Omnia vincit amor

Le comité fédéral, instance parlementaire du PSOE, l’équivalent des bons vieux comités centraux de partis, a donc voté dimanche dernier une résolution appelant les parlementaires socialistes à  s’abstenir lors du deuxième vote d’investiture de la coalition PP-Ciudadanos, vote qui devrait intervenir assez rapidement, avant Toussaint.

La résolution reflète le grand désarroi dans lequel est plongé le parti socialiste espagnol, qui tente, dans un exercice rhétorique en langue de bois d’ébène, de justifier plus que d’expliquer son choix. Les quatre pages de la résolution développent essentiellement deux idées :

-la démocratie espagnole serait en danger si on procédait à une troisième consultation électorale, en finissant par creuser le fossé entre les citoyens et la démocratie institutionnelle, jugée comme exemplaire.

-une alliance à gauche entre forces de gauche et nationalistes aurait reposé sur une diversité qui aurait mis en danger « las bases de nuestro modelo constitucional », autrement dit les principes d’unité de la nation, de solidarité entre ses composantes régionales (Article 2 de la Constitution). Ce que le texte appelle « el desafio secesionista ».

Deux sous-arguments apparaissent :

  • le PSOE risquerait de subir un autre recul en cas de troisièmes élections: « un nuevo retroceso electoral nos haria perder la capacidad que ahora tenemos de liderar la oposicion .»,
  • l’Espagne paralysée est absente de la scène internationale, alors que l’Europe est plus que jamais fragile ( se esta jugando su futuro. »

Le texte énumère sept points programmatiques sur lesquels le PSOE compte mettre l’accent pendant la nouvelle législature :

  • déroger la loi travail, réformer les retraites,
  • réformer l’école et déroger à la loi LOMCE de 2013,
  • ouvrir le dialogue sur les questions régionales en particulier avec la Catalogne,
  • en finir avec la corruption,
  • défendre le droit des femmes – droit à l’avortement, violence conjugale-
  • en finir avec la Loi dite « Mordaza », loi qui pénalise lourdement les petites infractions et délits, loi considérée comme liberticide.

Le PSOE a donc fait son choix, mais le coût en est élevé. Tout d’abord le vote a été relativement disputé 128 pour, 96 contre), la débat houleux et la fracture entre les uns et les autres a provoqué des dégâts collatéraux – avec les socialistes catalans et les socialistes basques-. Certains remettent même en question devant la justice le coup de force qui a poussé Pedro Sánchez à la démission. Et un nombre significatif de députés socialistes annoncent leur intention de voter non et de ne pas s’abstenir.

Clairement, que le peuple vote est une bonne chose, mais pas trop, quand même… alors le Roi consulte… et Ciudadanos, désormais en position de force, chipote… son soutien en laissant entendre qu’une alliance à trois serait plus à son goût.

Par conséquent, alea jacta est mais aucun coup de dé n’a jamais aboli le hasard. Rien n’est joué…

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Mal menor…

Javier Fernández dont on suit avec curiosité et même compassion le chemin de croix que son parti lui a demandé d’entreprendre a finalement lâché le dernier des arguments possibles à quelques jours de la réunion du comité fédéral du Psoe : s’abstenir et permettre à la droite de gouverner, c’est « el mal menor », le moindre mal. La rhétorique mise en œuvre baigne dans ambiguïté constante (double langage, non dits et approximations) dont nous avons ici en France, un maître (de Florange 2012 à Florange 2016).

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Il s’agit d’une stratégie sans objectifs, sans contenu, sans idée, et plus qu’une stratégie, un aveu de défaite ou, pour le moins, d’extrême faiblesse.  Certains députés regrettent que le choix de l’abstention n’ait pas été fait après les élections de juin, en oubliant que le débat avait déjà eu lieu de façon indirecte et, encore une fois ambiguë, cet été. La même ambiguïté règne au sein de la fédération socialiste catalane du PS, la seul qui ait tenu congrès ces derniers jours et dispose d’un mandat légitimé.

