La Catalogne et l’Estat propi

Dans le conflit qui oppose le gouvernement espagnol et celui de la Catalogne, conflit dont le motif principal est la dette publique et la politique d’austérité que le premier tente d’imposer au second, le thème de l’indépendance revendiquée par cette riche région périphérique est revenu au premier plan.

On pourrait presque dire que c’est « de bonne guerre ». Chacun négocie avec les armes qu’il peut… Le refus d’un pacte fiscal fondé sur le principe d’un partage des recettes et des dépenses entre l’Etat central et les Communautés Autonomes, la demande d’un effort de réduction des dépenses publiques inégal (l’Etat en demande plus aux régions qu’il ne s’en impose à lui-même), le discrédit permanent des dépenses « pharaoniques » (terme en vogue en Espagne ces derniers temps) des régions et, pour finir, la tentation d’en finir avec ce système des régions autonomes en mettant à profit les effets de la crise, tout cela a exacerbé en Catalogne un sentiment antiespagnol sans précédent dans l’histoire de ce pays.

Voici quelques chiffres tirés d’El País, La dette publique espagnole représente 75,9% du PIB de l’Espagne, la dette publique de la Catalogne, 22% de son propre PIB. La dette de l’Administration centrale représente plus des deux tiers de la dette publique espagnole (617 milliards d’euros), celle des 17 régions autonomes, 14,2 du total (150 milliards d’euros). Comme la Catalogne est la région la plus riche d’Espagne ses 44 milliards dette publique sont ms en avant par le gouvernement pour en faire sa cible principale dans sa politique de « mise au pas » des Communautés Autonomes. Pourtant, selon ce même quotidien, l’augmentation en un an  de 9, 2% du rapport dette publique/PIB est imputable essentiellement à l’Etat central (8 points).

http://economia.elpais.com/economia/2012/09/14/actualidad/1347610875_109019.html

Alors, pourquoi tant de haine ? Parce que, comme me l’avait confié un ancien haut fonctionnaire de de l’Etat franquiste il y a quelques années : « Pendant la transition, nous avons commis deux erreurs : accepter la légalisation du Parti Communiste et accepter un modèle d’Etat fondé sur l’autonomie régionale. »

En quelque sorte la crise financière espagnole, dont je persiste à dire qu’elle n’est pas une crise de finances publiques mais bien une crise de la finance privée, d’un système bancaire traditionnellement spéculatif depuis pratiquement deux siècles et d’une chaîne de corruption bien huilée, cette crise a créé le bien connu « effet d’aubaine » dans la droite nostalgique qui pourrait se traduire ainsi : on va en profiter pour en finir avec l’autonomie des régions. Dans son discours de victoire au soir du 20 novembre 2011, Mariano Rajoy avait laissé percer cette intention en disant :

« Convocaré inmediatamente a todas las CCAA a una reflexión compartida sobre la forma de afrontar las exigencias de esta delicada situación ».

« Convoquer » a été ressenti comme le verbe de trop dans ce discours, mais on peut supposer que son choix avait été pesé.

Finalement, la réponse à ce centralisme défiant même la jurisprudence constitutionnelle bâtie durant plus de trente ans est arrivée il y a une dizaine de jours : une manifestation sans précédent des Catalans le jour de leur « Fête Nationale », le 11 septembre dernier. Cette  « Diada », comme il est coutume de l’appeler, a rassemblé beaucoup de monde (je donne la fourchette basse et la haute : 65 000 personnes selon le gouvernement, 1M 500 000 selon les organisateurs). Le plus caractéristique ce n’est pas l’écart énorme entre les deux chiffres mais plutôt la revendication dominante de cette journée, inédite à une telle échelle dans cette partie de l’Espagne : l’indépendance.

Depuis, le gouvernement catalan (de droite) surfe sur la vague et ne cesse de rappeler que l’indépendance est  l’ordre du jour, en effet le parti au pouvoir qui avait pendant des années tellement bien composer avec l’Etat Central qu’il fut de droite ou de gauche, promet des élections anticipées et s’engage à intégrer dans son propre programme la notion, difficile à traduire, celle d’Estat propi, qui évite de parler d’indépendance tout en en parlant très fort.

