Le talon de fer

Ici, à Madrid, le ciel bleu est revenu après la pluie. Un ciel paisible dans la tiédeur d’une fin d’automne agitée. Qu’est-ce qui agite donc l’Espagne ces derniers jours?

Peu de choses… la routine catalane: madame Artadi (rien à voir avec le négociant et producteur de vins d’Alava mais plutôt avec la gentry indépendantiste catalane) qui a trouvé un os à ronger: l’illégitimité de la monarchie… et, plus sérieusement, ‘annonce du pacte budgétaire entre le PSOE et Podemos qui, parmi d’autres mesures, a souhaité voir le salaire minimum passer à 900 euros (bruts). Les cris d’orfraie n’ont pas manqué… Les réactions positives non plus. Dans l’éternel combat entre le capital (celui qui ne vise qu’à accumuler) et le travail, une décision qui souhaite voir mieux se faire le partage des richesses a été salué par quelques chroniqueurs. Je vous joins celui de Raul del Pozo, « Boquera y forrados« , juste un son et un son juste…

Dans  Le talon de fer, Jack London fait prononcer à son héros, Ernest Everhard, des mots toujours actuels:

– Vous avez reconnu ce soir, à plusieurs reprises, par vos aveux spontanés ou vos déclarations ignorantes, que vous ne connaissiez pas la classe ouvrière. Je ne vous en blâme pas, car comment pourriez-vous la connaître ? Vous ne vivez pas dans les mêmes localités, vous pâturez dans d’autres prairies avec la classe capitaliste. Et pourquoi agiriez-vous autrement ?
C’est la classe capitaliste qui vous paie, qui vous nourrit, qui vous met sur le dos les habits que vous portez ce soir. En retour vous prêchez à vos patrons les bribes de métaphysique qui leur sont particulièrement agréables, et qu’ils trouvent acceptables parce qu’elles ne menacent pas l’ordre social établi.

Ceux qui protestent devant les augmentations de salaires ou, lorsqu’ils sont au pouvoir ne cessent de les transformer en « coût » qu’il faut réduire devraient y trouver source de réflexion.

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Tiempo de silencio

Deux mois de silence… certains de mes fidèles lecteurs se sont demandé pour quoi depuis la fin du mois de mai, je n’avais rien ajouté à ce blog.

Tout d’abord parce que professeur d’université, comme bon nombre de mes collègues, j’étais pris dans la valse réformiste et des accumulations de projets (la nouvelle loi d’orientation universitaire) et les effets de la crise qui, inexorablement réduisent les moyens et les forces d e nos universités qui en sont à payer le prix des errements bancaires et de quelques décennies de folie du crédit privé. Allez savoir pourquoi nous devons, par nos réductions de dépenses, aider au renflouement d’un système capitaliste sans foi ni raison.  L’Université publique française est, dans le monde, depuis la disparition des pays du bloc de l’est, l’une des dernières à observer le principe de la gratuité. Mais elle est essoufflée, très essoufflée…

Et depuis quelques jours, enfin quelques vacances…  et la forme mentale revient. Mais pas très vite. Question d’âge.

Bien, revenons à nos moutons. Dans Le Monde ces dernières semaines, une série d’articles nous ont ramenés vers ce qui est au centre de notre intérêt, l’Espagne. Bien sûr, il y a eu cette catastrophe ferroviaire monstrueuse à Santiago de Compostela, qui peut aussi être pris comme le signe cruel d’une affliction nationale qui touche à la fois au symbolique (le 25 juillet est la St Jacques, plus grand jour d’affluence vers cette ville de pèlerinage) et la chair de chacun (l’excès de vitesse conduit droit dans le mur).

Deux jours avant cette catastrophe, dans un  numéro qui vantait le succès de l’entreprise de prêt-à-porter Desigual sur le marché chinois, était publié un long « Décryptage » de la situation espagnole par le plus médiatique des historomanciers de l’Espagne contemporaine, Javier Cercás.  Nous en parlerons une autre fois.

