La télévision est un monstre. Avide de temps, de bruit, de fureur… Quand elle échappe de la fiction pour nous remontrer la vie réelle, celle que nous connaissons parfaitement, elle élude, élague, manipule, cache, exagère, moque. Elle se comporte comme un monstre de conte de fée, aussi méchant que bête.
La télévision et ses torses agités qui jouent tous les soirs une partie de poker menteur, les chaînes de flot continu que nous connaissons tous rivalisent de démagogie (le goût du sang, de la sueur et des larmes) pour se disputer quelques milliers de suiveurs (followers), parce que ces chaînes sont, à leur manière, des réseaux sociaux. De ce nombre dépend leurs ressources, de leurs ressources le retour sur investissement et les salaires de leurs têtes de gondole.
Cette télévision n’a pas besoin de beaucoup d’espace, un bureau, quatre experts ou journalistes ou invités (l’invité est souvent seul face à deux journalistes et un expert) et un donneur de cartes ou croupier selon qu’il s’agit d’une table de poker ou d’une table de chemin de fer. Des dossiers de l’écran sans film puisque le film, c’est nous.
Et le flot se met en place comme une tranche napolitaine, une tranche de tour de table, une tranche d’images, une tranche d’engueulades. Le sujet abordé, c’est nous. Ou plutôt ce qu’ils pensent que nous devrions être, penser, sentir, vouloir. Nous et nos sondages, nous et nos colères, nous et nos ras-le bol-des grèves, ras-le-bol des impôts, nous et notre indiscipline, nous et notre soif du toujours plus, nous et Poutine, nous et Macron. Et quelquefois des directs (live): Macron à la plage, Macron à la campagne, Macron à l’usine. Philippe au gouvernail, Philippe à la manœuvre.
Et souvent le dézingage par la recherche du mot d’esprit. La bonne société fait toujours consensus contre un seul. Il faut isoler d’abord pour démolir ensuite. En général ceux qui sont hors de leur jeu, de leur univers de petites souris éduquées en milieu protégé. Revoyez le film Ridicule de Patrice Leconte et vous aurez tout compris.
Il se trouve que ces démarches
« horizontales » s’auto-définissent souvent comme
« révolutionnaires » et peuvent aussi être indéfiniment dépassées par
une nouvelle vague aux contours organisationnels plus ou moins identiques. Le
titre du petit livre blanc du candidat Macron se prévalait de cette référence).
Ainsi Macron candidat ne disait-il pas dans la préface de cet ouvrage, préface
qui était aussi sa déclaration de candidature :
Nous ne pouvons pas non plus demander aux Français de faire des efforts sans fin en leur promettant la sortie d’une crise qui n’en est pas une. De cette attitude indéfiniment reprise depuis trente ans par nos dirigeants viennent la lassitude, l’incrédulité et même le dégoût,
Ou encore :
Les Français sont plus conscients des nouvelles exigences du temps que leurs dirigeants. Ils sont moins conformistes, moins attachés à ces idées toutes faites qui assurent le confort intellectuel d’une vie politique.
Dans ce trait de plume, qui ne dépasse pas le stade de la sociologie de comptoir ou de l’analyse politique d’éditorialiste de télévision, on retrouve l’idée de fond du génie des peuples, génie anti-élitiste et intuitif. On est évidemment loin du Macron président, maître des horloges qui, quelques mois plus tard, fustigeait l’impatience, la vacuité, l’inexistence même d’une bonne part des Français ne prenant en considération que certains d’entre-eux. Cette idée rejoint une pensée en réalité malthusienne qui exprime de la part des élites l’idée que le manque d’occupation est structurel (9% est le taux de chômage structurel selon le président) et qu’on ne sait pas (ou plus) quoi faire de ces personnes sinon les côtoyer en traînant leur « inutilité » comme un péché originel ou, pis encore, un coefficient d’erreur incompressible . Cette idée est parfaitement illustrée par une phrase prononcée en juillet 2017 devant un parterre de futurs informaticiens en formation dans l’ancienne gare Freyssinet : « « Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». En 2016, répondant à un quidam qui lui reprochait ses costumes, il répondait : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre t-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». En 2014, présentant son plan mobilité (les bus Macron), plan dont on sait qu’il n’a eu, outre son intention non-écologique évidente, aucun effet sinon de mettre en place une activité (déficitaire et anti-écologique) concurrençant le chemin de fer : le ministre d’alors exprimait encore son embarras devant l’existence même de ces pauvres: « Quand on me dit ‘les pauvres voyageront en autocar’, j’ai tendance à penser que c’est une caricature, mais les pauvres qui ne peuvent pas voyager, voyageront plus facilement ».Enfin il martelait cette vison duale discriminante de la société en octobre 2017 à la télévision en usant d’une métaphore alpine qui fait encore grincer des dents, celle du trickle down à la française (la théorie du ruissellement) : « Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu’ils ont des talents, je veux qu’on les célèbre […] Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée c’est toute la cordée qui dégringole », et, pour finir le déterminisme social et comment ne pas en sortir: « La politique sociale… Regardez : on met un pognon de dingue dans les minima sociaux, et les gens sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens naissent pauvres et restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres restent pauvres… Il faut qu’ils puissent s’en sortir ».
Le mouvement des « gilets jaunes », venant reprendre la même forme horizontale de structure qu’En marche, répondait, en novembre 2018 aux mêmes critères pour s’opposer à lui frontalement. Devant ce mouvement dont le sociologue Alain Bertho estime « qu’on ne peut [le] sociologiser»[1], autrement dit comme échappant à toute étude relevant de la sociologie des organisations, la réponse de l’Etat et des moyens de communications, au lieu d’être horizontale et attentive aux doléances exprimées, revêtait les mêmes critères conventionnels que ceux que ce pays avait connus. Dans un premier temps, de nombreux politiques et commentateurs se lançaient dans une vaste opération de discrédit du contenu de ses revendications, de ses méthodes si tant est qu’ils en aient eu (mise en avant de quelques faits de violence physique et verbale), de ses objectifs politiques –servir les objectifs de l’extrême droite- et, l’Etat usant de « la force légitime », mettait en place une répression policière d’envergure provoquant elle-même des actes de violence. Dans un deuxième temps, une fois le mouvement bien affaibli, politiquement divisé ou physiquement émoussé, une offre de dialogue assortie de quelques promesses compensatoires. Rien de bien différent aux agissements du monde ancien.
Face à cette riposte
violente qui se réduit à la pratique habituelle à ne pas répondre aux demandes
formulées, on trouve des mouvements qui refusent « l’articulation »,
l’éventualité même de la délégation ou représentation ou de la négociation. Les
gilets jaunes parlent toujours de « préalable », annuler les taxes
injustes et rétablir l’impôt sur la fortune dans son assiette originelle. Cette
notion de préalable, on la retrouve aussi du côté de l’Etat mais elle est
limitée par sa propre action : demander la condamnation de toute violence.
Autant dire que le refus de revenir sur des mesures prises ne peut conduire
qu’à la mise en avant de la violence comme terme absolu et donc un raidissement
de la posture de l’Etat : proclamation de l’état d’urgence, mise en route
de l’article 16. Toutes décisions qui s’apparentent à un coup d’Etat larvé et
ouvrent la porte à l’effondrement.
Or, la décision de
considérer quelques revendications des gilets jaunes a répondu à la nécessité
de ne pas laisser le champ libre à la seule violence, la violence de l’insurrection
ou la violence légale, à défaut d’être légitime, de l’Etat. L’étape du discours
de contrition de Macron ramène comme pilier de l’hégémonie le langage, sa
flexibilité, sa segmentation, l’absorption des arguments de l’autre pour
alimenter son propre discours, ce que l’on appelle la triangulation, vieilles pratiques déjà éprouvées. Les
annonces ne laissent aucune illusion : elles sont faussées voire
mensongères ou en tout état de cause, suffisamment floues pour concéder aux
insurgés qu’ils ont obtenu une victoire. Le deuxième discours du président e de la
république est peut-être encore plus caricatural que le premier à ceci près
qu’il contient deux perles ou fausses perles que d’aucun a du mal à insérer
dans le déroulement des faits et dans les perspectives de la politique engagée
il y a sept ans, dés le jours où Emmanuel Macron était engagé comme conseiller
par François Hollande. La première est celle-ci qui vient conclure une
description sommaire des changements à l’échelle mondiale :
…nous sommes en train de vivre plusieurs bouleversements inédits : le capitalisme ultralibéral et financier trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns, va vers sa fin…
Le subliminal emploi du terme « avidité» évoque par retour les discours anti-banque des années 80 du XIXe siècle. Il manque le qualificatif de « cosmopolite » et le terme « parasite» pour retrouver quelques accents étranges a ce discours.
Le deuxième trait du discours est la diatribe contre les
violents :
Nous ne vivons libres dans notre pays que parce que des générations qui nous ont précédé, se sont battues pour ne subir ni le despotisme, ni aucune tyrannie. Et cette liberté, elle requiert un ordre républicain ; elle exige le respect de chacun et de toutes les opinions ; que certains prennent pour prétexte de parler au nom du peuple – mais lequel, d’où ? Comment ? Et n’étant en fait que les porte-voix d’une foule haineuse, s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c’est tout simplement la négation de la France ! Le peuple est souverain. Il s’exprime lors des élections. Il y choisit des représentants qui font la loi précisément parce que nous sommes un Etat de droit.
Ce dernier passage est riche de références. Mais retenons ce qui a choqué : le qualificatif de « foule haineuse ». Donc une référence à Hobbes et Tardé qui prend soin d’extraire du lot un certain nombre de catégories qui ne sont pas la foule : forces de l’ordre, journalistes, juifs, étrangers et homosexuels, ceux qui seraient visées par elle. Cette foule haineuse, sans chef, sans principe, sans morale, il prend soin de la distinguer du peuple souverain qui, dans une démocratie représentative, s’exprime par les urnes quand on le sollicite et jamais autrement.
« La sévérité du général se déploie contre les particuliers; mais quand toute une armée a déserté, le pardon est nécessaire. Qu’est-ce qui désarme la colère du sage ? La foule des coupables (**) » Sénèque, (Lib. II, De ira, cap. x).
[1] « On ne peut pas sociologiser trop le mouvement des gilets jaunes.
Visiblement c’est un mouvement de la France des petites villes, de gens qui ne
sont pas très riches. » Regards.fr,
jeudi 29 novembre 2018, https://www.youtube.com/watch?v=pZNqajMf1Aw&feature=youtu.be
Il est
difficile, voire il serait source de malentendu, de voir dans le surgissement
de Podemos il y a u peu plus de trois ans ou de la France Insoumise il y a dix-huit
mois l’expression d’un nouveau mouvement social. Il s’agit plutôt du plus
classique processus de création d’un parti. La preuve par l’absurde nous la
tenons dans la création simultanée de deux forces conservatrices du point de
vue institutionnel et néolibérales en matière économique, Ciudadanos en Espagne
et En Marche en France. Deux structures nées dans des conditions identiques que
Podemos ou FI, usant des mêmes stratégies et quelquefois du même discours
« dégagiste » mais situées bien à droite, comme si la droite
économique ne pouvait plus se satisfaire de la politique telle qu’elle se déroulait
et craignait de voir ces nouvelles forces conquérir l’espace du suffrage
universel et remettre en cause leurs intérêts. Le fascisme fut une option dans
l’histoire récente du XXe siècle européen, ce que rappelait le
trotskiste historique Ernest Mandel :
Une dictature militaire ou un Etat purement policier – pour ne rien dire de la monarchie absolue – ne dispose pas de moyens suffisants pour atomiser, décourager et démoraliser, durant une longue période, une classe sociale consciente, riche de plusieurs millions d’individus, et pour prévenir ainsi toute poussée de la lutte des classes la plus élémentaire, poussée que le seul jeu des lois du marché déclenche périodiquement. Pour cela, il faut un mouvement de masse qui mobilise un grand nombre d’individus. Seul un tel mouvement peut décimer et démoraliser la frange la plus consciente du prolétariat par une terreur de masse systématique, par une guerre de harcèlement et des combats de rue, et, après la prise du pouvoir, laisser le prolétariat non seulement atomisé à la suite de la destruction totale de ses organisations de masse, mais aussi découragé et résigné. Ce mouvement de masse peut, par ses propres méthodes adaptées aux exigences de la psychologie des masses arriver […] à soumette les salariés conscients politiquement à une surveillance permanente, mais aussi à ce que la partie la moins consciente des ouvriers et, surtout, des employés soit influencée idéologiquement et partiellement réintégrée dans une collaboration de classes effective.[1]
Ce qui peut
être trompeur, c’est la vitesse d’enracinement dans le champ politique de cette
organisation. Mais rien de bien neuf non plus car elle n’est pas sans rappeler
la création du PSOE en Espagne le 2 mai 1879 (l’un des plus anciens partis
socialistes d’Europe né quatre ans après le SPD), au moins par le discours,
dans un contexte différent marqué par l’absence de suffrage universel jusqu’en
1891, mais similaire puisqu’il correspond à une période d’alternance ininterrompue
( « el turno ») entre deux partis libéraux-conservateurs que les espagnols
connaissent bien à travers un mot valise rappelant les noms des deux leaders de
cette alternance, Sagasta et Cánovas : « el sagastacanovismo ». Le fondateur du
PSOE, Pablo Iglesias, affirmait dans son discours inaugural: « L’attitude du
Parti socialiste ouvrier espagnol envers les partis bourgeois, quelle que soit
leur appellation, ne peut ni ne doit être conciliatrice ou généreuse, elle doit
être une guerre constante et implacable.»[2]
Présentant
des candidats aux premières élections libres, il n’obtiendra pas de sièges, ce
qui l’obligera à modérer son discours et à contracter des alliances avec deux
de ces partis bourgeois, le PR Radical et le PR Démocratique Fédéral pour
finalement obtenir une représentation politique en 1910.
