Ruissellement: Chorreo, goteo ou derrame?

Chacun connaît la « théorie du ruissellement » qui dit que plus les riches s’enrichissent, plus les pauvres bénéficient de retombées positives. Cette « théorie » a servi à l’offensive conservatrice encore en cours engagée contre des politiques de redistribution plus justes et solidaires de la richesse produite par tous  au moyen de l’impôt progressif et de la cotisation sociale.

Elle est l’adaptation cynique de certaines allégations formulées par Adam Smith et David Ricardo, à l’époque où le champagne commence à entrer dans les mœurs des riches.

Chacun connait la citation célèbre du premier, tirée de son ouvrage publié en 1776,  An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations (Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations):

Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme.

L’égoïsme et la recherche de l’ intérêt personnel sont mécaniquement bénéfiques pour tous (la richesse crée de l’activité, l’activité, de l’emploi, l’emploi de la consommation et la consommation de la richesse, etc.). Ce cercle vertueux a été instrumetalisé par les penseurs contemporains ultra-libéraux qui souhaitaient diminuer la dépense publique  pour accroître les richesses accumulées par les « égoïstes » et renforcer le trickle down, autrement dit le ruissellement  vers le bas, selon cet autre critère smithien:

L’accroissement des revenus et des capitaux est l’accroissement de la richesse nationale ; donc la demande de ceux qui vivent de salaires augmente naturellement avec l’accroissement de la richesse nationale, et il n’est pas possible qu’elle augmente sans cela.

La richesse nationale ne doit pas être comprise comme la richesse de l’Etat mais comme la richesse totale produite ou existant dans une communauté nationale, quel que soit le partage qui en est fait.

Ricardo, pour sa part, revient sur la théorie de Smith en lui donnant un prolongement (Œuvres complètes de David Ricardo, 1847):

Toute modification des lois sur les pauvres, qui n’aurait pas pour but leur abolition, ne mérite aucune attention…

La formule est ambiguë mais comprise à la lettre, elle a donné ceci dans le langage-macron moderne:

La politique sociale… Regardez : on met un pognon de dingue dans les minima sociaux, et les gens sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens naissent pauvres et restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres restent pauvres… Il faut qu’ils puissent s’en sortir.

Le  langage-macron exprime le ruissellement sous une autre forme métaphorique que chacun connaît aujourd’hui:

Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu’ils ont des talents, je veux qu’on les célèbre […] Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée c’est toute la cordée qui dégringole.

 

Si tout le monde s’accorde en français pour traduire trickle down par ruissellement, en langue espagnole les choses ont l’air plus compliquée puisque j’ai touvé trois possibilités admises: goteo, chorreo et même derrame. On verra ça de plus près…

Il est vrai que dans le pays voisin, on voit le mal partout et même quand il est question de faire sauter le bouchon… on remet la Catalogne au premier plan!

L’art moderne du discours : segmenter

Segmenter: dire à chacun ce qu’il attend que vous lui disiez… pour faire ensuite comme bon vous semble. Mais ici le discours est reflet commun de la pensée et de l’action. Il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit (voir notre billet antérieur). Comme si entre progressisme et nationalisme (l’antagonisme « moderne » selon le chef de l’Etat), la différence n’était qu’une affaire de ton.

Le discours comme l’histoire ne se segmentent pas sinon pour dissimuler le mensonge. Et avec ou sans papiers, les étrangers ont été présents dans les heures difficiles:

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Josep Borrell: « Tenemos un problema. »

Et ce n’est pas la question catalane qui revient au-devant de la scène mais autre chose: les effets du « progressisme », politique clamée haut et fort par la France, par la voix du Chef de l’Etat.

Une information donnée par le quotidien El Pais aujourd’hui met en lumière une statistique de la PAF (Police des frontières) qui montre que les renvois d’étrangers en situation irrégulière vers l’Espagne s’élèvent en moyenne à 1000 pas mois.   L’article souligne également que cette statistique contredit celles qui émanent des enquêtes menées par des parlementaires espagnols, d’où l’euphémisme employé par le ministre des relations extérieures espagnol, Josep Borrell: « Tenemos un problema. ». Bien sûr, dans le langage de la PAF, il ne s’agit pas d’expulsions mais de « non-admissions ».

Par ailleurs, le quotidien souligne que les contrôles aux frontières entre l’Espagne et la France se sont multipliés, en dépit de l’accord de Schengen, pour des considérations de « sécurité nationale », autrement dit pour lutter contre la menace terroriste. Nous avons eu l’occasion de le vérifier nous-même puisque en revenant fin octobre de Madrid par un vol Air France régulier, nous avons été contrôlés au sortir de l’avion, un contrôle des passeports et cartes d’identité de tous les passagers de ce vol.

Que valent alors ces belles paroles prononcées en Finlande par le Chef de l’Etat le 30 août dernier?

Immigration, économie… deux visions européennes s’opposent : une vision nationaliste et une vision progressiste. Certains veulent fracturer l’Europe et sa solidarité.

Ceux qui disent : « Mettons dehors tous les étrangers, fermons toutes les portes » mentent. Notre exigence à nous, Européens progressistes, est d’entendre les peurs et de les calmer en apportant une réponse humaine et efficace.

Voici la statistique publiée par El pais à partir des données de la PAF:

Francia devuelve a España a 1.000 inmigrantes irregulares cada mes