Si je vous dis EURIBOR, vous allez imaginer que je souhaite évoquer ce soir une utopie orwellienne, une village de l’est européen (de triste mémoire) ou un Béhémoth menaçant tapi dans la froidure de notre planète.
Rien de tout cela. EURIBOR est un indice. L’un de ces indices économiques qui gouvernent le monde. Ses soubresauts, ses fièvres et ses sautes d’humeur effraient els espagnols depuis plusieurs années. Son nom complet à partir duquel a été conçu cet acronyme est Euro interbank offered rate. Il s’agit d’un taux de référence du marché monétaire dont la traduction en français est franchement ridicule : TIBEUR. Publié à échéances régulières il est sert de base de calcul au prix de l’argent des prêts interbancaires pour «les banques européennes de premier plan» comme l’indique la page d’accueil de son site internet,
http://fr.euribor-rates.eu/que-est-ce-que-euribor.asp
Cet animal statistique fait peur aux espagnols. Pourquoi? Parce qu’il sert de base au calcul des taux de référence des hypothèques, donc des prêts immobiliers. Comme on peut le lire sur la page de ce même site intitulée «EURIBOR et votre hypothèque»:
«De nombreuses banques prêtent de l’argent sous forme d’hypothèques. dans bien des pays européens, il est courant de prendre une hypothèque avec un taux variable… En cas de taux d’hypothèque variable, le taux d’hypothèque à payer varie généralement en fonction du taux EURIBOR»
Expliqué en terme simples, si vous achetez un bien immobilier en Espagne -c’est-à-dire dans la zone Euro-, la garantie du prêt qui vous est accordé repose sur le bien acquis lui-même (l’hypothèque). Pour obtenir un prêt de longue durée vous ne pouvez souscrire un prêt à taux fixe, les banques vous vendent un prêt à échéance de 25 ans (juste avant la crise de 2008 les banques espagnoles proposaient un étalement des remboursements de trente, quarante, voire cinquante ans) à condition que vous acceptiez que le taux d’intérêt soit variable. Autrement dit, les intérêts de votre crédit sont réévalués tous les trois mois en fonction des variations de cet indice. S’il baisse, vous payez moins, s’il augmente, votre mensualité s’alourdit.
Fin 2006, il était de 3, 335%, en juillet 2007, il passait la barre des 4% (4, 076%), en octobre 2008, au moment du déclenchement de la crise financière, ilatteignait presque 5% (4,846%) pour dégringoler après avril 2009 à moins de 1%. Cette stagnation des taux était du aux baisses des taux d’intérêts fixés par la Banque européenne et, surtout aux effets considérables de la crise sur le marché de l’immobilier en Espagne et sur la capacité de solvabilité des épargnants espagnols.
Les hausses de l’indice des années 2006-2008 ont pris à la gorge de nombreux acquéreurs de logements espagnols et ont conduit les banques à saisir les biens achetés devant la multiplication des défauts de paiement de nombreux clients. le résultat fut catastrophique et le développement en chaîne n’a pas encore provoqué tous les dégâts possibles. Comme la cerise sur le gâteau de la crise, les prix de l’immobilier avaient subi une hausse spectaculaire entre 1996 et 2006, le prix moyen du m2 étant passé de 250 euros environ à près de 3000 en dix ans. L’endettement privé a donc enflé démesurément, les banques ont commencé à faire face à des manques de liquidité devant les défauts de remboursement, le secteur du bâtiment entrait dans une crise profonde, puisque la paralysie quasi-complète des travaux de construction devenait impérative, des dizaines de milliers de logements restant sans acquéreurs. Cette paralysie entrainaît à son tour la disparition de centaines de milliers d’emploi à un rythme soutenu.
En Espagne on considère souvent que la crise de 2008 est la conséquence de la crise des subprimes américains. C’est faire preuve d’une certaine dose d’irresponsabilité. C’est la politique espagnole du logement, imitation ibérique du système en vogue aux Etats-Unis, qui a conduit à la catastrophe.
Vous comprendrez donc que chaque frémissement à la hausse d’EURIBOR fait trembler les espagnols endettés. La prévision de hausse de l’indice pour la fin de l’année le situe à un niveau critique selon les spécialistes (2,5%) entre janvier et mai 2011, en seulement quatre mois, il a augmenté de 1 point passant de 1,555% à 2, 159%.
http://www.bolsafin.com/MENU/Euribor.htm
Ces chiffres peuvent ne rien signifier mais quand on les projette sur les taux réels variables pratiqués on en a froid dans le dos. C’est ce que montre un article récent d’Iñigo de Barrón (El País, samedi 28 mai) qui se demande comment dans un pays en pleine récession sociale, avec presque 5 millions de chômeurs, sera supporté ce coup de ciseaux supplémentaires aux revenus modestes. Cette variation de 1 point alourdit considérablement la facture-logement des ménages, l’exemple que donne le journaliste spécialiste de questions financières du grand quotidien espagnol:
Representa un aumento de unos 800 euros anuales (67 al mes) en una hipoteca tipo de 150.000 euros a 25 años. Es un alza del 10,8% en el coste del crédito, una cantidad nada despreciable. Si el préstamo es a 30 años, la subida rondará el 12,8%.
C’est pour cette raison que José Blanco, ministre des affaires délicates du gouvernement Zapatero (chargé du ministère appelé sans aucun humour « du développement »), fait une tournée européenne pour vendre de l’immobilier espagnol (près d’un million de logements vides dans les zones balnéaires),
http://www.elmundo.es/elmundo/2011/02/24/suvivienda/1298541716.html
C’est pour cette raison aussi que les agences de notation baissent la note de l’Espagne (Agence Fitch le 28 mai dernier), que les espagnols n’en peuvent plus de payer la crise par tous les bouts et que moins que jamais ce pays n’est à l’abri de la banqueroute, entrant dans le cercle des PIGS, selon l’expression très élégante utilisée par la finance anglaise pour stigmatiser les pays européens en difficulté.
Et on comprend encore plus pourquoi les indignés espagnols ne renoncent pas.
http://www.cookingideas.es/espanistan-20110526.html
PS: Merci à tous ceux, proches et amis,qui trouvent sur le Net ces liens qui témoignent de la vivacité et de la pugnacité des Espagnols en temps de crise profonde.