Le miel de la crise

Faire son miel de tout…  Voilà une belle expression qui nous dit que les humains, comme les abeilles, butinent sans cesse toutes sortes de fleurs pour alimenter la ruche. Nous savons qu’elle illustre métaphoriquement le besoin  de tirer profit de tout ce qui se présente, que les fleurs butinées soient  roses ou mandragores.

Un dictionnaire des expressions françaises présent sur le NET nous dit que le profit que tire celui qui fait son miel (du malheur des autres, par exemple) n’est pas forcément pécuniaire, « car il peut tout aussi bien être physique ou intellectuel.»

http://www.expressio.fr/expressions/faire-son-miel-de.php

La mode est aux crises… Le poète arc-en-ciel, chanteur de bluettes, wallon de Tourrines-la-Grosse, Julos Beaucarne, en piquait déjà une il y a trente ans, lui le futurologue juché sur son vélo volant :

« En tant que futurologue, je peux vous dire que nous sommes maintenant dans une multicrise : crise de l’emploi, crise de l’énergie, crise des matières premières, crise démographique, crise alimentaire, crise de la démocratie, crise de l’autorité, et moi-même je sens que j’vais piquer une crise (Hahahahahahahahahah !) »

Julos Beaucarne, Extrait de Le futurologue, album Le Vélo volant (1984).

La Société des hispanistes français, société savante qui regroupe tous les hispanologues de l’université française, organise tous les deux ans un Congrès au cours duquel, outre les séances nécessaires à la bonne marche de cette société (dont les statuts sont associatifs du type Loi 1901), elle propose des journées de réflexion sur une thématique précise. Il y a un an le thème abordé était le suivant : « Guerres dans le monde ibérique et ibéro-américain », le prochain qui se tiendra à Strasbourg les 7/9 juin 2013 porte un titre presque voisin : « Crises dans le monde ibérique et ibéro-américain ».

Disons que l’essentiel c’est que tout se passe  « dans le monde ibérique et ibéroaméricain », ce qui suppose que l’on ne restreigne pas au monde hispanique et hispanoaméricain mais qu’on ouvre les débats au monde lusophone. Guerres, crises, quelques-unes des plaies d’Egypte sont donc passées au crible, les eaux du fleuve changées en sang (la guerre) et la mort des troupeaux (la crise). Il en reste huit (les grenouilles, les moustiques, les mouches, les sauterelles, etc.), de quoi alimenter encore quelques congrès futurs.

Pour lire le texte de l’appel à communication détaillé:

http://www.hispanistes.org/reunions-et-rencontres/221-appel-a-communications-congres-de-la-shf-des-7-9-juin-2013-universite-de-strasbourg.html

 

Julos avait donc évoqué la crise il y a près de trente ans dans son disque prémonitoire : Le vélo volant. Et, excusez du peu, sans oublier la crise financière, traitée en termes savants, plus clair que Jean Marc Sylvestre et que tous les universitaires de France réunis. Cout’donc les Cours de clôture du marché à terme … :

http://www.deezer.com/fr/music/julos-beaucarne/le-velo-volant-47573

Voyager dans le site de Julos : http://julosland.skynetblogs.be/

Chorizos y chorizadas

Quest-ce que le chorizo?

L’une de ces pièces de charcuterie que seuls les espagnols et les portugais savent préparer. Salaison dont la couleur est due à l’emploi de pimentón, poudre de poivrons doux ou relevés qui lui donne aussi pour une bonne part sa saveur inimitable.

Mais un « chorizo » dans l’espagnol populaire est aussi bien autre chose. Par la vertu des glissements métonymiques que nous connaissons bien, un aliment a souvent désigné dans l’argot populaire celui qui le consomme, comme emblème de ses goûts (considérés comme peu raffinés ou étranges par ceux qui les donnent).