Je voudrais commencer par une courte chronique de Sandrine Morel  publiée le 25 juillet, Les Espagnols veulent comprendre la crise. Elle fait le point sur deux succès d’édition  récent qui, d’une façon très différente, tentent d’expliquer la crise que vit l’Espagne. Oui, bien sûr, ils veulent savoir. Comme nous voulons savoir pourquoi les  progrès sociaux engrangés au XXe siècle sont rognés jour après jour par cette sorte de maladie qui frappe l’Europe. Expliquer ce qu’est le phénomène de la monétisation et transformation en valeur d’échange de tout ce qui est (le sol, l’eau, le soleil, l’animal, le végétal et l’humain), expliquer le phénomène corollaire qu’est le crédit mais aussi la perte du sens de solidarité qui a prévalu jusqu’à ce que soit remise en question cette base sociale fondamentale: les créateurs de richesse doivent contribuer au bien-être de ceux qui ont contribué au leur (la vieillesse) et au bien-être de ceux qui contribueront au leur plus tard (l’enfance). Les fonds de pension, qui sont une sorte d’épargne personnelle pour s’assurer une retraite est la forme la plus aiguë de l’égoïsme social, comme le sont les assurances santé privées. Les deux sont fondées sur la spéculation qui tient compte de deux variables: l’espérance de vie et les capitaux engagés.

Garantir aux plus pauvres une cotisation minimale pour un rendement maximum a conduit aux déplacements spéculatifs de ces fonds vers cette autre zone d’ombre qu’est le crédit, monnaie de singe qui répond, dans 80% des cas à assouvir « le rêve virgilien » que Le Corbusier dénonçait en 1946 (dans Manière de penser l’urbanisme): celui de la maison individuelle et de son potager attenant. Gaspillage d’énergie, gaspillage de sols, gaspillage de dépense publique, en transports, voirie, surveillance, etc.

Deux ouvrages semblent sortir du lot: celui d’Aleix Saló, Euro pesadilla, alguien se ha comido a la clase media et celui de José Carlos Díez, Hay vida después de la crisis.  Optimistes ou pessimistes, ces deux livres sont des instruments pédagogiques pour comprendre la crise, pour savoir comment en sortir, c’est une autre affaire. L’un prône la rupture, l’autre la croissance (et la patience).

De la même façon, le n° 6 du magazine Usbek & Rica, qui se définit lui-même comme « le magazine qui explore le futur », nous propose un dossier de six pages consacré à l’Espagne sous un titre sans ambiguïté: L’Espagne, sans peur et sans futur » et un sous-titre qui enfonce le clou: Les villes se vident, les jeunes s’exilent et le pays s’enfonce dans la pauvreté. Reportage à Madrid, capitale européenne de la gueule de bois.

Visite guidée de la ville fantôme de Valdeluz, interview de Valentín, jeune homme diplômé qui n’a pas encore choisi de quitter son pays comme l’ont fait 200 000 personnes en 2012 selon le magazine lui-même.

Et enfin trois scénarios possibles:

 

1. la rupture entre le nord et le sud de l’UE et la formation d’une Union méditerranéenne,

2. la prise de pouvoir par les Indignés, enfants du 15 mai 2011 et leur radicalité éthique, politique et sociale

3. l’éclatement du pays par la séparation de la Catalogne tôt suivie par le Pays Basque, la Navarre et … La Rioja (?).

Enfin, puisque nous nous apprêtons à entrer en guerre contre la (ou en) Syrie, un petit dessin publié en 1990, alors que l’URSS disparaissait et que Georges Bush Sr pouvait dire « We won the cold war ». Son objet était de tourner en ridicule les capacités prédicatrices de Marx. Avec le vote des Communes il y a deux jours, ce dessin devient moins ironique, ne vous semble-t-il pas?

