Qu’est-ce que la politique en Espagne aujourd’hui?

De retour d’un séjour studieux à Barcelone, j’ai ramené un couffin bien rempli d’impressions, de discours divers et multiples, d’images étranges et de livres. D’abord les impressions: qu’est donc ce monde où les journalistes qui animent les émissions politiques doivent absolument ressembler à des pin-ups ou à des play-boys? Cette tendance « beau-gosse » ou « blonde -ou fausse-blonde- filiforme » envahit tout et, dans ce domaine, l’Espagne a pris de l’avance. On ne distingue plus aujourd’hui quand on allume la télé là-bas, entre le jeu télévisé et l’émission d’informations. Les journalistes ont aussi pris pour habitude (comme les nôtres) d’interrompre sans cesse leur invité politique, de ne pas le laisser répondre, en croyant peut-être que c’est là la méthode du vrai journalisme, la méthode anglo-saxonne. Cette tendance envahit aussi la politique et son personnel (même le personnel dissident). Voyez les leaders des partis alternatifs et même le dirigeant du PSOE, Pedro Sánchez.  « Que seriez-vous prêt à faire pour gagner? »,  « Danser« … Le degré zéro de la politique. Pourtant il y a des enjeux, la crise, la pauvreté, mais non… on danse sur le volcan.

La télé adore. Elle aime aussi les parties à quatre. Puisque c’est elle, aidée par la presse écrite, qui la suit, qui a inventé le quadripartisme. Plus spectaculaire que le bipartisme, puisque on peut ainsi varier les discours et intéresser le spectre le plus large possible. Même s’il y a une chaise vide. Les candidats, jeunes et beaux, se tutoient, renforçant ainsi la connivence entre eux contre le candidat de la droite, absent de leur arène.

En réalité le quadripartisme de la télé et des médias n’est mis en avant que pour mieux écarter les partis ou groupes qui gênent: la gauche unie, et les partis nationalistes ou indépendantistes des grandes régions périphériques. Et il est fondé sur les prévisions électorales, seulement sur celle-ci.

Le paysage électoral est donc à ce point consternant de vulgarité et de superficialité que je me suis demandé si on ne pourrait penser la même chose à propos de la France. Bon, des beaux gosses ou des blondes -ou fausses blondes- filiformes, on n’en n’a pas encore beaucoup dans le personnel politique… Chez les journalistes de télé, on est pas mal. Mais ça s’arrête là. On a la chance d’avoir une guerre à mener contre le réchauffement climatique, ce qui a permis de laisser passer sans commentaires que le chiffre du chômage en France a dépassé les 10% et enregistré +42 000 en octobre.

Deux façons différentes d’installer des formes nouvelles de populisme démocratique: segmentation du discours, gommage des conflits de classe, exaltation des liens affectifs, négation de l’esprit critique et eaux glacées du calcul égoïste. Le philosophe José Luis Villacañas ne dit pas autre chose:  » El liberalismo, al producir hombres económicos cuyo rasgo de vida es el cálculo individual, es una fábrica de seres humanos que anhelan vínculos afectivos… Cuanto más triunfe el liberalismo como régimen social, más probabilidades tiene el populismo de triunfar como régimen político. » (José Luis Villacañas, Populismo, Madrid, La huerta grande, 2015, p. 105).

Gustavo Bueno, philosophe nonagénaire et sulfureux résume parfaitement la chose avec quelques épithètes bien senties:

«¿Sánchez? Sicofante. ¿Iglesias? Demagogo. ¿Rivera? Ajedrecista.»

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Le côté obscur de la force

L’émotion suscitée par les attentats de Paris est très forte en Espagne et à travers le monde. Quatre citoyens espagnols y ont laissé leur vie, au Bataclan et dans l’un des cafés-resaurants du XIème arrondissement, La belle équipe, dont le nom évoque  le film éponyme de Julien Duvivier de 1936, u film sur l’échec social en période de Front Populaire, film sombre et ambigu mais imprégné de l’esprit du groupe Octobre et de sa fraternité militante.