Depuis quelque temps le chorizo est très tendance en Espagne, pas celui que j’évoque plus ahut, mais un autre type de chorizo, type humain malfaisant, le politicien ou homme d’affaires corrompu. En somme depuis le début de la crise, les chorizos se portent bien. Ils constituent une appellation d’origine contrôlée, ceux qui ont tiré bénéfice de la spéculation éffrenée qui a sévi en Espagne au cours de ces dernières années. Les exemples de la dénonciation de ces corrompus sont légion., « trop de chorizo, pas assez de pain », lisait-on sur une pancarte brandie par un indigné du 15 mai 2011.

http://throughnikaseyes.blogspot.fr/2010/05/chorizos-ibericos.html

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/02/les-espagnols-en-ont-assez-des-chorizos_1728002_3232.html#ens_id=1271383&xtor=RSS-3208

Mais « chorizo » n’a pas toujours été égal à corrompu…  C’était tout simplement un voleur, de la même famille que « el carterista », le pickpocket. En général ils s’en prenaient au tout venant et , quelquefois, aux banques. Mais visiblement ceuyx qui font les poches du petit peuple en Espagne ce sont les banques, l’inverse n’est plus vrai. La famille de cet emploi argotique est très riche: « choricear », « choriceo », « choricero », « chorizar », et même « chorizada », dernier terme que ne relève pas mon édition du Gran Dicconario del Argot dans son édition de 2000. Pourtant « la chorizada », l’arnaque, est bien connue et employée depuis longtemps.

Dans le Nuevo Diccionario de voces de uso actual, quelques nouveautés:

« Chorizilla », femme facile et « chorizo », flotteur pour jeux de plage…

On trouve également une  acception à caractère raciste. Un chorizo (prononcer « chourissou »), pour les catalans de mes jeunes années était un espagnol du sud, un immigré. Vieille tradition raciste qui consiste à affubler l’autre du nom de son mets préféré: morue, melon, frog, etc.

Elle fait irrésistiblement penser à l’argotique chouraver (verbe) :synonyme argotique de voler. Chouraver, choucraver, chourrer, chourer (que nous prononcions toujours « tchourer » quand nous étions gamins, puisqu’on dit qu’il vient d’une variété de la langue tzigane: « tchorav », voler.

 

Dictatures et dictateurs 2: Una e indivisible

Curieux éditorial que celui du journal L’Equipe du lundi 2 juillet…

Comme toujours ce journal « ne fait pas dans la nuance ». Une photo pleine page où les joueurs de l’équipe d’Espagne se congratulent après leur victoire 4-0 contre l’équipe d’Italie. et un mot « GRACIAS! » qui barre cette une. Et un éditorial plutôt curieux par son titre: « Une et indivisible »…

Le texte est de la même eau:

« A travers son équipe, l’Espagne est une et indivisible, portant un message si rare dans le sport moderne: pas de joueur emblématique, pas de sauveur de la patrie, de héros au destin national brillant au milieu d’une escouade de besogneux. Cette Espagne est une idée de collectif, de l’intérêt général et des sacrifices particuliers qu’il impose, … ».

Or si on compare attentivement le drapeau espagnol officiel, le blason ne propose pas autre chose que le Plus Ultra de la Monarchie et pas de Una e indivisible qui figurait bien, en revanche, sur le drapeau espagnol des temps franquistes, mais sous une autre forme, UNA, GRANDE Y LIBRE…

http://www.youtube.com/watch?v=6LoDJrDeYU4

On retrouve la formule dans l’Article 2 des Lois Fondamentales du régime franquiste:

 » Art. 2. I. La soberanía nacional es una e indivisible, sin que sea susceptible de delegación ni cesión.
II. El sistema institucional del Estado Español responde a los principios de unidad del poder y coordinación de funciones. »

En 1931, Ramiro Ledesma Ramos, l’un des fondateurs et idéologues du fascisme espagnol titrait l’un de ses articles comme l’éditorialiste de l’Equipe: « España una e indivisible » avec comme sous-titre « El peligro separatista » (La Conquista del Estado, n°14, Madrid, 13 juin 1931)

http://www.filosofia.org/hem/193/lce/lce141a.htm

Pourquoi Fabrice Jouhaud (le signataire de l’éditorial) est allé chercher dans les fonds de la pensée ultraconservatrice ce slogan politique que les espagnols ont soigneusement effacé de leur arsenal emblématique national?  Par nostalgie, pour louer cette idée de « collectif » qui fait penser à une autre des formules chères au franquisme, et plus particulièrement à la Phalange,  » España es ante todo una  unidad de destino en lo universal »?

Ou alors c’est un trait d’humour qui ne fera pas rire du tout les Espagnols, tant il leur rappelle un passé douloureux.