Podemos a
vécu ce même processus de façon accélérée en s’appuyant sur de puissants moyens
de communication (la télévision et les nouvelles techniques d’expression
publique) et une tactique fondée sur la segmentation du discours. C’est, au
fond, la conjonction de cette stratégie de positionnement plus proche du jeu de
société que de la « vraie politique » et l’accumulation d’expériences
collectives concrètes de terrain qui est une nouveauté. Elle ne doit pas nous
cacher que les facteurs essentiels sont toujours les mêmes : un cadre politique
fondé sur l’expression comme exercice d’une liberté et le suffrage universel
uninominal comme attestation de l’hégémonie du discours. La revendication
récente de Pablo Iglesias de se situer dans une sorte de nuovo corsso de
la social-démocratie est le vrai signe de cette continuité politique qui montre
bien que Podemos est plus un instrument de rénovation générationnel des élites
politiques qu’un outil de rupture révolutionnaire. Nous pouvons également
conclure que le cas de la France Insoumise est une imitation à peu près fidèle
de la politique telle qu’elle a été conçue par Podemos : recherche
d’hégémonie à gauche, refus de pactes ou alliances avec d’autres mouvances de
gauche[3]. Si l’expérience du Parti
de Gauche, qui regroupait des dissidents socialistes encore sensibles au moule
de la forme-parti, a été abandonnée en apparence, même si ce parti n’a pas
disparu, ce n’est pas par refus de toute stratégie politique mais plutôt parce
que le groupe dirigeant du PdG a considéré qu’il était nécessaire de conquérir
l’hégémonie politique dans le pays et de ne s’engager dans des étapes
d’alliances qu’une fois assise cette position centrale avec quelques députés et
une assise financière et organisationnelle plus stable, donc plus proche de
celle d’un parti traditionnel[4]. Le bilan de la France
insoumise est maigre puisqu’il est aussi
réduit que celui de Podemos, moins de vingt députés parmi lesquels quelques-uns
peuvent encore s’émanciper du carcan culturel et juridique de FI (le programme
et la charte) et une perte vertigineuse en voix (plus de 40%) entre la présidentielle et les législatives (qui
demeure le marqueur essentiel de la force d’influence). Pourquoi ne pas avoir
combiné les deux stratégies : conquête de l’hégémonie et conclusion
d’alliances (en particulier pour contrecarrer le système électoral
majoritaire) ?
Dans le numéro de septembre 2015 du Monde Diplomatique un article de Razmig
Keucheyan et Renaud Lambert[5] se penche sur l’une des
sources principales du mouvement Podemos, celle des écrits d’Ernesto Laclau,
intellectuel argentin qui, pendant 25 ans, jusqu’à son décès récent, fut professeur
de théorie politique en Grande-Bretagne. Le titre évoque ce dernier comme
l’inspirateur de Podemos sans pour autant mettre de point d’interrogation,
puisque selon l’avis des auteurs il s’agit d’une inspiration explicite et un
choix assumé, celui du populisme.
Cette pensée
affirme en premier lieu l’échec du marxisme puisqu’il ne peut y
avoir autonomie du politique et que ses « catégories classistes » ont
montré leur non-pertinence (effondrement de l’Union Soviétique, effondrement
des partis communistes d’Europe[6]). Seuls les
mouvements catégoriels ou corporatistes sont l’essence même des combats sociaux
(la « logique de la différence »). Leur convergence ne peut être
décrétée mais la conquête de l’hégémonie par le discours peut en créer la
condition. Ce discours, parsemé de « signifiants vides » (la
casta, los de arriba contra los de abajo, « le
dégagisme », « les gens », etc.) est celui de Podemos et, dans
sa traduction française, celui de la France Insoumise. La deuxième condition de
la convergence, c’est la mise en avant d’un leader, nous l’avons, Pablo
Iglesias (dont le nom lui-même est l’un de ces signifiants vides dont il est
question) comme l’est Jean-Luc Mélenchon, ses incantations hugoliennes et son
discours autobiographique[7]. Enfin, elle conseille d’entretenir
le flou programmatique en donnant à chacun ce qu’il veut (l’effet bien connu de
« la segmentation du discours ») et d’entretenir également l’ambiguïté des politiques d’alliances, dernier
volet qui complète ces outils stratégiques qui ont fait Podemos. La baisse continue des intentions de vote d ce
mouvement dans les sondages au cours de l’année 2015 et son positionnement
stable autour de 18/20% pour les derniers comme la perte de près de quatre
millions de voix pour la France insoumise entre l’élection présidentielle de
mai et les législatives de juin 2017 montrent
bien que « l’inscription dans la
durée » ne se fait pas au niveau souhaité, parce que cette recette
néo-péroniste de construction d’un imaginaire collectif oublie certainement ce
que sont les cultures nationales. Comme il est souligné dans cet article ce que
Podemos ou FI ont finalement trouvé chez
Laclau, ce ne sont pas de outils théoriques mais seulement des outils rhétoriques
(en particulier ceux qui ressortissent du e-marketing)
et les ficelles d’une stratégie (pas de stratégie sans stratagème ni stratège).
Ce n’est pas la même chose.
La meilleure des preuves,
nous le disions plus haut, c’est que cette stratégie a également été employée
par les nouvelles droites espagnoles et françaises (droites qui se parent d’un
centrisme attrape-tout de bon aloi), autrement dit par Ciudadanos, le Front
National et par la mouvement de soutien à Emmanuel Macron. Ce dernier l’a finalement
appliquée jusqu’au bout, autrement dit jusqu’à la victoire électorale, laissant
alors apparaître une fine pointe machiavélique dans sa défense d’une présidence
théocratique (« jupitérienne », disait le candidat). Dans la mise en place de sa candidature,
l’ancien thermidorien préparait son 18 Brumaire en niant la primauté de la
loi comme fondement légitime du pouvoir en France:
La France, contrairement à l’Allemagne par exemple, n’est pas un pays qui puise sa fierté nationale dans l’application des procédures et leur respect. Le patriotisme constitutionnel n’existe pas en tant que tel. Les Français, peuple politique, veulent quelque chose de plus. De là l’ambiguïté fondamentale de la fonction présidentielle qui, dans notre système institutionnel, a partie liée avec le traumatisme monarchique.
… / …
Qu’est-ce que l’autorité démocratique aujourd’hui ? Une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et une direction ancrés dans l’Histoire du peuple français. C’est une autorité qui est reconnue parce qu’elle n’a pas besoin d’être démontrée, et qui s’exerce autant en creux qu’en plein.[8]
Cette vision du pouvoir que certains peuvent considérer
comme cynique ou fille du dogme du
despotisme éclairé[9]
est radicalement bonapartiste. L’assimilation n’est
pas à entendre à la lettre mais elle est authentifiable en ce sens que les
mêmes causes (affaiblissement de l’Etat, crise économique, reniements
politiques) produisent les mêmes effets : plébiscite d’un sauveur désigné
par la providence (cette autorité « qui n’a pas besoin d’être
démontrée »), désertions des anciennes formations et alliances de
provenances diverses (de Jean-Jacques de Cambacérès et Emmanuel-Joseph Sieyès à
Jacques-Nicolas Billaud-Varenne et Bertrand Barère[10]).
Le chef (de l’Etat) « sait, dit et éclaire »
sans qu’il y ait autre chose au fond de sa légitimité que l’immanence de sa
propre figure. Il est « le maître des horloges », autrement dit,
s’ajoute sa vision et à son savoir la maîtrise du temps ou, plus simplement, de
l’agenda. Si les analystes contemporains se penchaient un peu sur les discours
de ce personnage politique singulier, ils y verraient la vraie trace du
populisme empruntant tout à la fois aux stratégies de l’homme providentiel et à
la catégorie de la mission divine du Prince.
Ceci nous ramène à l’analyse que Francisco J. Conde, philosophe
du droit espagnol et idéologue du régime franquiste proposait de l’histoire des
révolutions dans trois articles publiés au début des années 50 dans la revue
qu’il dirigeait, la Revista de Estudios
Políticos, il affirmait que si des tendances apparaissent au Bas Moyen-âge,
les États se constituent réellement au XVIIe siècle. Ils
s’identifient alors au territoire et se constituent en « corporations».
Ainsi se retrouvent face à face le Populus
et le Prince, figure éminente de l’État, confrontation marquée par une grande
intensité. Le Prince réduit les droits anciens, il se dote d’instruments
rationnels et transforme le droit pour en faire un droit positif au sens plein, c’est-à-dire imposé. Il dispose donc du monopole du droit et de la force. Il
agit en permanence pour réduire, annihiler tout ce qui pourrait confisquer une
parcelle de son imperium. Le Populus est devenu une masse
grégaire, celle des sujets dont la seule égalité est celle de leur soumission
au même État absolu. Cette égalisation de tous devant l’absolu conduit à
l’affrontement par la pensée et par les armes et aux révolutions.[11]
A toutes
ces formes nouvelles de politique, nous pourrions opposer ce que Karl Marx
affirmait dans Le 18 brumaire de Napoléon
Bonaparte :
Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française, accomplirent dans le costume romain et en se servant d’une phraséologie romaine la tâche de leur époque, à savoir l’éclosion et l’instauration de la société bourgeoise moderne. Si les premiers brisèrent en morceaux les institutions féodales et coupèrent les têtes féodales, qui avaient poussé sur ces institutions, Napoléon, lui, créa, à l’intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu’à l’extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire pour créer à la société bourgeoise en France l’entourage dont elle avait besoin sur le continent européen.
Le Danton français et le Camille Desmoulins
espagnol, Jean-Luc Mélenchon et Pablo Iglesias ouvriraient ainsi la voie au Bonaparte des temps nouveaux. Mais
dans ce cas-là nous sommes dans la sphère des
c »conspirations politiques» que traite José Maria Maravall :
« Nous savons que dans les démocraties parlementaires les premiers
ministres perdent le pouvoir dans 48%
des cas à cause de conspirations politiques et non par décision des électeurs.
Telle fut la norme en Italie entre 1946 et 1994 ; au cours de la IVe
République française entre 1945 et 1958 ; en Belgique, en Finlande et au
Japon à partir de 1945. Ces conspirations ont toujours représenté une part
importante de la politique dans les démocraties parlementaires ». Pour
Maravall ces conspirations doivent être comprises comme les tentatives
destinées à changer le chef du gouvernement avant les élections, soit par un
autre membre du même parti soit par un membre d’une autre formation dans le cas
de la constitution d’un gouvernement de coalition [MARAVALL, 211]. On peut penser que c’est ce qui a eu lieu en
France, sus une modalité assez différente, car on ne peut se contenter comme le
fait Maravall de dire que la décision des électeurs intervient pour très peu
dans ces conspirations qui sont en fait des crises majeures de la
représentation. C’est la poussée électorale qui installe dans le paysage professionnel
de la politique la peur de perdre et c’est elle qui pousse les titulaires de
mandats à trouver toute solution qui n’hypothèquerait pas leur chance de rester
ou de revenir aux affaires. Cette poussée qui s’est manifestée de façon
éclatante et continue à se manifester en Europe combine donc la lutte pour
l’hégémonie de forces nouvelles ou recomposées et la résistance des perdants.
Elle ouvre des espaces incertains que par facilité mais sans qu’un contenu réel
puisse lui correspondre les médias appellent « populisme ». C’est la
pression du peuple électoral qui amène ces solutions nouvelles, par le coup de
force [De Gaulle en 1958], l’abandon en rase campagne [Rodriguez Zapatero en
2011] ou la mise sur orbite de visages nouveaux mais bien insérés dans les
élites, comme ce fut le cas d’Emmanuel Macron en 2017, avec les perspectives
politiques et sociales que l’on sait.
[1] Ernest Mandel, préface à Léon
Trotski, Comment vaincre le
fascisme, Ecrits sur l’Allemagne,
1930-1933. ttps://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/cvf/cvf_intro.html
[2] «La
actitud del Partido Socialista Obrero con los partidos burgueses, llámense como
se llamen, no puede ni debe ser conciliadora ni benévola, sino de guerra
constante y ruda.» Gustavo VIDAL MANZANARES,
La vida y la época del fundador
del PSOE, Pablo Iglesias, Madrid, Nowtilus, 2009, p. 158.
