Nouvelles de l’Empire II

diadaLe 11 septembre se sont tenues à travers toute la Catalogne des manifestations commémorant  le 33ème anniversaire de la prise de Barcelone par les troupes de Philippe V, roi d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, après plus d’un an de siège. Les troupes étaient commandées par un Maréchal de France de souche anglaise, le Duc de Berwick. La bataille fut sanglante, mais sa conséquence fut surtout politique et juridique, puisqu’en janvier 1716 le roi d’Espagne promulguait un Décret consacrant l’extension du droit commun du Royaume (c’est-à-dire le droit castillan) de la Principauté catalane, la disparition de la plupart des fors et des privilèges, l’obligation de l’usage du castillan dans le traitement des affaires de gouvernement ou de justice.  

Cette date est devenue ainsi la date symbole de la perte de l’autonomie de la Catalogne, et une fête nationale, célébrée officiellement depuis 1980. Le 330e anniversaire relevait de l’exceptionnalité, non seulement à cause de la date (trois siècles ont passé) mais aussi de la perspective annoncée d’un référendum pour ou contre l’indépendance de la Catalogne, proposé par la Généralité (le gouvernement de la Catalogne) pour le 9 novembre prochain. En quelque sorte, le Président de la Généralité catalane souhaitait faire de cet anniversaire le jour de lancement de la campagne pour le oui à l’indépendance, ce qui était clairement annoncé par la forme même de la manifestation à Barcelone : deux défilés convergeant vers la Place des Gloires, formant ainsi un V, le V de victoire.

Mais, nous le disions dans notre dernier billet, les circonstances se sont enrichies d’un élément nouveau, le vote qui se tiendra en Ecosse le 18 septembre prochain pour ou contre l’indépendance de cette partie du Royaume-Uni. Un succès du Oui en Ecosse servirait d’encouragement aux indépendantistes catalans, on comprend donc toute l’importance des semaines à venir.

Une différence doit cependant être notée, au-delà de tous les points de comparaison possible entre ces deux régions de l’Europe de l’ouest. En effet, des différences, il y en a : la Catalogne dispose d’une langue propre, puissant élément d’identification, l’Ecosse n’en n’a pas, l’une a un niveau de richesse comparable à la moyenne de l’Etat auquel elle appartient –l’Ecosse-, l’autre est l’une des plus riches d’Espagne. Mais la différence est plus juridico-politique : le référendum pour le YES est légal, il résulte d’un accord, le référendum du 9 novembre en Catalogne ne l’est pas, sa validité a été rejetée, même à titre consultatif, par le gouvernement espagnol. Ce qui faisait regretter à Artur Mas, président de la Généralité de Catalogne, cette intransigeance :

« Nosotros envidiamos un poco lo que está ocurriendo en Reino Unido, lo que queremos es un acuerdo con las instituciones españolas ».

Comme pour l’Ecosse, même un vote favorable à l’indépendance ne scellera pas la séparation de l’ensemble espagnol. Loin de là. La prochaine étape prévue par le gouvernement catalan sera la dissolution du Parlement régional, appelant ainsi à envoyer à la Generalitat une majorité massive de députés indépendantistes pour renforcer et légitimer un peu plus ce projet. La différence de fait et de droit, c’est que l’Espagne est dotée d’une Constitution formelle, mais pas le Royaume-Uni. Les liens de l’Ecosse avec l’Angleterre sont signifiés par un Traité datant de 1707 dont on peut consulter le texte :

http://mjp.univ-perp.fr/constit/uk1707.htm

A première vue, le contenu peut rappeler le décret de Philippe V, mais il fait retenir qu’il s’agit d’un Traité et non pas d’un Décret, qu’il a été approuvé tour à tour par le Parlement écossais et par le parlement anglais après près d’un an de négociations. Il y a donc en effet une différence entre Cameron et Rajoy : l’un se situe dans le veine négociatrice anglaise, l’autre dans l’esprit centraliste bourbonien. Honni soit qui mal y pense ou Nec pluribus impar

Nouvelles de l’Empire I

24332787e078153a76ed3bf73e870d8b2c6f9a09Depuis que la tendance des sondages s’est inversée en Ecosse, la campagne du référendum pour ou contre l’indépendance a repris une vigueur inédite. L’acceptation d’un référendum local par David Cameron reposait sur la confiance indéfectible dans la victoire du non. En octobre 2012, l’Accord d’Edimbourg scellait donc ce droit à l’auto-détermination pour cette partie du Royaume-Uni.

Ce choix respecte la critère international du droit à l’autodétermination des peuples, inscrit dans la Charte des Nations-Unies, mais il s’agit d’un vote de séparation unilatéral, sans consentement mutuel. En ce sens, ce référendum constitue seulement une étape parmi d’autres d’un processus assez long qui devrait conduire à la définition des nouveaux rapports entre les deux Etats sur les questions relevant des compétences régaliennes (défense, monnaie) et sur d’éventuels accords économiques sur les ressources pétrolières et l’extinction progressive des financements croisés des compétences acquises depuis 1997 par l’accord dit de Devolution, entériné en 1998 par le Scotland Act de 1998.

http://www.scotland.gov.uk/About/Government/concordats/Referendum-on-independence

 

La séparation d’une région d’un ensemble étatique n’est pas chose nouvelle en Europe. Les frontières des Etats n’ont cessé de bouger, soit par les actions d’annexion forcée (les Sudètes et l’Autriche en 1938), soit de réunion volontaire d’Etats (Italie en 1860) ou de séparation par consentement mutuel (Norvège et Suède en 1905), soit à la suite de traités (Versailles, Yalta).

Très récemment, se sont produites la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie, séparation pacifique, la dissolution de l’URSS en décembre 1991, l’explosion (violente cette fois) de la Yougoslavie, sous la pression des deux Etats les plus riches (Slovénie et Croatie) et avec l’appui des pays de l’UE. Rappelons que L’Allemagne a été le premier pays européen, après le Vatican, à reconnaître la Croatie et la Slovénie le 23 décembre 1991. Ce dernier élément n’est certainement pas étranger au déclenchement de la guerre civile. On pourra lire à ce propos l’article de Patrick Michels publié en 1996 par dans la Revue Comparative Est-Ouest.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1996_num_27_3_2800[1]

Il s’agit donc d’un processus constant qui crée, modifie ou annule des frontières et qui a été mené à bien à l’Est de l’Europe au moment de l’écroulement du bloc soviéto-socialiste mais qui est encore difficilement admis à l’Ouest (guerre d’Ulster, crise belge du début des années soixante, création de ETA en 1957).