Pour le petits, la crise est mortifère

Trois suicides en un mois en Espagne liés tous les trois de façon avérée à une raison identique, il s’agissait de personnes dont le logement allait être saisi par voie judiciaire pour défaut de paiement. Logement saisi par celui qui allait devenir son propriétaire légitime, la banque qui avait consenti un prêt à ces personnes.

http://periodismohumano.com/economia/lo-llaman-suicidio-por-desahucio-pero-es-genocidio-financiero.html

Dans les trois cas, il s’agissait de personnes qui étaient en défaut soit parce qu’elles avaient perdu leur travail soit parce qu’il s’agissait de personnes seules (deux femmes sur les trois derniers). La question devient tellement essentielle que le quotidien El País a ouvert une rubrique spéciale dans son édition numérique, la rubrique « Desahucios » (Expulsions). Elle a aussi donné l’occasion à l’ouverture d’une bataille de chiffres qui oppose le gouvernement et les banques d’un côté aux associations, juges et médias de l’autre. Les premiers minimisent les effets des défauts de paiement et le nombre d’expulsions, les second produisent des chiffres qui ne laissent pas d’effrayer. Pour le gouvernement les expulsions de familles de leur résidence principale pour défaut de paiement varient annuellement depuis le début de la crise de 5000 par an à 15000. Pour les juges du Consejo General del Poder Judicial (l’équivalent espagnol du CSM) et pour l’association des « Juges pour la Démocratie », depuis 2007, 370 000 expulsions « bancaires » ont été exécutées (après décision judiciaire).

Le gouvernement, même s’il tente de minimiser les chiffres, n’en n’est pas moins inquiet puisqu’il a tenté par la voie de la loi de calmer le jeu de limiter les effets de ces expulsions qui vont bon train en Espagne (500 par jour). Mais de façon unanime ce décret a été considéré comme insuffisant car il ne remet pas en cause les pratiques des banques qui exproprient. Il aménage tout tout juste quelques critères empêchant l’expulsion. Or ce qui est demandé avec de plus en plus de force c’est que soit modifiée la loi sur le crédit qui prévoit toujours que la banque émetrice d’un prêt peut demander la confiscation du bien après un seul mois de défaut de paiement des traites, qu’elle fixe elle-même la valeur de reprise du logement saisi et qu’elle persiste à réclamer la différence entre ce prix fixé (naturellement très inférieur au prix consenti au moment de l’achat du logement par le débiteur, en moyenne, 60% du prix d’achat initial). En Espagne nombreux sont ceux qui y voient une manoeuvre des banques sur le dos des plus infortunés pour augmenter leur marge de profit et opposent un autre principe: la dation.  Si la banque souhaite saisir le bien garant du prêt, elle ne peut fixer comme valeur que celle du bien au moment de son achat par la personne (ou la famille) qu’elle souhaite exproprier. La deuxième solution, c’est, outre la dation, accepter que ces familles restent dans leurs meubles moyennant un loyer raisonnable.

http://www.bbc.co.uk/mundo/noticias/2012/10/121003_espana_desahucios_rg.shtml

La réponse du gouvernement Rajoy consiste à dire que les conditions d’obtention de crédits immobiliers  en seraient mécaniquement durcies et qu’à terme la crise n’en serait que plus profonde. On pourrait ajouter que ces conditions plus difficiles l’obligeraient à avoir (enfin, dirait-on) une politique sociale du logement, or les profits des sociétés immobilières et des banques sont bien moindres quand la politique de l’habitat est administrée puisque les marchés sont publics et que l’offre de prix n’est pas liée à la capacité de crédit offert par les banques mais au rapport coût-qualité des projets. Il reste encore une espérance pour les banques et les sociétés immobilières, même dans un contexte de politique authentique de logement social: la corruption. Mais la justice veille, c’est ennnuyeux…

 

Soy comunista como Cristo, Gandhi y Marx

C’est ce que déclarait Juan Manuel Sánchez Gordillo au Diario de Sevilla en novembre 2011.

 

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=K69EJqpJcyE

Mais qui est cet homme qui a eu les honneurs d’une page dans le journal Le Monde le 29 août dernier?

Une sorte de militant éternel des causes populaires qui s’est rendu célèbre pour avoir conduit le 7 aout dernier une opération de « récupération » dans deux  supermarchés de Séville pour distribuer les biens « récupérés » aux nécessiteux de la ville et en particulier aux sans-logis.

