La une du quotidien Libération « fait son miel » aujourd’hui de la crise espagnole (puisque la crise que nous connaissons, malgré son développement planétaire, est encore traitée nationalement par les médias).
¡Perdidos !, Tel est le titre qui barre cette une sur fond de drapeau espagnol. Les espagnols sont perdus, ils ont perdu cette guerre contre la finance, ils sont livrés pieds et poings liés à l’une des crises sociales les plus aigues que ce pays ait connues depuis les années cinquante. Ca vaut bien quatre pages de reportages avec deux articles de fond, quatre interviews d’espagnols « de a pie », modestes travailleurs ou retraités, une pensionnée, Luisa, un pompier, José Alberto, un comédien, Miguel et un patron de bar, Quique. Tous les quatre sont victimes directes de l’austérité en marche. Pourtant la dette publique espagnole reste inférieure à la dette française (80,9% du PIB contre 89, 3% pour la France). Qui est responsable de cette situation qui voit ce pays retrouver un taux de chômage qu’il avait connu au début des années 90 (24,4%) ? Les quatre interviewés accusent pêle-mêle politiciens corrompus, « chorizos » de tout acabit, fonctionnaires… L’Etat, les Régions, les Municipalités sont accusés d’avoir gaspillé les deniers publics pour privilégier leurs amis promoteurs et se servir au passage. Le sentiment qui se forme à la lecture de ces quatre entretiens ce n’est pas que les espagnols se sentent « perdidos », mais plutôt qu’ils se sentent « jodidos », foutus, oui, mais en colère.
Disons-le, ils ont raison, cependant… ils ont voté régulièrement pour l’un ou l’autre des partis dominants de ce pays, le PSOE ou le PP qui ont surfé allègrement sur toutes les bulles industrielles et financières depuis trente ans. La tentation de jeter le bébé (l’autonomie régionale, la démocratie) avec l’eau du bain (la corruption, les « affairistes ») est donc très forte. La cause, nous l’avons déjà dit, c’est la crise du crédit privé, un crédit développé sur des bases douteuses (taux variables, durée excédent trente ans) et des indices complices (l’Euribor, dont on commence à percevoir qu’ il a été manipulé par des banques européennes tout à fait respectables). Quand ça faisait tourner l’immobilier, chacun y trouvait son compte, quand les défauts de paiement ont pointé leur nez avec l’augmentation des taux du crédit (deuxième mandat Aznar, 2000-2004), c’est l’Etat qui a socialisé une partie de la dette (deuxième mandat Zapatero, 2008-2012) et ce sont les petits revenus qui vont payer la facture, alors que les opérations frauduleuses des banques, des sociétés de crédit et des promoteurs immobiliers resteront, sauf rare exception, impunies. Mais, à ce propos, l’Espagne n’est pas un cas isolé, comme elle ne l’est pas en matière de fraude fiscale puisque Le Monde indiquait hier soir que le manque à gagner pour l’Etat français était de 50 milliards annuels. Il s’élèverait à 81 milliards annuels pour l’Espagne, autrement dit, un montant largement supérieur aux sacrifices demandés aux espagnols (augmentation de 3 points de TVA, baisse des salaires et des pensions, réduction des allocations de chômage, etc.). La théorie libérale du trickle down (théorie dite « du ruissellement) est une escroquerie, car celle qui a toujours fonctionné est celle du trickle-up : appauvrir les pauvres rend les riches plus riches. Le tout c’est de trouver une méthode « indolore », la taxe ou l’impôt proportionnels : TVA, CSG, etc.
Qu’elle est lointaine l’euphorie douteuse du journal l’Equipe quand l’Espagne gagnait la Coupe d’Europe des Nations, il y a moins d’un mois (voir Trastos, billet du 2 juillet). Mais l’éditorial philo-franquiste de ce quotidien sportif montre bien la cible : haro sur les régions, principales fautives dans l’accumulation de la dette publique, elles sont le ver dans le fruit, vive la nostalgie d’une Espagne « Una, Grande e Indivisible » que partage avec l’Equipe le président du gouvernement espagnol en exercice.