D’autant que cette équipe (pas le journal, la championne d’Europe) est surnommée la Roja et que Rote Spanier était le nom que les nazis avaient donné aux espagnols qu’ils détenaient à Mathausen, à Dachau, à Buchenwald et dans d’autres camps.

Comme le fut, par exemple José Cabrero Arnal, le dessinateur qui créa le personnage de Pif le Chien.

http://www.stripologie.com/les-ouvrages/79-jose-cabrero-arnal.html

Certes, Monsieur Jouhaud, l’Espagne écrit l’histoire (du foot), mais elle ne joue pas avec ces symboles avec la même perversité.

Vignes et vins

Dans un  article du Monde Style publié le 20 juin, est rapportée la nouvelle de l’inscription à l’inventaire des monuments historiques d’une vigne située en plein cœur de la zone de production gersoise.  C’est un fait assez exceptionnel qui mérite qu’on s’y arrête.

150 ans d’âge, une structure d’exploitation en carré… voilà qui est exceptionnel!

Mais notre attention a tout d’abord été sollicitée parce que l’auteur de l’article hésite dans l’emploi de formes différentes pour nommer cet ensemble. Il titre : « Des vignes centenaires classées monument historique ». Puis, dans son article il évoque une « parcelle de 0,4 hectare, plantée de souches non greffées, […] 600 pieds répartis sur 12 rangs ». Qu’est qui est plus que centenaire, la parcelle, la vigne ou les souches ?

Mon passé d’ancien vendangeur a refait surface. Dans mon Languedoc natal, cette confusion entre vigne-souche, vigne-parcelle et vigne-activité était vécue quotidiennement. Comme était absent du langage du vigneron celui du pluriel « vignes ». Il allait « à la vigne », même si les vignes qu’il « portait » étaient divisées en plusieurs parcelles. Les souches n’existaient que comme unité de comptage, on les appelait « pieds » et leur nombre indiquait l’extension ou l’exigüité du domaine, jamais exprimées en hectares. Surtout on ne parlait jamais de « vignoble », trait de modestie locale. Alors qu’en Espagne le terme « viñedo » a toujours été d’un emploi très courant.

Ensuite, mon attention a été interpelée par un détail commenté par Monsieur Olivier Bourdet-Pees, directeur de l’association des producteurs de vin du Gers, Plaimont-Producteurs. Il signale que sur les vingt variétés recensées sur cette parcelle 7 sont inconnues au bataillon des cépages, phénomène qu’il qualifie joliment de « multitude passionnante ». Comment se fait-il qu’une telle mémoire ait été perdue ? On peut l’expliquer. L’épidémie provoquée par le phylloxera vastatrix a fait disparaître de nombreux encépagements traditionnels soit parce victimes de la maladie, soit parce qu’interdits, éradiqués au sens premier du terme pour empêcher cet insecte malfaisant de se refaire la cerise. Seul le piémont pyrénéen a été épargné par cette méchante bête.

C’est donc dans cet ouest protégé qu’on continué à survivre la folle blanche, la folle noire (folle= feuille) le camaralet de Lasseube, le tannat et le malbec (qui on prospéré outremer, en Argentine en particulier, grâce à de nombreux vignerons du sud-ouest français installés dans cette région du monde); Y  survivaient aussi jusque dans les Cévennes et les Charentes les cépages interdits, Clinton, Noah, Jacquez, Herbemont, Othello, Isabelle

Sept de perdus, d’accord… Mais on sait qu’il y en a 5 à 6000 à travers le monde, portant des appellations souvent différentes (on avance le chiffre de 400 000 appellations!).

Un terrain idéal de recherche pour un terminologue ou un lexicographe!

Mais rien de tel que de lire toutes affaires cessantes :

Roger DION, Histoire de la vigne et du vin en France : des origines au XIXe siècle, Paris, Clavreuil, 1959, 770 p. (réédition, Paris, Flammarion, 1991 – réédition, Paris, CNRS, 2010).

Marcel LACHIVER. Vins, vignes et vignerons, histoire du vignoble français (Paris : Fayard, 1988 ; in-8°, 717 pages).

Enfin,  pour ceux qui aiment les vins espagnols sans trop les connaître, l’indispensable en matière de savoir sur la plus fameuse des appellations espagnoles, les vins de la Rioja, le livre de Joël BREMOND,

« Vignobles et vins de Rioja – Rencontre entre l’ancien monde et le nouveau monde ? », Dijon, PU de Dijon, 2011, 237 pp.