A l’approche du référendum écossais, les esprits se raidissent. J’en veux pour preuve la chronique d’Arnaud Leparmentier publiée par Le Monde aujourd’hui 11 septembre, jour de la fête nationale catalane, qui célèbre la prise de Barcelone par les troupes du roi Bourbon Philippe  V en 1714 –il y a trois siècle exactement…  

Il a choisi de voter non à l’indépendance de l’Ecosse.  Tout d’abord il suppose que par rejet « héréditaire » de tout ce qui est anglo-saxons, les Français verraient avec sympathie la formation d’une Ecosse indépendante. Ensuite, il décrète que cette sympathie est à rapprocher de la « mobilisation des élites françaises » en faveur du non au référendum sur la Constitution européenne de 1995. Deux arguments spécieux puisque rien ne prouve le premier et que le second est une manifeste contre-vérité puisque les élites ont plutôt soutenu le oui au référendum de 1995. L’affligé Serge July écrivait le 1er juin 2005, après le succès du non :

« Référendum sur les élites. Les élites gouvernementales, les élites bruxelloises, les médias sans exception, et tous ceux qui plaidaient pour un système de décision autorisant l’émergence d’une Europe politique : ce sont tous des partisans de la France d’en haut, que la France d’en bas entend évidemment corriger, sinon raccourcir. La France d’en haut et la France d’en bas, c’est le duo bien connu de toutes les périodes populistes. »

Ajoutons que les résultats par catégories de revenu montrent très clairement le contraire de ce qu’affirme Leparmentier.

http://lmsi.net/Un-cri-de-douleur-de-Serge-July

Une fois posées ces contre-vérités, il développe la métaphore classique du tremblement de terre et de ses répliques, en nommant deux Etats susceptibles aussi de se diviser à l’ouest, la Belgique et l’Espagne. La question référendaire catalane (la date du 9 novembre est fixée pour ce vote), est à deux temps, nous en avons déjà parlé, pour que le résultat soit garanti et utilisable même en cas de refus de l’indépendance par les électeurs catalans. En fin de compte, Arnaud Leparmentier fait reposer la faute de cet émiettement continu de l’Europe à l’écroulement du mur de Berlin en 1989 et à « la paix et au règne du droit ». Oui, il est vrai qu’il y a avantage dans ce bizarre assemblage qu’est l’Union européenne d’être petit. On peut s’imaginer en paradis fiscal, en paradis social, et concurrencer les plus gros (les politiques actuelles de l’Irlande, du Portugal et la vieille politique du Luxembourg en témoignent). Et la recherche d’une cohésion identitaire au plus proche de soi est devenu d’autant plus forte qu’entre le dessaisissement des compétences des Etats vers le haut –vers la Commission et la BCE- prévu dans les traités (monnaie, politiques budgétaires) et vers le bas par les politiques engagées de régionalisation, dévolution, ou d’autonomie régionale (compétences sociales, de santé et scolaires) ont vidé les Etats constitutifs de l’Europe d’une bonne partie de leur raison d’être.

Oui, on s’accordera avec Arnaud Leparmentier pour dire que « l’Union européenne à vingt-huit est devenu un monstre ingouvernable, comparable à l’Empire austro-hongrois ou au Saint Empire germanique ». Une petite rectification cependant, ce dernier était « romain-germanique », le Saint-Empire romain de la nation germanique, Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation, pas seulement « germanique ».

Comparaison n’est pas raison… ce dernier empire a duré près de sept siècles, le premier quelques dizaines d’années seulement.

Je comprends l’énervement de ceux qui avaient une vision positive et volontariste de l’évolution de l’Europe. Mais la crise de 2008 est passée par là, la réunification de l’Allemagne (autre mouvement de frontières à ne pas ignorer) et la grandiose panne sociale que nous vivons. L’Europe c’est une régression vécue par chacun, et surtout une promesse non-tenue. En 2005, à Marseille,  François Hollande, premier secrétaire du PS,  disait au cours de la campagne pour le OUI à la Constitution européenne:

« Je suis venu pour appeler à voter “ Oui ” au Traité constitutionnel parce que c’est un progrès, parce que c’est une avancée, une protection. Je ne le fais pas par sens du réalisme, mais par volontarisme. Il ne s’agit pas d’un choix dicté par l’habitude (nous dirions “ Oui ” parce que nous avons toujours dit “ Oui ” depuis la construction européenne) ; d’autres ont pu -par le passé- se laisser aller à ce rite surtout lorsqu’ils étaient au gouvernement ; pas moi, pas nous.

Si nous disons “ Oui ” aujourd’hui, c’est parce ce qu’il n’y a que des avancées, pas le moindre recul et nul n’est capable de m’en citer un. Pas le plus petit risque de perdre notre modèle social, pas la plus virtuelle menace de régression. Et si j’avais vu le moindre recul, le plus petit risque, la moindre menace, aujourd’hui, comme Premier secrétaire, je n’appellerais pas à voter “ Oui ”. »

http://discours.parti-socialiste.fr/2005/03/31/discours-de-francois-hollande-marseille-31-mars-2005/

 

 Il n’a rien vu venir ?


[1]Michels Patrick. La France face aux déclarations d’indépendance Slovène et croate. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 27, 1996, N°3. pp. 75-101.

Découpage, charcutage et autres tripatouillages

Je me suis inscrit à un Forum sur le projet de refonte des frontières régionales en France  qui semble rencontrer un asse franc succès, Forum au titre assez difficilement compréhensible (la question posée  suppose qu’on y réponde « non »): « Le redécoupage proposé par Hollande est-il cohérent selon vous ? »

La « danse des canards » s’est animée au point d’avoir suscité plus de 600 réactions et de se dérouler entre près de 200 agités du bocal (dont moi) qui critiquent sévèrement le projet Hollande ou, au contraire, qui le défendent (mollement, dois-je dire).

Le gros bataillon des intervenants est breton ou plutôt se concentre sur l’opportunité de laisser la Bretagne dans ses frontières actuelles ou de lui annexer la Loire-Atlantique. Tout y passe, les arguments historiques, économiques, culturels pour défendre l’annexion ou son contraire.