Après avoir réitéré le choix du Psc de ne pas s’abstenir mais de voter non à l’investiture du PP, Miguel Iceta, secrétaire général du Psc a nuancé sons propos en défendant l’idée d’une « abstention technique », autrement dit que seuls 12 députés socialistes s’abstiennent. Disons aussi que le premier discours est celui qu’il tient en Catalogne, le second ailleurs en Espagne. Dans ces conditions, on peut supposer que les sept députés socialistes catalans voteraient non, respectant ainsi leur mandat, et que, de leur côté, les députés socialistes andalous s’abstiendraient comme ils semblent vouloir le faire.

Le seul problème c’est la sanction ultérieure probable des électeurs socialistes (ou d’une bonne moitié de ces derniers) qui, même si l’idée même qu’il n’y ait pas d’autres solution (une TINA à toutes les sauces) leur semblait acquise à une courte majorité, pardonneraient difficilement au Psoe de les avoir livré pieds et poings liée à une nouvelle législature d’une droite corrompue (Gürtel) et ultralibérale (recortes).

Au fond, la question est toujours la même : qui voudra bien porter le chapeau ? Ce jeu de la barbichette socialiste finira bientôt par ne plus intéresser les Espagnols.

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El embozo de la corrupción se llama retórica

On peut être surpris par le ton pessimiste et même fataliste du Président en exercice de la direction provisoire du PSOE, Javier Fernández. Depuis sa nomination il distille un discours de défaite ou de résignation. Cette ligne de discours est volontaire, elle vise à couper l’herbe sous les pieds des plus déterminés des socialistes à un vote contre l’investiture de la droite. C’est une variante du dogme TINA, appliqué non pas aux orientations économiques ou sociales, mais au jeu institutionnel (si on peut prétendre aujourd’hui qu’il s’agit d’un jeu). Par exemple, cette phrase sibylline que le journal El Pais met en une aujourd’hui : « La política exige convivir con la decepción ». Il s’agit peut-être d’une nouvelle inflexion du concept de « convivance », ou de « commun », dont le fondement serait, plus que le renoncement encore, la perte de toute illusion.

On comprend bien le dilemme, voter contre ou s’abstenir ouvrir à ouvrir à nouveau le débat à l’intérieur du parti, débat qui avait déjà été tranché en faveur d’un vote non. Et surtout on comprend le dilemme personnel d’un Président de région (Les Asturies) qui avait gagné son mandat en 2012 avec un nombre de sièges insuffisant (17/45), grâce à l’appui d’Izquierda Unida et des dissidents socialistes d’UPD. Autrement dit une parfaite coalition de gauche. Or l’essentiel de son discours consiste à disqualifier toute possibilité d’alliance avec Unidios Podemos. Ils sont populistes, des pharisiens, des Savonarole de poche, etc.

Prudemment, il dit que sa fonction est d’organiser un débat au sein du Comité Fédéral et non pas d’organiser une abstention favorable à la droite au sein du parlement. On sent comme une certaine amertume chez ce cadre socialiste , celle d’avoir accepté d’être à la manouevre dans cette opération peu reluisante et risuqée alors que ses partisans les plus déterminés restent bien à l’abri (Susana Díaz, Felipe González et les autres). Il doit craindre de payer localement son choix.

Comme pour sa plus grande affliction, s’est ouvert il y a quelques jours le plus grand procès pour corruption que l’Espagne ait connu, le procès dit du « caso Gürtel ». Ce procès montre à quel point la corruption à des fins de financement politique avait dérivé vers un enrichissement personnel de certains intermédiaires agissant pour le compte du PP. Ce procès risque d’invalider toute alliance possible entre le PP et Ciudadanos et rendre donc sans objet le hara-kiri du PSOE. On comprend pourquoi Felipe González souhaitait que Pedro Sánchez pousse les députés socialistes à s’abstenir en septembre. Cet homme a toujours eu un sens aigu de l’agenda.

Ajoutons, cerise sur le gâteau, que des soupçons de détournement de biens publics pèsent sur le Psoe andalou et le syndicat UGT.

Je me souviens de l’une des trois courtes citations que Raúl Morodo, ancien disciple et compagnon de route d’Enrique Tierno Galván qui ne l’avait pas suivi au Psoe, avait mise en exergue à ses mémoires (Atando cabos, memorias de un conspirador moderado, Madrid, Taurus, 2003):

«Todos los hechos son hijos de la corrupción; fuera de ellos reside lo irreal. De la inocencia surge la inocencia, de la corrupción, la necesidad. El embozo de la corrupción se llama retórica. Sabedlo para siempre: la corrupción es irremediable. Aprended a corromper y poseeréis la Tierra. Así hablaron los amantes de la Tradición: siempre que se restableció la corrupción, se restableció el Orden.»