Son image de maire communiste de Marinaleda, de militant pour la justice sociale, de leader spirituel des luttes populaires dans sa région en on fait une nouvelle icône médiatique. Professeur d’histoire, maire depuis 1978, il n’est pas né de la dernière pluie et est loin d’être ce « Robin des Bois » andalou qu’évoque Le Monde et d’autres journaux.

http://www.que.es/ultimas-noticias/espana/201208081158-sanchez-gordillo-asalta-supermercados-robin-cont.html

Poète, penseur, mais surtout homme d’action, il a mené des luttes de distribution des terres au début de son mandat.

http://www.youtube.com/watch?v=ybzS5vbz2f0&feature=related

Il a ainsi fait de Marinaleda une exception décriée, critiquée mais souvent  montrée en exemple… Dans ces temps de crise, une forme d’optimisme exigeant et d’utopie collective.

http://www.youtube.com/watch?v=eMT1jTg9oxk&feature=related

Son action, pour laquelle il dit qu’il ne s’agit pas de vol mais de redistribution me fait penser au personnage de Juanito, roi d’Espagne en cavale,  dans le roman de  Carlos Salem Je reste Roi d’Espagne qui emprunte une Rolls Royce à un riche musicien en mal d’accord parfait en se justifiant ainsi: « Voler, c’est ce que nous avons fait avec les vélos. Là il s’agit d’une Rolls, c’est une expropriation. »

 

 

 

 

 

 

Muy divertido…

L’Espagne à la une?

La une du quotidien Libération « fait son miel » aujourd’hui de la crise espagnole (puisque la crise que nous connaissons, malgré son développement planétaire, est encore traitée nationalement par les médias).

¡Perdidos !, Tel est le titre qui barre cette une sur fond de drapeau espagnol. Les espagnols sont perdus, ils ont perdu cette guerre contre la finance, ils sont livrés pieds et poings liés à l’une des crises sociales les plus aigues que ce pays ait connues depuis les années cinquante. Ca vaut bien quatre pages de reportages avec deux articles de fond, quatre interviews d’espagnols « de a pie », modestes travailleurs ou retraités, une pensionnée, Luisa, un pompier, José Alberto, un comédien, Miguel et un patron de bar, Quique. Tous les quatre sont victimes directes de l’austérité en marche. Pourtant la dette publique espagnole reste inférieure à la dette française (80,9% du PIB contre 89, 3% pour la France). Qui est responsable de cette situation qui voit ce pays retrouver un taux de chômage qu’il avait connu au début des années 90 (24,4%) ? Les quatre interviewés accusent pêle-mêle politiciens corrompus, « chorizos » de tout acabit, fonctionnaires… L’Etat, les Régions, les Municipalités sont accusés d’avoir gaspillé les deniers publics pour privilégier leurs amis promoteurs et se servir au passage. Le sentiment qui se forme à la lecture de ces quatre entretiens ce n’est pas que les espagnols se sentent « perdidos », mais plutôt qu’ils se sentent « jodidos », foutus, oui, mais en colère.

Disons-le, ils ont raison, cependant… ils ont voté régulièrement pour l’un ou l’autre des partis dominants de ce pays, le PSOE ou le PP qui ont surfé allègrement sur toutes les bulles industrielles et financières depuis trente ans. La tentation de jeter le bébé (l’autonomie régionale, la démocratie) avec l’eau du bain (la corruption, les « affairistes ») est donc très forte. La cause, nous l’avons déjà dit, c’est la crise du crédit privé, un crédit développé sur des bases douteuses (taux variables, durée excédent trente ans) et des indices complices (l’Euribor, dont on commence à percevoir qu’ il a été manipulé par des banques européennes tout à fait respectables). Quand ça faisait tourner l’immobilier, chacun y trouvait son compte, quand les défauts de paiement ont pointé leur nez avec l’augmentation des taux du crédit (deuxième mandat Aznar, 2000-2004), c’est l’Etat qui a socialisé une partie de la dette (deuxième mandat Zapatero, 2008-2012) et ce sont les petits revenus qui vont payer la facture, alors que les opérations frauduleuses des banques, des sociétés de crédit et des promoteurs immobiliers resteront, sauf rare exception, impunies. Mais, à ce propos, l’Espagne n’est pas un cas isolé, comme elle ne l’est pas en matière de fraude fiscale puisque Le Monde indiquait hier soir que le manque à gagner pour l’Etat français était de 50 milliards annuels. Il s’élèverait à 81 milliards annuels pour l’Espagne, autrement dit, un montant largement supérieur aux sacrifices demandés aux espagnols (augmentation de 3 points de TVA, baisse des salaires et des pensions, réduction des allocations de chômage, etc.). La théorie libérale du trickle down (théorie dite « du ruissellement) est une escroquerie, car celle qui a toujours fonctionné est celle du trickle-up : appauvrir les pauvres rend les riches plus riches.  Le tout c’est de trouver une méthode « indolore », la taxe ou l’impôt proportionnels : TVA, CSG, etc.

