentaire d’Arnaud des Paillères sur son adaptation au cinéma , de fiches sur les personnages et d’un entretien avec Mads Mikelsen. Tout ça pour un prix modique…

Les Français ont parmi eux toujours des nations étranges…

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La citation tirée de l’Epitre  XLII de Clément Marot a de quoi surprendre mais pour qui connaît l’histoire du commerce et de la navigation comme l’histoire religieuse, il y a toujours eu des étrangers installés en nombre sur le sol français. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hispa_0007-4640_1914_num_16_3_1874

De façon remarquable depuis le Moyen-âge et surtout depuis Philippe le Bel qui leur accorda des privilèges de résidence.

Profitant des journées du Patrimoine (et d’un temps assez maussade), j’ai visité aujourd’hui, en bonne compagnie, l’Abbaye aux Hommes de la ville de Caen. Cette abbaye bénédictine fut fondée par Guillaume le Conquérant. Il fit bâtir deux abbayes en les installant à la périphérie de son château mais dans des directions diamétralement opposées : l’Abbaye aux Dames à l’Est et l’Abbaye aux Hommes à l’Ouest. Maintes fois remaniée et partiellement détruite (au XVIIIe siècle en particulier), elle était devenue lycée à l’époque napoléonienne, lycée devenu le Lycée Malherbe au cours du XIXe siècle. Le Lycée ayant émigré vers des locaux neufs en 1961, l’Abbaye est devenue l’Hôtel de Ville de Caen depuis 1965. Seule l’église St Etienne reste vouée au culte catholique.

Revenons à Clément Marot. Dans ce qui est appelé la Salle des Gardes de cet ensemble, j’ai pu voir une pierre portant une inscription intrigante (photo ci-dessus).

Si l’on en croit le texte de commentaire qui présent l’objet, il s’agit d’une « dalle de pierre de Caen taillée et gravée, provenant du mur du parc de l’Abbaye aux Hommes ». Elle porte une inscription gravée en espagnol et une date difficilement lisible: 1531 ou 1581. L’inscription est la suivante : « Antes muerto que mudado », autrement dit « Plutôt mourir que changer ». Je ne reviendrai pas sur les influences artistiques ou culturelles au sens large de l’Espagne dans ces régions  qui se trouvaient tout au long des lignes de navigation commerciale entre l’Espagne et la Flandre (le cas d’Harfleur en témoigne). On sait également qu’il y eut de nombreux clercs espagnols à l’Abbaye aux Hommes.

C’est la formule qui me plaît. Voici un espagnol, clerc ou artiste qui, dans un moment de « fougue hispanique », épanche sa colère en usant de son don pour la taille de pierre. Bravache, orgueilleuse, la formule détonne dans un ensemble qui devait encore appliquer les 73 règles de Saint Benoit dont la règle 6, Garder le silence :

1 Faisons ce que dit le Prophète : « J’ai mis un frein à ma bouche. J’ai gardé le silence. Je me suis fait petit et je n’ai même pas parlé de choses bonnes  » (Psaume 38, 2-3).

Notre espagnol a respecté la règle et, en silence, a revendiqué par écrit le droit de rester « debout dans ses bottes ». Cet homme me plaît. Il reste à déchiffrer les arabesques… qui présentent ces deux lettres de l’alphabet grec superposées : ϒ (upsilon), indiquant symboliquement les deux chemins de vie qui divergent, celui du vice et celui de la vertu, et λ (lambda), indiquant la non-personne, l’indifférenciation ou l’anonymat. Mais les deux superposées… je ne sais pas, peut-être une signature cryptée. Ou une étoile à six branches… gravée par un juif espagnol qui résiste à la conversion.

Nouvelles de l’Empire III

cartellFinalement le 18 septembre les Ecossais ont voté pour le maintien de leur nation dans le Royaume-Uni. L’Europe respire. Naturellement, on peut penser que le résultat est du au bon sens des électeurs, on peut aussi penser que les peuples ont toujours peur du saut dans l’inconnu. On peut cependant tirer quelques enseignements de ce scrutin et de cette campagne.