Sur ces attentats, une réflexion personnelle. Que manque-t-il donc à la France pour qu’elle se retrouve dans une situation aussi difficile, avec une extrême droite xénophobe puissante, un discours républicain sans contenu mais avec coups de menton d’un côté et, de l’autre, la force sanguinaire? Il y manque des emplois. Des militaires et des policiers, mais pas seulement. Rien dans les politiques menées depuis bientôt quarante ans n’est allé dans ce sens, bien au contraire. Il manque aussi un discours tribunitien, fédérateur de ceux d’en bas qui crée des solidarités dans des milieux vivant dans la précarité, des solidarités pour la conquête des droits et non pour leur disparition. Dans les années cinquante et soixante, au-delà de toute polémique secondaire, les organisations ouvrières, syndicats et partis, représentaient cette force, ce lien  puissant qui demandait aux « damnés de la terre » de ne pas baisser les bras. Aujourd’hui, tout ceci a disparu. Et la jeune classe moyenne, particulièrement visée par ces attentats, vient d’en faire cruellement les frais. Comme la jeune classe ouvrière de ce pays  en fait les frais depuis des décennies.

 

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Se débrancher de l’Espagne?

J’ai lu dans un quotidien du soir que Mariano Rajoy ne croyait pas au réchauffement climatique. En France on l’aurait pris au sérieux et on l’aurait viré (des services météo). Il ne croit pas non plus, on peut le supposer, à la dérive des continents. Or, c’est bien cette dernière théorie qu’il va falloir qu’il vérifie après le vote le 9 novembre dernier par le Parlement catalan d’une résolution en neuf points proclamant la mise en route du processus de « déconnexion » de la Catalogne. L’article 2 de cette résolution évoque  » l’inici del procés de creació d’un estat català independent en forma de república » et le 7 demande à l’exécutif qui sera mis en place de mettre en route, une fois  adoptées,   « les mesures necessàries per a obrir aquest procés de desconnexió de l’Estat espanyol, d’una manera democràtica, massiva, sostinguda i pacífica que permeti l’apoderament de la ciutadania a tots els nivells i es basi en una participació oberta, activa i integradora. »

Le problème c’est qu’il n’y a toujours pas d’exécutif  puisque la coalition Junts pel si a besoin des 10 voix de la CUP (indépendantistes alternatifs). Or ces derniers refusent de voter l’investiture d’Artur Mas, bloquant ainsi le processus de désignation de « l’Honorable President ». Ce bras de fer entre indépendantistes laisse donc du temps aux uns et aux autres pour préparer la riposte. Elle sera fiscale et institutionnelle de la part de l’Etat central, sûrement politique en Catalogne même de la part des partis et groupes n’ayant pas voté la résolution (PP, C’s, PSC, Csep).

Il reste à retirer aussi, dans l’hypothèse d’une Catalogne indépendante, une épine dans le pied de l’indépendance: Barcelone. En effet, quand on consulte les résultats de l’élection du nouveau parlement catalan, élection du du 27 septembre, on enregistre un net recul de la coalition indépendantiste à Barcelone et alentours, or sur les 7, 5 millions d’habitants que compte la Catalogne, 70% d’entre eux vivent dans cette région (5,5 millions). C’est l’éternel problème de la sous-représentation des zones urbaines et de la sur-représentation des zones rurales qui laisse croire qu’une majorité de catalans est favorable à l’indépendance alors que la ville et la campagne ont voté l’une contre l’autre et que, dans les systèmes démocratiques qui imposent une dose majoritaire dans leur scrutin -autrement dit tous-, c’est toujours la campagne qui gagne et qui fait les majorités. Barcelone demandera-t-elle à son tour l’indépendance, se transformer en ville libre comme il en existait au Moyen-Age? Et former une guilde avec d’autres villes à fort statut (la prochaine métropole marseillaise, les villes franchisées du nord du Maroc, etc.). Certains le demandent :

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Elections régionales en Catalogne