Qu’elle est lointaine l’euphorie douteuse du journal l’Equipe quand l’Espagne gagnait la Coupe d’Europe des Nations, il y a moins d’un mois (voir Trastos, billet du 2 juillet).  Mais l’éditorial philo-franquiste de ce quotidien sportif montre bien la cible : haro sur les régions, principales fautives dans l’accumulation de la dette publique, elles sont le ver dans le fruit,  vive la nostalgie d’une Espagne « Una, Grande e Indivisible » que partage avec l’Equipe le président du gouvernement espagnol en exercice.

Le miel de la crise

Faire son miel de tout…  Voilà une belle expression qui nous dit que les humains, comme les abeilles, butinent sans cesse toutes sortes de fleurs pour alimenter la ruche. Nous savons qu’elle illustre métaphoriquement le besoin  de tirer profit de tout ce qui se présente, que les fleurs butinées soient  roses ou mandragores.

Un dictionnaire des expressions françaises présent sur le NET nous dit que le profit que tire celui qui fait son miel (du malheur des autres, par exemple) n’est pas forcément pécuniaire, « car il peut tout aussi bien être physique ou intellectuel.»

http://www.expressio.fr/expressions/faire-son-miel-de.php

La mode est aux crises… Le poète arc-en-ciel, chanteur de bluettes, wallon de Tourrines-la-Grosse, Julos Beaucarne, en piquait déjà une il y a trente ans, lui le futurologue juché sur son vélo volant :

« En tant que futurologue, je peux vous dire que nous sommes maintenant dans une multicrise : crise de l’emploi, crise de l’énergie, crise des matières premières, crise démographique, crise alimentaire, crise de la démocratie, crise de l’autorité, et moi-même je sens que j’vais piquer une crise (Hahahahahahahahahah !) »

Julos Beaucarne, Extrait de Le futurologue, album Le Vélo volant (1984).

La Société des hispanistes français, société savante qui regroupe tous les hispanologues de l’université française, organise tous les deux ans un Congrès au cours duquel, outre les séances nécessaires à la bonne marche de cette société (dont les statuts sont associatifs du type Loi 1901), elle propose des journées de réflexion sur une thématique précise. Il y a un an le thème abordé était le suivant : « Guerres dans le monde ibérique et ibéro-américain », le prochain qui se tiendra à Strasbourg les 7/9 juin 2013 porte un titre presque voisin : « Crises dans le monde ibérique et ibéro-américain ».

Disons que l’essentiel c’est que tout se passe  « dans le monde ibérique et ibéroaméricain », ce qui suppose que l’on ne restreigne pas au monde hispanique et hispanoaméricain mais qu’on ouvre les débats au monde lusophone. Guerres, crises, quelques-unes des plaies d’Egypte sont donc passées au crible, les eaux du fleuve changées en sang (la guerre) et la mort des troupeaux (la crise). Il en reste huit (les grenouilles, les moustiques, les mouches, les sauterelles, etc.), de quoi alimenter encore quelques congrès futurs.

