La langue française se porte bien

The Artist, film français produit par la Warner, a obtenu un franc succès à la soirée des Golden Globes et est sur la voie royale avec une chance assez forte pour remporter au moins un Oscar à Hollywood. Le cinéma français triomphe donc aux Etats-Unis.

Il y a cependant un bémol, que Philippe Sollers n’a pas manqué de souligner, dans une remarque incidente faite au cours d’une émission quasi nocturme de débats à propos de tout et de rien (Ce soir ou jamais)… Quelle belle leçon de défense de la langue française!, remarquait-il,  The Artist est un film fançais, certes, mais qui nous raconte le Hollywood des années vingt et surtout, c’est un film… muet! Pour qu’il soit diffusé dans les salles américaines, on peut espérer qu »il n’y aura pas à la doubler.

Ce petit détail me fait me souvenir que quand j’étais enfant (vers la 5 ou 6ème Glorieuse selon Jean Fourastié qui en compta 30), mes parents m’envoyaient le jeudi au patronage laïque. Ca se passait dans un quartier alors populaire de Montpellier qui s’appelle toujours Figuerolles, et qui, comme Montmartre, a été et est toujours  Commune Libre.

http://thierryarcaix.com/1948-1962.html

Nous étions rassemblés dans une école dont le nom me laissait inévitablement songeur chaque semaine puisqu’il s’agissait de l’école Ferdinand Buisson. Je me plaisais alors à penser qu’il devait s’agir de l’inventeur du concept d’ école buissonière

Les après-midi pluvieux, le directeur du patronage sortait son projecteur 16 mm des placards de la grande salle de jeux de l’école et nous projettait des films de toute sorte mais surtout des courts métrages muets de Chaplin, Mack Sennett, Harold Lloyd et de temps en temps de nos favoris, Laurel et Hardy. Il lui arrivait aussi de nous passer des films de Max Linder. Pour nous, pas d’ambiguité possible, Max Linder en mousquetaire, en homme du monde -portant son fameux « chapeau de soie »-, était américain. Ce n’est que bien plus tard que je sus qu’il était français, né dans le sud-ouest, et même qu’il avait eu une fin tragique.

Soyons donc prudents. La langue française plaît aux  Etats-Unis quand elle chante -Piaf, Chevalier, Aznavour, Bécaud- ou quand elle se tait.

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Hacer borrón y cuenta nueva

 

J’ai trouvé un blog qui propose en libre-service (autoservicio, tavola calda à l’espagnole) des expressions populaires expliquées pour dépanner les Erasmus.

Ce blog s’intitule Expresiones españolas para Erasmus en apuros et on le trouve à
l’adresse suivante:

http://erasmusv.wordpress.com

Tout ça parce que je cherchais l’expression « hacer borrón y cuenta nueva » qui pourrait se traduire par « remettre les compteurs à zéro », « on efface tout et on recommence », « règlement pour solde de tout compte », etc.

Comme ce blog est destiné aux étudiants Erasmus séjournant en Espagne , j’ai imaginé que cette expression est la plus adaptée à une sortie de crise dont on nous parle depuis trois ans en Europe. Borrón y cuenta nueva.

Je reprends l’explication donnée par le blog:

Hacer borrón y cuenta nueva significa olvidar deudas, errores cometidos por otras
personas, enfados con otras personas, etc., y continuar como si nunca hubiesen
existido (olvidarlos, no guardar rencor por ello). Sería como empezar desde
cero olvidando lo malo pasado. Como si hiciésemos un reset a nuestro ordenador.

Tout effacer. Les dettes publiques, privées, effacer les banques aussi et organiser une société post-financière, sans Pizza Hutt (les fans de Sylvester Stallone me comprendrons) ni crédit à la consommation.L’expression avait été employée pour la dette grecque ou la dette en général.

http://www.tiempodehoy.com/espana/borron-y-cuenta-nueva

http://www.elmundo.es/elmundo/2011/11/02/economia/1320224831.html

C’est ce que pratiquaient les rois: emprunter pour financer leurs guerres et ne jamais rembourser leurs dettes.  L’Espagne a connu deux faillites par siècle lit-on:

http://www.invertia.com/noticias/articulo-final.asp?idNoticia=2341102

N’est-ce pas là la seule et vraie solution?

 

Cada maestrillo tiene su librillo… y el perro viejo, si ladra da consejo.