De temps à autre sont cités les exemples voisins de processus de régionalisation (Belgique, Italie, Espagne) non pas pour en faire des exemples, mais pour étayer, quelque fois sans fondements bien nets, le bien-fondé d’une telle réforme (ou son contraire).

La réalité est simple: régionaliser est tout d’abord un acte centralisateur quand il vient du haut. Même l’actuelle fédération belge n’est sortie que d’un vote des Belges. Pour ce qui est de la constitution des Communautés Autonomes espagnoles, elles sont aussi passées, pour certaines par le vote local et ont, en tout cas eu le mérite d’avoir été ratifiées par référendum par le vote de la Constitution actuelle en 1978.

Il faudrait donc en France un vote populaire (référendum) ou du moins un vote du Congrès avec majorité des deux tiers  (réforme constitutionnelle) pour que le « redécoupage » soit légitime (je dis bien légitime, c’est-à-dire légal par consentement).

Il reste la question de la « cohérence ». Non, ce projet n’est pas cohérent, il est politique. Autrement dit, il a plusieurs visées simultanées.

La première, c’est d’occuper l’esprit et les moyens de communication pour nous permettre d’oublier que l’objectif premier de nos deux derniers Présidents était de réduire le chômage, alors que tout porte à penser qu’ils ne maîtrisent pas le sujet (ou qu’ils ne veulent pas le maîtriser).

La deuxième, c’est de retarder techniquement les élections régionales. Le Monde publie cette info dans son édition du 3 juin dans un style délicieux qui ressemble aux commandes d’éléments de langage de la politique moderne en rappelant d’autres formules creuses et absconses comme « inverser la courbe du chômage » ou « notre route est droite, mais la pente est forte » :

« Afin d’accélérer le tempo de la réforme territoriale, le gouvernement a décidé de reporter les élections régionales à novembre 2015, soit huit mois plus tard que l’actuel calendrier. Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, l’a annoncé mardi 3 juin. »

On accélère en retardant… Joli, non?

La troisième, c’est de ne pas toucher à l’essentiel qui est la prolifération des ensembles locaux, communes, agglos, intercoms, syndicats communaux,  établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), pour les rendre démocratiques -élus au suffrage direct- et efficaces – compétences de gestion budgétaire et mise en place de projets à échelle intercommunale-.

C’est un peu comme tous les projets de réforme dont on ne comprend pas le dessein, les moyens de communication de masse s’en emparent et on se retrouve piégés sous une avalanche d’avis et d’expertises en tout genre.

Bon, je m’y mets aussi: voici ma proposition de découpage:

neustrie-austrasie

 

 

Abdication du Roi d’Espagne

Le Roi chasse
Le Roi chasse…
...Vive le Roi!
…Vive le Roi!

Après près de quarante ans de règne, le roi d’Espagne, Juan Carlos de Borbón y Borbón abdique en faveur de son fils Philippe, qui devrait régner sous le nom de Felipe VI.

Evoquant brièvement son règne, ses succès, ses échecs et ses erreurs, sans démêler ce qui est de l’ordre de la Couronne ou ce qui est de l’ordre de sa propre personne,  le Roi dresse de son fils un portrait flatteur: « Mon fils Philippe incarne la stabilité, qui est le propre de l’institution monarchique… Le Prince des Asturies dispose de la maturité, de la préparation et du sens de la responsabilité nécessaires pour garantir pleinement l’exercice de la fonction de Chef d’Etat et ouvrir une nouvelle étape d’espoir combinant l’expérience acquise et le souffle d’une nouvelle génération.  »

Si des signaux alarmants ont conduit le Roi à cette décision (il les évoque discrètement), le premier d’entre eux est son état de santé (le corps fragile du roi…). Le deuxième signal tient tout entier dans le terme qu’il emploie (ces « erreurs » qu’il évoque tout aussi discrètement). Elles ne semblent pas relever de la fonction mais bien encore de la personne privée (aventures féminines, rapport à l’argent, etc.), ce que Le Monde résume en un titre bien ajusté: « la fin du règne de Juan Carlos écornée par les affaires ». Oui, bien sûr, cornes et défenses de toutes sortes…

Il est trop tôt pour faire un bilan de son action, mais, ce qui est certain, c’est que les liens multiples qu’il a tissés avec les milieux d’affaires espagnols (banquiers, magnats de la presse, etc.) l’ont personnellement enrichi, bien que l’on ne sache exactement quelle est l’envergure de cette fortune (plus d’un milliard d’euros?). L’année dernière, ce sont des rumeurs de comptes en Suisse sur lesquels il aurait placé les 3 millions d’euros reçus en héritage de son père qui ont fait le buzz.

Les sommes qui sont prélevées sur le budget de l’Etat pour subvenir aux besoins de la Maison Royale ne représentent que 7 M. 775 o40 euros. C’est en tout cas ce que l’on relève page 104990 du Bulletin Officiel de l’Etat daté du 26 décembre dernier, un volume de plus de 500 pages qui détaille le budget 2014 de l’Etat espagnol. Une goutte d’eau si on la compare à ce que la dépense publique représente cette année (autour de 240 milliards d’euros). Mais, à l’échelle humaine, celle du corps périssable du roi, même en baisse (2% de moins qu’en 2013), cette dotation de quelques millions d’euros n’est pas rien. D’autant que l’on sait bien qu’une certaine porosité existe dans le budget entre la ligne dite de dotation et d’autres lignes telles que celles qui portent le titre évocateur de « Altos Cargos », émoluments exceptionnels versés à des personnels hors catégorie…

En tout cas, Felipe verra ses revenus officiels doubler, passant de 150 000 euros annuels à près de 300 000. Et, soyons rassurés, le Roi aura une pension de retraite complète, puisqu’il a accumulé les trimestres exigés dans le pays voisin: 150. Ouf! On respire…

 

De te fabula narratur

nunosaraivaNous sommes en période d’examens, puisque je suis encore prof et, dans un  travail que je lis en ce moment, l’un des étudiants qui planchait sur un sujet qu’il serait trop long d’expliquer ici (la pensée politique de Juan Donoso Cortés – 1807-1853-) termine son devoir avec un plaisir non dissimulé par la citation célèbre d’Horace:

 

« Quid rides?  Mutato nomine, de te fabula narratur ».

