Voici un ouvrage étonnant, et, je dirais même plus, détonnant qui me tombe sous la main dans une librairie surchauffée d’Amboise. Il s’agit d’un petit ouvrage élégant, comme les éditions P.O.L savent les confectionner.

Son auteur, Nathalie Quintane, a déjà à son actif un nombre respectable d’ouvrages, une quinzaine aux titres séduisants : depuis le premier, Chaussures, publié en 1997, jusqu’au dernier, publié en novembre 2016, qui pose la question qui tue : « Que faire des classes moyennes ? ».
Il ne faut s’attendre à rien de comparable à un essai sociologique ou à une étude politologique, mais bien à la mise en mots d’une intuition formidable qui fait, à mes yeux, que ce livre est le meilleur qui a été écrit sur le phénomène des gilets jaunes. Deux ans avant qu’ils manifestent, six mois avant l’élection d’Emmanuel Macron n’ouvre l’abîme social que nous vivons aujourd’hui.
Or les manifestations des gilets jaunes nous montrent bien que ce concept est vide. Quelle que soit l’approche adoptée (le niveau de revenus, les auto-représentations), puisqu’elles sont moyennes, elles se trouvent dans un entre-deux intenable. Cette existence « non-fiable » des classes moyennes transparaît déjà par l’usage du pluriel. Elles fluctuent entre prolétariat et « les riches statistiques », situés au-dessus du « faux-plafond » de 3120 euros.
La question posée par les gilets jaunes est celle de la souffrance provoquée par ce basculement permanent entre prolétariat et classe moyenne du dessus, basculement observé par les archi-riches avec effroi quelquefois (« foule haineuse » disait Macron en décembre. Une fois la classe (toujours au singulier, elle) ouvrière défaite et paupérisée, la classe petite moyenne est le dernier os à ronger pour les ultra-riches, « qui se sont mis à enfourner et recracher du fric comme un distributeur détraqué ». Et elle ne s’est pas résignée , ouvrant une ère de révolte difficilement « sociologisable » affirmait le sociologue Alain Bertho avant de se raviser.
Nathalie Quintane le fait deux ans plus tôt, avec une efficacité humoristique de haut vol. Je recommande donc sa lecture, tout en recommandant aussi, en même temps, de fermer son poste pour ne plus entendre ce bas bruit émis par les médias à débit continu… bas bruit géré par quelques-uns des distributeurs détraqués de chez nous.
La leçon de la chose, c’est que le livre sauve de la bêtise.