 

Un petit entremets avant de revenir bientôt aux dictateurs et aux dictatures.

Dictatures et dictateurs 1: Jacques Bainville

Le 2 juin 1961, Esteban de Bilbao Eguía, Président des Cortes, à l’occasion du renouvellement du parlement,  prononce le serment des procuradores, serment dont le texte est invariablement le même depuis 1942:

En nombre de Dios y sobre los Santos Evangelios ¿Juráis desempeñar el cargo de Procurador con la más exacta fidelidad al Jefe del Estado y Generalísimo de nuestros Gloriosos Ejércitos, a los principios que informan el Movimiento Nacional, a las Leyes Fundamentales del Estado, y  en servicio siempre de los destinos sagrados de la Patria?

Il s’adresse ensuite  à ces parlementaires serviles, nommés pour la plupart,  et leur tient un discours exemplaire dans un style qui laisse croire à une permanence du discours initial. La première des affirmations est celle de la traversée du temps. Le régime a fait ses preuves puisqu’il a su braver les tempêtes et s’installer dans la durée. Il n’est pas question d’années, mais de lustres, pas de législatures, mais d’étapes. Ce temps passé se caractérise par son irréversibilité, par sa qualité première, la linéarité,  <movimiento rectilíneo> et par sa majesté <cauces amplios >.  La seconde, venue aussi apporter sa confirmation de l’authenticité de la démocratie organique, fait appel aux concepts de l’ancien régime <órganos naturales y estamentos > pour installer un perspective de temps plus ample, celle d’une Espagne éternelle confrontée à son destin, d’autant plus vertigineusement seule qu’elle ne pèse plus d’aucun poids dans le monde.

Ce serment de fidélité, non pas à la Nation mais à la Patrie, à travers la personne même du chef de l’Etat, dont les fonctions sacrées de princeps et d’imperator sont mises en avant, a toujours été pensé comme la caricature même de la légalité supposée des dictatures. le même joueur de flute (Bilbao Eguía) évoque un penseur français pour justifier l’hispanité parfaite de ce régime qui le nourrit, un certain Banville. J’ai pensé que Bilbao Eguía faisait référence à quelque texte politico-juridique de Théodore de… (Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt ! Escalade la roche aux nobles altitudes…), mais non, erreur de transcription des sténotypes, il faisait référence à Jacques Bainville, un proche de Charles Maurras.

Cet intellectuel, membre de l’Action Française avait publié en 1935, un an avant sa mort, un ouvrage savant au titre clair: Les dictateurs. Et l’incipit du livre était aussi clair:

La dictature est comme beaucoup de choses. Elle peut être la meilleure ou la pire des formes de gouvernement.

Bainville passe en revue tous les dictateurs de l’histoire, depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, de Solon et Pisitrate à Mussolini et Hitler. Pour l’Espagne il évoque la figure de Miguel Primo de Rivera sous un titre de chapitre intrigant: «Primo de Rivera ou la dictature manquée». Il évoque cet officier comme « trop bien élevé et trop délicat » pour tenir ce rôle ajoutant : «On ne s’établit pas dictateur avec de trop bonnes manières et des gants blancs.[1]»

Primo annonçait cependant la chose la moins prévue de l’histoire des dictatures espagnoles: l’absence de charisme. Un dictateur peut être ridicule.

http://www.videosurf.com/video/francisco-franco-discurso-de-la-victoria-1268714443

http://www.videosurf.com/video/mensaje-de-franco-a-los-ni-os-del-mundo-106977459

 


[1] Jacques Bainville,  Les dictateurs, Paris, Editions Denoël, 1935, page 262.

Tramas

S’il est un Dieu virtuel, l’euro doit l’être aussi. Les espagnols vont ajouter 19 milliards d’euros pour sauver Bankia, la bonne affaire de la semaine… et l’ancien Président du FMI, pas DSK, mais son prédecesseur, RR, vient d’avouer avoir trafiqué les comptes…

Quel poids représente donc ce sauvetage d’une banque (une seule) espagnole qui  représente, au bas mot, car tout n’est pas dit, 23 milliards d’euros?