Voilà qui annonce un automne chaud chez nos voisins amateurs de sardanes, de suquet, d’empedrat et d’escalivada de pebrots i alberginyes.

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Carrillo

Santiago Carrillo, l’un des dirigeants historiques du PCE (Parti Communiste d’Espagne) est mort avant hier après-midi, dans son sommeil. Il était âgé de 97 ans. je ne proposerai pas de nécrologie, il en a été publié un bon nombre dans la presse espagnole qui disent l’essentiel.

Celui qui a été très jeune militant socialiste, puis des Jeunesses Socialistes Unifiées (résultant de la fusion des Jeunesses Socialistes et des Jeunesses Communistes peu de temps avant le début de la guerre d’Espagne), était un personnage de la vie publique espagnole qui restera dans l’histoire de ce pays comme l’un des hommes politiques  les plus détestés mais aussi l’un des plus écoutés.

Il a été un professionnel de la politique, en temps de guerre, en assurant une fonction de maintien de l’ordre dans Madrid assiégé. Il sera accusé de crimes (l’assassinat de prés de deux mille opposants) accusations contre lesquelles il n’aura jamais de réponse certaine. Qui a été jugé pour les crimes commis pendant la guerre civile espagnole? Ceux qui ont été jugés et exécutés ou quelquefois exécutés sans jugement l’ont été par les hommes du régime après 1939, par les vainqueurs. Combien sont-ils? Certainement plus de cent-mille. Mais les responsables de ces exécutions sommaires, responsables aussi des massacres de populations civiles de Badajoz ou de Málaga perpétrés par les troupes franquistes ne l’ont jamais été. Pas un seul des responsables militaires ou paramilitaires des massacres conduits par ces derniers n’a été jugé.

Je voudrais parler de Santiago Carrillo, homme et dirigeant. Le dirigeant était intuitif, d’une intelligence rare, mais un homme toujours inquiet et mal à l’aise devant des intellectuels. Témoignent de ce malaise les rapports complexes qu’il avait avec Fernando Claudín et Jorge Semprún,  dirigeants du PCE des années dures qui avaient fait des études au moins secondaires. L’économie, la philosophie n’entraient dans les domaines du savoir qu’il maîtrisait et il n’aimait pas ça, ne pas maîtriser. Dans les débats intérieurs au PCE, cette inquiétude se sent à chacun de ses mots à travers les archives. Il compensait ce qu’il prenait pour une faiblesse par une intelligence stratégique hors-pair, intelligence qui a sa part conséquente dans les épisodes de la période dite de Transition qui a suivi la mort de Franco.

Il était physiquement courageux aussi, on le sait. On sait ce que fut son attitude lors de la tentative de coup d’Etat du 23 février 1981.

Je voudrais cependant raconter une petite anecdote pour illustrer ce courage physique. Aux alentours du 10 février 1939, du côté de Figueras (exactement à la sortie d’un village qui s’appelle Pont de Molins), cachés derrière des rochers dans un virage de la route qui mène vers la frontière française, un groupe de soldats armés de leurs fusils et de quelques cartouches tient une position illusoire et attend des ordres.  Ils sont jeunes, très jeunes, moins de vingt ans, ils ont peur. Sur cette route tortueuse et caillouteuse approche une grosse automobile noire. Ils la mettent en joue. La voiture s’arrête et un petit bonhomme au visage rond et portant d’épaisses lunettes descend, fait quelque pas et leur crie: « Qu’est-ce que vous foutez là? Vous allez vous faire massacrer! Foutez-moi le camp d’ici! » Il remonte dans sa voiture et repart vers la frontière.

Les soldats hésitent puis comprennent… « C’est fini…, on y va… ». Ils rejoindront la cohorte de soldats et de civils qui passeront la frontière, affamés, sales, exténués.  Cependant leur discipline de soldat sera encore présente à leur passage de la frontière: un soldat n’abandonne jamais son fusil sans en ôter la culasse. Pour qu’aucun ennemi ne puisse s’en servir. Le petit bonhomme aux grosses lunettes, c’était Santiago Carrillo, et, dans la troupe de jeunes soldats, le plus jeune, âgé d’à peine 17 ans, c’était mon père.

Qu’ils reposent en paix tous les deux.