Le premier, c’est que les questions sociales ou, plus généralement de welfare, ont été au centre des débats. La politique de réduction brutale des dépenses sociales, qui touche à peu près tous les pays d’Europe à un degré plus ou moins prononcé, a produit son effet dans la montée du vote pour l’indépendance.

Le deuxième, c’est que les modalités de scrutin choisi donneront de quoi réfléchir aux autres nations. Le droit de vote à 16 ans répond à une logique encourageant la participation des jeunes à la vie de la cité. Ce même  droit de vote donné à toute personne résidant en Ecosse et refusé à tout Ecossais résidant à l’étranger est une remarquable primauté donnée au droit du sol, que l’on y voit ou non une manœuvre du SPN pour empêcher que les écossais résidant hors d’Ecosse ne votent pour le maintien dans le RU. N’oublions pas ce même droit avait été refusé aux russes résidant dans les pays baltes au moment de leur indépendance, sur un critère exclusivement lié à l’origine.

Le troisième, c’est que pour contrebalancer le dynamisme du oui à l » »’indépendance, le gouvernement britannique a proposé plus d’autonomie non seulement à l’Ecosse mais aussi aux autres composantes du Royaume-Uni, c’est-à dire une forme de fédéralisme largement, très largement décentralisé. Cette autonomie toucherait une compétence névralgique (la couverture sociale) mais aussi des compétences en matière de recettes fiscales et de gestion budgétaire.  

Ces deux derniers points sont essentiels car les politiques régionales des pays ayant engagé depuis une trentaine d’années (la France en particulier) un processus de décentralisation, ont toujours conservé la maîtrise des compétences fiscales et budgétaires, compétences que l‘on considère généralement comme régaliennes. D’autres pays ont pratiqué une politique de compétence partagée variable. C’est le cas de l’Espagne où la fixation de l’assiette de l’impôt reste une compétence de l’Etat, mais sa collecte est une compétence partagée à des taux différents négociés avec chacune des Communautés Autonomes. C’est  la notion de « cupo » -quote-part. Par exemple, le pays Basque verse une fraction des impôts qu’il collecte à l’Etat, non pas en proportion de ses recettes, mais en fonction des besoins du budget dont l’Etat a besoin pour assurer ses compétences régaliennes (fonctionnement, défense, Maison Royale, etc.). Il est négocié tous les cinq ans, non sans mal quelquefois. Or il y a trois ans, la demande du gouvernement catalan consistait à obtenir une égalité de traitement  de la Catalogne en matière fiscale avec la Navarre et Euskadi, seules régions à bénéficier du système du « cupo ». Le refus du gouvernement de Mariano Rajoy a été l’un des ferments de la politique catalane de surenchère qui a poussé à la convocation d’un référendum, toujours considéré comme illégal par le pouvoir qui s’appuie, à juste raison, sur la Constitution de 1978.

Mariano Rajoy semble avoir compris que ne pas tenir droit dans ses bottes en matière fiscale, c’est-à-dire de faire quelques concessions pourrait lui permettre de sortir de l’impasse politique dans laquelle un vote favorable à l’indépendance pourrait le mettre.  C’est le sens de quelques annonces faites ces derniers même si elles sont toujours assorties d’une condition : renoncer au référendum.

http://www.eleconomista.es/economia/noticias/6083880/09/14/Rajoy-elevara-la-capacidad-fiscal-de-Cataluna-si-Mas-retira-el-referendum.html#.Kku8eApvoVyc3JX

Que faudrait-il à l’Espagne pour que le traitement de ces difficultés se fasse dans la plus grande sérénité possible ? Approfondir une pratique: celle du  fair-play

 