Pour donner un ordre d’idée, le déficit de la Sécu française était de 9 milliards en 2011. Le déficit cumulé public espagnol était de 98 milliards d’euros en 2011. Autrement dit, sauver cette banque alourdira d’un tiers le déficit public espagnol pour le mettre au niveau de celui de la France (90% du PIB). Ce mécanisme illustre bien ce que certains ne cessent de répéter:  ce n’est pas le déficit public qui est un problème. C’est  le niveau de l’endettement privé et les pratiques pour le moins brumeuses des organisations financières privées qui se sont portées vers des investissements hautement  spéculatifs -fonds de pension anglo-saxons, en particulier- pour alimenter le crédit immobilier en essayant de fournir à leurs prêteurs une rentabilité élevée  -hypothèques sur trente, quarante ou cinquante ans ave taux d’intérêt variables-. Au passage se sont multipliées les affaires de corruption, d’intérêts bien compris, dans les zones où la tension immobilière était à son plus haut niveau: les zones touristiques et la capitale, Madrid. Des affaires (« tramas ») que nulle commission d’enquête n’a vraiment pu éclairer.

Aujourd’hui la façade de l’Espagne est lézardée, les politiques du PP comme du PSOE ont montré leurs limites. Leur adoration du laisser-faire, leurs politiques sociales inexistantes, leur manque de perspectives en matière de développement (une élolienne ne rend pas le bonheur durable) et cette vieille tradition de l’argent vite gagné dans le franges grises du bizness en tout genre, ont conduit à laisser de l’Espagne l’image de ce qu’elle a toujours été: un pays en crise permanente où la spéculation est reine.

Au début du XXè siècle Joaquín Costa proposait cette définition de l’Etat espagnol: « Estado Social de barbarie »*. Son projet était de le « régénérer », plus d’un siècle plus tard, nous retrouvons ce pays dans uen situation similaire, une oligarchie qui place ses intérêts avant ceux de la communauté. Mais Costa pointait que la passivité du peuple laissait le champ libre aux trafics de ce mundillo et à son impunité. C’est ce qui a changé. Peu d’Espagnols sont dupes aujourd’hui, peut-être résignés, mais pas dupes.

http://www.elmundo.es/blogs/elmundo/contraopa/2012/05/31/la-nueva-farsa-con-bankia.html

Aprés avoir privatisé les profits, on socialise les pertes, belle loi d’airain du capitalisme…

http://www.euribor.com.es/

http://politica.elpais.com/politica/2012/06/01/actualidad/1338553687_127280.html

* Oligarquía y caciquismo como la forma actual de gobierno en España: urgencia y modo de cambiarla (1901). Sur Costa, je signale un petit ouvrage qui reste, à mon avis l’un des plus éclairants sur la pensée de cet auteur: Joaquín Costa: Crisis de la Restauración y populismo (1875-1911) de Jacques Maurice et Carlos Serrano publié en 1977 par Siglo XXI.

Intervenir

Le doigt-de-Dieu (Le sac-à-fouilles)

Dans un article paru en 2010 dans la revue Religión digital, j’ai lu ce titre énigmatique: « El Vaticano podría intervenir al Instituto del Verbo Encarnado ».

Peu au fait de la théologie du verbe (une sorte de linguistique mystique ou de mystique linguistique, je ne sais pas), l’article rend compte de l’ouverture possible d’une enquête du Saint -Siège sur les agissements d’une communauté religieuse argentine, « El Instituto del Verbo Encarnado », communauté qualifiée de très conservatrice par la feuille immatérielle d’information religieuse espagnole. Elle est accusée de manipulation par de nombreux anciens adeptes et son fondateur, qualifié d’ultra-orthodoxe, a souhaité abandonner ses fonctions pour éviter l’ouverture de cette enquête.

En réalité, le seul verbe qui m’intéresse n’est pas celui de la Parole de Dieu, mais bien celui qui est utilisé dans le titre, le verbe « intervenir ».

Comme le précise l’article, l’action consiste pour le Vatican à dépêcher un commissaire pour enquêter sur les agissements de cette congrégation, ou procéder à un audit de son fonctionnement, pour employer un langage moderne.  La deuxième question qui peut intéresser est donc celle du fonctionnement ecclésial, le principe même du Commissariat, dont les racines politiques et historiques nous ramènent au passé impérial de Rome. Mais nous y reviendrons.  Occupons-nous du verbe tout d’abord.