Des salaires des profs, du prix de la baguette et de l’anglais académique

Les enseignements universitaires des Humanités vont mal. Nous le savons tous, nous le disons tous. Le signe vérifié depuis quelques années est la baisse régulière des inscriptions de nouveaux étudiants dans les filières des sciences humaines, des lettres et des langues.

Les raisons à cette désaffection sont multiples. Elles sont culturelles, nous vivons dans une société où  on est passé en deux décennies à d’autres critères de valeur ou de considération que le savoir. Un Docteur issu des enseignements de pointe de l’Université n’a, sur le marché du travail, aucune valeur marchande, sauf s’il correspond à des créneaux de plus en plus étroits des « fenêtres » de croissance (qui ne sont guère plus que des vasistas) . En général ils seront recrutés s’ils appartiennent au domaine des savoirs appliqués et encore. Mais s’ils sont issus de la recherche généraliste, de pointe, ils n’intéresseront personne. Enfin, on peut légitimement comprendre pourquoi un jeune bachelier va choisir plutôt des études liées au domaine de la banque, de la finance et du commerce plutôt que de se préparer à des études longues de huit ans pour n’avoir aucune perspective ou la perspective de devenir prof.

D’ailleurs, ce changement de critères ou de valeurs a justement rendu le métier de prof  non bankable. Les médias y sont pour beaucoup qui le présentent comme un métier dangereux, usant, méprisé par ceux qui, dans le cadre d’une éducation libre et gratuite, en bénéficient. Les quelques profs qui écrivent sur ce métier y ont ajouté de leur amertume, certains de leur nostalgie des temps passés  teintée à l’eau de rose. On vit dans un environnement où le métier qui consiste à transmettre n’a plus de sens, ce monde avance à vue.

Ajoutons aussi les raisons matérielles. Les politiques de ces dernières années -bas salaires, conditions de travail précaires, précarisation accrue des statuts, RPPG, allongement d’un an des perspectives d’études, création des Master d’Enseignement  sans aménagement de droits pour les détenteurs d’une Maîtrise ancien régime- y sont pour beaucoup. Pourquoi se lancer dans des études d’éco, de socio, de langues, de lettres classiques, d’histoire si c’est pour commencer à Bac+5 avec un salaire net de 1600 euros nets et espérer au bout de trente ans (à condition d’être fonctionnaire)  d’atteindre pour une courte période des niveaux de salaire tournant autour de 3000 euros nets?

Un exemple pour comprendre la dégradation continue des salaires des profs.  Dégradation dont sont victimes tous les salariés depuis une vingtaine d’années. La perte d’attractivité de ce métier est due pour l’essentiel aux bas salaires pratiqués. Supposons un  jeune agrégé qui commençait sa carrière de titulaire en 1975. Rétribué au deuxième échelon de son corps,  son premier salaire de titulaire (échelon 2) était de 4400 francs par mois nets (les fonctionnaires raisonnent toujours en net). La baguette de 200grs coûtait 80 centimes (de francs), le paquet de café moulu J. V. (100% Arabica) 2 francs 30, son  loyer pour un quatre pièces de 85 m2 dans une ville moyenne était de 580 francs charges comprises (à peu près 85 euros)… Aujourd’hui la baguette coûte dix fois plus cher, le café (JV 100%) aussi, les loyers aussi qui grimpent même jusqu’à x12, et les salaires ont été multipliés par combien, par 3, 3,5? Et je n’évoque ici que les villes moyennes.

L’autre aspect de cette désaffection est peut-être encore plus profondément préoccupant. La recherche fondamentale en matière d’humanités (deuxième anglicisme) ne fait plus recette. cette observation nous a valu ces derniers jours un long article de Michel Wieviorka, Directeur de la Maison des Sciences de l’Homme et sociologue français  reconnu mondialement. Publié par le journal Le Monde, son titre est alarmiste: « Sciences Sociales, le déclin français ».  S’appuyant sur des travaux de l’ de l’European Research Council (le Conseil européen pour la recherche), il affirme que les universités britanniques  » sont en position de force dès qu’il s’agit de financement européen de la recherche ». Sa critique est sévère:  » Tout cela participe d’un modèle de recherche dominé par la concurrence et le marché « .