Les élections parlementaires régionales se sont déroulées hier en Catalogne. Le résultat place clairement en tête la liste de coalition  Junts pel sí sans pour autant lui accorder de majorité au sein du parlement (elle obtient 62 élus, la majorité requise étant de 68). En réalité l’allaince entre le centre droit et le centre gauche indépendantiste fait moins bien que lors du dernier scrutin où chacune de ces deux sensibilités se présentait séparée (51 pour l’ex-CiU, 20 pour Esquerra Republicana).  Un recul de 9 sièges qui bénéficie principalement à la la liste CUP, indépendantistes radicaux, qui semblent récupérer les voix des indépendantistes de gauche qui ne voyaient pas d’un bon œil se mettre en place une sorte d’union nationale catalaniste (la CUP passe de 3 à 10 élus). Les autres partis perdent des sièges (le Parti  Socialiste en perd 3, le Parti Populaire, 8 et l’alliance Communistes+Verts+Podemos fait moins bien que les communistes tous seuls en 2012 (- 2 sièges). Ainsi donc pour gouverner la coalition Junts pel si aura besoin du soutien d’une autre formation. Rien ne dit que cette force d’appoint soit la CUP… Les négociations commenceront par un préalable: la Parlement constitué s’engagera-t-il sur une déclaration de rupture dès sa mise en place ou le processus de « déconnexion » sera-t-il graduel (6, 12 ou 18 mois)?. La CUP est favorable à un acte de secession unilatéral immédiat, Junts pel sí pour « débrancher » en douceur…  Un choix qui s’était déjà posé en 1934.

Le succès est donc là pour les indépendantistes mais il est mitigé. Il est cependant curieux que cette hégémonie du concept d’indépendance soit niée en Espagne. Même Le Monde s’est empressé ce matin reprendre les éléments de langage de la presse de centre droit espagnole et de l’Etat. Ces éléments consistent à dire que le plébiscite n’a pas eu le résultat escompté car avec 48% des voix et malgré la majorité acquise, l’indépendantisme est minoritaire en Catalogne.

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Raisonnement paradoxal qui fait fi à la fois de la loi électorale fondé sur une proportionnelle « corrigée » selon le principe de la loi D’Hondt et qui vaut aussi pour le parlement espagnol où la majorité absolue du PP (185/350) a été acquise avec 44,62% des voix. Dans ce cas-là on pourrait rétorquer que tous les parlements espagnols depuis 1978 ont été légitimes mais jamais ne l’ont été les politiques que portaient les majorités.

En politique, hélas, il peut se trouver que les erreurs ne soient pas rattrapables. L’intransigeance de la droite au pouvoir sur la question fiscale et, plus généralement, sur la question de la redistribution des compétences a joué un rôle dans le raidissement observé. La droite avait certainement intérêt à souffler sur les braises pour canaliser en Espagne un sentiment anti-catalan déjà très partagé.

Enfin, le résultat médiocre de la coalition Catalunya, sí es pot tient à une raison: qui ne prenait pas position dans le débat sur l’indépendance ou clairement position sur la question n’était pas visible. Le choix était pourtant varié depuis l’indépendantisme sécessionniste de la CUP, en passant par la déconnexion par étapes, le fédéralisme, le confédéralisme, l’Etat multinational, le statut d’associé, le maintien du status quo… Mais cette coalition a choisi, ainsi que le fait Podemos depuis toujours, d’esquiver la question. Au fil des jours cette position (ni sí, ni no) était devenue inaudible.

Enfin je note que les leaders politiques en Espagne se plient de plus en plus à des critères médiatiques contraignants pour choisir leurs figures visibles. Ce que j’appelle « l’effet belle gueule ». Le cas de la liste Ciutadans, qui est celle qui progresse le plus en voix et en sièges, liste anti-indépendantiste de droite, illustre ces nouveaux choix. cette liste doit son succès autant à sa politique qu’à sa figure de proue, Inés Arrimadas.

Enfin, comment ne pas vous faire partager le point de vue de l’un des plus fins analystes de la vie publique espagnole:

 

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Le 11 septembre est un jour de célébrations en Catalogne. Comme toute date commémorative de nations sans Etats elle est celle d’une défaite, celle du dernier assaut des troupes au service de Philippe V, roi bourbon, contre une Barcelone rebelle et assiégée depuis plusierus mois, le 11 septembre 1714. Les troupes sont espagnoles et françaises, commandées par un de ces maîtres de guerre qui n’hésitaient pas à se mettre au service du mieux offrant, James Fitz-James Stuart.