Pour lire le texte de l’appel à communication détaillé:

http://www.hispanistes.org/reunions-et-rencontres/221-appel-a-communications-congres-de-la-shf-des-7-9-juin-2013-universite-de-strasbourg.html

 

Julos avait donc évoqué la crise il y a près de trente ans dans son disque prémonitoire : Le vélo volant. Et, excusez du peu, sans oublier la crise financière, traitée en termes savants, plus clair que Jean Marc Sylvestre et que tous les universitaires de France réunis. Cout’donc les Cours de clôture du marché à terme … :

http://www.deezer.com/fr/music/julos-beaucarne/le-velo-volant-47573

Voyager dans le site de Julos : http://julosland.skynetblogs.be/

Chorizos y chorizadas

Quest-ce que le chorizo?

L’une de ces pièces de charcuterie que seuls les espagnols et les portugais savent préparer. Salaison dont la couleur est due à l’emploi de pimentón, poudre de poivrons doux ou relevés qui lui donne aussi pour une bonne part sa saveur inimitable.

Mais un « chorizo » dans l’espagnol populaire est aussi bien autre chose. Par la vertu des glissements métonymiques que nous connaissons bien, un aliment a souvent désigné dans l’argot populaire celui qui le consomme, comme emblème de ses goûts (considérés comme peu raffinés ou étranges par ceux qui les donnent).

Depuis quelque temps le chorizo est très tendance en Espagne, pas celui que j’évoque plus ahut, mais un autre type de chorizo, type humain malfaisant, le politicien ou homme d’affaires corrompu. En somme depuis le début de la crise, les chorizos se portent bien. Ils constituent une appellation d’origine contrôlée, ceux qui ont tiré bénéfice de la spéculation éffrenée qui a sévi en Espagne au cours de ces dernières années. Les exemples de la dénonciation de ces corrompus sont légion., « trop de chorizo, pas assez de pain », lisait-on sur une pancarte brandie par un indigné du 15 mai 2011.

http://throughnikaseyes.blogspot.fr/2010/05/chorizos-ibericos.html

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/02/les-espagnols-en-ont-assez-des-chorizos_1728002_3232.html#ens_id=1271383&xtor=RSS-3208

Mais « chorizo » n’a pas toujours été égal à corrompu…  C’était tout simplement un voleur, de la même famille que « el carterista », le pickpocket. En général ils s’en prenaient au tout venant et , quelquefois, aux banques. Mais visiblement ceuyx qui font les poches du petit peuple en Espagne ce sont les banques, l’inverse n’est plus vrai. La famille de cet emploi argotique est très riche: « choricear », « choriceo », « choricero », « chorizar », et même « chorizada », dernier terme que ne relève pas mon édition du Gran Dicconario del Argot dans son édition de 2000. Pourtant « la chorizada », l’arnaque, est bien connue et employée depuis longtemps.

Dans le Nuevo Diccionario de voces de uso actual, quelques nouveautés:

« Chorizilla », femme facile et « chorizo », flotteur pour jeux de plage…

On trouve également une  acception à caractère raciste. Un chorizo (prononcer « chourissou »), pour les catalans de mes jeunes années était un espagnol du sud, un immigré. Vieille tradition raciste qui consiste à affubler l’autre du nom de son mets préféré: morue, melon, frog, etc.

Elle fait irrésistiblement penser à l’argotique chouraver (verbe) :synonyme argotique de voler. Chouraver, choucraver, chourrer, chourer (que nous prononcions toujours « tchourer » quand nous étions gamins, puisqu’on dit qu’il vient d’une variété de la langue tzigane: « tchorav », voler.

 

Tramas

S’il est un Dieu virtuel, l’euro doit l’être aussi. Les espagnols vont ajouter 19 milliards d’euros pour sauver Bankia, la bonne affaire de la semaine… et l’ancien Président du FMI, pas DSK, mais son prédecesseur, RR, vient d’avouer avoir trafiqué les comptes…

Quel poids représente donc ce sauvetage d’une banque (une seule) espagnole qui  représente, au bas mot, car tout n’est pas dit, 23 milliards d’euros?

