Depuis que la tendance des sondages s’est inversée en Ecosse, la campagne du référendum pour ou contre l’indépendance a repris une vigueur inédite. L’acceptation d’un référendum local par David Cameron reposait sur la confiance indéfectible dans la victoire du non. En octobre 2012, l’Accord d’Edimbourg scellait donc ce droit à l’auto-détermination pour cette partie du Royaume-Uni.
Ce choix respecte la critère international du droit à l’autodétermination des peuples, inscrit dans la Charte des Nations-Unies, mais il s’agit d’un vote de séparation unilatéral, sans consentement mutuel. En ce sens, ce référendum constitue seulement une étape parmi d’autres d’un processus assez long qui devrait conduire à la définition des nouveaux rapports entre les deux Etats sur les questions relevant des compétences régaliennes (défense, monnaie) et sur d’éventuels accords économiques sur les ressources pétrolières et l’extinction progressive des financements croisés des compétences acquises depuis 1997 par l’accord dit de Devolution, entériné en 1998 par le Scotland Act de 1998.
http://www.scotland.gov.uk/About/Government/concordats/Referendum-on-independence
La séparation d’une région d’un ensemble étatique n’est pas chose nouvelle en Europe. Les frontières des Etats n’ont cessé de bouger, soit par les actions d’annexion forcée (les Sudètes et l’Autriche en 1938), soit de réunion volontaire d’Etats (Italie en 1860) ou de séparation par consentement mutuel (Norvège et Suède en 1905), soit à la suite de traités (Versailles, Yalta).
Très récemment, se sont produites la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie, séparation pacifique, la dissolution de l’URSS en décembre 1991, l’explosion (violente cette fois) de la Yougoslavie, sous la pression des deux Etats les plus riches (Slovénie et Croatie) et avec l’appui des pays de l’UE. Rappelons que L’Allemagne a été le premier pays européen, après le Vatican, à reconnaître la Croatie et la Slovénie le 23 décembre 1991. Ce dernier élément n’est certainement pas étranger au déclenchement de la guerre civile. On pourra lire à ce propos l’article de Patrick Michels publié en 1996 par dans la Revue Comparative Est-Ouest.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1996_num_27_3_2800[1]
Il s’agit donc d’un processus constant qui crée, modifie ou annule des frontières et qui a été mené à bien à l’Est de l’Europe au moment de l’écroulement du bloc soviéto-socialiste mais qui est encore difficilement admis à l’Ouest (guerre d’Ulster, crise belge du début des années soixante, création de ETA en 1957).
A l’approche du référendum écossais, les esprits se raidissent. J’en veux pour preuve la chronique d’Arnaud Leparmentier publiée par Le Monde aujourd’hui 11 septembre, jour de la fête nationale catalane, qui célèbre la prise de Barcelone par les troupes du roi Bourbon Philippe V en 1714 –il y a trois siècle exactement…
Il a choisi de voter non à l’indépendance de l’Ecosse. Tout d’abord il suppose que par rejet « héréditaire » de tout ce qui est anglo-saxons, les Français verraient avec sympathie la formation d’une Ecosse indépendante. Ensuite, il décrète que cette sympathie est à rapprocher de la « mobilisation des élites françaises » en faveur du non au référendum sur la Constitution européenne de 1995. Deux arguments spécieux puisque rien ne prouve le premier et que le second est une manifeste contre-vérité puisque les élites ont plutôt soutenu le oui au référendum de 1995. L’affligé Serge July écrivait le 1er juin 2005, après le succès du non :
« Référendum sur les élites. Les élites gouvernementales, les élites bruxelloises, les médias sans exception, et tous ceux qui plaidaient pour un système de décision autorisant l’émergence d’une Europe politique : ce sont tous des partisans de la France d’en haut, que la France d’en bas entend évidemment corriger, sinon raccourcir. La France d’en haut et la France d’en bas, c’est le duo bien connu de toutes les périodes populistes. »
Ajoutons que les résultats par catégories de revenu montrent très clairement le contraire de ce qu’affirme Leparmentier.