[3] Dans les développements récents
des questions politiques à gauche, relevons ce que nous dit le journal
L’Humanité en date du 25 août par la voix d’Olivier Dartigolles, porte-parole
du PCF: « … la question n’est pas pour une gauche au lus mal de se
regarder le nombril mais […] de faire converger tous les progressistes sur une
unité de riposte contre la loi travail dès la rentrée. », Pendant ce temps
le journal Le Monde (daté du 26 août 2017) relève la déclaration de Pierre
Laurent, secrétaire national du PCF : « La France insoumise estime peut-être pouvoir incarner à
elle seule l’ensemble des différentes oppositions, c’est une erreur. Nous, on
va continuer de tendre la main à toutes les forces de gauche. » Cet embarras
devant le refus d’alliances (qui touche également le Mouvement du 1er
juillet, animé par l’ex-socialiste Benoît Hamon) montre bien comment les luttes
d’influence portent plus sur la posture que sur le fond.
[4]
« On a réglé tous les problèmes qui vont
occuper tous les autres. Le problème de leadership est réglé, le problème du
programme est réglé. On a demandé au peuple et sa réponse a été 7 millions
de voix et 17 députés. Le problème de la stratégie est réglé : nous ne
nous occupons pas de rassembler des étiquettes, nous voulons fédérer le
peuple. » Propos rapportés par Abel
Mestre, «A Marseille, Jean-Luc
Mélenchon promet « du combat, pas de bla-bla », Le Monde, 27
aout 2017.
[5] «Ernesto Laclau, inspirateur
de Podemos», Le Monde Diplomatique, Paris,
n° 738, septembre 2015, p.3.
[6] Chacun se souvient du SMS envoyé
par Jena Luc Mélenchon à Pierre Laurent dans lequel, s’adressant aux
communistes il leur dit : « Vous êtes la mort et le néant »
rappelant furieusement les considérations voisines de Juan Carlos Monedero prononcées
en septembre 2011 au cours d’une conférence : « “Un proceso liderado
por IU tiene el mismo vuelo que una boa después de comerse un venado. La reconstrucción de la izquierda se hará ya no con
IU, sino desde sus cenizas. Ya
no tiene capacidad de armar nada”.
[7] Comme dans les grandes époques
du music-hall (costume bleu et cravate à pois de Gilbert Bécaud, les collants
et justaucorps des Frères Jacques) l’aspect général de la personne ou le
vêtement lui-même concourent à cette tonalité autobiographique du
discours : la queue de cheval et le casual dress de Pablo Iglesias, le
veston Coltin moleskine Le Laboureur (74
euros 95 ttc chez Largeot et Coltin) de Jean Luc Mélenchon ou le costume
« Blue dark » (450 euros chez Jonas et Cie) d’Emmanuel Macron.
[9]
Luis González Díez, El viaje de la
impaciencia, en torno a los orígenes intelectuales de la utopía nacionalista,
Barcelona, Galaxia Gutenberg, 2018, 174 p.
[10] « Tous les partis sont venus à moi, m’ont confié leurs desseins, dévoilé
leurs secrets, et m’ont demandé mon appui : j’ai refusé d’être l’homme
d’un parti. » Napoléon Bonaparte, Proclamation du général en chef
Bonaparte, 19 brumaire 1799 à onze heures du soir.
[11] -Francisco Javier CONDE,
Sociología de la sociología: Los supuestos históricos de la sociología, Revista
de Estudios Políticos, n°58, Madrid, 1951, p 15-29.
– Francisco Javier CONDE, Sociología de la sociología
(Continuación), II La Revolución
(Constitución del Orden por concurrencia), Revista de
Estudios Políticos, nº 65, Madrid, 1952, p.
15-36.
–
Francisco Javier CONDE,
Sociología de la sociología, III, El teorema político de la concurrencia en
Rousseau, Revista de Estudios Políticos, n° 68, Madrid,
1953, p. 8-33.
Voici un livre anecdotique, acquis dans une brocante du vieux Caen.
Le titre est déjà une sorte de plaisanterie de mauvais goût: Eau de Vichy, vin de Malaga. Mauvais goût saturé quand on voit qu’il a été publié par les Editions du Conquistador en 1952. Il s’agit des souvenirs de Simon Arbellot de Vacqueur qui fut nommé consul général de l’Etat Français à Málaga en avril 1943. Journaliste monarchiste, il publia une biographie de Charles Maurras en 1937 chez Denoël, Maurras, homme d’action. Pendant l’occupation il fut sous-directeur de la presse et de la censure rattaché au Ministère de l’information jusqu’en 1942. Il est surtout connu pour avoir affirmé être intervenu, à la demande de l’intéressé, pour que François Mitterrand soit décoré de la francisque. En janvier 1966, il raconte dans la revue Les Écrits de Paris :« François Mitterrand me demanda un jour, à moi et à Gabriel Jeantet, animateur des mouvements de jeunesse, de présenter sa candidature à la Francisque. Il fut admis à l’unanimité du conseil de l’ordre sous le feu approbateur du monocle de l’amiral Platon ». Un vrai collaborateur, bien inséré dans la machine politique vichyste, autant d’un point de vue idéologique que carriériste. Je vais le lire, je vous dirai.
¿De Christo con el alma mora, o de Mahoma con el bautismo de Christo ? Morisques et dissimulation : entre taqiyya et niyya.
Tel est le titre de ce bel article publié ce mois-ci dans Les Cahiers de Framespa par le chercheur Youssef El Alaloui, maître de conférences à l’Université de Rouen Normandie .
Résumé:
Les morisques furent souvent accusés de pratiquer en secret la religion musulmane en application d’un précepte coranique (Coran XVI, 106) ; il s’agit de la taqiyya ou dissimulation. Largement divulgué par Louis Cardaillac (1977), ce concept a été utilisé sans discernement par de nombreux chercheurs, aboutissant à une impasse en refusant aux morisques, suspectés d’insincérité, toute possibilité de s’intégrer ou de s’assimiler à la société vieille-chrétienne. L’auteur se propose de faire le point sur les travaux récents sur la question et de les illustrer avec l’analyse du problème dans certains ouvrages de réfutation de l’islam, notamment des catéchismes, dans le cadre de leur évangélisation.
J’ai toujours les yeux fixés sur l’Espagne mais comment ignorer ce qui atteint cette planète, ou plutôt cette espèce humaine, cette vague d’infection qui a parcouru en quelques semaines tous les continents?
Délaissé depuis que le journal Le Monde a décidé de supprimer la ligne de blogs auquel le mien était adossé, je le reprends parce qu’il y a urgence. Une urgence civique, une urgence intellectuelle également. Vivre cette période aussi intense après trois années françaises calamiteuses et cette pandémie « de mi-mandat » comme diraient les politologues de la petite lucarne ne pouvait rester sans quelques notes même modestes sur le monde tel qu’il va mal.
Cette intervention a été faite le 16 mai dernier, à l’invitation de différents groupes de recherche de l’Université Autonome de Barcelone et grâce à l’initiative prise par le professeur Pere Gabriel Sirvent:
Grup de recerca del Projecte d’investigació ESNACAT (« Espanya i nació a Catalunya ») de la UAB (HAR2015-67173P, MINECO/FEDER) Grup de Recerca d’Història Social i Obrera(GRHISO) Grup de Recerca República i Democràcia (GERD)
«…no
pot estudiar-se sense passió tot allò que es refereix “a tots els
homes del món, quan s’uneixen entre ells en societat i treballen i
lluiten i es milloren ells mateixos” -com escrivia Gramsci al
seu fill Delio en una de les darreres cartes escrites abans
de morir-, però realitzat amb tot el rigor possible.»
Josep Fontana,
Raonaments
i desqualificacions,
Ara,
19 de juny de 2014.
Michel Ralle
Començaré
per unes notes personals. Vaig conèixer a Michel Ralle als primers
noranta. Ensenyant d’Institut amb 20 anys de carrera, estava
buscant la oportunitat de tornar a la recerca universitària desprès
de vint anys d’allunyament mes o menys voluntari. De l’Alma Mater
m’havia allunyat per considerar-la com un lloc d’intrigues mes
que de solidaritat intel·lectual. Només sabia que volia treballar
sobre el segon franquisme i més particularment, en el tema de la
producció del discurs jurídic del règim franquista. El motiu era
personal, una cosa com buscar a donar-l’hi mes substancia al que jo
havia conegut com a fill d’exiliat dins de la pròpia cultura
familiar, la que vivia i que coneixia només per les estades regulars
que feim a casa dels avis, a la caseta familiar del passatge de León,
cantonada Rosselló-Cartagena quan el meu pare va aconseguir que l’hi
donessin el seu passaport al any 56.
Miche
Ralle, l’investigador
Per poder conèixer els criteris nous de la recerca que rondava en torn a la historia política d’Espanya, com molts, vaig anar seguint el seminari de Bernard Vincent que llavors es donava al Collegi d’Espanya de Paris. Naturalment, la figura mes destacada de l’hispanisme d’aquells anys era en Carlos Serrano. La seva figura corresponia, fa o no fa, a les meves preocupacions, car, com la presenta Jean François Botrel, el actual mes avançat memorialista del hispanisme francès, en Carlos Serrano era “un intellectuel engagé, un homme de convictions, …, et un homme de réflexion.».
L’únic
que no m’acabava de convèncer era que en aquells
anys, Carlos Serrano estava eixamplant els seus espais
de recerque fins àmbits que no m’interessaven tant com a fons
d’estudi, historia gràfica, historia cultural. Però un dia vaig
tenir la sort d’assistir a una conferencia de Michel Ralle
en el seminari de Bernard Vincent. Aquest home modest, amb
facultats oratòries no molt excepcionals, desprovist de la capacitat
de seducció que tenia en Carlos Serrano, donava una
conferencia sobre un tema d’aquells que son transversals: l’ús de
la bandera roja en els actes public dels sindicats i corporacions als
anys del naixement del socialisme espanyol.
Vaig
pensar que aquest home podria ser el que m’acompanyés fin on volia
anar. Quan el vaig conèixer, deixava la Universitat de Franche-Comté
per ocupar una plaça de catedràtic a la Sorbona.
L’hi
vaig demanar una cita, ens vam veure, xerrant del tema que
m’interessava i vaig adonar-me compte
de que, més que un director de recerques possible, era un home que
disposava d’una molt gran cultura històrica i política i de
coneixements que entroncaven amb els meus espais d’interès i que
d’ell en podria aprendre molt no únicament en qüestions de mètode
sinó també en qüestions
de fons i, més difícil de valorar, aprendre una forma d’humanisme
exigent, el que venia d’una cultura pròpia, la de la historia
critica francesa, en que, en els anys seixanta el marxisme havia
influenciat a molts investigadors. I resulta que va ser un excel·lent
director. Tot el que jo escrivia ho
llegia, criticant a vegades les meves afirmacions o aproximacions, la
falta de distancia amb el tema que tractava, el meu estil i la meva
poca preocupació per la ortografia, es a dir tots els defectes d’un
neo-investigador prolífic. Em va integrar al seu seminari que
prosperà fins a la seva jubilació. Aquest seminari es on, amb
forta presencia, es trobaven i debatien vàries generacions
d’investigadors, francesos però també molts col·legues espanyols o
americans.
Michel
Ralle ha publicat pocs llibres en solitari, mes aviat veia com
essència de la recerca les col·laboracions, per això en la
bibliografia que publica el centre d’estudis de la Sorbona,
finalment no n’hi ha cap, però se’n compten mes de vint en que
col·laborà o que naixeren de la seva iniciativa. Als últims anys
m’explicava que en tenia un per fer, no sé si era el compendi de
tot el seu treball sobre el socialisme espanyol, de la seva fundació
fins avui, incloent la ruptura que constituí la escissió derivada
de la creació de la tercera internacional.
Vull insistir en el fet que la seva concepció del estudi d’un fenomen històric s’articulava en torn de dos conceptes bàsics:
El
primer es el de continuïtat.
Podem
afirmar que va explorar tots els aspectes declinats de la formació
del moviment obrer, de les seves estructuracions tant del punt de
vista de la història i de la sociologia de les organitzacions com de
les seves compenetracions o relacions en aspectes mes individuals,
memòries, arxius personals i sociabilitat en sentit ample. A la
introducció d’un article que va publicar a l’any 1981, quan era
resident a la Casa Velázquez, Les
socialistes madrilènes au quotidien ,deixava
aparèixer el que era la seva preocupació:
… combien décisif serait pour l’historien de savoir comment dans la fâbrica, le taller, la obra se vivaient les revendications, la grève, la révolte ou la discipline d’une association ou d’un parti. Combien plus déterminante encore serait la connaissance de la vie quotidienne sur le lieu de travail, des diversions, des « circuits » culturels populaires etc…1
La
realitat es que no es tractava per Michel Ralle de donar lliçons,
perquè el seu pensament sobre el moviment obrer d’aquell temps i
en aquest cas de la agrupació de Madrid del PSOE dels principis
s’havia construït amb gran paciència sobre la base d’un
anàlisis d’arxius, quasi 3000 fitxes, que l’hi donaven la
oportunitat de desenvolupar, sempre amb certa “retenue”, una
visió mes concreta possible del que podia ser un partit obrer sense
cap filtro que fos la premsa, el discurs o la ficció, tot això
reivindicant l’usatge de les eines pròpies a la sociologia:
…l’approche sociologique d’une des organisations décisives du parti socialiste ouvrier ne constitue pas l’explication en dernière instance de ses choix politiques. Elle livre cependant plus qu’une simple illustration sur les avatars de sa vie concrète, puisqu’ évoquer la nature de l’implantation du parti c’est toucher aux conditions d’élaboration de sa théorie.