L’enjeu de cette journée, c’est un enjeu électoral, celui des prochaines élections au Parlement catalan qui verront s’affronter une coalition indépendantiste (Junts pel si) à d’autres ensembles qui ont choisi d’autres thématiques que l’indépendance ou l’autonomie, thématiques sociales et économiques, à qui Artur Mas, leader du parti de centre droit indépendantiste, reproche de vouloir introduire la lutte des classes dans le débat électoral (la coalition Catalunya si qu’es  pot, qui rassemble communistes+écologistes+Podem -branche catalane de Podemos-) ou qui, assez minoritaires, sont représentés par les filiales locales des partis qui alternent au pouvoir en Espagne depuis quarante ans bientôt. Junts pel si rassemble autour de deux partis de centre droit et de centre gauche (Convergencia et Esquerra) un certain nombre d’associations dont la plus caractéristique et celle des municipalités qui se sont prononcées pour l’indépendance (AMI), association dans laquelle ne figurent pas   Tarragone,  Lérida ni une bonne partie de la banlieue de Barcelone ni la ville de Barcelone elle-même. Cette coalition est en passe, avec un peu plus de 40% des voix, de remporter ces élections en obtenant la majorité absolue des 135 sièges en jeu qui se font au scrutin proportionnel de circonscription qui donne un coup de pouce à la liste arrivée en tête.

Si la victoire revient aux indépendantistes, que se passera-t-il? Une sortie de l’Espagne par la loi, disent les partisans de Junts pel si. Un processus de « déconnexion » qui pourrait durer plusieurs mois et s’achèverait par une déclaration unilatérale d’indépendance (DUI). Les radicaux de la CUP veulent sa proclamation immédiate, Artur Mas estime qu’il ne faut pas se presser mais agir par la voie législative en restant très vague sur les modalités du processus.

Une curiosité: le numéro 1 de la liste de Junts pel si pour Gérone sera Lluis Llach, chanteur engagé des années 70/80, auteur d’une chanson-hymne de ces années-là, L’estaca.

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Podemos, une adaptation du péronisme à l’Espagne ?

Dans le dernier numéro du Monde Diplomatique  est publié un article de Razmig Keucheyan et Renaud Lambert (Ernesto Laclau, inspirateur de Podemos, Le Monde Diplomatique, septembre 2015, p.3) qui se penche sur l’une des sources du mouvement Podemos, celle des écrits d’Ernesto Laclau, intellectuel argentin qui fut pendant 25 ans, jusqu’à son décès récent, professeur de théorie politique en Grande-Bretagne. Le titre évoque ce dernier comme l’inspirateur de Podemos sans pour autant mettre de point d’interrogation, puisque selon l’avis des auteurs il s’agit d’une inspiration explicite et un choix assumé, celui du populisme.

Nous ne sommes pas privés dans ce blog de critiquer cette forme de gestion du politique dans un pays, l’Espagne, qui avait déjà, par le passé, eu à souffrir de différentes sortes de boulangisme ou de fascisme à l’espagnole depuis la fin de l’ancien régime.

Cette pensée affirme en premier lieu l’échec du marxisme  puisqu’il ne peut y avoir autonomie du politique et que ses « catégories classistes » ont montré leur non-pertinence (effondrement de l’Union Soviétique, effondrement des partis communistes d’Europe).  Seuls les mouvements catégoriels ou corporatistes sont l’essence même des combats sociaux (la « logique de la différence »).

Leur convergence ne peut être décrétée mais la conquête de l’hégémonie par le discours peut en créer la condition. C’est ce discours, parsemé de « signifiants vides » (la casta, los de arriba contra los de abajo, etc.), qui est celui de Podemos. La deuxième condition de la convergence, c’est la mise en avant d’un leader, nous l’avons, « el de la coleta », Pablo Iglesias, dont le nom lui-même est l’un de ces signifiants vides dont il est question.