Pour donner un ordre d’idée, le déficit de la Sécu française était de 9 milliards en 2011. Le déficit cumulé public espagnol était de 98 milliards d’euros en 2011. Autrement dit, sauver cette banque alourdira d’un tiers le déficit public espagnol pour le mettre au niveau de celui de la France (90% du PIB). Ce mécanisme illustre bien ce que certains ne cessent de répéter:  ce n’est pas le déficit public qui est un problème. C’est  le niveau de l’endettement privé et les pratiques pour le moins brumeuses des organisations financières privées qui se sont portées vers des investissements hautement  spéculatifs -fonds de pension anglo-saxons, en particulier- pour alimenter le crédit immobilier en essayant de fournir à leurs prêteurs une rentabilité élevée  -hypothèques sur trente, quarante ou cinquante ans ave taux d’intérêt variables-. Au passage se sont multipliées les affaires de corruption, d’intérêts bien compris, dans les zones où la tension immobilière était à son plus haut niveau: les zones touristiques et la capitale, Madrid. Des affaires (« tramas ») que nulle commission d’enquête n’a vraiment pu éclairer.

Aujourd’hui la façade de l’Espagne est lézardée, les politiques du PP comme du PSOE ont montré leurs limites. Leur adoration du laisser-faire, leurs politiques sociales inexistantes, leur manque de perspectives en matière de développement (une élolienne ne rend pas le bonheur durable) et cette vieille tradition de l’argent vite gagné dans le franges grises du bizness en tout genre, ont conduit à laisser de l’Espagne l’image de ce qu’elle a toujours été: un pays en crise permanente où la spéculation est reine.

Au début du XXè siècle Joaquín Costa proposait cette définition de l’Etat espagnol: « Estado Social de barbarie »*. Son projet était de le « régénérer », plus d’un siècle plus tard, nous retrouvons ce pays dans uen situation similaire, une oligarchie qui place ses intérêts avant ceux de la communauté. Mais Costa pointait que la passivité du peuple laissait le champ libre aux trafics de ce mundillo et à son impunité. C’est ce qui a changé. Peu d’Espagnols sont dupes aujourd’hui, peut-être résignés, mais pas dupes.

http://www.elmundo.es/blogs/elmundo/contraopa/2012/05/31/la-nueva-farsa-con-bankia.html

Aprés avoir privatisé les profits, on socialise les pertes, belle loi d’airain du capitalisme…

http://www.euribor.com.es/

http://politica.elpais.com/politica/2012/06/01/actualidad/1338553687_127280.html

* Oligarquía y caciquismo como la forma actual de gobierno en España: urgencia y modo de cambiarla (1901). Sur Costa, je signale un petit ouvrage qui reste, à mon avis l’un des plus éclairants sur la pensée de cet auteur: Joaquín Costa: Crisis de la Restauración y populismo (1875-1911) de Jacques Maurice et Carlos Serrano publié en 1977 par Siglo XXI.

Intervenir

Le doigt-de-Dieu (Le sac-à-fouilles)

Dans un article paru en 2010 dans la revue Religión digital, j’ai lu ce titre énigmatique: « El Vaticano podría intervenir al Instituto del Verbo Encarnado ».

Peu au fait de la théologie du verbe (une sorte de linguistique mystique ou de mystique linguistique, je ne sais pas), l’article rend compte de l’ouverture possible d’une enquête du Saint -Siège sur les agissements d’une communauté religieuse argentine, « El Instituto del Verbo Encarnado », communauté qualifiée de très conservatrice par la feuille immatérielle d’information religieuse espagnole. Elle est accusée de manipulation par de nombreux anciens adeptes et son fondateur, qualifié d’ultra-orthodoxe, a souhaité abandonner ses fonctions pour éviter l’ouverture de cette enquête.

En réalité, le seul verbe qui m’intéresse n’est pas celui de la Parole de Dieu, mais bien celui qui est utilisé dans le titre, le verbe « intervenir ».