També
entrava en aspectes teòrics com la recepció del marxisme o el
fenomen europeu de bolxevisació als anys vint i trenta i el seu
lligam amb el socialisme espanyol2.
Igualment podia interessar-se a moments diferents que el voltant dels
segles XIX i XX, com quan analitza el concepte de HNP3
o de les problemàtiques lligades a la qüestió de la transició a
la democràcia i al socialisme dins de la estratègia dels comunistes
durant el franquisme. També va escriure sobre la percepció de les
vagues del 1962 a França4.
El
que més em semblava positiu i estimulant era el fet que no es
tractava de separar l’estudi del antifranquisme de l’estudi del
franquisme, del socialisme, de l’anarquisme i del comunisme, dels
nous moviments socials, o de fer que la guerra civil fos com l’únic
àmbit d’estudi d’interès per qui s’adonava a la historia de la
Espanya contemporània. Llavors existia la possibilitat de sortir
dels criteris empàtics que sempre havien rodejat el estudi francés
de la qüestió política a Espanya reduint-la a la guerra civil
vista pràcticament com fet autònom. Per sortir-ne, van ajudar molt
primer els historiadors tan espanyols com francesos que havien
estudiat els temps anteriors, segle XVIII i XIX. D’aquests últims,
podem senyalar la figura mes coneguda, la d’en Joseph Pérez, que
havia sigut el seu director de tesis en la Universitat de Bordeaux,
tesis que tractava del naixement del socialisme espanyol.
El
segon era el de la interdisciplinarietat.
Tampoc
Michel Ralle es limitava al estudi dels fets cronològics,
l’encadenament fatal dels adveniments. Estava interessat per les
aproximacions sociològiques i culturals. Per poder fer-lo s’havia
d’avançar amb molta diplomàcia perquè en el hispanisme clàssic,
als primers seixanta, l’estudi de la literatura, i sobretot de la
literatura del segle d’or, era dominador, deixant al estudi
filològic i cultural el estatut de disciplines subalternes. Tampoc
eren vist amb simpatia els estudis contemporanis per la seva
implicació en temes polítics i socials. Aquest fenomen noi era
específicament propi dels estudis hispànics, ho era dels estudis
històrics o de ciències socials a França. Per tant, uns mestres
d’aquell temps van intentar desmuntar aquesta doble barrera
disciplinaria.
Albert
Dérozier, catedràtic a la Universitat de Besançon que havia sigut
el seu col·lega, fou un dels iniciadors d’aquest moviment. Un dels
primers, va utilitzar les eines de la pròpia literatura, proponent
la problematització de la relació entre literatura i història. Al
mateix moment, a la Universitat de Montpellier, el jove titular
Edmond Cros feia el mateix, desenvolupant dintre dels estudis
hispànics, el concepte de sociocritica, de perfil clarament marxista
i influenciat per la lectura de Georg Lukacs y Lucien Goldmann5.
Las
actes del Sext congres d’hispanistes que precisament s’havia fet
a Besançon al mes de març 1970. Fou una de les primeres
intervencions de Michel dins el cercle de l’hispanisme universitari
local amb un article que s’acordava al esperit del temps, L’utopie
et l’action dans la Première Internationale en Espagne. 6.
Llavors era un jove titular, tenia 28 anys. En les seves
participacions posteriors, en les actes del cercle d’investigadors
que animava Dérozier i que reunia a investigadors de generacions
diferents, Michel Ralle s’allunyà del necessari lligam entre
literatura i coneixement històric. En els títols de les
intervencions publicades en 1971 i 1973, La
bourgeoisie dans l’idéologie de la Première Internationale en
Espagne
i Affrontements
de clase et création littéraire plantejava
bastant be la nova problemàtica de l’hispanisme francès: la
relació entre cultura, i, sobretot literatura, i historia. No
deixara de mantindre en les seves publicacions aquesta relació però,
passant el temps, el seu caràcter serà de manera mes dominant
preocupat per temes mes directes d’història social o política.
En
un article publicat al any 1985, Jean François Botrel es refereix a
les publicacions del centre hispanista de Besançon, insistint en el
que era el inici de una relació forta amb l’historia de part
d’universitaris que no eren historiadors “de llei”, i que
s’havien orientat en l’estudi de la premsa, que Botrel classifica
dins de l’estudi de la cultura popular en sentit molt ampli7.
Amb
molta prudència, Botrel parla del sorgiment d’una visió d’Espanya
“depuis l’histoire”, i no d’una visió pròpiament històrica.
També avança el concepte d’història concebuda com una
“globalitat”. Finalment, la multiplicació de col·laboracions
amb historiadors, i particularment, beneficiant dels canvis polítics
que s’operaren a Espanya, les col·laboracions amb universitaris
espanyols acceleraren el procés.
El
mètode de treball històric especific fou introduït per algunes
figures d’historiadors, amb una cultura impregnada de marxisme,
Pierre Vilar, Manuel Tuñón de Lara, Noël Salomon, i una generació
mes jove, la de Jacques Maurice i, com ho he senyalat, la deJoseph
Perez.
La
aportació dels historiadors al hispanisme fou sovint menyspreada, si
deixem de costat a la d’en Pierre Chaunu o Fernand Braudel, però,
com ho nota Bernard Vincent:
Il est vrai que tout au long de la période du franquisme, il a été difficile de travailler sur une bonne partie du XXe siècle mais le contraste entre Ancien Régime et époque contemporaine s’est longtemps maintenu. Depuis une dizaine d’années se sont développées des recherches portant sur le monde espagnol contemporain »
També nota que els primers setanta foren decisius.8
La
acceptació fou difícil. En un acte d’homenatge a Jacques Maurice
celebrat a la Universitat de nanterre en el 2014, Joseph Perez
recordava que, als anys 50, l’hispanista
que, com Jacques Maurice o ell mateix, decidia treballar en un tema
de tesis que suposava recorre a fons considerades com no literàries
sofria desil·lusions. Deia que llavors era considerat com un
hispanista pels historiadors i com un historiador pels hispanistes, i
que, finalment “uns i altres inclinaven a considerar-lo com a un
aficionat.”9
“Amateurs”
per molts, o en to depreciador, com a hispanólegs per d’altres als
anys 20 del segle passat (Miguel de Unamuno o Jean Jacques
Bertrand10).
I
no era únicament es tractava de ressentit personal, també tota
aquesta sorna era la senyal d’un conflicte permanent dintre de la
universitat francesa entre estudis retòrics i estudis humanístics,
entre la ciència de la representació i la ciència de la acció.
Han cambiat les coses avui?
Cambiar, francament, no ho sé…S’ha progressat amb la admissió d’una gran varietat de projectes de tesis transversals, que s’interessaven a qüestions allunyades del classicisme admès per la docència i manejaven eines provinent tan de la sociologia, del dret o de la filosofia, com a partir de les tendències recents, de la sociologia de les representacions, de les arts pictòriques, de la foto, del cine, capficant-se al estudi de temes com les qüestions de genero, de feminisme, etc. Però al mateix temps, els nous enfocaments van considerar els estudis històrics o sociològics com passats de moda perquè s’esforçaven de desenvolupar un esperit racional, i, per tant, la moda consistia a passar-se a enfocaments menys racionals i mes sensibles, tornant a l’ambigüitat de criteris que el escriptor Anatole France exposava: « L’histoire n’est pas une science, c’est un art, on n’y réussit que par l’imagination. » afirmant al mateix temps que « L’art n’a pas la vérité pour objet. Il faut demander la vérité aux sciences, parce qu’elle est leur objet. »11
Però els fets no
indiquen una progressió regular, també s’han notat moments com
els del entorn de la petita agrupació de civilitzacionistes de la
Sorbona visqueren de manera dolorosa. Els cambis que s’operaren
aquests últims anys semblaven aparèixer en el títol de l’ultim
llibre col·lectiu que va codirigir Michel Ralle. Aquest títol
puntua a la seva manera les seves inquietuds e intuïcions, Les
grands récits. Miroirs brisés?
Ell mateix sentí el moviment de reacció hostil als civilitzacionistes quan a la Sorbona en el moment on la seva plaça no fou atribuïda a Aaron Cohen sinó, en un segon temps, a un «especialista de la imatge », mes lligat com ho hem dit a “enfocaments de moda” segons la formula de Francisco Rico evocada per Joseph Perez 12, o a una visió o interpretació literària de l’imatge fixa o mòbil. Tot el que va anar fent mal be d’aquesta manera quinze anys de treball fructífer.
Per
tant, Michel Ralle no es va desanimar, i conservava la mateixa
capacitat d’entusiasme i la mateixa energia. Las ultimes
aportacions escrites las va publicar a la nostra revista, eren
ressenyes molt treballades, molt ben escrites. Darrera del seu to
posat i tranquil, es sentia l’immens interès per el que es podia
publicar a Espanya. En un article publicat en el any 2016, La
modernisation de Madrid (1860-1930). La part de l’histoire des
habitants,
sobre la obra publicada baix la direcció d’en Enrique Otero
Carvajal, amb un títol de conjunt, « Historia
de Madrid en la edad contemporánea ». Conclou aquesta llarga i
metòdica ressenya desvelant, no sense humorisme, el que era el que
havia sigut el seu interès permanent:
On a mentionné ces quelques questions parce qu’elles montrent la portée d’un projet dont la première qualité est de ne pas avoir contourné les obligations fondamentales de la recherche universitaire et, parmi elles, une rigueur méthodologique qui a imposé à ses auteurs tant d’heures de recherche patiente et curieuse dans l’espace glacé des archives. Cette entreprise originale confirme que reconstruire l’histoire d’une société urbaine est autre chose que faire d’une ville un actant dont la personnalité persisterait au-delà des avatars de l’histoire.
Metodi,
rigor, disciplina quasi monacal, curiositat, paciència… i hores
passades no en “las aigües gelades del calcul egoista”, sinó
en els espais incomodes dels arxius d’Espanya.
D’altra
banda, com ho nota Michel Ralle en la ultima ressenya que ens va
enviar, la voluntat de l’investigador no era de “dire le vrai”
sinó de «rendre compte de la réalité sociale », missió
difícil, que necessita dedicació quasi total, humilitat i el
sentiment permanent de que es cosa que mai s’acaba..
I
no podem pensar això sense comprendre el que, Joseph Perez afirmava,
a total contra-corrent de la nostra època, en el homenatge a Jacques
Maurice:
Núñez, Vilar, Salomon et Tuñón ont compris le marxisme : comme une méthode qui permet de mieux aborder les problèmes que posait l’évolution de l’Espagne. C’est ce que Pierre Vilar expose dans son livre « Or et monnaie dans l’histoire » ou encore dans « Une histoire en construction » : le matérialisme historique consiste à découvrir, sous ce que disent les gens et sous ce qu’ils pensent d’eux-mêmes, ce qu’ils sont en analysant ce qu’ils font.
Michel
Ralle era fill d’aquesta escola, d’aquesta certesa de que
l’estudi del que fa la gent permet posar en plena llum el que es.
Del estudi de les existències el historiador deu buscar “le dieu
caché” dels pobles, la seva mateixa essència. I tot queda obert,
no definitiu, Michel ens deia: encara queden moltes investigacions
per davant. Lo inacabat del treball de l’historiador es la seva
mística, només fer un tros de camí, un tros curt però ben
caminat, per que d’altres, mes joves, dintre d’altres
circumstancies, puguin anar en davant i avançar un xic mes. Molts
poden pensar que aquesta dedicació, tal com la estic definint, era
quasi monacal. I ho era, però mes aviat com un jansenisme laïcista
moral radical i no com una creença beata en el absolutisme històric.
Hispanisme?
Rara avis
Els
primers setanta son els anys en que el hispanisme francès, fill de
una visió d’Espanya pròpia a la corrent romàntica, la de “la
leyenda negra”, que es suposava interessada de manera quasi
exclusiva a temes i fons literaris i culturals (teatre clàssic,
pintura, novel·la, poesia, etc), va transformar i ampliar els seus
espais de recerca admetent la possibilitat d’usar de noves eines,
per exemple las eines de la historia, de la economia o de la
sociologia. Els representants de la corrent interessada per temes de
societat no ho podien fer dins del hispanisme sense referencia mes o
menys forta al patrimoni literari d’Espanya, i encara, deixant de
costat el que fos el patrimoni escrit en català, basc o gallec. Els
hispanistes eren llavors els fills directes de Prosper Mérimée o de
la revista creada en 1899 Le
Bulletin Hispanique que
fou i que es encara la bíblia del hispanisme clàssic.
