Vignes et vins

Dans un  article du Monde Style publié le 20 juin, est rapportée la nouvelle de l’inscription à l’inventaire des monuments historiques d’une vigne située en plein cœur de la zone de production gersoise.  C’est un fait assez exceptionnel qui mérite qu’on s’y arrête.

150 ans d’âge, une structure d’exploitation en carré… voilà qui est exceptionnel!

Mais notre attention a tout d’abord été sollicitée parce que l’auteur de l’article hésite dans l’emploi de formes différentes pour nommer cet ensemble. Il titre : « Des vignes centenaires classées monument historique ». Puis, dans son article il évoque une « parcelle de 0,4 hectare, plantée de souches non greffées, […] 600 pieds répartis sur 12 rangs ». Qu’est qui est plus que centenaire, la parcelle, la vigne ou les souches ?

Mon passé d’ancien vendangeur a refait surface. Dans mon Languedoc natal, cette confusion entre vigne-souche, vigne-parcelle et vigne-activité était vécue quotidiennement. Comme était absent du langage du vigneron celui du pluriel « vignes ». Il allait « à la vigne », même si les vignes qu’il « portait » étaient divisées en plusieurs parcelles. Les souches n’existaient que comme unité de comptage, on les appelait « pieds » et leur nombre indiquait l’extension ou l’exigüité du domaine, jamais exprimées en hectares. Surtout on ne parlait jamais de « vignoble », trait de modestie locale. Alors qu’en Espagne le terme « viñedo » a toujours été d’un emploi très courant.

Ensuite, mon attention a été interpelée par un détail commenté par Monsieur Olivier Bourdet-Pees, directeur de l’association des producteurs de vin du Gers, Plaimont-Producteurs. Il signale que sur les vingt variétés recensées sur cette parcelle 7 sont inconnues au bataillon des cépages, phénomène qu’il qualifie joliment de « multitude passionnante ». Comment se fait-il qu’une telle mémoire ait été perdue ? On peut l’expliquer. L’épidémie provoquée par le phylloxera vastatrix a fait disparaître de nombreux encépagements traditionnels soit parce victimes de la maladie, soit parce qu’interdits, éradiqués au sens premier du terme pour empêcher cet insecte malfaisant de se refaire la cerise. Seul le piémont pyrénéen a été épargné par cette méchante bête.

C’est donc dans cet ouest protégé qu’on continué à survivre la folle blanche, la folle noire (folle= feuille) le camaralet de Lasseube, le tannat et le malbec (qui on prospéré outremer, en Argentine en particulier, grâce à de nombreux vignerons du sud-ouest français installés dans cette région du monde); Y  survivaient aussi jusque dans les Cévennes et les Charentes les cépages interdits, Clinton, Noah, Jacquez, Herbemont, Othello, Isabelle

Sept de perdus, d’accord… Mais on sait qu’il y en a 5 à 6000 à travers le monde, portant des appellations souvent différentes (on avance le chiffre de 400 000 appellations!).

Un terrain idéal de recherche pour un terminologue ou un lexicographe!

Mais rien de tel que de lire toutes affaires cessantes :

Roger DION, Histoire de la vigne et du vin en France : des origines au XIXe siècle, Paris, Clavreuil, 1959, 770 p. (réédition, Paris, Flammarion, 1991 – réédition, Paris, CNRS, 2010).

Marcel LACHIVER. Vins, vignes et vignerons, histoire du vignoble français (Paris : Fayard, 1988 ; in-8°, 717 pages).

Enfin,  pour ceux qui aiment les vins espagnols sans trop les connaître, l’indispensable en matière de savoir sur la plus fameuse des appellations espagnoles, les vins de la Rioja, le livre de Joël BREMOND,

« Vignobles et vins de Rioja – Rencontre entre l’ancien monde et le nouveau monde ? », Dijon, PU de Dijon, 2011, 237 pp.

 

Un petit entremets avant de revenir bientôt aux dictateurs et aux dictatures.

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Dictatures et dictateurs 1: Jacques Bainville

Le 2 juin 1961, Esteban de Bilbao Eguía, Président des Cortes, à l’occasion du renouvellement du parlement,  prononce le serment des procuradores, serment dont le texte est invariablement le même depuis 1942:

En nombre de Dios y sobre los Santos Evangelios ¿Juráis desempeñar el cargo de Procurador con la más exacta fidelidad al Jefe del Estado y Generalísimo de nuestros Gloriosos Ejércitos, a los principios que informan el Movimiento Nacional, a las Leyes Fundamentales del Estado, y  en servicio siempre de los destinos sagrados de la Patria?

Il s’adresse ensuite  à ces parlementaires serviles, nommés pour la plupart,  et leur tient un discours exemplaire dans un style qui laisse croire à une permanence du discours initial. La première des affirmations est celle de la traversée du temps. Le régime a fait ses preuves puisqu’il a su braver les tempêtes et s’installer dans la durée. Il n’est pas question d’années, mais de lustres, pas de législatures, mais d’étapes. Ce temps passé se caractérise par son irréversibilité, par sa qualité première, la linéarité,  <movimiento rectilíneo> et par sa majesté <cauces amplios >.  La seconde, venue aussi apporter sa confirmation de l’authenticité de la démocratie organique, fait appel aux concepts de l’ancien régime <órganos naturales y estamentos > pour installer un perspective de temps plus ample, celle d’une Espagne éternelle confrontée à son destin, d’autant plus vertigineusement seule qu’elle ne pèse plus d’aucun poids dans le monde.

Ce serment de fidélité, non pas à la Nation mais à la Patrie, à travers la personne même du chef de l’Etat, dont les fonctions sacrées de princeps et d’imperator sont mises en avant, a toujours été pensé comme la caricature même de la légalité supposée des dictatures. le même joueur de flute (Bilbao Eguía) évoque un penseur français pour justifier l’hispanité parfaite de ce régime qui le nourrit, un certain Banville. J’ai pensé que Bilbao Eguía faisait référence à quelque texte politico-juridique de Théodore de… (Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt ! Escalade la roche aux nobles altitudes…), mais non, erreur de transcription des sténotypes, il faisait référence à Jacques Bainville, un proche de Charles Maurras.

Cet intellectuel, membre de l’Action Française avait publié en 1935, un an avant sa mort, un ouvrage savant au titre clair: Les dictateurs. Et l’incipit du livre était aussi clair:

La dictature est comme beaucoup de choses. Elle peut être la meilleure ou la pire des formes de gouvernement.

Bainville passe en revue tous les dictateurs de l’histoire, depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, de Solon et Pisitrate à Mussolini et Hitler. Pour l’Espagne il évoque la figure de Miguel Primo de Rivera sous un titre de chapitre intrigant: «Primo de Rivera ou la dictature manquée». Il évoque cet officier comme « trop bien élevé et trop délicat » pour tenir ce rôle ajoutant : «On ne s’établit pas dictateur avec de trop bonnes manières et des gants blancs.[1]»

Primo annonçait cependant la chose la moins prévue de l’histoire des dictatures espagnoles: l’absence de charisme. Un dictateur peut être ridicule.

http://www.videosurf.com/video/francisco-franco-discurso-de-la-victoria-1268714443

http://www.videosurf.com/video/mensaje-de-franco-a-los-ni-os-del-mundo-106977459

 


[1] Jacques Bainville,  Les dictateurs, Paris, Editions Denoël, 1935, page 262.