Je ne vous dirai pas si cette conclusion était en totale cohérence avec son propos ou avec le propos suggéré par le prof, c’est un secret professionnel, mais elle m’a fait penser à la qualité de ceux qui développent un récit sur le passé de toujours le rapporter au présent ou d’aligner leur récit dans la perspective de notre absence de futur décryptable. Le texte de Donoso était le Discours sur la dictature qu’il prononça en 1849 devant le parlement espagnol.

En tout cas, la littérature politique ultraréactionnaire de l’inventeur de « la décision » comme seul critère de la souveraineté résonne à nos sens comme elle le doit. Elle  nous dit, si on la filtre au travers le propos d’ Horace dans ses Satires, qu’elle parle de nous.

Le lien était cette nouvelle cueillie au vol ce matin au beau milieu du fatras d’infos déversées par une radio: la Troika (Commission Européenne, FMI, Banque Centrale Européenne) quittait le Portugal après trois ans de présence et d’imposition d’une austérité sans précédent. Traduit en termes donosiens, la dictature temporaire de l’Europe sur ce pays a pris fin et  le retour à la légalité, autrement dit le retour de la décision au pouvoir légitime, était jugé possible.  Les institutions qui composent la Troïka ont appliqué à la lettre, en l’inversant, preuve qu’ils n’ont de la démocratie que cette conception étriquée en tête, le critère politique décisionniste de Donoso:

« Cuando la legalidad basta para salvar la sociedad, la legalidad; cuando no basta, la dictadura.”

On peut se demander si ce sont les résultats qui ont conduit à cette « fuite à Varennes » de la Troïka, ou plutôt l’approche des élections européennes et le rejet massif des Portugais de cette politique imposée, oui, certes, mais également inefficace puisqu’elle a eu pour conséquence l’appauvrissement massif des plus humbles sans résoudre pour autant la question de la dette publique:

« Un retour à la souveraineté économique, alors que le pays reste fragile. Le taux de chômage a certes diminué, mais il reste supérieur à 15%. La dette portugaise de son côté n’a cessé d’augmenter, et atteint désormais 129% du PIB. Et malgré une reprise de la croissance en 2013, les chiffres du premier trimestre de cette année sont négatifs (-0,7%). »

http://www.rfi.fr/europe/

 

Se voi non comprendete …. almeno non ridete…

 

 

Topofilia

Pour penser notre temps, temps sans alternatives, voici ce que pouvait écrire José Agustín Goytisolo en 1975. Ce poème appartient à un recueil intitulé « Taller de arquitectura » et rend compte de la collaboration entre le poète et l’urbaniste barcelonais aujourd’hui passé de mode, Ricardo Bofill.

Nous verrons que ce poème, écrit quelques mois avant la mort de Franco, nous rappelle à la fois le formidable élan et le profond pessimisme  qui irriguaient les façons de penser le monde dans ces années de déclin des utopies. Je me suis amusé à le traduire, le plus platement possible, mais si vous voulez lire la version espagnole de ce poème, elle est hébergée sur le blog dont je vous donne l’adresse:

http://malagalab.blogspot.fr/

Voir aussi:

http://aycerda.wordpress.com/

ou :

http://mecagoeneleixample.blogspot.fr/

 

Manifeste du diable sur l’architecture et l’urbanisme

 

Telle est la question :

Les cycles se déroulent inexorablement

Et il semble que nous allons vivre une fois de plus des moments

Comme ceux de 1936, 1929, 1910, 1871, 629 ou 211 avant Jésus Christ

Que nous allons nous retrouver dans de semblables situations

Bien qu’à une hauteur différente de la courbe hélicoïdale

Une fois de plus l’équilibre se rompt

Le système éclate

Et l’argent fuit ou ne sert plus ou est thésaurisé

Pas assez  de matières, trop de fils de putes.

 

La société humaine est un ensemble qui n’existe que sur le papier

Dans la réalité

Ce n’est pas même un ensemble d’ensembles

Parce qu’alors que certains sont occupés par le confort de leur logement

Ou par leur téléviseur ou par la recherche

De leur vrai sexe,

D’autres avancent encore maladroitement

Poussés par les vents de l’histoire

Ils changent le monde

Veulent aussi se changer eux-mêmes

Sans savoir toutefois ni comment ni en quoi

Et d’autres, nombreux, souhaitent simplement

Manger, manger

Vivre un peu en se grattant sous le soleil

Alors qu’ils auraient voulu ne jamais être nés

Alors que la rage et la haine leur mordent les entrailles.

 

Le monde est devenu une boule minuscule

Peuplé de fourmis de différentes sortes

Tailles et préférences

Et personne n’est d’accord avec personne

Et les vieilles familles tremblent

Quand elles voient leurs enfants déguisés et s’agitant

Au rythme sauvage des tambours et de la drogue

Et sont essayés partout de nouvelles sortes

 De groupes de communes

Et tout le monde crie

Et tout le monde écrit

Mais personne ne fait rien.

Ainsi donc nous sommes une masse égoïste

D’individus de toutes les couleurs

Qui nous haïssons beaucoup

Ou qui nous aimons parfois d’un amour puissant

Mais chaque jour qui passe nous laisse encore plus seuls.

 

Que faire alors de cette société

De nos sociétés

Comment changer les modes de vie de l’individu et du groupe

Quant allons-nous ensevelir le cadavre de la famille

Qui empeste dans le salon ?

Il n’y a pas une unique fin du monde

Mais de petites fins de petits mondes

De minuscules civilisations

Et il est absurde de croiser les bras et d’attendre

Et aussi la région et le territoire et le pays

Et la planète

Contrôlant et prévoyant

Les changements qui devront inévitablement se produire

Pour que notre environnement soit en accord

Avec nos idées et nos échecs

Pour que rien ne soir plus discordant ni idiot comme aujourd’hui

Dans les temps futurs.

 

Les grandes industries qui ont rompu l’équilibre séculaire

Et ont dénaturé la trame des champs

Des routes et des fleuves

En convertissant en banlieues de l’immondice

Les grandes capitales

Devront devenir propres et être regroupées

Dans les grandes prairies et dans les bois

Et le transport des ouvriers qui s’y rendront

Devra être payé part leurs patrons

Tant qu’un état socialiste ne sera pas advenu

De même que le pollueur devra payer aussi  pour rendre

Claires les eaux et l’atmosphère.