El
canvi va fer-se a poc a poc, primer va aparèixer en els estudis
clàssics, com ho mostra l’exemple de Jacques Soubeyroux, el que
fou el meu professor d’espanyol de secundaria als anys 65-66. Va
defensar la seva tesis en el any 76: Paupérisme
et rapports sociaux à Madrid au XVIIIe siècle.
Estaba en la pròpia línia que Albert Dérozier o Joseph Perez, amb
cert interès en que els investigadors s’adonessin també al estudi
de la Espanya contemporània. Dient això, vull indicar de pas que
també s’afirmà la mateixa evolució als estudis americans.
Sense
entrar de debò en qüestions disciplinaries, aquesta evolució fou
bastant difícil, com ho nota Botrel:
De l’hispanisme français dans ses rapports avec l’Espagne contemporaine, on peut dire qu’il a désormais surmonté ses réticences “historiques” et qu’il se caractérise par l’intervention croissante de nombreuses disciplines non strictement “littéraires” dans une tentative originale, propre à une communauté scientifique ouverte, d’aborder la réalité espagnole contemporaine dans sa globalité, grâce à une coopération de plus en plus étroite avec les chercheurs d’Espagne et de l’hispanisme international. 13
Des
del fi del segle XIX, les generacions successives d‟hispanistes que
han alimentat la universitat francesa dels seus coneixements han
trobat aquesta via prou estranya quan se l’examina amb certa
distancia, de dedicar el seu treball i la seva investigació a una
llengua, a un país, a una cultura i a les seves àrees d‟influència.
Ser hispanista és cosa complexa i molt difícilment
comprensible.
Primer
perquè sembla derivada d’una visió centrista del mon, França
situant-se al centre d’un mon cultural i ideològic exemplar que
seria la mida de tot. Partint de la nostra historia, de la possible
idiosincràsia nacional, estimem els altres com conjunts
diferencials, deixant moltes vegades de costat el fet transcultural o
contemplant-lo com manifestant-se a sentit únic, amb un concepte
general que posa França com bressol de la civilització, dels drets
humans i de les llibertats fonamentals.
La nostra formació ens fa lingüistes com ens fa historiadors, economistes, sociòlegs o especialistes de literatura o de teatre. La tria d’un espai d’investigacions a l’interior d’aquest espai general es debut a la pura casualitat o a les circumstàncies, aquestes ultimes sovint lligades a l’influència d’alguns mestres que condueixen a cadascú cap a una especialització en literatura o cap a una especialització en civilització o en lingüística. Aquest conjunt forma llavors una comunitat molt diversa de la qual els enllaços son l’idioma, la seva àrea d’ús i una mena d’afinitat amb les tècniques de transmissió intercultural, de traducció i d’interpretació, que posen el que les firma en una posició de “passeur”.
Vivim
a un món científic particular que manlleva a les altres disciplines
les seves tècniques, els seus mètodes i fins i tot els seus espais
d’investigació. Per reprendre la paraula de l’abat Sieyès,
enfront de les altres disciplines universitàries, som una mena de
terç-estat de les ciències acadèmiques; nosaltres no som res als
seus ulls, mentre que hauríem desitjat ser-ho tot. Però es deu a
cadascú un tractament equitatiu, aquesta ambició de ser el tot i
mai la part anima igualment als filòsofs, als sociòlegs, als
matemàtics, els astrònoms, els físics o els historiadors… De
manera general, la « disciplinarització
»
és a primera vista un afer de rànquing pràctic, de nomenclatura o
de ordenació epistemològica del saber però les fronteres entre
disciplines són sempre extremadament poroses. Es podria dir que, al
domini del saber, tots manlleven a tots, però que cadascú es pretén
d’essència singular.
A aquest fet d’estructura s‟afegeix el fet de les generacions. La primera va ser aquella dels postromàntics, nascuda de « l’extraordinària favor del qual gaudeix el viatge a Espanya a partir dels anys 1820 » com ho assenyalen Lucile i Bartolomé Bennassar. Aquest entusiasme va haver com conseqüència la multiplicació dels « viatges pintorescs » i relats de la mateixa aigua però també d’imponents labors d’història espanyola. Aquesta tradició es va perpetuar molt de temps encara durant el segle XX, sota una forma barrejant relació de viatge i assaig etnogràfic. Una literatura estranya, abundant, feta sovint de tòpics, que s’apagarà amb el fi del franquisme, quan Espanya deixarà de ser un objecte de curiositat, un objecte exòtic, en el sentit etimològic de la paraula. Un objecte de curiositat que podia fins i tot exaltar l’esperit de certs espanyols.
Als últims anys del
segle XIX s’ha format l’hispanisme universitari, a la iniciativa
d’una nova generació que va intentar introduir cert rigor dins dels
estudis hispànics. Una figura central destaca, la de Alfred
Morel-Fatio, que era arxivista, que fou el primer en aplica l’estudi
d’aquells fons històrics dins de la coneguda École
des Chartes.
El primer viatge d’estudi de Morel Fatio el féu a Barcelona al any
1878, i publicà al any 1888 els seus Estudis
sobre Espanya
en que la part literària es troba equilibrada per la part d’estudis
històrics que mostrava la seva inapetència per la visió romàntica
d’Espanya.
Morel-Fatio nunca participó del enfoque de la crítica romántica del Quijote. Fue un positivista ortodoxo, que no compartía los postulados románticos.14
Durant
la Segona República i la guerra civil i, sobre tot, després de
l’arribada al poder dels franquistes, per motius de proximitat
geogràfica i històrica i també debut a la atmosfera dels temps de
la Alliberació de França al 1945, el hispanisme passara a una
tonalitat mes apassionada i compromesa, davant la injustícia del
manteniment del dictador i de l’oblit en que les potencies
alliberadores van deixar Espanya. Joseph Perez, Noël Salomon, Pierre
Vilar pertanyien a aquesta generació.
Llavors
es quan es va manifestar gran interès per els fets de la guerra
civil. Als primers seixanta, la publicació de dos llibres sobre la
guerra civil, el de Hugh Thomas i el de Emile Témime i Pierre
Brouet, animaren a molts joves estudiants a que s’interessessin al
fet històric i a les seves conseqüències. A la Universitat de la
Sorbona, a Toulouse, a Montpellier, Burdeos y Aix-en-Provence que
eren llavors els grans focus universitaris de l’hispanisme,
l’estudi de la literatura contemporània i de la historia recent
començaren a ocupar un lloc no preeminent, però si substancial.
Algunes ensenyances que rebíem portaven aquesta nova marca, en el
meu cas, era el fet de joves docents, Jean Tena, Edmond Cros i, per
el que toca als estudis americans, de Jean Franco.
En
aquelles mateixos primers seixanta, l’ampliació de l’accés a la
Universitat de les generacions nascudes a la postguerra tindrà una
aportació especifica doble: entrara en els estudis amb arrels
endinsades a la cultura popular i una sensibilitat diferent,
especifica, la de molts fills d’exiliats polítics. La filiació
ideològica de els que pertanyen a aquesta generació es fonamental.
Que fossin fills d’anarquistes, de comunistes, de socialistes,
republicans en sentit genèric, o de molts que havien abandonat la
militància política o inclòs havien deixat de costat el propi
sentiment d’exili, s’entroncaven amb les velles controvèrsies
dels seus mestres en temes contemporanis. Al mateix temps, els fills
dels peus negres de Marroc i d’Algèria, que pertanyessin a famílies
sefardites o d’origen espanyol també accediren a la universitat i
a les recerques hispanista. Traïen les seves pròpies àrees
d’interès, com ho faran als anys setanta els exiliats o fills
d’exiliats xilens, argentins o uruguaians.
Que serà del hispanisme als anys venidors? Les evolucions mostren que la capacitat multidisciplinària de les noves generacions, com les aportacions diferents d’investigadors vinguts d’altres cultures i d’altres espais, incloent als investigadors titulars de la universitat francesa que passaren per les universitats espanyoles permetran que benefici de renovacions permanents i plantejaments nous. Però ja es l’assumpte de les noves generacions, no tant el nostre. El moment actual es el de l’estudi de la fabrica de comunitats amb interessos divergents (surgeix el concepte de arxipèleg), de el que es diuen minories oprimides i ja no es el de l’estudi dels conflictes de classe. Aquesta moda ens condueix a molts d’entre nosaltres a passar-nos als cultural studies o a mantindre una posició d’observació prudent. .Les qüestions de genero, d’identitat, d’ego-documents, condueixen a una aproximació no holística del mon, sinó a una aproximació que fa passar els límits dels conflictes per altres criteris que els criteris de classe, que, de manera exactament simètrica, deixa de costat el tema econòmic i social per dedicar-se únicament a la persona, com si s’hagués perdut la capacitat del pensament històric a conduir a una visió holística del mon humà.
Michel
Ralle ha intentat acordar dins d’un espai problemàtic obert
aquestes dues tendències mecanicistes, la de una percepció segons
la qual de la infraestructura manen les superestructures, o l’altra
que pretén el contrari. L’ultima publicació que Michel Ralle
havia publicat en el 2011 es mostra d’aquesta preocupació, buscar
cert equilibri entre els fets i les percepcions que canvien al fil
del temps.
Per
concloure, en poques paraules, Michel Ralle era un home bo i faix meu
l’homenatge que l’hi va fer Pau Luca Sánchez
a Francisco Fernández
Buey :
Un home bo és un home honest, generós, al·lèrgic al cinisme i disposat a comprometre’s amb causes nobles, encara sabent per endavant que probablement estan perdudes. Quan li passa alguna cosa dolenta a un home bo, sentim una barreja de tristesa i admiració, encara que no llàstima.15
En
sentit molt personal, em faltaran aquests moments en que ens trobàvem
per dinar en alguna tasca o restaurant de Paris i parlàvem de tot,
dels fills, de projectes, de viatges. Quan vam publicar Manuelle
Péloille i Cyril Trépier el nostre petit llibre sobre Catalunya,
teníem que concretar una trobada d’aquestes per parlar-ne. No ho
hem fet, el seu punt de vista em falta, perquè sempre venia revestit
amb prudència, perícia i bonhomia, las qualitats que eren les
seves, las d’un home bo.
1Ralle
Michel. Les socialistes madrilènes au quotidien I (des origines de
l’Agrupación à 1910). In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome
17, 1981. pp. 321-345.
2« Premières
lectures espagnoles de la Révolution d’octobre »,
dans Cahiers
d’Histoire, Paris,
n°68,1997, p.25-37.
3« La
HNP: une part de mythe dans la politique communiste ? »,
(Actes du colloque Imaginaires
et symboliques dans l’Espagne du franquisme,
dir. C. Serrano), Bulletin
d’Histoire Contemporaine de l’Espagne,
Bordeaux, Maison des pays ibériques, n°24, décembre 1996,
p.82-96.
4¿« Una
nueva imagen de España? Las huelgas del 62 ante las miradas de la
opinión francesa y del exilio », dans R. Vega García,
(coord.), Las
huelgas del 1962 en España y su repercusión internacional,
Oviedo, eds. Trea, 2002, p.379-394.
6L’utopie
et l’action dans la Première Internationale en Espagne. Actes du
VIe
congrès national des hispanistes de l’enseignement supérieur,
Annales littéraires de l’Université de Besançon, Paris, Les
Belles Lettres, 1971, p. 83-107.
8Bernard
Vincent, « L‟hispanisme français etl‟histoire moderne et
contemporaine », Zurita, n° 71, p.219-236.
9L’hispaniste
qui, comme Maurice ou moi-même, décide de déposer un sujet de
thèse qui ne suppose pas le recours à des sources considérées
comme littéraires s’expose à des déboires : il passe pour
un hispaniste aux yeux des historiens et pour un historien auprès
des hispanistes ; les uns et les autres ont tendance à le
considérer comme un amateur. »
Joseph Pérez,
« La formation intellectuelle de Jacques Maurice », Cahiers
de civilisation espagnole contemporaine [En
ligne], 2 | 2015,
10Bertrand
J.-J.-A. Figures d’hispanologues.. In: Bulletin Hispanique, tome 24,
n°4, 1922. pp. 343-360;
Voici un ouvrage étonnant, et, je dirais même plus, détonnant qui me tombe sous la main dans une librairie surchauffée d’Amboise. Il s’agit d’un petit ouvrage élégant, comme les éditions P.O.L savent les confectionner.
Son auteur, Nathalie Quintane, a déjà à son actif un nombre respectable d’ouvrages, une quinzaine aux titres séduisants : depuis le premier, Chaussures, publié en 1997, jusqu’au dernier, publié en novembre 2016, qui pose la question qui tue : « Que faire des classes moyennes ? ».