Enfin, entretenir le flou programmatique et l’ambiguïté des politiques d’alliances est le dernier volet qui complète ces outils stratégiques qui ont fait Podemos. la baisse continue des intentions de vote d ce mouvement dans les sondages montre bien que « l’inscription dans la durée » ne se fait pas au niveau souhaité, parce que cette recette néo-péroniste oublie certainement ce que sont les cultures nationales. Comme il est souligné dans cet article ce que Podemos est allé chercher chez Laclau, ce ne sont pas de outils théoriques mais seulement des outils rhétoriques. Ce n’est pas la même chose. Et si Laclau était le gourou de dirigeants de Podemos, je leur dédie cette chanson.

 

 

Erri de Luca, l’homme contre

Si vous flânez au milieu des rayons d’une librairie, comme je l’ai fait dans ma librairie préférée, tout près de chez moi, Le Préambule, vous trouverez un livre très mince, fin comme la plume de son auteur, Erri de Luca. Ce livre de 41 pages, édité par Gallimard, est intitulé La parole contraire (La parola contraria). Il y relate les ennuis que lui  fait la justice italienne depuis septembre 2013 pour avoir « par plusieurs actions procédant d’une intention délictueuse unique, incité publiquement à commettre un ou plusieurs délits et infractions aux dépens de la société LFT SAS et du chantier TAV LTF situé à La Maddalena di Chiomonte, zone d’intérêt stratégique national aux termes de l’article 19 de la loi n°183/112. »

Il lui est reproché en substance d’avoir accordé au Huffington Post (publication appartenant au groupe du journal Le Monde et disponible exclusivement sur la toile) un entretien dans lequel il apportait son soutien à ceux qui s’opposaient à la construction de la ligne TGV Lyon Turin et estimait que puisque les négociations avaient échoué « le sabotage est la seule alternative » en prenant la précaution de bien distinguer sabotage et terrorisme.

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Le délit est donc celui d »incitation au sabotage selon les plaignants: la société LFT SAS qui était chargée de la gestion de la construction de la ligne. Notons au passage que ce projet combattu par des défenseurs de nature italiens et français a reçu une subvention européenne de 813.781.900 euros dans un premier temps et l’Europe paiera près de 40% de son coût total (3, 4 milliards d’euros) dans des conditions toujours douteuses puisque la masse monétaire maniée est considérable -bien supérieure au prêt de 7 milliards d’euros que la Grèce se voit refuser depuis l’année dernière- et que le coût de l’ouvrage sera certainement dépassé. Les opposants qui le considèrent comme inutile ont été condamnés à de lourdes peines par la justice italienne pour leurs actions de blocage.  De Luca remarque qu’assez curieusement la publication qui a édité ses propos n’est pas poursuivie, une exception très rare dans les procès mettant en cause la presse ou le livre.

Erri de Luca revient sur le sens de l’accusation qui est portée contre lui: celle d’avoir incité au sabotage du chantier de la ligne. Il se demande comment un écrivain peut inciter ses lecteurs à un acte quelconque, malveillant ou pas, délictueux ou pas et, retournant cette réflexion vers sa propre jeunesse, dont on sait qu’elle fut baignée dans la violence des années de plomb, il se demande quelle lecture l’a incité, quand il avait 18 ans, à se ranger du côté de l’anarchisme. Et il cite cette lecture majeure, l’Hommage à la Catalogne de George Orwell. Encore une fois l’Espagne et sa dernière guerre civile est convoquée comme fondement de la sous-mémoire contemporaine. ce ne sont pas Les cimetières sous la lune de Bernanos, ni Pour qui sonne le glas d’Hemingway, ni L’Espoir de Malraux mais bien l’ouvrage d’Orwell qui relate le séjour que fit ce ce romancier-chroniqueur en 1937 à Barcelone et sur le front d’Aragon. Au fond la question est simple: quand une figure connue soutient un mouvement social qui existait et se manifestait avant qu’elle n’intervienne, doit-on considérer qu’elle en est à l’origine, qu’elle y contribue et que le sophisme Post hoc ergo propter hoc se vérifie à tout coup.