 

Il faudra penser à démanteler

Le commerce et ses temples odieux

Et les transformer en garderies ou maisons closes

Car le petit commerce devra à nouveau être mêlé

Au logement et aux bureaux et aux ateliers

Pour en finir une fois pour toutes avec ce maudit zoning.

 

Ainsi certains hommes pourront ne pas faire de différence

Entre leur temps et leur temps de loisir

Et agir au gré des envies et désirs des autres

Pour atteindre cette béatitude.

 

Et puisque la révolution a besoin d’espaces

Amples et de grandes avenues

Il faudra créer des parcs et des places dans les centres

Des villes historiques

Prendre soin de leurs monuments et de leurs vieilles demeures

Sur lesquelles flotteront les drapeaux de l’avenir.

Nous devrons également rompre le cercle

De la ville concentrique

Il faut qu’elles croissent en suivant les lits des fleuves

Ou des gigantesques et naturelles artères interurbaines

Et se connectent aux petites villes  provinciales

Et aux villages

En un nouveau réseau au milieu des champs et des bois.

 

L’automobile sera interdite en ville

Et le métro et la bicyclette célébrés et glorifiés

Pour que nos rues puissent redevenir un jour

Des lieux de réunion et de vie partagée

Et non pas un gigantesque commerce grouillant de rats et de sacs d’ordures.

Chaque rue chaque quartier chaque village ou ville

Auront un nouveau visage lumineux et paisible

En accord avec les goûts ou les vices de leurs habitants.

 

Il faudra convertir en officines punitives ou en prisons du peuple

Pour les architectes et spéculateurs  qui les paient

Les grands blocs d’habitation d’aujourd’hui

Et qu’ils ont eux-mêmes conçus.

Et installer les maisons dans un environnement authentique

Celui qui était le leur auparavant

Mais plus  beau encore

Mieux préparé pour la grande fête.

 

 

Et surtout du vert

De grandes tapisseries vertes qui grimpent le long des façades

Et recouvrent els terrasses

Qui occultent la laideur des rues d’aujourd’hui

Avec des fontaines et des lumières et une musique inouïe.

 

 

Ainsi un jour il sera possible que

Tous les citoyens d’un monde en mouvement accéléré

Vers le changement et la mort

Puissent penser à leurs besoins

D’une façon plus authentique et précise

Et considèrent leur alimentation

Comme c’est aujourd’hui le privilège de quelques-uns

-sublimation du goût-

Et sachent que le vêtement les protège

Mais qu’il exprime aussi leur personnalité

Et que l’information les met en relation avec les autres humains

Tout en les éduquant

Que l’hygiène n’est pas seulement bien-être

Mais aussi équilibre du corps et de l’esprit

Et  devient érotisme

Et que la chambre est un abri personnel

Ou un terrier individuel

Mais que la ville est aussi une chambre immense

Comme le pays et comme la terre comme une grande scène

De désirs et de malheurs et de victoires.

Tout ceci est très difficile mais pas impossible

L’utopie n’existe que quand on la tente

Et qu’elle échoue

Et ici nous n’avons même pas entamé la mise en marche

De ce programme angélique

Manifeste du diable écrit à Paris en 1975

Sous le signe du Capricorne

Et dont nous ferons notre possible  pour le convertir en espaces

En arbres et en eau

En une chose vivante

Pour que le jour venu de la fin de cette saloperie

Quand les policiers et le bourreau sur scène

Pourront regarder leur ruine ou décadence

Et dire de nous que si nous constituons bien toute une culture

De tendres assassins

De voleurs et d’obscènes marchands de sang

Nous n’avons pas manqué du souffle de l’artiste

Nous n’avons pas été ennuyeux.

 

 

Tiempo de silencio

Deux mois de silence… certains de mes fidèles lecteurs se sont demandé pour quoi depuis la fin du mois de mai, je n’avais rien ajouté à ce blog.

Tout d’abord parce que professeur d’université, comme bon nombre de mes collègues, j’étais pris dans la valse réformiste et des accumulations de projets (la nouvelle loi d’orientation universitaire) et les effets de la crise qui, inexorablement réduisent les moyens et les forces d e nos universités qui en sont à payer le prix des errements bancaires et de quelques décennies de folie du crédit privé. Allez savoir pourquoi nous devons, par nos réductions de dépenses, aider au renflouement d’un système capitaliste sans foi ni raison.  L’Université publique française est, dans le monde, depuis la disparition des pays du bloc de l’est, l’une des dernières à observer le principe de la gratuité. Mais elle est essoufflée, très essoufflée…

Et depuis quelques jours, enfin quelques vacances…  et la forme mentale revient. Mais pas très vite. Question d’âge.

Bien, revenons à nos moutons. Dans Le Monde ces dernières semaines, une série d’articles nous ont ramenés vers ce qui est au centre de notre intérêt, l’Espagne. Bien sûr, il y a eu cette catastrophe ferroviaire monstrueuse à Santiago de Compostela, qui peut aussi être pris comme le signe cruel d’une affliction nationale qui touche à la fois au symbolique (le 25 juillet est la St Jacques, plus grand jour d’affluence vers cette ville de pèlerinage) et la chair de chacun (l’excès de vitesse conduit droit dans le mur).

Deux jours avant cette catastrophe, dans un  numéro qui vantait le succès de l’entreprise de prêt-à-porter Desigual sur le marché chinois, était publié un long « Décryptage » de la situation espagnole par le plus médiatique des historomanciers de l’Espagne contemporaine, Javier Cercás.  Nous en parlerons une autre fois.

Je voudrais commencer par une courte chronique de Sandrine Morel  publiée le 25 juillet, Les Espagnols veulent comprendre la crise. Elle fait le point sur deux succès d’édition  récent qui, d’une façon très différente, tentent d’expliquer la crise que vit l’Espagne. Oui, bien sûr, ils veulent savoir. Comme nous voulons savoir pourquoi les  progrès sociaux engrangés au XXe siècle sont rognés jour après jour par cette sorte de maladie qui frappe l’Europe. Expliquer ce qu’est le phénomène de la monétisation et transformation en valeur d’échange de tout ce qui est (le sol, l’eau, le soleil, l’animal, le végétal et l’humain), expliquer le phénomène corollaire qu’est le crédit mais aussi la perte du sens de solidarité qui a prévalu jusqu’à ce que soit remise en question cette base sociale fondamentale: les créateurs de richesse doivent contribuer au bien-être de ceux qui ont contribué au leur (la vieillesse) et au bien-être de ceux qui contribueront au leur plus tard (l’enfance). Les fonds de pension, qui sont une sorte d’épargne personnelle pour s’assurer une retraite est la forme la plus aiguë de l’égoïsme social, comme le sont les assurances santé privées. Les deux sont fondées sur la spéculation qui tient compte de deux variables: l’espérance de vie et les capitaux engagés.

