Les critiques directes et indirectes que je reçois à travers ce blog, dans ses parties qui traitent de la Catalogne reposent surtout, en ces temps difficiles, sur ma supposée méconnaissance de la Catalogne, de la catalanité, de l’alma catalana comme la définissait Joan Maragall au début du XXe siècle.
Naturellement je ne vais pas me justifier mais je prétend la connaître aussi bien que d’autres, lisant, parlant et écrivant cette langue comme je lis, parle et écris la castillan. Ce procès en connaissance est habituel de ceux qui considèrent qu’une bonne et profonde appréhension de la catalanité ne peut être qu’ atavique, et, par conséquent, irrationnel et non soumis à une quelconque vision critique.
La question catalane est une, l’irrationalité politique qui décrète qu’il existe « un peuple » catalan » qui aurait le droit de décider de son sort est autre. Je franchis allègrement le point Godwin pour reprendre à mon compte ce que dit Thimothy Snyder en reprenant Viktor Klemperer: « … la langue de Hitler rejetait toute opposition légitime: le peuple désignait toujours certaines personnes et pas d’autres… » (Snyder, De la tyrannie, Gallimard, édition française 2017). L’appel au peuple (qui exclue qui?) et à son éventuel droit de choisir est donc dangereux parce qu’il conduit au phénomène de « l’obéissance anticipée » qui amalgame des demandes hétérogènes, » adaptation instinctive, irréfléchie à une situation nouvelle », pour citer encore Snyder.
La mythologie millénariste qui apparaît en creux dans la résolution votée le 27 octobre dernier, celle qui croit que la Catalogne a existé en tant qu’Etat par le passé, sous le Comte Jofre el Pelut (les catalan préfèrent l’appeler el Pilós, c’est plus élégant) est aussi ridicule que celle qui consiste à faire remonter l’idée de France à Clovis. Comme si le proclamé Pater Patriae par les rois d’Aragon était la source d’une patrie catalane depuis occupée par les hirsutes du sud:
La nació catalana, la seva llengua i la seva cultura tenen mil anys d’història. Durant segles, Catalunya s’ha dotat i ha gaudit d’institucions pròpies que han exercit l’autogovern amb plenitud, amb la Generalitat com a màxima expressió dels drets històrics de Catalunya. El parlamentarisme ha estat, durant els períodes de llibertat, la columna sobre la qual s’han sustentat aquestes institucions, s’ha canalitzat a través de les Corts Catalanes i i ha cristal·litzat en les Constitucions de Catalunya.
C’est prêter aux seigneurs de cette fin du IXe siècle des projets qui n’étaient pas les leurs et mettre en place un « roman de la nation » et non pas un récit national. La puissance du Pelut était purement féodale, en rien nationale.
Il reste donc la vision maragallienne de la catalanité, celle d’un paysage imprimant sa marque et donnant ses vertus aux humains qui le peuplent.
Une vision maurassienne partagée par Léon Daudet qui est loin des réalités et peut être adaptée à n’importe quel coin de notre planète, comme un modèle identitaire prêt-à-poser. Cette vision est aussi celle du félibrige (en Catalogne il est apparu sous la forme des Jocs Florals qui naissent au milieu du XIXe siècle comme annonce culturelle de la littérature politique nationaliste) qui avait compris depuis longtemps que la langue est une arme, comme l’entendait Frédéric Mistral dan son poème La renaissance:
Qui tient sa langue tient la clé
Qui de ses chaînes le délivre.
Parler de l’âme d’un peuple, du libre choix d’un peuple, c’est exclure d’emblée l’autre pour lequel la terminologie méprisante ne manque dans aucune langue, pas même en catalan.

A suivre…