Nous voyons notre monde de la libre expression se rétrécir tous les jours un peu plus, il y a eu les actions policières contre le Comité invisible en France, mais aussi tout une multitude d’actes qui tendent à criminaliser l’opinion émise, à réduire au silence ou, dans le meilleur des cas, à stiglmatiser celui qui les tient. Il y a un mainstream de la pensée, il n’est pas de couleur uniforme, ni exclusivement étatique, mais il nous encercle et nous étouffe. Avec un certain humour, Erri de Luca se souvient que dans les stades de foot du nord de l’Italie quand l’équipe du FC Naples venait jouer les supporteurs de l’équipe qui reçevait criaient « Forza Vesuvio ». S’agissait-il d’une incitation caractérisée à l’éruption du volcan napolitain…. ou l’expression d’un racisme antisud aussi ancien que la Lombardie?

« L’accordéon des droits se resserre parfois jusqu’à rester sans souffle » écrit Erri de Luca. « Iostoconerri. »

 

Municipales en Espagne, fin de partie

Les Municipales, rappelons-le étaient les seules élections se tenant sur tout le territoire de l’Espagne. La règle électorale obligeait les municipalités de se voir dotées d’un exécutif deux  semaines après le scrutin. En cas de majorité relative et d’absence d’accord entre les différentes listes représentées au nouveau conseil municipal, c’était la tête de la liste ayant obtenu le plus de conseillers qui était élue maire, mais avec un soutien minoritaire, autrement dit très fragile.  Il a a donc eu des accords, quelquefois étranges ou des désaccords qui ont permis ceraints succès.

Globalement, ces élections profitent au PSOE qui gagne 7 capitales de provinces (l’Espagne en compte 50 au total) et n’en perd que deux, au bénéfice de la droite.  Les coalitions auxquelles participait Podemos en gagnent 5 et no des moindres, Madrid, Barcelone, Saragosse, Cadix, La Corogne. Dans le cas de la capitale, c’est le soutien des élus minoritaires du PSOE qui permettent à la nouvelle égérie de la gauche madrilène, l’ex-communiste Manuel Carmena, de devenir maire. A Barcelone c’est un accord avec les élus nationalistes de gauche qui permettent à Ada Colau de devenir maire et de ravir la ville aux nationalistes conservateurs de CiU (qui sont, en Catalogne, les grands perdants du scrutin municipal). Ces deux femmes maires n’appartiennent pas à Podemos mais à des mouvements associatifs nés de la crise.

Moins visibles cependant un certain nombre d’accords opportunistes entre le PSOE, le PP ou les nouveaux venus Ciudadanos ont permis ici et là de permettre aux deux grands partis de conserver certaines positions. Dans d’autres cas, des alliances larges ont poussé dehors des maires sortants. Par exemple, à Badalona, ville de 220 000 habitants de la banlieue de Barcelone, le maire sortant du PP, don la liste est pourtant arrivée en tête, a été battu par une coalition réunissant les alternatifs –Badalona en comú-, les socialistes, la gauche nationaliste –ERC- et les communistes). A Sabadell, la municipalité échappe aux socialistes, bien que leur candidat soit arrivé en tête, alors qu’ils la détenaient depuis 1999 après l’avoir gagnée aux communistes. Cette ville de l’ancien arc industriel de Barcelone de 206 000 habitants sera gouvernée par un militant de la gauche nationaliste (ERC).

Le perdant à l’échelle nationale, c’est le PP, ou la droite en général. Le gagnant, le PSOE grâce aux accords qu’il a accepté de signer ici et là avec les alternatifs. La force de ces derniers est urbaine, elle trouve sa force dans une classe moyenne aux abois depuis les débuts de la crise immobilière et financière.

Après les élections des nouveaux exécutifs des parlements régionaux élus le mois dernier, il faudra ne pas perdre de vue que les élections législatives de novembre prochain constituent l’enjeu décisif. Le résultat des alternatifs, des communistes –qui résistent finalement assez bien à la vague Podemos sauf à Madrid-, et des socialistes peut obliger ces derniers à accepter, pour la première fois depuis 1982, de gouverner en coalition.