Il ne faut s’attendre à rien de comparable à un essai sociologique ou à une étude politologique, mais bien à la mise en mots d’une intuition formidable qui fait, à mes yeux, que ce livre est le meilleur qui a été écrit sur le phénomène des gilets jaunes. Deux ans avant qu’ils manifestent, six mois avant l’élection d’Emmanuel Macron n’ouvre l’abîme social que nous vivons aujourd’hui.
Or les manifestations des gilets jaunes nous montrent bien que ce concept est vide. Quelle que soit l’approche adoptée (le niveau de revenus, les auto-représentations), puisqu’elles sont moyennes, elles se trouvent dans un entre-deux intenable. Cette existence « non-fiable » des classes moyennes transparaît déjà par l’usage du pluriel. Elles fluctuent entre prolétariat et « les riches statistiques », situés au-dessus du « faux-plafond » de 3120 euros.
La question posée par les gilets jaunes est celle de la souffrance provoquée par ce basculement permanent entre prolétariat et classe moyenne du dessus, basculement observé par les archi-riches avec effroi quelquefois (« foule haineuse » disait Macron en décembre. Une fois la classe (toujours au singulier, elle) ouvrière défaite et paupérisée, la classe petite moyenne est le dernier os à ronger pour les ultra-riches, « qui se sont mis à enfourner et recracher du fric comme un distributeur détraqué ». Et elle ne s’est pas résignée , ouvrant une ère de révolte difficilement « sociologisable » affirmait le sociologue Alain Bertho avant de se raviser.
Nathalie Quintane le fait deux ans plus tôt, avec une efficacité humoristique de haut vol. Je recommande donc sa lecture, tout en recommandant aussi, en même temps, de fermer son poste pour ne plus entendre ce bas bruit émis par les médias à débit continu… bas bruit géré par quelques-uns des distributeurs détraqués de chez nous.
La leçon de la chose, c’est que le livre sauve de la bêtise.
Ce courrier informe les députés de l’état d’avancement de divers sujets qui peuvent relever de la compétence de la Présidence: travaux entrepris, amélioration des conditions de travail matérielles des députés et statutaires des assistants parlementaires.
Il informe également sur le projet de réforme du Règlement de l’Assemblée. Il prévoit de resserrer le temps accordé aux question au gouvernement, et de rendre plus fluides les échanges, or le timing imposé dépend de la Conférence des Présidents.
Mais, plus intéressant, il propose de « revivifier le droit de pétition, celles ayant recueilli un nombre significatif de signatures pourraient par exemple donner lieu à un débat en séance. » La proposition reste vague, sans développement, mais tente visiblement de proposer cette voie pour satisfaire l’une des revendications des gilets jaunes, celle du RIC, en permettant de fixer un seuil au nombre de signatures recueillies pour ouvrir un débat sur la question posée.
J’ai tendance à penser que quand on n’a pas d’offre autre que le droit de pétition comme alternative, c’est que le droit démocratique de représentation et mandature est défaillant.
Dans un article écrit il a plusieurs années, je m’étais intéressé à la façon dont le franquisme, au début des année soixante, tentait de modifier quelque peu son image d’Etat autoritaire en promouvant à la fois l’ultralibéralisme économique et en déployant un discours pseudo-démocratique savant pour expliquer que la « démocratie parfaite » dépendait de l’usage de ce droit venu de la tradition ecclésiale catholique.En effet, le droit de pétition est central dans le Droit Public Chrétien, puisqu’il est le seul recours possible du peuple (ou de la communauté) devant une décision du Souverain. Au cours du troisième Congrès catholique, qui s’est tenu en octobre 1892 à Séville, c’est-à-dire dans les débats postérieurs à la publication de l’Encyclique Rerum Novarum (Léon XIII, 15 mai 1891), c’est ce droit qui est mis en avant pour combattre la menace de laïcisation des Etats et le recours au suffrage universel, qui s’applique en Espagne en tant que droit de vote pour tous les hommes de plus de 25 ans sans condition censitaire depuis quelques semaines:
Insistiendo, pues, en lo acordado por el Congreso Católico de Zaragoza, el derecho de petición, que asiste a todos los españoles, según la Constitución vigente, debe ejercitarse sin interrupción alguna por los católicos, mientras existan escuelas laicas toleradas por el Estado con infracción del art. II de la misma Ley fundamental y mientras no se conceda a la Iglesia la inspección que le corresponde en la enseñanza.
La charge de « revivifier » le droit de pétition à l’espagnole était confié à un membre connu de l’Opus Dei, Laureano López Rodó.
Comme certains journalistes le soulignent, voici un droit ancien, peu usité qui réapparaît dans le discours politique de la majorité. Droit ancien certes, mais droit démocratique?
J’en concluais ceci:…
« le droit de pétition devient, si l’on suit le discours de López Rodó, « el colofón que cierra perfectamente el sistema representativo », autrement dit la seule voie de recours et d’intervention du peuple dans les affaires de la Cité. Le corps social dispose donc d’un maillage réactif (une sorte de système nerveux) qui peut faire parvenir des informations à sa tête pour la préservation du bien commun du corps tout entier. Cette communication c’est le droit de pétition, activation du système nerveux social, merveilleuse mécanique représentative qui vient en couronner la perfection. Comme l’analysent fort justement Francisco González Navarro et José Francisco Alenza García dans leur ouvrage commentant la loi de novembre 2001 [15]: la loi de 1960 consistait à revivifier une fonction ancienne du droit de pétition en tant que mécanisme compensatoire démocratique, autrement dit pour pouvoir ne pas concéder d’autres libertés politiques. Ni toutes les libertés qui lui sont naturellement associées, comme le droit de réunion et les droits d’expression et d’opinion au sens large, ni non plus l’exercice du droit de vote pour l’élection des députés (procuradores), ce qui reviendrait à changer la nature de l’édifice de l’Etat en restituant la souveraineté au peuple conçu comme un ensemble d’individus formant une volonté générale, ce qui, bien évidemment renvoyait au concept rousseauiste de l’Etat, volonté tellement redoutée par les élites.
Ce droit devient dans ce discours la marque de la générosité extrême de la tête qui condescend à écouter toute partie du tout (puisque l’individu est réduit à cette portion congrue). Une générosité sans limites puisque López Rodó fait remarquer qu’il était même accordé aux femmes mariées ! On ne sait pas s’il s’agissait d’épater les Procuradores devant l’audace d’un discours aux nettes inflexions savantes ou si le souci était de se montrer brillant et digne d’un grand avenir aux yeux des faiseurs de carrière. On reste étonné par l’aristotélisme vibrant du Ministre qui cite même nommément l’auteur du Livre des Politiques, quand il soutient que les dimensions idéales de la Cité étaient les limites de la portée de la voix humaine (on peut supposer qu’il pense aux limites de l’hémicycle lui-même) ! »
Puisqu’il est question de démocratie directe, de référendum d’initiative populaire ou d’initiative citoyenne en France, de référendum comme application du droit à l’autodétermination en Catalogne, il m’a semblé utile de revenir sur un épisode parlementaire de la dictature franquiste. En souhaitant que cet épisode éclaire sur la réversibilité et l’ambiguïté de toute proposition d’exercice des droits et en particulier du droit de revendiquer et du droit de décider et, de manière générale, de toutes les formes de prise de décision souveraines.
Le 12 novembre 2001, le Parlement espagnol adoptait la Loi organique
4/2001 règlementant l’usage du droit de pétition prévu par l’article 29 de la
Constitution espagnole[1].
Cette Loi venait se substituer à une autre Loi, à objet similaire,
datant du 22 décembre 1960, qui était restée en vigueur après le 27 décembre
1978 car elle n’était pas contradictoire avec la nouvelle Loi fondamentale.
Cette faculté lui permit donc de rester en vigueur jusqu’à l’adoption de la
nouvelle Loi mais également d’être l’objet d’un traitement jurisprudentiel qui
établissait le principe selon lequel une Loi ne pouvait être invalidée si elle
pouvait être jugée « en consonancia » [en harmonie] avec la
Constitution (sentences du Tribunal Constitutionnel du 2 février 1981 et du 8
avril 1985[2]).
Ce principe eut toute son importance dans l’étape de mise en conformité des
normes selon le principe de hiérarchie après 1978 car il permettait d’assurer
une continuité légale entre la Loi antérieure et celle qui devrait, un jour la
remplacer.
En 2001, c’est la dernière étape de ce processus qui s’achève puisqu’il
s’agit d’adopter une Loi Organique traitant de ce thème et, par là même, d’en
finir avec le maintien dans l’ordonnancement juridique d’une loi « pré-constitutionnelle »
d’autant plus encombrante d’un point de vue philosophique et éthique qu’elle
portait sur un droit rangé dans la catégorie des Droits Fondamentaux.
Ainsi, même s’il ne s’agit pas là du fond de cette réflexion, je
voudrais pointer une difficulté liée à la périodisation de cette étape de la
vie institutionnelle, politique et sociale de l’Espagne, qui est celle de la
détermination du « temps » de transition, quand commence-t-elle et
quand finit-elle ? Ce ne peut être réduit à une question de point de vue
mais bien un sujet de débat fondamental, puisqu’on voit bien que la transition
en matière de mise à jour du corpus législatif a été très lente et, sous
certains aspects, n’est pas encore terminée. Pour aller plus loin dans le
paradoxe, on pourrait presque s’aventurer à affirmer qu’elle ne le sera
probablement jamais. Admettons en tout cas que c’est le volontarisme espagnol
né des conditions de rédaction de la Constitution qui, en ce début de
millénaire, présidait encore à l’établissement de certaines lois (par exemple,
pour ceux qui en ont suivi la progression, la nouvelle Loi sur la Nationalité
adoptée en 2002[3]),
surtout celles qui concernent « el primer paquete de Derechos
fundamentales », c’est-à-dire celles qui correspondent aux articles 11 à
13 du titre premier, (nationalité), et articles 14 à 29 (droit fondamentaux
bénéficiant d’une protection constitutionnelle directe[4]).
L’objectif
de la Loi du 22/12/60
Il faut signaler qu’au départ de cette tentative de réflexion sur le
Droit de Pétition, il y eut surtout la lecture d’un curieux discours
parlementaire rencontré au fil des consultations du BOCE des années 59/66 dans
le cadre d’une autre recherche. Il avait attiré mon attention car il s’agissait
de l’un des premiers discours parlementaires de l’un des personnages politiques
les plus en vue du second franquisme, Laureano López Rodó. Devant un parlement
obéissant et docile, il se livra le 19 décembre 1960 à un exercice pédagogique
de théorie politique bien à sa manière et sûrement apprécié comme il devait
l’être par les Cortes[5].
Dans ces années-là Laureano López Rodó est encore relativement éloigné de
l’action politique. Professeur de Droit, il jouit, comme d’autres jeunes
juristes, d’une certaine complaisance, parce qu’il est brillant et qu’on peut
lui confier certaines tâches spécialisées, surtout dans son domaine (le Droit
public et le Droit administratif). De ce fait il peut participer à certaines
commissions (ici la Comisión de Leyes Fundamentales) et défendre devant
le Pleno des Cortes de nouvelles propositions de Loi avec une certaine
maîtrise technique, mais aussi avec habileté politique ; ce n’était pas la
qualité la plus partagée par les hommes du régime les plus en vue du moment.
Le discours
de López Rodó a pour but de donner à un Etat espagnol toujours en souffrance de
légitimité, quelques repères (on dirait aujourd’hui « éléments de langage »)
qui lui permettront, ou permettront surtout à ses acteurs, de faire face aux
critiques extérieures de plus en plus virulentes contre la dictature, des
critiques qui sont considérées par les nouveaux cadres du franquisme proches de
l’Opus Dei comme le fruit du complot éternel de la Réforme contre la conception
catholique, apostolique et romaine de l’Etat.
Si je
souligne le décalage entre la date d’adoption de la Constitution espagnole et
l’adoption d’une nouvelle Loi organique sur le Droit de Pétition (23 ans), je
pourrais relever un écart assez grand également entre la Loi de 1960 et le
texte fondamental dont elle prétend être l’application, c’est-à-dire le Fuero de los españoles du 17 juillet
1945. Mais, dans ce second cas, on doit souligner une différence majeure :
il n’existait pas de texte « préconstitutionnel », bon ou mauvais,
qui eût pu jouer le rôle de Loi d’application du Fuero. On peut donc avancer
qu’il y avait là un véritable vide légal, qui permettait à ceux qui
complotaient contre l’Etat franquiste de dire que les Droit Fondamentaux
étaient bafoués ou, quand ils étaient mentionnés dans le Fuero, étaient lettre
morte, ce qui n’était que la stricte vérité.
Le vide
devait donc être comblé en usant d’une stratégie de « lucarne propice »
correspondant à un moment de répit politique. En effet, le Plan de
Stabilisation commençait à faire ressentir ses effets positifs (réduction de la
dette et évitement de la banqueroute de l’Etat) avant que le maintien des
mesures d’austérité qui en découlaient
ne deviennent insoutenables et soient la cause des puissants mouvements sociaux
de 1962. On peut donc envisager de s’aventurer à quelques réformes dans le
domaine constitutionnel et, en tout cas se livrer à une démonstration de
démocratisme à peu de frais.