Nouvelles de l’Empire II

diadaLe 11 septembre se sont tenues à travers toute la Catalogne des manifestations commémorant  le 33ème anniversaire de la prise de Barcelone par les troupes de Philippe V, roi d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, après plus d’un an de siège. Les troupes étaient commandées par un Maréchal de France de souche anglaise, le Duc de Berwick. La bataille fut sanglante, mais sa conséquence fut surtout politique et juridique, puisqu’en janvier 1716 le roi d’Espagne promulguait un Décret consacrant l’extension du droit commun du Royaume (c’est-à-dire le droit castillan) de la Principauté catalane, la disparition de la plupart des fors et des privilèges, l’obligation de l’usage du castillan dans le traitement des affaires de gouvernement ou de justice.  

Cette date est devenue ainsi la date symbole de la perte de l’autonomie de la Catalogne, et une fête nationale, célébrée officiellement depuis 1980. Le 330e anniversaire relevait de l’exceptionnalité, non seulement à cause de la date (trois siècles ont passé) mais aussi de la perspective annoncée d’un référendum pour ou contre l’indépendance de la Catalogne, proposé par la Généralité (le gouvernement de la Catalogne) pour le 9 novembre prochain. En quelque sorte, le Président de la Généralité catalane souhaitait faire de cet anniversaire le jour de lancement de la campagne pour le oui à l’indépendance, ce qui était clairement annoncé par la forme même de la manifestation à Barcelone : deux défilés convergeant vers la Place des Gloires, formant ainsi un V, le V de victoire.

Mais, nous le disions dans notre dernier billet, les circonstances se sont enrichies d’un élément nouveau, le vote qui se tiendra en Ecosse le 18 septembre prochain pour ou contre l’indépendance de cette partie du Royaume-Uni. Un succès du Oui en Ecosse servirait d’encouragement aux indépendantistes catalans, on comprend donc toute l’importance des semaines à venir.

Une différence doit cependant être notée, au-delà de tous les points de comparaison possible entre ces deux régions de l’Europe de l’ouest. En effet, des différences, il y en a : la Catalogne dispose d’une langue propre, puissant élément d’identification, l’Ecosse n’en n’a pas, l’une a un niveau de richesse comparable à la moyenne de l’Etat auquel elle appartient –l’Ecosse-, l’autre est l’une des plus riches d’Espagne. Mais la différence est plus juridico-politique : le référendum pour le YES est légal, il résulte d’un accord, le référendum du 9 novembre en Catalogne ne l’est pas, sa validité a été rejetée, même à titre consultatif, par le gouvernement espagnol. Ce qui faisait regretter à Artur Mas, président de la Généralité de Catalogne, cette intransigeance :

« Nosotros envidiamos un poco lo que está ocurriendo en Reino Unido, lo que queremos es un acuerdo con las instituciones españolas ».

Comme pour l’Ecosse, même un vote favorable à l’indépendance ne scellera pas la séparation de l’ensemble espagnol. Loin de là. La prochaine étape prévue par le gouvernement catalan sera la dissolution du Parlement régional, appelant ainsi à envoyer à la Generalitat une majorité massive de députés indépendantistes pour renforcer et légitimer un peu plus ce projet. La différence de fait et de droit, c’est que l’Espagne est dotée d’une Constitution formelle, mais pas le Royaume-Uni. Les liens de l’Ecosse avec l’Angleterre sont signifiés par un Traité datant de 1707 dont on peut consulter le texte :

http://mjp.univ-perp.fr/constit/uk1707.htm

A première vue, le contenu peut rappeler le décret de Philippe V, mais il fait retenir qu’il s’agit d’un Traité et non pas d’un Décret, qu’il a été approuvé tour à tour par le Parlement écossais et par le parlement anglais après près d’un an de négociations. Il y a donc en effet une différence entre Cameron et Rajoy : l’un se situe dans le veine négociatrice anglaise, l’autre dans l’esprit centraliste bourbonien. Honni soit qui mal y pense ou Nec pluribus impar

Nouvelles de l’Empire I

24332787e078153a76ed3bf73e870d8b2c6f9a09Depuis que la tendance des sondages s’est inversée en Ecosse, la campagne du référendum pour ou contre l’indépendance a repris une vigueur inédite. L’acceptation d’un référendum local par David Cameron reposait sur la confiance indéfectible dans la victoire du non. En octobre 2012, l’Accord d’Edimbourg scellait donc ce droit à l’auto-détermination pour cette partie du Royaume-Uni.