Intervenir… Ce verbe est intransitif dans son usage le plus courant, c’est ce qui apparaît quand on lit les différents exemples que donne María Moliner dans son Diccionario de uso del español et employé avec en, par exemple « intervenir en una guerra », ce que n’ont pas fait les français ni les anglais pendant la guerre d’Espagne se contentant de créer un Comité de Non-intervention et d’inventer la politique du même nom. Dans son usage transitif, il pourrait être traduit par contrôler, ou même saisir (quand il s’agit de biens matériels). Nous voici de retour dans la crise financière. En effet, voici un mois, le gouvernement espagnol a du se résoudre à « intervenir pour sauver le groupe bancaire Bankia » (Les Echos du 16 mai 2012). Dans la presse espagnole c’est la forme transitive qui est employée soit pour annoncer l’intervention (« el gobierno se ha visto en la obligacion de intervenir Bankia ») soit pour la démentir (« El Gobierno se niega a intervenir Bankia, pese a las presiones de los especuladores »).

Le 13 mai dernier un décret (http://www.boe.es/boe/dias/2012/05/12/pdfs/BOE-A-2012-6280.pdf ) 

confirmait la possibilité pour l’Etat d’agir sur les banques, « de intervenir a las entidades financieras que incumplan el plan de saneamiento », comme l’interprète un article publié dans le supplément Economie d’El Pais publié le même jour. Le Décret engageait les banques en difficulté à mettre en place un plan d’assainissement de leurs comptes, en s’appuyant sur la création d’un Fonds de restructuration mis en place par la Banque d’Espagne, sous la tutelle de l’exécutif, Fonds qui avait fait l’objet d’un Décret de création en 2009, par le gouvernement socialiste (Real Decreto-ley 9/2009, de 26 de junio).

Pour sauver un groupe de 7 petites banques au bord de la faillite (souvent des Caisses d’Epargne locales ou régionales, qui portaient le nom de Caisses d’Epargne mais n’avaient rien à voir avec notre Ecureuil national, mais ressemblaient plutôt à des cigales distributrices de crédits immobiliers à gogo), en décembre 2010 le gouvernement Zapatero les avait obligées à se regrouper dans un nouvel ensemble, Bankia, les dotant d’un PDG de prestige,  Rodrigo Rato, ancien président du FMI (2004-2007, son successeur s’est rendu célèbre aussi, mais à sa manière) et ancien ministre du PP à l’époque de José María Aznar, excusez du peu.

Disons aussi que le gouvernement Zapatero avait contribué à recapitaliser l’ensemble en mettant au pot 4 milliards d’Euros. Dix-huit mois plus tard le groupe s’était enfoncé un peu plus dans la crise.

Début mai, le gouvernent PP débarquait Rodrigo Rato, remettait quelques milliards de plus et se rendait maître par cette entrée dans le capital du groupe de 45% des actifs, autrement dit le gouvernement du PP, contrairement à sa doctrine ultra-libérale, nationalisait le groupe. Mais il fallait bien que le terme « nationaliser » ne soit jamais employé d’où l’usage de ce verbe-ressource formidable: intervenir. Jamais le gouvernement Rajoy ne nationalisera, il passera son temps à intervenir, mais de façon transitive, en utilisant l’argent économisé sur les budgets sociaux de l’Etat.

Il faudrait créer une Fondation du Verbe Intervenir: il permet de nationaliser sans le dire, manger son chapeau sans l’admettre, faire sans dire, etc. Tout ceci pour éviter que les Commissaires européens ne dépêchent un légat pour « intervenir l’Etat espagnol », ce qui est sur le point d’être fait.

Mais des Commissaires, nous  en reparlerons, comme nous reparlerons des formes antiques de dictature une autre fois.

 

The Border Trilogy/ La Trilogie des confins/ La trilogía de la frontera, Cormac Mc Carthy

Avez-vous un ou plusieurs romans de Cormac Mac Carthy? Il est connu pour avoir écrit No Country for Old Men, adapté au cinéma en 2007 par les frères Coen et, dans une moindre mesure, pour avoir écrit également The Road, (La route) roman adapté au cinéma en 2009 par John Hillcoat sous le même titre.