Comme le précise l’article, l’action consiste pour le Vatican à dépêcher un commissaire pour enquêter sur les agissements de cette congrégation, ou procéder à un audit de son fonctionnement, pour employer un langage moderne.  La deuxième question qui peut intéresser est donc celle du fonctionnement ecclésial, le principe même du Commissariat, dont les racines politiques et historiques nous ramènent au passé impérial de Rome. Mais nous y reviendrons.  Occupons-nous du verbe tout d’abord.

Intervenir… Ce verbe est intransitif dans son usage le plus courant, c’est ce qui apparaît quand on lit les différents exemples que donne María Moliner dans son Diccionario de uso del español et employé avec en, par exemple « intervenir en una guerra », ce que n’ont pas fait les français ni les anglais pendant la guerre d’Espagne se contentant de créer un Comité de Non-intervention et d’inventer la politique du même nom. Dans son usage transitif, il pourrait être traduit par contrôler, ou même saisir (quand il s’agit de biens matériels). Nous voici de retour dans la crise financière. En effet, voici un mois, le gouvernement espagnol a du se résoudre à « intervenir pour sauver le groupe bancaire Bankia » (Les Echos du 16 mai 2012). Dans la presse espagnole c’est la forme transitive qui est employée soit pour annoncer l’intervention (« el gobierno se ha visto en la obligacion de intervenir Bankia ») soit pour la démentir (« El Gobierno se niega a intervenir Bankia, pese a las presiones de los especuladores »).

Le 13 mai dernier un décret (http://www.boe.es/boe/dias/2012/05/12/pdfs/BOE-A-2012-6280.pdf ) 

confirmait la possibilité pour l’Etat d’agir sur les banques, « de intervenir a las entidades financieras que incumplan el plan de saneamiento », comme l’interprète un article publié dans le supplément Economie d’El Pais publié le même jour. Le Décret engageait les banques en difficulté à mettre en place un plan d’assainissement de leurs comptes, en s’appuyant sur la création d’un Fonds de restructuration mis en place par la Banque d’Espagne, sous la tutelle de l’exécutif, Fonds qui avait fait l’objet d’un Décret de création en 2009, par le gouvernement socialiste (Real Decreto-ley 9/2009, de 26 de junio).

Pour sauver un groupe de 7 petites banques au bord de la faillite (souvent des Caisses d’Epargne locales ou régionales, qui portaient le nom de Caisses d’Epargne mais n’avaient rien à voir avec notre Ecureuil national, mais ressemblaient plutôt à des cigales distributrices de crédits immobiliers à gogo), en décembre 2010 le gouvernement Zapatero les avait obligées à se regrouper dans un nouvel ensemble, Bankia, les dotant d’un PDG de prestige,  Rodrigo Rato, ancien président du FMI (2004-2007, son successeur s’est rendu célèbre aussi, mais à sa manière) et ancien ministre du PP à l’époque de José María Aznar, excusez du peu.

Disons aussi que le gouvernement Zapatero avait contribué à recapitaliser l’ensemble en mettant au pot 4 milliards d’Euros. Dix-huit mois plus tard le groupe s’était enfoncé un peu plus dans la crise.

Début mai, le gouvernent PP débarquait Rodrigo Rato, remettait quelques milliards de plus et se rendait maître par cette entrée dans le capital du groupe de 45% des actifs, autrement dit le gouvernement du PP, contrairement à sa doctrine ultra-libérale, nationalisait le groupe. Mais il fallait bien que le terme « nationaliser » ne soit jamais employé d’où l’usage de ce verbe-ressource formidable: intervenir. Jamais le gouvernement Rajoy ne nationalisera, il passera son temps à intervenir, mais de façon transitive, en utilisant l’argent économisé sur les budgets sociaux de l’Etat.

Il faudrait créer une Fondation du Verbe Intervenir: il permet de nationaliser sans le dire, manger son chapeau sans l’admettre, faire sans dire, etc. Tout ceci pour éviter que les Commissaires européens ne dépêchent un légat pour « intervenir l’Etat espagnol », ce qui est sur le point d’être fait.

Mais des Commissaires, nous  en reparlerons, comme nous reparlerons des formes antiques de dictature une autre fois.