Ce choix respecte la critère international du droit à l’autodétermination des peuples, inscrit dans la Charte des Nations-Unies, mais il s’agit d’un vote de séparation unilatéral, sans consentement mutuel. En ce sens, ce référendum constitue seulement une étape parmi d’autres d’un processus assez long qui devrait conduire à la définition des nouveaux rapports entre les deux Etats sur les questions relevant des compétences régaliennes (défense, monnaie) et sur d’éventuels accords économiques sur les ressources pétrolières et l’extinction progressive des financements croisés des compétences acquises depuis 1997 par l’accord dit de Devolution, entériné en 1998 par le Scotland Act de 1998.

http://www.scotland.gov.uk/About/Government/concordats/Referendum-on-independence

 

La séparation d’une région d’un ensemble étatique n’est pas chose nouvelle en Europe. Les frontières des Etats n’ont cessé de bouger, soit par les actions d’annexion forcée (les Sudètes et l’Autriche en 1938), soit de réunion volontaire d’Etats (Italie en 1860) ou de séparation par consentement mutuel (Norvège et Suède en 1905), soit à la suite de traités (Versailles, Yalta).

Très récemment, se sont produites la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie, séparation pacifique, la dissolution de l’URSS en décembre 1991, l’explosion (violente cette fois) de la Yougoslavie, sous la pression des deux Etats les plus riches (Slovénie et Croatie) et avec l’appui des pays de l’UE. Rappelons que L’Allemagne a été le premier pays européen, après le Vatican, à reconnaître la Croatie et la Slovénie le 23 décembre 1991. Ce dernier élément n’est certainement pas étranger au déclenchement de la guerre civile. On pourra lire à ce propos l’article de Patrick Michels publié en 1996 par dans la Revue Comparative Est-Ouest.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1996_num_27_3_2800[1]

Il s’agit donc d’un processus constant qui crée, modifie ou annule des frontières et qui a été mené à bien à l’Est de l’Europe au moment de l’écroulement du bloc soviéto-socialiste mais qui est encore difficilement admis à l’Ouest (guerre d’Ulster, crise belge du début des années soixante, création de ETA en 1957).

A l’approche du référendum écossais, les esprits se raidissent. J’en veux pour preuve la chronique d’Arnaud Leparmentier publiée par Le Monde aujourd’hui 11 septembre, jour de la fête nationale catalane, qui célèbre la prise de Barcelone par les troupes du roi Bourbon Philippe  V en 1714 –il y a trois siècle exactement…  

Il a choisi de voter non à l’indépendance de l’Ecosse.  Tout d’abord il suppose que par rejet « héréditaire » de tout ce qui est anglo-saxons, les Français verraient avec sympathie la formation d’une Ecosse indépendante. Ensuite, il décrète que cette sympathie est à rapprocher de la « mobilisation des élites françaises » en faveur du non au référendum sur la Constitution européenne de 1995. Deux arguments spécieux puisque rien ne prouve le premier et que le second est une manifeste contre-vérité puisque les élites ont plutôt soutenu le oui au référendum de 1995. L’affligé Serge July écrivait le 1er juin 2005, après le succès du non :

« Référendum sur les élites. Les élites gouvernementales, les élites bruxelloises, les médias sans exception, et tous ceux qui plaidaient pour un système de décision autorisant l’émergence d’une Europe politique : ce sont tous des partisans de la France d’en haut, que la France d’en bas entend évidemment corriger, sinon raccourcir. La France d’en haut et la France d’en bas, c’est le duo bien connu de toutes les périodes populistes. »