Comme une procédure normale dans ce cas-là, j’ai tout d’abord lu No country… puis La route et je me suis aventuré dans d’autres romans, toujours aussi désespérément sombres, Child of God, Blood Meridian et la Trilogie des confins, trois romans décalés sur l’histoire de deux cow-boys (John Grady Cole et Billy Parham) pendant les années de déclin de ce métier symbolique de la conquête de l’ouest, entre la fin des années trente et la fin des années cinquante.

Je ne souhaite pas vous parler des détails, ni du style ni du fond de ces romans. Je souhaite plutôt revenir sur un élément  essentiel de la trilogie, celui de l’usage de la langue. Ces trois histoires (comme Méridien de sang) se passent toutes «à cheval», bien sûr, mais aussi à cheval sur une frontière, celle qui sépare, entre Tijuana et El Paso, les Etats-Unis du Mexique. Les personnages se déplacent à cheval, ce qui permet une certaine lenteur, une accroche surlignée des paysages, des rencontres de part et d’autre de la frontière, des variations de temps et de climat qui rendent le rapport à la nature aussi terrifiant que celui du dernier passage from life to death.

Je reviens donc à la langue. Dans la Trilogie des confins (que j’ai lue dans sa traduction française), l’auteur a voulu conserver dans leur langue plausible tous les dialogues échangés en espagnol (ils sont nombreux, jusqu’à constituer un bon tiers de l’ensemble). Ce switch permanent entre les deux langues, et le jeu qui en découle entre personnages est l’un des fondements des trois romans. La frontière matérialisée entre ces deux Etats était alors invisible et perméable, ce qu’elle n’est plus du tout aujourd’hui, la seule vraie frontière était celle de la langue. Bien sûr, pour tout lecteur qui vit à la frontière entre deux ou plusieurs langues ou qui a une bonne maîtrise de l’espagnol, cette lecture est possible. Mais pour les autres? J’ai essayé, en vain de lire ce que Cormac Mc Carthy ou ses exégètes auraient pu dire à propos de ce choix. Florence Stricker a consacré une excellent essai à cet auteur et de très bonnes pages sur ces romans du sud-ouest, avec de belles remarques, dont celle qui souligne comment Cormac Mc Carthy «réduit le western à deux de ses composantes essentielles (le meurtre et l’espace)»… mais rien sur ce passage incessant d’une langue à l’autre.

En vérité, cette question aurait du n’intéresser que les éditeurs en langue espagnole des romans de cet auteur. Pour une raison très simple: traduire en espagnol ses romans, c’est leur faire perdre d’emblée cette présence constante de la deuxième immatérialité de la frontière et de son passage. On note souvent dans les fiches de recensions de ses romans du Sud-ouest, des phrases de ce genre: «McCarthy incluso aprendió español para darle autenticidad al libro». Oui, et alors? Il n’y a aucune authenticité à utiliser l’espagnol, on peut y voir surtout à la fois un risque éditorial qui, outre les effets stylistiques et typographiques qu’accumule l’auteur (ponctuation souvent absente, digressions philosophiques), rendent ses livres difficiles d’accès au commun des lecteurs.

Le texte le plus intéressant que j’ai trouvé est un entretien avec le traducteur des romans de Mac Carthy, Luis Murillo Fort, publié en 2010 dans le n° 14 de la revue de traductologie de l’Université de Malaga, TRANS.

http://www.trans.uma.es/

D’emblée, le traducteur évoque « una agradable tortura » en évoquant ce travail. Evoquant les références culturelles qui lui ont servi (le film de Sam Peckinpah, The wild Bunch, par exemple). On peut dire que ce traducteur (usant de sa méthode empirique)  ne se pose à aucun moment le problème. Il se le pose surtout à propos des éléments dialectaux ou des formes régionales de l’anglais qu’à propos de l’espagnol. Mais il est vrai qu’il évoque surtout les romans de l’est de cet auteur. La Trilogie des confins a été publiée en 2008 en Espagne, sous la responsabilité de Pilar Giralt Gorina et de Luis Murillo Fort.

Mais rien n’est dit non plus sur cette question. Elle reste ouverte, puisque l’auteur lui-même accorde très peu d’entretiens et s’explique le moins possible sur ses choix stylistiques. 