http://lmsi.net/Un-cri-de-douleur-de-Serge-July
Une fois posées ces contre-vérités, il développe la métaphore classique du tremblement de terre et de ses répliques, en nommant deux Etats susceptibles aussi de se diviser à l’ouest, la Belgique et l’Espagne. La question référendaire catalane (la date du 9 novembre est fixée pour ce vote), est à deux temps, nous en avons déjà parlé, pour que le résultat soit garanti et utilisable même en cas de refus de l’indépendance par les électeurs catalans. En fin de compte, Arnaud Leparmentier fait reposer la faute de cet émiettement continu de l’Europe à l’écroulement du mur de Berlin en 1989 et à « la paix et au règne du droit ». Oui, il est vrai qu’il y a avantage dans ce bizarre assemblage qu’est l’Union européenne d’être petit. On peut s’imaginer en paradis fiscal, en paradis social, et concurrencer les plus gros (les politiques actuelles de l’Irlande, du Portugal et la vieille politique du Luxembourg en témoignent). Et la recherche d’une cohésion identitaire au plus proche de soi est devenu d’autant plus forte qu’entre le dessaisissement des compétences des Etats vers le haut –vers la Commission et la BCE- prévu dans les traités (monnaie, politiques budgétaires) et vers le bas par les politiques engagées de régionalisation, dévolution, ou d’autonomie régionale (compétences sociales, de santé et scolaires) ont vidé les Etats constitutifs de l’Europe d’une bonne partie de leur raison d’être.
Oui, on s’accordera avec Arnaud Leparmentier pour dire que « l’Union européenne à vingt-huit est devenu un monstre ingouvernable, comparable à l’Empire austro-hongrois ou au Saint Empire germanique ». Une petite rectification cependant, ce dernier était « romain-germanique », le Saint-Empire romain de la nation germanique, Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation, pas seulement « germanique ».
Comparaison n’est pas raison… ce dernier empire a duré près de sept siècles, le premier quelques dizaines d’années seulement.
Je comprends l’énervement de ceux qui avaient une vision positive et volontariste de l’évolution de l’Europe. Mais la crise de 2008 est passée par là, la réunification de l’Allemagne (autre mouvement de frontières à ne pas ignorer) et la grandiose panne sociale que nous vivons. L’Europe c’est une régression vécue par chacun, et surtout une promesse non-tenue. En 2005, à Marseille, François Hollande, premier secrétaire du PS, disait au cours de la campagne pour le OUI à la Constitution européenne:
« Je suis venu pour appeler à voter “ Oui ” au Traité constitutionnel parce que c’est un progrès, parce que c’est une avancée, une protection. Je ne le fais pas par sens du réalisme, mais par volontarisme. Il ne s’agit pas d’un choix dicté par l’habitude (nous dirions “ Oui ” parce que nous avons toujours dit “ Oui ” depuis la construction européenne) ; d’autres ont pu -par le passé- se laisser aller à ce rite surtout lorsqu’ils étaient au gouvernement ; pas moi, pas nous.
Si nous disons “ Oui ” aujourd’hui, c’est parce ce qu’il n’y a que des avancées, pas le moindre recul et nul n’est capable de m’en citer un. Pas le plus petit risque de perdre notre modèle social, pas la plus virtuelle menace de régression. Et si j’avais vu le moindre recul, le plus petit risque, la moindre menace, aujourd’hui, comme Premier secrétaire, je n’appellerais pas à voter “ Oui ”. »
http://discours.parti-socialiste.fr/2005/03/31/discours-de-francois-hollande-marseille-31-mars-2005/
Il n’a rien vu venir ?
[1]Michels Patrick. La France face aux déclarations d’indépendance Slovène et croate. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 27, 1996, N°3. pp. 75-101.