Ajoutons que les résultats par catégories de revenu montrent très clairement le contraire de ce qu’affirme Leparmentier.

http://lmsi.net/Un-cri-de-douleur-de-Serge-July

Une fois posées ces contre-vérités, il développe la métaphore classique du tremblement de terre et de ses répliques, en nommant deux Etats susceptibles aussi de se diviser à l’ouest, la Belgique et l’Espagne. La question référendaire catalane (la date du 9 novembre est fixée pour ce vote), est à deux temps, nous en avons déjà parlé, pour que le résultat soit garanti et utilisable même en cas de refus de l’indépendance par les électeurs catalans. En fin de compte, Arnaud Leparmentier fait reposer la faute de cet émiettement continu de l’Europe à l’écroulement du mur de Berlin en 1989 et à « la paix et au règne du droit ». Oui, il est vrai qu’il y a avantage dans ce bizarre assemblage qu’est l’Union européenne d’être petit. On peut s’imaginer en paradis fiscal, en paradis social, et concurrencer les plus gros (les politiques actuelles de l’Irlande, du Portugal et la vieille politique du Luxembourg en témoignent). Et la recherche d’une cohésion identitaire au plus proche de soi est devenu d’autant plus forte qu’entre le dessaisissement des compétences des Etats vers le haut –vers la Commission et la BCE- prévu dans les traités (monnaie, politiques budgétaires) et vers le bas par les politiques engagées de régionalisation, dévolution, ou d’autonomie régionale (compétences sociales, de santé et scolaires) ont vidé les Etats constitutifs de l’Europe d’une bonne partie de leur raison d’être.

Oui, on s’accordera avec Arnaud Leparmentier pour dire que « l’Union européenne à vingt-huit est devenu un monstre ingouvernable, comparable à l’Empire austro-hongrois ou au Saint Empire germanique ». Une petite rectification cependant, ce dernier était « romain-germanique », le Saint-Empire romain de la nation germanique, Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation, pas seulement « germanique ».

Comparaison n’est pas raison… ce dernier empire a duré près de sept siècles, le premier quelques dizaines d’années seulement.

Je comprends l’énervement de ceux qui avaient une vision positive et volontariste de l’évolution de l’Europe. Mais la crise de 2008 est passée par là, la réunification de l’Allemagne (autre mouvement de frontières à ne pas ignorer) et la grandiose panne sociale que nous vivons. L’Europe c’est une régression vécue par chacun, et surtout une promesse non-tenue. En 2005, à Marseille,  François Hollande, premier secrétaire du PS,  disait au cours de la campagne pour le OUI à la Constitution européenne:

« Je suis venu pour appeler à voter “ Oui ” au Traité constitutionnel parce que c’est un progrès, parce que c’est une avancée, une protection. Je ne le fais pas par sens du réalisme, mais par volontarisme. Il ne s’agit pas d’un choix dicté par l’habitude (nous dirions “ Oui ” parce que nous avons toujours dit “ Oui ” depuis la construction européenne) ; d’autres ont pu -par le passé- se laisser aller à ce rite surtout lorsqu’ils étaient au gouvernement ; pas moi, pas nous.

Si nous disons “ Oui ” aujourd’hui, c’est parce ce qu’il n’y a que des avancées, pas le moindre recul et nul n’est capable de m’en citer un. Pas le plus petit risque de perdre notre modèle social, pas la plus virtuelle menace de régression. Et si j’avais vu le moindre recul, le plus petit risque, la moindre menace, aujourd’hui, comme Premier secrétaire, je n’appellerais pas à voter “ Oui ”. »

http://discours.parti-socialiste.fr/2005/03/31/discours-de-francois-hollande-marseille-31-mars-2005/

 

 Il n’a rien vu venir ?


[1]Michels Patrick. La France face aux déclarations d’indépendance Slovène et croate. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 27, 1996, N°3. pp. 75-101.