Garantir aux plus pauvres une cotisation minimale pour un rendement maximum a conduit aux déplacements spéculatifs de ces fonds vers cette autre zone d’ombre qu’est le crédit, monnaie de singe qui répond, dans 80% des cas à assouvir « le rêve virgilien » que Le Corbusier dénonçait en 1946 (dans Manière de penser l’urbanisme): celui de la maison individuelle et de son potager attenant. Gaspillage d’énergie, gaspillage de sols, gaspillage de dépense publique, en transports, voirie, surveillance, etc.

Deux ouvrages semblent sortir du lot: celui d’Aleix Saló, Euro pesadilla, alguien se ha comido a la clase media et celui de José Carlos Díez, Hay vida después de la crisis.  Optimistes ou pessimistes, ces deux livres sont des instruments pédagogiques pour comprendre la crise, pour savoir comment en sortir, c’est une autre affaire. L’un prône la rupture, l’autre la croissance (et la patience).

De la même façon, le n° 6 du magazine Usbek & Rica, qui se définit lui-même comme « le magazine qui explore le futur », nous propose un dossier de six pages consacré à l’Espagne sous un titre sans ambiguïté: L’Espagne, sans peur et sans futur » et un sous-titre qui enfonce le clou: Les villes se vident, les jeunes s’exilent et le pays s’enfonce dans la pauvreté. Reportage à Madrid, capitale européenne de la gueule de bois.

Visite guidée de la ville fantôme de Valdeluz, interview de Valentín, jeune homme diplômé qui n’a pas encore choisi de quitter son pays comme l’ont fait 200 000 personnes en 2012 selon le magazine lui-même.

Et enfin trois scénarios possibles:

 

1. la rupture entre le nord et le sud de l’UE et la formation d’une Union méditerranéenne,

2. la prise de pouvoir par les Indignés, enfants du 15 mai 2011 et leur radicalité éthique, politique et sociale

3. l’éclatement du pays par la séparation de la Catalogne tôt suivie par le Pays Basque, la Navarre et … La Rioja (?).

Enfin, puisque nous nous apprêtons à entrer en guerre contre la (ou en) Syrie, un petit dessin publié en 1990, alors que l’URSS disparaissait et que Georges Bush Sr pouvait dire « We won the cold war ». Son objet était de tourner en ridicule les capacités prédicatrices de Marx. Avec le vote des Communes il y a deux jours, ce dessin devient moins ironique, ne vous semble-t-il pas?

Exodo intelectual o éxodo a secas

Pour ceux qui ont des relations étroites avec l’Espagne, l’article publié par Sandrine Morel, « En Espagne la fuite des cerveaux face à la crise« sonne extrêmement vrai.

http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2013/05/20/en-espagne-la-fuite-des-cerveaux-face-a-la-crise_3379024_3214.html

« La fuite  des cerveaux », cette vieille expression qui appartient plutôt à la période de la guerre froide (brain drain) refait surface avec une intensité inouïe. Sandrine Morel évoque la baisse des budgets de recherche des Universités et les départs massifs de personnes hautement qualifiées (elle avance le chiffre de 400 000) que le système ne veut plus recruter.

Cette recherche d’une plus grande stabilité dans le travail, de secteurs de recherche disposant encore de quelques moyens pour fonctionner, de postes d’enseignant-chercheur ou même quelquefois, tout simplement, de bourses doctorales ou postdoctorales, par les jeunes diplômés espagnols devient tragique. Elle touche les disciplines scientifiques mais aussi tous les secteurs de la recherche espagnole. Dans le domaine des Humanités la situation est aussi préoccupante, il suffit de voir les dizaines de CV que reçoivent les départements de langues romanes, de littérature comparée, de linguistique et philologie romane, mais aussi de psychologie, philosophie, histoire, pour un poste de lecteur éventuel qui serait à pourvoir. Les candidats sont souvent des docteurs de l’Université, ayant quelquefois une bonne expérience de l’enseignement, de la recherche, nombre de publications à leur actif.

Quand on sait ce que fut l’enthousiasme et l’engagement des universitaires investis dans la recherche tous azimuts depuis plus de trente ans, on ne peut qu’en être affligé. Toute cette énergie, tous ces progrès enregistrés depuis la fin des années cinquante seront à brève échéance balayés par une politique de coupes budgétaires  sans principe ni perspective.

Autre exemple de cette situation catastrophique, cette nouvelle relayée par El Pais: 3500 étudiants inscrits au télé-enseignement de l’Université Complutense de Madrid ont été rayés des listes pour défaut de paiement des droits. Les aides de l’Etat n’ont pas suivi, les augmentations des droits ont été importantes, les bourses sont distribuées au compte-goutte. La baisse des budgets des universités (-12,3%) et les retards intervenus dans le règlement des bourses provoquent ces situations dont on peut constater qu’elles contaminent l’ensemble des universités. Il y a donc moins d’étudiants inscrits en Master (-8%). et, dans un avenir proche, moins de diplômés.

On parle en Espagne d’un exode des intellectuels qui touche plusieurs générations. La chose est à ce point préoccupante qu’elle est liée également à d’autres phénomènes:

-la baisse du taux de natalité qui avait été revivifié par les millions de jeunes gens sans qualification qui étaient venus s’installer en Espagne entre 2000 et 2007, en provenance d’Afrique ou de l’Amérique hispanophone:

http://www.libremercado.com

 

– le départ massif de ces mêmes immigrés récents,

http://www.la-razon.com/sociedad/ano-bolivianos-dejaron-Espana-crisis_0_1820817927.html

Tout ceci provoque une baisse de la population en termes absolus et une baisse générale de son niveau d’études. Le s projections pour les cinquante prochaines années envisagent le retour de l’Espagne à un chiffre de population de 40 millions d’habitants c’est-à-dire le chiffre de l’année 2000. Même si on ne peut comparer terme à terme, la saignée humaine et démographique risque de devenir aussi grave dans ses conséquences que celle que provoqua la guerre civile en son temps.

