Jorge Semprun

Comment dire?

La mort de Jorge Semprún remet encore une fois l’Espagne au devant de la scène médiatique.

Il nous faut don laisser momentanément de côté  la crise financière, la crise immobilière, la crise politique, la crise alimentaire pour opérer un retour vers cette personnalité qui a traversé le XXème siècle espagnol.

Il me sera difficile de départager ici les considérations personnelles d’un contenu plus général. Pour des raisons que je n’exposerai pas, mais que certains pourront déduire.

Je pourrais dire simplement que j’ai appris la mort de Jorge Semprún hier soir alors que je m’apprêtais à terminer la lecture du best seller de Muriel Barbery, « L’élégance du hérisson ». Lecture pénible, mais tel n’est pas mon propos. Vous me direz qu’entre ce petit roman entrelardé de dissertations brillantes rédigées sur le modèle des devoirs surveillés d’une année de terminale et la vie de Jorge Semprún, le rapport n’est pas évident. Pourtant, il y en a un. Page 337 de l’édition de poche de « L’élégance… », madame Michel, la concierge érudite de ce roman, propose une tasse de thé à Paloma, la cadette des Josse et, en la lui servant, pense de cette fillette révoltée: « Une vraie princesse chez les cadres du parti », sans autre commentaire.

Autre détail, la sœur cadette des Josse s’appelle Colombe et la cadette, Paloma. Curieux. Aussi curieux que le nom de la chatte de la famille Josse: Constitution.

Un vrai prince chez les cadres du parti…
Oui, c’est une bonne définition du Jorge Semprún alias Federico Sánchez.

Ses origines aristocratiques, son lien familial avec les élites du début de siècle et son passage « avec armes et bagages » chez les communistes entre sa libération de Buchenwald en 1945 et 1964 correspondent à cette définition.

Il ne fut pas le seul, son frère cadet, Carlos Semprún Maura, Manuel Azcárate, Nicolás Sartorius partagent avec lui cette particularité. Ce lien donnait au communisme espagnol une dimension qu’il n’avait pas eu jusqu’alors, une bizarrerie qui devrait être étudiée non pas à partir de trajets personnels mais plutôt à partir de critères de choix esthétiques et philosophiques, en suivant cette remarque de Paul Aubert: « Etre un intellectuel, ce n’est pas un métier, mais une attitude qui répond à une situation. »[1]

On peut dire que les différents actes de la vie de Jorge Semprún se définissent comme des ruptures d’attitude rythmées par le surgissement de situations nouvelles. Si on écoute bien Carlos Semprún Maura dans l’un des derniers entretiens qu’il a accordé en 2009, cette vision d’une vie faite de ruptures intellectuelles illustre parfaitement comment le lien personnel (amours et haines) peut tout dominer.

http://www.youtube.com/watch?gl=FR&v=EemiyGqFg78

Les deux grandes ruptures vécues par Jorge Semprún furent sa déportation à Buchenwald et sa rupture avec le communisme. Les deux ont servi d’aliment à son écriture fictionnelle.

La première était fédératrice de bons sentiments -républicain espagnol, déporté, communiste-. Elle créait une sorte de fraternité entre ces 8 ou 9000 espagnols qui vécurent la même chose.

La deuxième était emplie de haine intellectuelle envers l’inculture, la suffisance des dirigeants communistes qu’il avait côtoyés. Il commença à écrire son premier roman (en français), Le Grand Voyage, à Madrid, alors qu’il était envoyé clandestin du PCE, et qu’il était hébergé dans l’une des caches du parti, chez María et Manuel Azaustre, un autre communiste qui tentait, avec ses propres mots, de raconte ses années de déportation à Mauthausen.

http://www.youtube.com/watch?v=7_QmLezLoy8&NR=1

La sortie du PCE de Jorge Semprún n’est peut-être pas véritablement fondée sur des critères stratégiques et idéologiques.
Le vrai débat verra s’affronter Santiago Carrillo, révolutionnaire professionnel, formé très jeune au combat syndical et politique au sein de l’UGT et des Jeunesses Socialistes Espagnoles dans les années 20 et Fernando Claudín, étudiant en architecture devenu communiste avant la guerre civile. Ce dernier portera le débat sur la stratégie et les perspectives à l’intérieur de l’appareil du PCE à son  niveau le plus haut jusqu’à la rupture de 1964. Jorge Semprún adhérait aux critiques de Claudín mais il n’en fut pas le protagoniste principal, loin de là.

Il n’en reste pas moins, qu’au milieu des flots de louanges qui ne manqueront pas d’être versés, subsiste le doute d’une vie reconstruite par le récit, d’un discours sur soi qui fut toujours remis en question. J’en veux pour preuve le roman Caza de Rojos de José Luís Losa, publié en 2005, qui revisite avec une efficacité fascinante ces années pendant lesquelles Jorge Semprún s’appelait Federico Sánchez.

http://ccec.revues.org/index1423.html

 


[1] Paul Aubert, La frustration de l’intellectuel libéral,  Espagne, 1898-1939, Editions Sulliver, 2010.

Un commentaire sur “Jorge Semprun

  1. Serge, soy Jose Luis Losa. Casualmente encontré su referencia elogiosa a mi libro « Caza de rojo ». Estoy planteando la reedición revisada del libro en España y me gustaría habñar con usted en torno al interés que pudiera tener en Francia. Gracias, de nuevo, por su generosidad con mi texto.
    Abrazos

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