De l’inégalité supposée entre les langues…

Dans un entretien accordé au journal Le Monde (le 30 décembre dernier), l’écrivain italien Erri de Luca, dont l’œuvre poétique et romanesque est l’une des plus remarquables en Europe ces derniers années, définit son sens de l’appartenance nationale par deux considérations, l’une négative (« Je ne suis pas patriote, le drapeau ne m’émeut pas, l’hymne non plus »), l’autre positive (« Etre italien c’est habiter ma langue. J’ai ma résidence en italien. »).

Il rejoint une certaine forme de penser la nation par la langue que développent les terminologues québécois, par exemple Marie-José des Rivières et Nathalie Roxbourgh, qui, dans un article consacré aux « Variations sur la langue ou le français conjugué en exposition » (Normes et medias, Terminogramme, numéro 97-98), citent en exergue le metteur en scène Jean-Claude Germain:

Avant d’habiter un pays, on habite une langue et plus on possède de mots pour y définir sa place, plus on a de chances d’y occuper tout son espace.

En écho subtil, on entend comment Ernest Renan donnait au critère de la langue une portée limitée: « La langue invite à se réunir ; elle n’y force pas. » (Qu’est-ce qu’une Nation? Chapitre 3).

Erri de Luca se situe d’emblée dans un contexte italien où la variété des langues était et est toujours  remarquable. Il se définit comme bilingue, le napolitain et l’italien sont ses deux langues. Or il établit un critère, dont la banalité et la fausseté ont déjà été largement dénoncées, celle d’une hiérarchie expressive entre ces deux langues: « On peut parler, chanter, se disputer, pleurer, mais pas écrire en napolitain. » Vieille croyance qui nous ramène à celles qui avaient court en Europe, la permanente comparaison des qualités intrinsèques des langues vernaculaires dans leur rapport au latin.  On le trouve dans le « Diálogo de la lengua » de Juan de Valdés (1533) où il fait dire à l’un des intervenants (Marcio):

¿No tenéis por tan elegante y gentil la lengua castellana como la toscana?

Antonio de Nebrija défend l’utilité politique de  la norme vernaculaire comme instrument d’identification du pouvoir, concrètement celui de la puissante Reine de Castille, Isabel, à qui est adressé le prologue de sa Gramática (1492):

No solamente los enemigos de nuestra fe que tienen ia necessidad de saber el lenguaje castellano: mas los vizcaínos. navarros. franceses. italianos.

Erri de Luca ne dit pas autre chose de l’italien quand il la présente comme la langue dont son père imposait l’usage à la maison alors que le monde extérieur parlait napolitain.

L’une des premières batailles visant à donner aux langues vernaculaires la place qu’occupait le latin consista souvent à les présenter comme capables de « tratar materias grandes » pour reprendre une expression de Pero Mexía (Silva de varia lección (1540). Dans un ouvrage collectif destiné à promouvoir l’idée de la réalité de l’existence d’une nation espagnole (España como Nación, RAH, 2000, Madrid), la Real Academia de Historia  accorde un chapitre entier à la thématique linguistique (Las lenguas peninsulares, cuando el castellano se hace español). Y est rapporté le discours (fameux) de Garcilaso de la Vega prononça devant le Pape  Alexandre VI à Rome en 1498. Discours qui répondait à un défi: faire la démonstration que l’espagnol était ,face à ses langues concurrentes, le français, le portugais et le toscan, la langue la plus « latine ».

En fin de compte, nous ne sommes pas sortis de l’ornière (du vaste monde des topoï). Si nous considérons qu’il existe des langues, des dialectes et des patois, des formes-langue et des sous-formes-langue, si nous tenons comme essentiel d’être sujets aux contingences et aux poussées du moment (la guerre, la religion, l’économie, la finance) qui tendent à nous imposer la langue du dominant, alors vive la novlangue!

Si, tout au contraire, nous pensons que la langue ou les langues que nous parlons, dans lesquelles nous écrivons, sont sœurs des autres, alors nous n’entendrons plus ces expressions qui fâchent comme cette toute dernière, attribuée au président du groupe parlementaire CDU-CSU, Volker Kauder: « Maintenant, l’Europe parle allemand »:

« Maintenant l’Europe parle allemand. » Maladroit, choquant, le propos, mardi 15 novembre, n’a pourtant fait qu’illustrer le statut que l’Allemagne a officieusement acquis ces derniers mois. (Le Monde du 20 novembre).