Les murs ont la parole…

De retour de Dijon, où je m’étais rendu pour raisons professionnelles, en traversant l’un de ces villages dans lesquels deux maisons sur trois restent volets fermés et portent au cou une pancarte « A VENDRE »,  une inscription tracée à la bombe à peinture sur l’un de ces murs sans vie a éveillé mon attention. Elle avait le charme grinçant des expressions à double sens:

« La campagne nous gagne! »

A vrai dire la campagne, au vu de l’état des maisons et des lieux traversés semblait plutôt dans un tel d’état d’abandon, qu’on se demandait si c’était l’expression enjouée d’un sentiment partagé de retour enthousiaste à la terre ou  l’expression immédiate d’une crise touchant les périphéries des grandes villes et les espaces ruraux trop éloignés de ces dernières. Ou même peut-être s’il s’agissait de jeter un regard ironique sur la campagne électorale de 2012.

Les murs ont la parole, même quand il n’y a plus personne pour lire les textes qu’ils portent.

J’ai immédiatement pensé à ces quelques expressions murales que j’avais vues la semaine antérieure à Barcelone, dans l’enceinte de l’Université Autonome, dont celle-ci:

Incongru dans une Université, peut-être mais  elle était bien là, sur l’un des murs de l’agora à partir duquel se distribuent  les espaces studieux de cette prestigieuse université.

 

 

Jamais dans notre histoire nous n’avons eu autant de textes inscrits sur nos murs et nos façades. Jamais non plus autant d’histoires, de modes d’emplois, de messages brouillés ou brouillons…

Par exemple, qui aurait cru que les descendants du maître du dessin et philosophe, Salvador Dalí, pourraient aujourd’hui se cacher derrière une mystérieuse raison sociale dans une rue du Madrid populaire?

 

 

 

Ou que citer Joan Manuel Serrat et l’une de ses plus belles chansons était devenu la seule manifestation de revendication du droit à la paresse et du défi contre l’ennui qui nous guette?

Per Què La Gent S’Avorreix Tant?

Si és veritat que l’home pot morir, però mai la idea, que el sol surt per tothom i un Déu ens vetlla i que la dona i l’or ho poden tot. 
Si és veritat que el futur penja d’un fil prim, que la fe mou muntanyes i tenim la vida pel davant. Si és veritat que val la pena fer-ho bé i que el treball dignifica, per què la gent s’avorreix tant?

http://www.youtube.com/watch?v=-fWTMIXZ0NM

http://www.youtube.com/watch?v=o4ia8jE7z-M

Peut-être pour recharger nos batteries en optimisme et ne pas sombrer.

 

 

 

Il y a cinquante ans, Julian Grimau

Le 20 avril 1963, il y a tout juste 50 ans aujourd’hui, s’achevait dans le sang l’un des épisodes les plus marquants et les plus étrangement médiatiques de l’histoire du franquisme.

Le dirigeant communiste Julián Grimau, arrêté à Madrid au mois de novembre de l’année précédente, était fusillé au petit matin dans la cours de la prison de Carabanchel, après six mois d’interrogatoires violents, de tortures invraisemblables menées par la BPS (Brigade policière spécialisée dans le délit politique).

L’acte d’accusation sur lequel est fondée la condamnation à mort  évoque à peine ses activités présentes, considérées comme illégales, mais surtout son passé de policier entre 1937 et 1939 à Barcelone. La presse du régime se déchaîne et l’accuse d’avoir torturé, mutilé des centaines de personnes, d’en avoir assassiné ou fait assassiner des dizaines, d’avoir commis des crimes de guerre. Oui, c’est vrai, il était entre 37 et 39 responsable de la Brigade barcelonaise d’Enquêtes Criminelles de la Police de la République, une police chargée en temps de guerre de démanteler des groupes de saboteurs. Non, bien sûr, il n’était pas un  ange, mais certainement pas un tchékiste, l’une de ces polices parallèles qu’auraient montées les communistes à l’instigation des Russes. Par ailleurs les délits liés à la guerre étaient prescrits, mais pour la circonstance avait été inventée l’étrange notion de « delito continuado », autrement dit d’imprescriptibilité ad hoc. Et, problème supplémentaire, le nom de Grimau n’apparaissait dans aucun des listes que le régime avait établies des crimes perpétrés par la police, l’armée ou des personnes connues pour leurs liens avec la République. Pourtant, dans son Aubiografia de Federico Sanchez, à demi-mot, Jorge Semprun, alors très proche de Grimau, puisqu’il été l’un des dirigeants clandestins du PCE à Madrid, donne volontiers crédit à la thèse franquiste:

A raíz de su detención [de Grimau], y sobre todo después de su asesinato, cuando participé en la elaboración del libro (Julián Grimau — El hombre — El crimen — La protesta, Éditions Sociales, 1963) que el Partido consagró a su memoria, fui conociendo algunos aspectos de su vida que ignoraba por completo mientras trabajaba con él en la clandestinidad madrileña. Así, por ejemplo, yo no sabía que Julián Grimau, pocas semanas después de comenzada la guerra civil, cuando todavía era miembro del Partido Republicano Federal —sólo se hizo comunista en octubre de 1936—, había ingresado en los Cuerpos de Seguridad de la República, trabajando primero en la Brigada Criminal de la policía de Madrid. Un día, mientras preparábamos la confección del libro ya citado, Fernando Claudín, bastante desconcertado y con evidente malestar y disgusto, me enseñó un testimonio sobre Grimau que acababa de recibir. Allí se exponía con bastante detalle la labor de Grimau en Barcelona, en la lucha contra los agentes de la Quinta Columna franquista, pero también —y eso era lo que provocaba el malestar de Claudín— en la lucha contra el POUM. No conservo copia de dicho documento y no recuerdo exactamente los detalles de esta última faceta de la actividad de Grimau, que el testigo de América Latina reseñaba como si tal cosa, con pelos y señales. Sé únicamente que la participación de Grimau en la represión contra el POUM quedaba claramente establecida por aquel testimonio, que fue edulcorado y censurado en sus aspectos más problemáticos, antes de publicarse muy extractado en el libro al que ya he aludido.