Dans cette
même période l’autre pilier de la démonstration ce sera la défense de la
négociation collective comme principe régulateur de la vie sociale.
L’avantage
était triple :
montrer que l’Espagne avait la
capacité d’amender et de perfectionner son arsenal légal, qu’elle vivait les
mêmes préoccupations démocratiques que toute autre nation et qu’elle était
capable d’assumer les évolutions nécessaires.
mettre en avant le caractère
humanistique de l’Etat espagnol, défenseur et promoteur de droits ancestraux
(donc liés étroitement au droit naturel), contre les versions totalitaires de
l’Etat, en mettant en avant la défense d’un droit fondamental de l’individu,
capacité qui lui était déniée par ses détracteurs extérieurs.
lier de façon explicite le droit
public civil et le droit public chrétien, puisque le droit de pétition était un
droit qui était considéré comme trouvant son origine dans l’application dans
l’exercice de la souveraineté du principe de vertu princière marqué par trois
critères « piedad, condescendencia y misericordia » (José Carlos
Suárez Escalona, « La nueva regulación del Derecho de petición », Foro de Cultura Policial, www.forculpol.com).
Le discours
de López Rodó
L’angle d’attaque de la défense de la Loi adopté
par son rapporteur correspond à un objectif explicite : s’opposer au
formalisme de la théorie pure du droit qui ne conçoit l’Etat que comme confondu
avec l’ordonnancement des Lois, reflet pur d’un système normatif dans lequel la
place de l’individu (ou de la personne) ne serait que celle d’objet auquel
elles s’appliquent, autrement dit une conception totalitaire du droit, une
conception antihumaniste que Rodó rejette au nom de la tradition espagnole à la
fois d’ancien régime (qu’il fait remonter à la reconquista) et antilibérale, en toute logique.
Sous cette
apparente profession de foi humaniste se dissimule une vision planétaire dont
la figure principale serait le combat éternel, dont l’Espagne serait le porte
flamme, contre toute forme de pensée qui, comme le précise Fraga Iribarne dans
« la Crisis del Estado », ne ferait plus de la conscience religieuse
l’ultime critère en matière politique, autrement dit, n’appliquerait plus la
politique de Dieu[6]. Cette
lutte avait commencé contre le luthéranisme et avait été portée à bout de bras
par les penseurs de la néo-scolastique que tous ces auteurs citent abondamment
(Suárez, Vitoria, Saavedra Fajardo) et s ‘est poursuivie contre le
libéralisme parlementariste au XIXème (les figures citées en référence sont les
penseurs réactionnaires Juan Donoso Cortés et Ramiro de Maeztu).
Dans ces
années 50, la nécessité de donner une leçon d’histoire des idées politiques
semble être de mise chez ces jeunes universitaires ambitieux qui n’attendent
qu’une chose : se voir confier des postes de prestige[7]. La thématique est souvent
la même, les références aussi. Toutes visent à renouveler le contenu même de la
quête de légitimité de l’Etat franquiste. S’il n’est pas légitime par la Loi,
il l’est par l’histoire (c’est le retour permanent à la date fondatrice du 18
juillet 36 qui en témoigne) mais aussi par la permanence de quelques unes des
valeurs qu’il faut réaffirmer sans cesse et qui plongent leurs racines dans le
fonds historique et spirituel qui a fait l’Espagne.
Profitant
donc de l’occasion qui lui est fournie de faire une démonstration universitaire
de ses talents devant le parlement, López Rodó se risque à proposer une vision
de l’Etat plus « humaniste » que la simple assignation faite à ce
dernier de gestionnaire des rapports entre individus[8]. Il fonde cette conception
de l’Etat sur un concept de peuple, de destinée historique et de vie collective
(que l’on peut rapprocher évidemment de la formule bien connue de « España
como unidad de destino » qui apparaît dans les lois fondamentales du
franquisme, comme, dans la Ley de
Principios del Movimiento Nacional du 17 mai 1958[9]).
Cette
conception va trouver ses principaux soutiens dans la théorie chrétienne de
l’Etat. Il n’y a là rien de nouveau, rien de bien original puisque, depuis ses
débuts, l’Université espagnole des temps franquistes, épurée de ses
hétérodoxes, a tenté de restaurer ce qui lui semblait être la seule voie
idéologique valide, celle de la fidélité à la néo-scolastique. Il suffit de jeter
un regard aux Lois sur l’Université et aux nombreux témoignages d’intellectuels
et universitaires (Julián Marías, Enrique Tierno Galván, par exemple) mais
également aux contenus des travaux des philosophes et juristes non épurés du
courant des années 40 et 50 pour être édifié. Le fleuron de ces travaux reste
l’ouvrage de Manuel Fraga Iribarne, premier ouvrage de fond qu’il
publie en 1955, « La crisis del estado », mentionné plus haut.
Mais si nous
revenons à López Rodó, rien dans les apparences n’est changé, sinon l’assurance
que le modèle d’Etat proposé est le meilleur parce qu’il est tout le contraire
d’une démagogie, qu’il s’apparente à la seule vraie démocratie, celle qui est
inspirée de la tradition espagnole catholique du rapport entre le souverain et
ses sujets, que l’on convertira en citoyens sans souveraineté (la seule
souveraineté étant la divine a terminis).
Avec la
nouvelle perspective du Plan de Stabilisation, on peut avoir le sentiment
qu’une veine féconde se présente aux hommes du pouvoir devant ce nouvel
objectif économique pour satisfaire leur goût pour la métaphore filée devant un
cénacle aussi obéissant, aussi docile d’autant que bon nombre des Ministres
intervenant dans des domaines réputés comme difficiles ou techniques sont des
enseignants.
Laureano
López Rodó, en décembre 1960, inaugure cette veine stylistique, en défendant le
projet de réforme du Droit de Pétition[10] au nom de la Commission des
Lois. Ce personnage central du second franquisme fait alors ses armes devant
les parlementaires. Il relatera plus tard qu’au cours de l’année universitaire
1960-61 il eut le privilège de compter Juan Carlos parmi les étudiants
assistant à son cours de droit administratif[11].
Sa thèse
était simple et se résume en une expression: « El Estado como empresa
política ». Sa critique du point de vue théorique normatif de l’Etat est
des plus claires:
Les formalistes de la théorie ure du droit ont fini
par identifier l’Etat à l’ordonnancement légal, ne voyant en lui qu’un système
normatif et en la personne un centre de gravité sur lequel s’exercent ou se répercutent
les normes juridiques.
Face à cette
conception réglementariste de la norme et réductrice de l’Etat à la simple
gestion des rapports entre individus (qui est la base du discours libéral),
López Rodó propose une autre vision, plus « fusionnelle », qui se
fonde sur un triple concept de peuple, de destinée historique et de vie
collective. Pour paraphraser le titre d’un ouvrage de Lothar Baier sur la
France de la fin des années 80, l’Etat c’est le Directoire de « l’entreprise
Espagne ». Une seule volonté, déterminée par des objectifs et des
procédures (« el quehacer nacional »)
qui empruntent à l’entreprise industrielle ou financière ses principes
d’organisation, de déploiement et de discipline. S des ministres techniciens
comme Mariano Navarro Rubio ou Alberto Ullastres s’en tenaient encore à la
métaphore militaire classique chez les franquistes (conquête, reconquête,
avancées, victoires), López Rodó distille une idée de l’Etat relevant d’une
conception civile et universitaire à la fois. Il nous dit par exemple dans ce
discours que l’Etat est la personnification juridique de la Patrie et son
administration, le bras exécutif de l’Etat. Cette vieille métaphore du corps
étatique fait donc l’affaire, parce que elle est, par sa simplicité, accessible
à tous et surtout parce qu’elle induit comme modèle un patron universel qui
suppose, plus que la séparation, la fusion de ses distinctes parties selon le
critère d’obéissance à la tête et au cœur. On est évidemment bien loin du
concept démocratique, cette figure thomiste de l’Etat comme «organisme
vivant » était chère aux conservateurs[12]. Mais dans l’usage qu’en
fait López Rodó on est, au contraire, beaucoup plus près d’une conception
managériale de l’Etat puisqu’il est question de transposer au modèle d’Etat les
principes relatifs à l’organisation et à la direction des entreprises et de
montrer qu’entre cette conception et celles qui étaient défendues par le
néothomisme classique les convergences sont fortes. Comme si, en quelque sorte,
avec la modernité et l’industrialisation, une autre société parfaite eût surgi
aux côtés de l’Eglise : celle de l’entreprise.
Même s’il
continue à lui accorder une importance de premier plan, en passant de l’un à
l’autre des modèles, le critère hiérarchique semble moins accusé puisque López
Rodó essaie de dégager un lien de légitimité souveraine dans l’articulation de
la relation peuple/Etat.
La Loi
C’est ici
que cette Loi réformant le droit de pétition trouve toute son utilité. López
Rodó, comme rapporteur, n’hésite pas à l’élever au rang de « Loi
démocratique parfaite », tout en laissant apparaître sa parenté étroite
avec la néo-scolastique :
Le droit de pétition n’a pas seulement pour objet d’obtenir
des pouvoirs publics la réparation d’injustices ou la correction d’abus, mais
il permet de promouvoir du bas vers le haut la mise en œuvre concrète de
manifestations du bien commun… Il ne s’agit pas du simple droit « d’adresse »
…/… mais d’un droit politique fondamental lié à la condition de membre de la
communauté politique espagnole.
Naturellement,
qui parle d’entreprise comme modèle d’organisation, veut ignorer ou nier le
principe même du suffrage universel. Or cette dernière question est au cœur des
critiques faites à l’Etat franquiste, en particulier par les instances
européennes : le Conseil de l’Europe ou le Marché Commun que l’Espagne
souhaite pouvoir intégrer à plus ou moins court terme. Il faut donc persuader
de l’originalité de la démocratie organique espagnole ces instances même si on
murmure, dans les cercles du pouvoir espagnol, qu’elles sont investies par les
luthériens (allemands, belges et néerlandais). Il faut même s’en persuader
soi-même pour se donner une panoplie argumentaire qui pourrait être (et qui
fut) utilisée pour plaider la cause de l’Espagne en Europe et aux Etats Unis.
Donc, au
lieu de parler de souveraineté et de contrôle, López Rodó évoque la mise en
place d’une communication facile entre le groupe social qui constitue
l’entreprise Espagne et l’autorité qui la dirige.
On pourrait
penser, à première vue, que ce membre de l’Opus Dei réputé
« moderne » réduisait la relation peuple/dirigeant à une simple
politique de communication d’entreprise, liée à l’esprit corporatif[13].
En fait, il
se pose (et nous pose) une question en bon aristotélicien, qui place l’autorité
comme une immanence sans autre origine que divine, née de la nécessité de
diriger, et composée des meilleurs (cette pars
valentior que cite Marsile de Padoue). Le peuple en tant que tel est
constitué naturellement en une communauté organique d’individus et de sous-communautés
aux affinités immédiates, réunis non pas sous l’effet de leur volonté seule
mais parce que, par nature, l’homme vit en société, parce que selon la formule
consacrée d’Aristote, il est un zoon
politikon, un animal naturellement social. Cette insistance sur le
caractère communautaire de la société des hommes est présente dans le discours
politique ou philosophico-politique du franquisme parce qu’elle suppose la
séparation que nous citons plus haut entre la communauté humaine et l’autorité.
Si on peut parler d’établissement d’un lien, il n’est pas de dépendance, de
représentation, mais, de la part de celui qui exerce le pouvoir, d’écoute et de
volonté, et d’exercice de sa propre vertu (clemencia,
benignitas, humanitas, beneficientia, pour citer les vertus que Sénèque
souhaite voir arborées par Néron dans le
De Clementia).
Le lien est
une communication entre les éléments composant la communauté et entre la
communauté et son autorité comme s’établit une communication entre les
différents éléments composant le corps humain (bras, pieds, jambes, tête). La
communication trouve son fondement et son seul contrôle dans le droit de
pétition, conçu comme un mode de communication direct entre le peuple et les
autorités, comme une garantie de la collaboration loyale, active et ordonnée
des membres de la communauté avec les organes supérieurs chargés de sa
direction. Cette vision hiérarchique correspond, même dans son esquisse
métaphorique à l’élémentaire pensée scolastique. Voir le corps social comme un
corps humain où la tête dirige, le cœur transcende, les bras et les jambes
obéissent est aussi ancien que la pensée politique. On se retrouve bien sûr aux
antipodes du libéralisme classique, dont López Rodó fait la critique; mais il a
conscience que cela ne suffit pas et qu’il faut également se tenir à distance
de Locke ou de Rousseau. Il fait preuve d’une certaine habileté, puisque il en
vient à confondre dans sa critique le libéralisme individualiste (démocratie
souveraine égoïstement fondée sur l’individu, perversion luthérienne) et le
totalitarisme (héritier de Rousseau et de son Contrat social). Cette opération
lui permet de se placer sur un troisième plan de la pensée politique, le Droit
Public Chrétien, inaugurée comme une « troisième voie »:
L’erreur du libéralisme individualiste, que commet
également le totalitarisme, repose sur l’affrontement irréductible entre la
personne et la communauté politique…/… Les juristes espagnols des XVIe et XVIIe
siècles ont su défendre, face aux doctrines hétérodoxes, les Principes du Droit
Chrétien selon lequel s’il est bien vrai que l’homme porte en lui-même une vie
et des biens qui transcendent la société politique, il est également vrai que
chaque personne est liée à la communauté comme la partie est liée au tout.