Recherchant les causes de cette domination écrasante, il esquisse un bout de réponse en suggérant que dans cette compétition un élément fausse les règles du jeu, la question linguistique:

 » un candidat ne maîtrisant pas l’anglais ne peut pas concourir, et celui dont ce n’est pas la langue natale est traité sur le même plan que celui qui la maîtrise parfaitement, alors qu’il doit déployer des efforts particuliers pour participer à la compétition ».

Ceux qui sont engagés dans la recherche universitaire le savent: en sciences sociales, comme depuis longtemps dans les domaines scientifiques et bientôt dans tous les secteurs de la recherche universitaire, publier et communiquer en anglais sera la règle pour avoir une chance de prospérer, de trouver des financements, de trouver du travail.

Ses propositions sont d’ordre scientifique et institutionnel (penser global plutôt qu’hexagonal -sortir du nationalisme méthodologique-, réformer les statuts de chercheur et leurs conditions matérielles d’insertion) et linguistique. Sur ce dernier terrain la réponse est ambigüe, il évoque la nécessité d’une « formation linguistique » des chercheurs, confondant la formation linguistique et l’apprentissage des langues étrangères. Pour ne pas sembler capituler devant la prédominance de l’anglais, il ne dit pas formation à la maîtrise de l’anglais, langue véhiculaire de la recherche, mais il le pense.

Le constat est juste mais j’ai dans l’esprit que la bataille est perdue. Faisons comme d’autres universités et prenons exemple sur bon nombre d’Ecoles de Management ou de Commerce International françaises: enseignons en anglais dès la première année universitaire et laissons le petit peuple continuer à parler gallo-romain.

Il est remarquable que la principale qualité du chef du gouvernement français mise en avant est d’avoir été prof d’allemand. Il parle donc la langue de l’Empereur, ce qui, l’avaient souligné les médias au moment de sa nomination, était un avantage dans notre « dialogue permanent » avec l’Etat voisin et néanmoins ami. Les chercheurs universitaires maîtriseront donc un jour la langue de l’Empire. Mais ils ne seront peut-être plus chercheurs.

What a wonderful World….

http://www.youtube.com/watch?v=E2VCwBzGdPM

 

Soy comunista como Cristo, Gandhi y Marx

C’est ce que déclarait Juan Manuel Sánchez Gordillo au Diario de Sevilla en novembre 2011.

 

 

 

http://www.youtube.com/watch?v=K69EJqpJcyE

Mais qui est cet homme qui a eu les honneurs d’une page dans le journal Le Monde le 29 août dernier?

Une sorte de militant éternel des causes populaires qui s’est rendu célèbre pour avoir conduit le 7 aout dernier une opération de « récupération » dans deux  supermarchés de Séville pour distribuer les biens « récupérés » aux nécessiteux de la ville et en particulier aux sans-logis.

Son image de maire communiste de Marinaleda, de militant pour la justice sociale, de leader spirituel des luttes populaires dans sa région en on fait une nouvelle icône médiatique. Professeur d’histoire, maire depuis 1978, il n’est pas né de la dernière pluie et est loin d’être ce « Robin des Bois » andalou qu’évoque Le Monde et d’autres journaux.

http://www.que.es/ultimas-noticias/espana/201208081158-sanchez-gordillo-asalta-supermercados-robin-cont.html

Poète, penseur, mais surtout homme d’action, il a mené des luttes de distribution des terres au début de son mandat.

http://www.youtube.com/watch?v=ybzS5vbz2f0&feature=related

Il a ainsi fait de Marinaleda une exception décriée, critiquée mais souvent  montrée en exemple… Dans ces temps de crise, une forme d’optimisme exigeant et d’utopie collective.

http://www.youtube.com/watch?v=eMT1jTg9oxk&feature=related

Son action, pour laquelle il dit qu’il ne s’agit pas de vol mais de redistribution me fait penser au personnage de Juanito, roi d’Espagne en cavale,  dans le roman de  Carlos Salem Je reste Roi d’Espagne qui emprunte une Rolls Royce à un riche musicien en mal d’accord parfait en se justifiant ainsi: « Voler, c’est ce que nous avons fait avec les vélos. Là il s’agit d’une Rolls, c’est une expropriation. »

 

 

 

 

 

 

Muy divertido…