Et que chacun garde à l’esprit l’aphorisme marqué au coin du bon sens du seul philosophe espagnol vivant, Vicente Del Bosque, qui déclarait il y a peu : « Quien pita a un jugador, pita a la Selección ». Et vice versa.

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Vestrynge, el chaquetero

Derrière Podemos, derrière Pablo Iglesias, il existe un personnage hors norme, une figure intellectuelle et politique inclassable, qui fut le professeur et le mentor du leader de Podemos, il s’agit de Jorge Vestrynge. Né en 1948 au Maroc, de père français et de mère espagnole, il a passé son enfance en France et a décidé de poursuivre des études supérieures de droit et sciences politiques à Madrid. Docteur en Sciences Politiques, il appartient au cercle étroit des polémologues, sa thèse soutenue en 1976 portait sur les effets des guerres dans les sociétés industrielles.

Lecteur avisé du Gaston Bouthoul et de son alter ego américain  John Kenneth  Galbraith, il ne manquait pas non plus de se référer à celui qui le fera entrer en politique, Manuel Fraga Iribarne, intellectuel brillant et éclectique qui consacrera son discours d’entrée à l’Académie des Sciences Morales et Politiques à cette question[1] .

De cet intérêt manifesté pour les questions de développement et de reconstruction démographique et économique des périodes d’après-guerre, il reste un article qui résume sa thèse, un article daté de 1978, El « sistema de guerra » de la  sociedad industrial et une bibliographie complète sur ce sujet, cosigné avec sa première épouse, María Vidaurreta Campillo. [2]

La question qui se pose à son sujet pourrait l’être à propos de tout personnage public et en particulier de tous ceux qui n’ont jamais abandonné l’action politique soit comme militant soit comme cadre de parti soit comme élu et professionnel de la représentation nationale. Et il ne manque jamais quelqu’un pour rappeler quels furent les engagements de jeunesse de tel ou tel politicien, dans le cas le plus général passé de l’extrême gauche européenne des années 60-70, par exemple, à la droite conservatrice de la première décennie de notre XXIe siècle. En Europe, ils sont légion et en Espagne aussi.

Nous parlions il y a peu de ces itinéraires peu courants qui se firent en sens contraire, de l’extrême droite vers l’extrême gauche en évoquant le cas de Maurice Clavel. Ils sont plus originaux et plus rares.  Le plus souvent, ces changements signifiaient l’abandon par la personne concernée de tout avenir professionnel en politique. Paradoxalement, prendre  de l’âge les a rapprochés de la gauche révolutionnaire. C’est assez exceptionnel pour être souligné, car nous trouverons en Espagne beaucoup d’anciens militants communistes ou gauchistes (ou du FELIPE, du FRAP ou de la nébuleuse maoïste) des années de clandestinité devenus conservateurs ou réformistes (Piqué, Semprun, Solé Tura, Pilar Bravo, etc.). Si nous prenons, parmi de nombreux autres, un exemple comme celui de Felipe González, nous y trouverons un itinéraire beaucoup plus conventionnel . L’ancien chef de gouvernement socialiste est passé d’une position plutôt réservée de jeune chrétien dans sa jeunesse à une social-démocratie très centriste. Il est dit dans sa biographie officielle qu’il milita à la JOC et à HOAC (Fraternités Ouvrières de l’Action catholique) avant d’adhérer à 20 ans aux Jeunesses Socialistes (au début des années soixante ?).

Jorge Vestrynge a un parcours bien différent et peu commun. De collaborateur proche de Manuel Fraga Iribarne à la fin des années 70, puis secrétaire général d’Acción Popular et député, il passera par le PSOE après une tentative sans lendemain auprès des centristes de l’UCD, puis au PSOE qu’il abandonnera très vite pour se retrouver au milieu des années 90 au PCE et d’ Izquierda Unida.

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Il fut le proche conseiller de Paco Frutos puis de Julio Anguita qui lui aussi, comme Felipe González, était tenu d’expliquer une supposée adhésion dans sa jeunesse à Falange Española.