En réalité,
le droit de pétition devient, si l’on suit le discours de López Rodó, « el colofón que cierra perfectamente
el sistema representativo », autrement dit la seule voie de recours et
d’intervention du peuple dans les affaires de la Cité[14]. Le corps social dispose
donc d’un maillage réactif (une sorte de système nerveux) qui peut faire
parvenir des informations à sa tête pour la préservation du bien commun du
corps tout entier. Cette communication c’est le droit de pétition, activation
du système nerveux social, merveilleuse mécanique représentative qui vient en
couronner la perfection. Comme l’analysent fort justement Francisco González
Navarro et José Francisco Alenza García dans leur ouvrage commentant la loi de
novembre 2001 [15]: la
loi de 1960 consistait à revivifier une fonction ancienne du droit de pétition
en tant que mécanisme compensatoire démocratique, autrement dit pour pouvoir ne
pas concéder d’autres libertés politiques. Ni toutes les libertés qui lui sont
naturellement associées, comme le droit de réunion et les droits d’expression
et d’opinion au sens large, ni non plus l’exercice du droit de vote pour
l’élection des Procuradores, ce qui reviendrait à changer la nature de
l’édifice de l’Etat en restituant la souveraineté au peuple conçu comme un
ensemble d’individus formant une volonté générale, ce qui, bien évidemment
renvoyait au concept rousseauiste de l’Etat.
Ce droit
devient dans ce discours la marque de la générosité extrême de la tête qui condescend
à écouter toute partie du tout (puisque l’individu est réduit à cette portion
congrue). Une générosité sans limites puisque López Rodó fait remarquer qu’il
était même accordé aux femmes mariées ! On ne sait pas s’il s’agissait
d’épater les Procuradores devant l’audace d’un discours aux nettes inflexions
savantes ou si le souci était de se montrer brillant et digne d’un grand avenir
aux yeux des faiseurs de carrière. On reste étonné par l’aristotélisme vibrant
du Ministre qui cite même nommément l’auteur du Livre des Politiques, quand il
soutient que les dimensions idéales de la Cité étaient les limites de la portée
de la voix humaine (on peut supposer qu’il pense aux limites de l’hémicycle
lui-même) !
***
La leçon de
philosophie politique de López Rodó, ou même celles de politique économique des
auteurs du Plan de Stabilisation faisaient figure d’exceptions dans la masse
des discours parlementaires. En effet, nous tirons de la lecture de la plupart
de ceux de l’époque qu’ils sonnent creux. Mais, au bout du compte, c’est leur
caractère répétitif qui attire l’attention.
Nous avons
déjà exposé quelques-uns des thèmes récurrents du discours parlementaire et
institutionnel de Franco et de l’Etat franquiste : références antilibérales
et même néo-scolastiques, vision hiérarchisée et corporative des corps sociaux,
habile anticommunisme et goût prononcé pour la réécriture incessante de
l’histoire. Nous pouvons cependant retenir une permanence dans le discours :
une certaine idée de la cohérence ou de la perfection institutionnelle[16], une
idée de la particularité et de la solitude impériale de l’Espagne, mère des
peuples et des destinées[17], de sa
manifest destiny, de la réitération
du rôle providentiel de Franco et de cette image d’une Espagne qui ne laisse
pas troubler par les attaques extérieures et qui poursuit son chemin
imperturbablement. Tout ceci exprimé à l’aide d’un arsenal métaphorique pesant
ou, selon la lecture qu’on en fait, d’un érotisme politique inédit : « Nous
savons bien la grande importance pour la vie publique que chaque espagnol
puisse apporte une sève rafraichissante et vigoureuse au corpulent arbre de l’organisation
politique nationale.»
Mais
l’essentiel, c’est que cette loi devait servir de levier à une offensive
diplomatique dirigée vers l’Europe, en faisant passer la pilule de la
« démocratie organique » et de sa représentation
« estamental »[18]
.
En 1964,
devant l’offensive de certains juristes européens contre les limitations des
droits fondamentaux en Espagne, la contre-attaque prend la forme d’un ouvrage
sans auteur, mais conçu et diffusé par le Service d’Information espagnol
(c’est-à-dire le Ministère de l’Information et du Tourisme dont Fraga est le
titulaire) dans lequel une tentative de réfutation aux critiques est proposée
point par point. Quand il s’agit de présenter à nouveau le Droit de pétition,
on croit reconnaître la patte de Fraga qui vient surtout justifier la
limitation de ce droit à la pétition individuelle.
Il en donne
une version mesurée (« à travers le droit de pétition, les pouvoirs
publics ramènent directement vers leur noyau central certaines préoccupations
des citoyens, dont la résolution n’est pas toujours facile par les voies
ordinaires propres à un Etat de droit, quelquefois rendue plus difficile par
les entraves bureaucratiques.»).
On est loin
du « colofón del sistema
representativo » de López Rodó, mais plutôt du côté du non-droit
strict, du gouvernement par ordonnances. Mais il faut dire que depuis 1960,
certains évènements ont obligé le régime à adopter un profil bas et à faire
preuve de moins de hardiesse. L’année 62, année de crise institutionnelle et
sociale, la répression anticommuniste et antisyndicale comme le Concile Vatican
II, ont obligé l’Espagne franquiste à revoir quelque peu son catéchisme
national, à faire le dos rond en attendant des jours meilleurs ou à essayer de
tourner les exigences politiques de l’Europe devant toute nouvelle demande
d’association ou d’adhésion que les différentes
organisations européennes (Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire
européenne) ne cessaient de mettre en avant (rapport Birkelbach, 15 janvier
1962)[19].
[1] Art. 29. 1. Todos los españoles tendrán
el derecho de petición individual y colectiva, por escrito, en la forma y con
los efectos que determine la ley.
2. Los miembros de las Fuerzas o
Institutos armados o de los Cuerpos sometidos a disciplina militar podrán
ejercer este derecho sólo individualmente y con arreglo a lo dispuesto en su
legislación específica.
[2] « La peculiaridad de las leyes preconstitucionales
consiste, por lo que ahora interesa, en que la Constitución es una Ley superior
-criterio jerárquico- y posterior -criterio temporal-. Y la coincidencia de
este doble criterio da lugar -de una parte- a la inconstitucionalidad
sobrevenida, y consiguiente invalidez, de las que se opongan a la Constitución,
y -de otra- a su pérdida de vigencia a partir de la misma para regular
situaciones futuras, es decir, a su derogación. »
[3]Ley 36/2002, de 8 de octubre, de modificación del Código Civil en
materia de nacionalidad, «BOE» n°. 242, 9 octobre 2002, p. 35638-35640.
[4] Art. 53. 1. Los derechos y libertades
reconocidos en el Capítulo segundo del presente Título vinculan a todos los
poderes públicos. Sólo por ley, que en todo caso deberá respetar su contenido
esencial, podrá regularse el ejercicio de tales derechos y libertades, que se
tutelarán de acuerdo con lo previsto en el Art. 161, 1 a)
2. Cualquier ciudadano podrá recabar la tutela de las libertades y
derechos reconocidos en el art. 14 y la Sección primera del Capítulo 2.º ante
los Tribunales ordinarios por un procedimiento basado en los principios de
preferencia y sumariedad y, en su caso, a través del recurso de amparo ante el
Tribunal Constitucional. Este último recurso será aplicable a la objeción de
conciencia reconocida en el Art. 30.
[6] « España no perdió en ningún momento
la conciencia religiosa como criterio definitivo en materia política. » La crisis del Estado, page 37, ed.
Aguilar, 1955.
[7] Ils y sont encouragés par le système:
dans une note biographique publiée dans la
Revista de Estudios Políticos, n° 31-32, janvier-avril 1947, on présente Manuel
Fraga Iribarne comme « uno de los
más recios valores intelectuales de la juventud española ».
[8]
«La doctrine politique du Mouvement souligne le caractère social et
représentatif de l’Etat. Ceci dit, ma représentation organique non seulement n’annule
pas la personne, mais, bien au contraire du bavardage du XIXe siècle, elle est
la meilleure façon de la respecter et de la servir. »
[9]« Yo, Francisco Franco Bahamonde, Caudillo de España,
1-España es
una unidad de destino en lo universal. »
Consciente de mi
responsabilidad ante Dios y ante la Historia, en presencia de las Cortes del
Reino, promulgo como Principios del Movimiento Nacional, entendido como
comunión de los españoles en los ideales que dieron vida a la Cruzada, los
siguientes:
[10]
BOCE 1960/R.687, 19 décembre 1960, page 14332 et suivantes.
[11]
Dans son ouvrage « La larga marcha hacia la Monarquía » (1977), López
Rodó évoque assez complaisamment cet épisode et fait remarquer qu’il avait
donné comme sujet d’examen « L’organisation et les fonctions du Conseil
des Ministres », sujet que le Prince avait traité « satisfactoriamente »,
ce qui indiquait qu’il restait dans la moyenne et ne laissait pas penser qu’il
saurait maîtriser le sujet pour pouvoir nommer Adolfo Suárez et lui demander de
préparer le référendum de juin 1976 sur la réforme de la Loi électorale.
[12] « Es necesario que además de que
haya algo que mueva al individuo a buscar su propio bien, haya algo que lo
mueva a buscar el bien común de la colectividad. Por ello, siempre que vemos
una muchedumbre de cosas ordenadas a un fin, ha de haber en ellas algo que las
dirija. Así, en los cuerpos celestiales, hay un cuerpo central; otros cuerpos
se rigen por la ordenación de la divina providencia y otros cuerpos son guiados
por la criatura racional. Y tratándose
de un hombre, el alma rige al cuerpo y la razón los aspectos irascibles y
concupiscibles del alma. Y aun entre los
miembros del cuerpo hay uno principal que dirige los demás, sea el corazón o el
cerebro. Es necesario, pues, que donde se da pluralidad se dé un principio
unificador. » SANTO TOMÁS DE AQUINO, Opúsculo
sobre el gobierno de príncipes, Ed. Porrúa, Méjico, 2000, page 258.
[13]
Cette politique qui développa les services de management et relations internes,
dans la version des flux informatifs du haut vers le bas, et des retours d’expertises
du bas vers le haut (dans les cercles de qualité par exemple).
[14] Droit de pétition qui est central
dans le Droit Public Chrétien, puisqu’il est le seul recours possible du peuple
(ou de la communauté) devant une décision du Souverain. Au cours du troisième
Congrès catholique, qui s’est tenu en octobre 1892 à Séville, c’est-à-dire dans
les débats postérieurs à la publication de l’Encyclique Rerum Novarum (Léon XIII, 15 mai 1891), c’est ce droit qui est mis
en avant pour combattre la menace de laïcisation des Etats: Insistiendo, pues, en lo acordado por el
Congreso Católico de Zaragoza, el derecho de petición, que asiste a todos los
españoles, según la Constitución vigente, debe ejercitarse sin interrupción
alguna por los católicos, mientras existan escuelas laicas toleradas por el
Estado con infracción del art. II de la misma Ley fundamental y mientras no se conceda a
la Iglesia la inspección que le corresponde en la enseñanza.
[15] GONZÁLEZ NAVARRO, Francisco, ALENZA
GARCÍA José Francisco, Derecho de
petición, Comentarios a la Ley Orgánica 4/2001, de 12 de noviembre,
Civitas, Madrid, 2002.
[16]
Cette image de société parfaite que développent les Procuradores derrière leur
maître es sciences politiques du jour.
[17]On retrouve ici l’accent des diatribes d’ Antonio Maura contre les « européistes » décadentistes et la glorification du mythe d’une Espagne, mère des peuples et des destinées: Hay en la existencia española un momento climatérico (los momentos de las naciones milenarias pueden muy bien durar siglos enteros) que comienza a raíz de la conquista de Granada y el descubrimiento de América y termina bajo Felipe IV y el Conde Duque, con la entrada de España en la guerra de los Treinta años.Durante ese lapso nada corto (claro que es por permisión
divina) estuvo al arbitrio de nuestra patria no sólo la elección de su propio
destino ulterior, sino quizá, además, el de la humanidad entera… » DUQUE DE MAURA, «La coyuntura histórica del Imperio
español», Conférence prononcée à Cadix
le 10 décembre 1946 et publiée dans Grandeza
y decadencia de España, Ed. Ambos Mundos (s.d.).
[18] FRAGA IRIBARNE Manuel, Organización de la convivencia, Acueducto, Madrid, 1961, p.67.
[19] SATRÚSTEGUI Joaquín, Cuando la transición se hizo posible,
Tecnos, Madrid, 1993.