 

[Cette citation est de Miguel Espinosa (Escuela de Mandarines), un penseur hétérodoxe espagnol comme il y en a eu quelques-uns au siècle dernier.  Par certains aspects vifs et tranchants de sa pensée, il rappelle aussi bien les fulminations du philosophe Gustavo Bueno, que les ratiocinations poético-linguistiques de celui que Cabellero Bonald appelait affectueusement (?) « el viejo hippie »,  le linguiste Agustín García Calvo.]

 

 

S’abstenir de s’abstenir?

Le Psoe est-il en état de mort clinique? La réunion de samedi dernier du Comité Fédéral (instance délibérative du parti) a sanctionné la gestion politique de Pedro Sánchez, qui,  tirant les conséquences, de ce vote, a remis sa démission. Un organe de gestion provisoire  composé de dix membres a été immédiatement mis en place pour préparer les nouvelles échéances dont la plus importante sera d’infirmer les votes antérieurs de cet organe dirigeant pour se prononcer en faveur d’une abstention pour une éventuelle nouvelle candidature du PP à l’investiture parlementaire.

Le quotidien El pais a publié une rafale d’articles et d’éditoriaux le dimanche 2 octobre qui attribuent les raisons de la crise à Pedro Sánchez, sans aucune ambiguïté et avec une certaine violence verbale qui étonne, sans évoquer un seul moment le fond des raisons de cette crise. Sa défense des votes antérieurs du Comité Fédéral pour refuser de laisser passer par l’abstention un gouvernement de droite a été sanctionnée mais sans être explicitement citée comme raison fondamentale de désaveu. Les détracteurs de Sánchez continuent tous à affirmer que leur choix reste celui du non à l’abstention. Mais, dans le même temps, ils continuent à soutenir qu’une alliance avec Podemos est inenvisageable et qu’une troisième élection serait une catastrophe. Leur obstination a refuser que leur parti se prononce pour ou contre cette abstention est paradoxal mais compréhensible: une majorité de militants y est opposée. La meilleure des preuves de ces grandes réticences on la trouve du côté du PSC (fédération socialiste catalane du Psoe) qui doit tenir congrès début novembre et affiche une position -presque- claire en affirmant son refus de l’abstention: «  La primera reflexión que se planteará es la abstención o el voto contrario a Rajoy. Creo que el PSC debe seguir diciendo que no.  » réaffirme avec prudence Nuria Marin , l’une de ses dirigeantes en employant un « creo que » qui en dit long sur le trouble interne du parti socialiste. Même plus nuancée, la position des socialistes basques est voisine.

Dans un mois, une nouvelle tentative de débat d’investiture doit avoir lieu, il faudra que le Psoe et ses nouveaux dirigeants (dont il est dit qu’ils ont agi en « tueurs » pour mettre Sánchez en minorité) trouvent les mots nécessaires pour justifier leur choix de s’abstenir lors du vote d’investiture si Rajoy se présente, tout en continuant à affirmer dans leur discours public  qu’ils ne le feront pas (« Los socialistas andaluces siguemos apoyando el no a Rajoy y el no a los independentistas » dit, par exemple, Juan Cornejo, n° 2 du Psoe d’Andalousie). Cette bataille gagnée à la hussarde pourrait se transformer en victoire à la Pyrrhus au moment où un congrès extraordinaire, désormais nécessaire, se tiendra. Javier Fernandez qui préside la direction provisoire mise en place samedi, avance avec prudence et a bien laisser entendre que s’abstenir ce n’est pas soutenir,  mais il aura beaucoup de peine à faire comprendre ce choix à ses militants.

Quoi qu’il en soit, le Psoe ne sortira pas indemne de cette crise majeure et rien ne dit que le processus d’éviction de Pedro Sánchez ne soit pas infirmé par la base, à l’image du conflit qui a opposé les militants du Labour à ses députés et qui s’est conclu par un vote de confiance massif au dirigeant contesté, il y a quelques jours.

Ces tensions ne sont pas nouvelles: il y a dix ans, déjà, …

 

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