L’explication de son parcours que donne Vestrynge lui-même est souvent biographique. Ses parents se sont séparés quand il était adolescent et après un père biologique belge dont les relations avec l’extrême droite collaboratrice et Léon Degrelle[1] étaient étranges, il aura un père communiste et français, René Mazel. Il a toujours dit qu’il considérait ce dernier comme son véritable père.

Bref, en politique, selon de nombreux politiciens du mainstream, cet homme sent le souffre ou est un champion du  retournement de veste. Souvent décrié, souvent contradictoire, il peut dire et dit ce qui ne doit pas être dit. C’est un homme politiquement incorrect par excellence. On ne peut avoir pour lui quelque admiration, quelque fascination que ce soit, mais on ne peut non plus ignorer ce genre de figure intellectuelle qui pense toujours dangereusement, un homme d’hypothèses sans aucune ambition de pouvoir. Il est aussi encombrant quand on l’a à ses côtés.

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C’est pour cette raison que Podemos, dont il faut clairement dire qu’il fut l’un de ses inspirateurs, a souhaité l’écarter de tout rôle de premier plan pour se donner une image plus nette, pour cadrer avec une proposition politique plus rassembleuse ou plus opportuniste, à votre goût. Les critiques de certains fondateurs de Podemos se sont concentrées sur Vestrynge, tout en recoupant la critique de l’évolution dun mouvement lui-même. Le plus critique est Jaime Pastor, un autre universitaire enseignant la sceince politique dans une université de Madrid (UNED), affaire de concurrence idéologique, d’écoles de pensée… En tout cas, ces tiraillements montrent bien que Podemos est un mouvement agglutinant dont les leaders et animateurs sont des universitaires pour lesquels les querelles de pensée trouvent un terrain d’expérience inédit dans ce mouvement et son évolution.

[1] Homme politique belge d’origine française né en 1906 passé du catholicisme traditionnaliste au nazisme et à la collaboration.  Fondateur d’un mouvement nazi et antisémite belge, il deviendra lieutenant colonel SS commandant la division SS Wallonie qui combattra les troupes soviétiques sur le front de l’est. Condamné à mort par contumace à la libération, il se réfugiera en Espagne où il obtiendra la nationalité espagnole se mettant ainsi à l’abri de toutes les poursuites judicaires engagées contre lui. Il fut, en son temps, du cercle des connaissances de Jean-Marie Le Pen.

[1] “La guerra y la teoría del conflicto social”, d i s c u r s o leído en el acto de su recepción como académico n por el Excmo. Sr. D. Manuel Fraga Iribarne y contestación del Excmo. Sr. D. José Yanguas Messía, vizconde de Santa Clara de Avedillo, Real Academia de Ciencias Morales y Políticas, Madrid, 1962, 158 p.

[2] – Jorge Verstrynge, «El « sistema de guerra » de la sociedad industrial »,  Revista española de investigaciones sociológicas nº 1, Madrid, 1978, págs. 105-144

– Jorge Verstrynge, María Vidaurreta Campillo, «Bibliografía sistemática sobre sociología de la guerra », Revista española de investigaciones sociológicas, nº 1, Madrid, 1978, págs. 329-348.

 

Barça, campió

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Naturellement, Luís Enrique en Moïse, c’est outrancier… Mais lui attribuer les Tables de la Loi, encore plus.

Souvenons-nous qu’il y a quelques années, c’est Pep Guardiola qui se retrouvait au plus près du dieu des chrétiens:

sixtinaAlors que Cristiano Ronaldo semble voué aux flammes de l’enfer depuis qu’il est au Real:

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Dans un entretien accordé au journal El País en 2011, Mario Vargas Llosa disait du football qu’il s’agissait d’une religion laïque,  » antes, solo las religiones convocaban esa especie de manifestación irracional, colectiva; hoy en día, eso que antes era prototípico de la religión, es la religión laica de nuestro tiempo ».

Et, en toute logique, cette vision des choses permettait ces derniers jours que l’hebdomadaire Marianne titre : « FIFA: le Veau d’or est toujours debout« . Ou que Neymar se sente touché par la grâce:

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Qui a dit que le XXIe siècle serait religieux? En tout cas, pour le foot, c’est déjà fait.