La langue française se porte bien

The Artist, film français produit par la Warner, a obtenu un franc succès à la soirée des Golden Globes et est sur la voie royale avec une chance assez forte pour remporter au moins un Oscar à Hollywood. Le cinéma français triomphe donc aux Etats-Unis.

Il y a cependant un bémol, que Philippe Sollers n’a pas manqué de souligner, dans une remarque incidente faite au cours d’une émission quasi nocturme de débats à propos de tout et de rien (Ce soir ou jamais)… Quelle belle leçon de défense de la langue française!, remarquait-il,  The Artist est un film fançais, certes, mais qui nous raconte le Hollywood des années vingt et surtout, c’est un film… muet! Pour qu’il soit diffusé dans les salles américaines, on peut espérer qu »il n’y aura pas à la doubler.

Ce petit détail me fait me souvenir que quand j’étais enfant (vers la 5 ou 6ème Glorieuse selon Jean Fourastié qui en compta 30), mes parents m’envoyaient le jeudi au patronage laïque. Ca se passait dans un quartier alors populaire de Montpellier qui s’appelle toujours Figuerolles, et qui, comme Montmartre, a été et est toujours  Commune Libre.

http://thierryarcaix.com/1948-1962.html

Nous étions rassemblés dans une école dont le nom me laissait inévitablement songeur chaque semaine puisqu’il s’agissait de l’école Ferdinand Buisson. Je me plaisais alors à penser qu’il devait s’agir de l’inventeur du concept d’ école buissonière

Les après-midi pluvieux, le directeur du patronage sortait son projecteur 16 mm des placards de la grande salle de jeux de l’école et nous projettait des films de toute sorte mais surtout des courts métrages muets de Chaplin, Mack Sennett, Harold Lloyd et de temps en temps de nos favoris, Laurel et Hardy. Il lui arrivait aussi de nous passer des films de Max Linder. Pour nous, pas d’ambiguité possible, Max Linder en mousquetaire, en homme du monde -portant son fameux « chapeau de soie »-, était américain. Ce n’est que bien plus tard que je sus qu’il était français, né dans le sud-ouest, et même qu’il avait eu une fin tragique.

Soyons donc prudents. La langue française plaît aux  Etats-Unis quand elle chante -Piaf, Chevalier, Aznavour, Bécaud- ou quand elle se tait.

Hacer borrón y cuenta nueva

 

J’ai trouvé un blog qui propose en libre-service (autoservicio, tavola calda à l’espagnole) des expressions populaires expliquées pour dépanner les Erasmus.

Ce blog s’intitule Expresiones españolas para Erasmus en apuros et on le trouve à
l’adresse suivante:

http://erasmusv.wordpress.com

Tout ça parce que je cherchais l’expression « hacer borrón y cuenta nueva » qui pourrait se traduire par « remettre les compteurs à zéro », « on efface tout et on recommence », « règlement pour solde de tout compte », etc.

Comme ce blog est destiné aux étudiants Erasmus séjournant en Espagne , j’ai imaginé que cette expression est la plus adaptée à une sortie de crise dont on nous parle depuis trois ans en Europe. Borrón y cuenta nueva.

Je reprends l’explication donnée par le blog:

Hacer borrón y cuenta nueva significa olvidar deudas, errores cometidos por otras
personas, enfados con otras personas, etc., y continuar como si nunca hubiesen
existido (olvidarlos, no guardar rencor por ello). Sería como empezar desde
cero olvidando lo malo pasado. Como si hiciésemos un reset a nuestro ordenador.

Tout effacer. Les dettes publiques, privées, effacer les banques aussi et organiser une société post-financière, sans Pizza Hutt (les fans de Sylvester Stallone me comprendrons) ni crédit à la consommation.L’expression avait été employée pour la dette grecque ou la dette en général.

http://www.tiempodehoy.com/espana/borron-y-cuenta-nueva

http://www.elmundo.es/elmundo/2011/11/02/economia/1320224831.html

C’est ce que pratiquaient les rois: emprunter pour financer leurs guerres et ne jamais rembourser leurs dettes.  L’Espagne a connu deux faillites par siècle lit-on:

http://www.invertia.com/noticias/articulo-final.asp?idNoticia=2341102

N’est-ce pas là la seule et vraie solution?

 

Cada maestrillo tiene su librillo… y el perro viejo, si ladra da consejo.