Fernando Claudín, dans sa biographie de Santiago Carrillo, reprend le même témoignage en précisant qu’il émanait d’un espagnol réfugié au Mexique en insistant que sur le fait que lui comme les autres dirigeants communistes ignoraient tout du passé de Grimau et que le fait de lui avoir confié une mission aussi risquée à Madrid avait été une erreur criminelle. De son côté,  dans ses mémoires, publiées en 1993, Santiago Carrillo évoque l’acte d’accusation en relevant ces éléments comme un tissu d’infamies fondé sur de faux témoignages et de faux documents. Il évoque aussi le traitre qui l’aurait donné et dont on aurait perdu la trace, un certain Lara. Un regret: ne pas l’avoir persuadé de respecter « el turno », autrement dit de se laisser exfiltrer vers la France comme il était d’usage pour éviter de laisser trop de traces à la police politique. On le voit, les explications sont souvent confuses ou partielles, un témoignage à charge dont on a perdu la trace, un traitre dont on connaît le (faux) nom mais qui a également disparu. Difficile à juger.

En réalité, face à l’absence de preuves, de témoignages, en s’appuyant sur une campagne de presse incroyablement violente, le régime, toujours calculateur, tentait ainsi, sans en faire l’objet principal du procès, de couper court par la peur et la menace aux progrès enregistrés dans le pays par l’opposition clandestine et en particulier par le communistes.

L’année 1962 avait été particulièrement difficile pour le régime, il lui fallait tenter de couper les liens qui se tissaient entre cette opposition et les milieux libéraux catholiques ou les intellectuels de l‘époque  en tentant de les isoler des communistes.

Le résultat de cet acte sera tout autre. La campagne internationale lancée par les communistes en Europe, campagne d’accusation qui ne fera qu’amplifier celle qui avait été engagée en 1962, s’élargira et la charge d’émotion créée se retournera contre le régime en l’isolant un peu plus encore des courants humanistes chrétiens et même de figures aussi peu suspectes de sympathies communistes que le Pape Jean XXIII.

Julián Grimau sera le dernier communiste condamné à mort et exécuté par le régime, d’autre subiront de lourdes peines de prison pendant encore plus de dix ans, mais plus la peine capitale. Ses cibles seront différentes au cours des douze années qu’il lui restait à vivre ; elles seront ajustées au moment, toujours selon cet esprit de calcul que Franco avait appris dans les bataillons disciplinaires au cours de la guerre du Maroc : cibler la répression des mutins avec violence, rapidité et discernement. Après 1968, elles seront anarchistes et basques après l’assassinat de Carrero Blanco.

Sur ces quelques mois de troubles, il existe un ouvrage formidable, unique par la qualité de sa documentation, l’intelligence du récit, sa structure nerveuse qui en fait autant un thriller politique  qu’un roman policier, de ceux qui se lisent d’une traite en une nuit. Il s’agit d’une sorte de reportage-fiction fascinant dans lequel tous les personnages sont vrais, dont tous les moindres faits évoqués ont été recoupés et vérifiés. « Une reconstruction romanesque des années les plus fiévreuses du Parti communiste espagnol dans la clandestinité .» nous dit le quatrième de couverture.

Cet ouvrage, « Caza de rojos, un relato urbano de la clandestinidad comunista », a été publié en 2005 mais n’a malheureusement pas été traduit en français. Son auteur est journaliste, il s’appelle José Luis Losa.

 

 

En voici un court extrait (traduit par mes soins, que le dieu des traducteurs me pardonne!) :

Ramón Menéndez Pidal¸ président de l’Académie Royale d’Histoire, signe depuis des années toutes les pétitions qu’on lui soumet qui s’en prennent à celui qu’il appelle « ce putain de Franco ».

« C’est quoi  ça? C’est contre ce putain de Franco ? »

Et de sa plus belle plume, il appose son nom sur des dizaines de demandes de grâce. Dans le cas de Julian Grimau, l’énergie de l’engagement de cet homme de 92 ans est incroyable. Il insiste auprès de l’Evêque de Madrid, Ejío y Garay[1] pour qu’il soit reçu au Pardo…

Parce que le Conseil des Ministres doit se tenir le 19 au matin. Et Franco, qui dispose  seul du droit de commuer la peine et de gracier le condamné à mort, décide  habilement, que ce jour-là ,cette décision devra être celle de tous les membres du Conseil. Que chacun participe. Que l’on vote. Que la responsabilité soit partagée par tous, cette fois, cette fois seulement, que chacun assume, par délégation, sa responsabilité « devant Dieu et devant l’Histoire ».

Que les dix-neuf ministres donnent leur assentiment à ce règlement de comptes avec le passé.  Qu’aucun d’eux ne puisse dire qu’il n’était pas d’accord que l’on fusille un communiste en guise d’avis aux navigateurs. Pour rappeler à ceux qui pensent qu’une rencontre à Munich de salonards monarchistes, socialistes, démo-chrétiens, traitres à la Phalange, dilettantes de tout poil, peut légitimer  la liquidation de son pouvoir absolu. Pour que les grèves des Asturies ou de Biscaye n’apparaissent pas comme la mèche allumée d’une explosion imminente. Pour qu’en pleine guerre froide, l’Occident comprenne qu’il continue à être, lui, dans sa résidence du Pardo, le seul rempart contre l’authentique ennemi, le communisme. Et pour recouvrer, par un acte de sang d’une grande cruauté, la légitimité née de la victoire. Ce message, il veut l’envoyer avec la complicité de son gouvernement, cet amalgame de militaires, de membres de l’Opus Dei, de technocrates, d’improbables ambitieux et de personnages folkloriques…

… Tous les ministres vont voter la mort. Il y en aura plus tard qui prétendront avoir tenté de remettre en question la décision, avoir exercé certaines pressions morales. Hé bien, non. Une seule réflexion critique, celle de Fernando Castiella[2], d’ordre purement pragmatique : évoquer les problèmes que cette exécution pourrait soulever hors d’Espagne, dans le prolongement de la campagne menée par les communistes, et les difficultés à craindre alors qu’est attendue la visite, cette même semaine,  de Giscard, qui vient signer des accords commerciaux avantageux pour le pays[3]. Les autres ne disent mot, ils consentent.


Ramón Menéndez Pidal (1869-1968)


[1] Leopoldo Ejío y Garay, dernier évêque de Madrid, décédé au mois de juillet 1963.

[2] Ministre des Affaires Etrangères.

[3] Cette visite de Valéry Giscard d’Estaing, alors  Ministre des Finances et des Affaires économiques, aura lieu entre le 19 et le 22 avril.