Nous avons déjà évoqué l’eau du bain et les eaux glacées du calcul égoïste. Il existe une expression en espagnol qui relève aussi de la métaphore humide : « en agua de borrajas. » La définition donnée par le dictionnaire María Moliner (« no resultar nada de una cosa en definitiva ») rejoint celles que l’on peut trouver sur internet : «El modismo acabar en agua de borrajas se aplica a aquella circunstancia que, pareciendo que tendrá trascendencia, finaliza sin importancia alguna.» C’est l’eau de boudin bien connue des amateurs de déception à la française. Qu’est-ce donc que cette eau de bourrache qui serait aussi peu nutritive qu’elle serait la manifestation d’une déception totale? La « borrago officinalis » est toujours présentée comme une plante « pleine de vertus » par les jardiniers et, comme son nom latin l’indique, des vertus essentiellement médicinales. C’est sa richesse en nitrate de potassium et en thésinine (plante que les doctorants devraient consommer sous forme d’infusion,… je plaisante!) qui en fait une plante médicinale aux propriétés multiples relevant toutes des transits de toute sorte. La fleur se consomme en salade, la feuille en potages ou en gratins et, à défaut d’épinards, d’oseille ou de tétragone, elle remplit convenablement (j’allais dire « avec dignité ») sa fonction culinaire. En Navarre on la consomme en menestra, autrement dit mélangée à d’autres légumes (la carde ou bette de carde, la bette ou poirée, le haricot vert). Autant l’expression espagnole incite à la découverte gastronomique d’une plante relativement facile à cultiver, autant l’expression française est décourageante car elle évoque plutôt l’aléa gastrique et ses conséquences. Une interprétation intéressante voudrait que « l’eau de boudin » soit une dérivation d’expressions antérieures: « s’en aller en aunes de boudin » ou « s’en aller en os de boudin ». Mais sur ce dernier point, il y a contestation (http://www.expressio.fr/expressions/s-en-aller-en-eau-de-boudin.php) Je ne vois donc de lien entre l’expression espagnole et la française que dans la vertu laxative et ses effets. Il se trouve que l’expression espagnole dispose d’une variante : « quedar en agua de cerrajas ». Autre plante définie de la façon suivante dans le freedictionnary.com (http://es.thefreedictionary.com): «Cerraja (del b. l. serralia): f. BOT. Hierba de la familia compuestas (Sonchus arvensis) de tallo hueco y ramoso y cabezuelas amarillas, sin involucro, en corimbos terminales.» Sa traduction serait « Laiteron (ou Laitron) des champs », plante sauvage aux fleurs jaunes dont le suc (laiteux, précisément) serait un bon remède contre la goutte. Mais il reste un mystère : pourquoi l’expression espagnole s’obstine-t-elle à mettre la bourrache au pluriel ? Les définitions espagnoles utilisent la forme latine « borrago » pour en dériver des adjectifs à usage classificateur : borragináceos, plantes appartenant à la famille de la bourrache. On aurait un usage savant du masculin, el borrago, et un usage populaire du pluriel, las borrajas. Il faudrait chercher et affiner mais il est certain qu’on doit trouver une explication, mais je dois dire que je cale. Juste une petite intuition qui pourrait s’avérer fausse : le pluriel aurait très bien pu « migrer » et passer de « aguas » à « borraja » et « cerraja », mais ce n’est peut-être-là que le souvenir un brin poétique des « Eaux de mars », « Aguas de março », bossa nova de Tom Jobim et de Chico Buarque de Holanda, inventaire métaphorique du sentiment amoureux : É pau, é pedra, é o fim do caminho é um resto de toco, é um pouco sozinho é um caco de vidro, é a vida, é o sol… são as aguas de março fechando o verão é a promessa de vida no teu Coraçao…