Podemos, la gauche et la droite

Le vieux concept du « ni gauche ni droite » a repris des couleurs en Espagne avec cette force politique nouvelle dont le nom signale que la volonté peut tout, PODEMOS. Ce concept ayant été repris sous toutes ses variantes possibles par le leader de ce mouvement, ce dernier  s’est vu accuser de reprendre ce que José Antonio Primo de Rivera disait dans son discours de fondation de Falange Española en 1933:

El movimiento de hoy, que no es de partido, sino que es un movimiento, casi podríamos decir un antipartido, sépase desde ahora, no es de derechas ni de izquierdas. Porque en el fondo, la derecha es la aspiración a mantener una organización económica, aunque sea injusta, y la izquierda es, en el fondo, el deseo de subvertir una organización económica, aunque al subvertiría se arrastren muchas cosas buenas. Luego, esto se decora en unos y otros con una serie de consideraciones espirituales. Sepan todos los que nos escuchan de buena fe que estas consideraciones espirituales caben todas en nuestro movimiento; pero que nuestro movimiento por nada atará sus destinos al interés de grupo o al interés de clase que anida bajo la división superficial de derechas e izquierdas.

Ces critiques viennent de l’extrême gauche, la gauche modérée préfère parler de fascismo cool, expression que Pablo Iglesias avait lui même employé pour critiquer un petit parti socialiste dissident, UPyD, qui lui-aussi se disait ni de droite ni de gauche:

Los momentos de crisis son momentos de oportunidad. Son momentos en los que se mueve más cómodo el movimiento de izquierda, pero en los que también hay fascismo u otras formas reaccionarias de restauración del régimen. La emergencia de UPyD es un ejemplo. UPyD tiene muchos elementos de fascismo cool, con eso de ‘no somos ni izquierdas ni de derechas, somos españoles’. Es un discurso de momento de crisis donde hay muchas posibilidades.

Extrait d’interview donné à La Opinión A Coruña le 20 septembre 2013.

Naturellement, le concept de fascisme cool a une histoire, Iglesias ne manque pas de culture politique pour employer ce concept sans raison. La question et le problème c’est que sa vision tacticienne de l’espace politique espagnol d’aujourd’hui l’amène à passer sous l’emblème même de ce qu’il critiquait il y a à peine 18 mois, autrement dit avant qu’il ne devienne la coqueluche politique de notre voisin.

Revenons au concept de fascisme cool . Il apparaît, par exemple, en 1932 lorsqu’il s’est agi de définir ce qu’est le régime japonais de l’époque. L’expression était considérée comme équivalente à une autre, fascisme légal. Mais il est aussi une tentative pour expliquer les nouvelles modalités de « containment » de l’extrême droite qui tente de faire oublier ses fondements : régression sociale, libéralisme économique, haine de l’étranger, glorification d’une élite sociale, génétique et possédante:

Ou encore un concept plaqué sur une  analyse des dérives des systèmes et institutions démocratiques, par exemple tel qu’il surgit dans une nouvelle forme de critique des démocraties depuis une extrême droite qui rappelle furieusement le phalangisme social historique (Soral en France).

Pour Iglesias, c’est le refus de la gauche et de la droite comme concepts opératoires qui heurte, ce que certains ont appelé en Espagne son ninismo. Reconnaissons que, peut-être grâce aux critiques qui lui sont faites, ce ninisme marche. Pourquoi? Parce que les lois dites de l’alternance au pouvoir ont toujours laissé croire que le PP c’était la droite et le PSOE, la gauche, et qu’il n’y avait rien d’autre sous le soleil. Le rejet de ces deux partis par les espagnols revient donc à celui qu’expriment les français et que les lepénistes ont récupéré avec habilité en martelant le fameux slogan qui parle de lui-même, UMPS. Il est vrai que les socialistes espagnols et français ont volontiers annexé le mot « gauche » pour se l’attribuer en toute exclusivité alors que les électeurs ne voient pas quelle est la différence de fond entre leur politique et celle de ce qu’ils appellent « la droite ». Le fascismo cool serait donc l’apanage de ceux qui ne veulent plus de cette alternance d’étiquettes et veulent une alternance politique authentique.

La politique est une affaire de programmes et d’alliances. Jamais une affaire de positionnement. Etre ici ou là, être en haut ou en bas, à gauche ou à droite, importe peu. Ce qui importe c’est: quoi avec qui?

Pour l’instant PODEMOS essaie de se créer un espace hégémonique dans l’opinion, il est donc ni-ni. Une fois acquise cette place, il devra s’allier. Et produire un programme plus précis.

Il est en phase 1, attendons les phases 2 et 3, elles seront  bientôt enclenchées.

 ni de derechas ni de izquierdas

Opium

Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.

 

K. Marx Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, 1843

De l’universel et du particulier

Pour compléter nos remarques sur le dossier de Regards dont nous parlions dans le billet précédent, une citation du jour tirée de l’essai de Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée, La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès (Champs Flammarion, 2011):

« Si une communauté humaine donnée décidait de s’enfermer dans les limites de ses seules traditions (…), le risque existerait, à l’évidence, de sombrer dans une logique purement clanique, nationaliste, voire mafieuse (…). C’est pourquoi, le travail de la raison –entendu comme cette faculté d’ouverture qui permet de s’élever à l’universel en « dépassant » (au sens hégélien) son point de vue particulier- demeure un moment incontournable  de l’édification  d’un monde commun.  Pour autant ce travail émancipateur de la raison (qui s’appuie toujours sur un effort de traduction et de transposition) ne pourra conduire à des valeurs  véritablement universelles que s’il s’enracine d’abord  dans la sensibilité et les vertus concrètes d’une collectivité particulière. »

JC MichéaSur la nécessité vitale des sociétés humaines d’élaborer des systèmes (ou protocoles) de transposition et de traduction pour se hisser vers l’universel, voir Umberto Eco et son concept de « négociation » dans   Dire quasi la stessa cosa. Esperienze di traduzione, Milano, Bompiani, coll. Il campo semiotico, 2003.

 

Nouvelles de l’Empire IV

Une fois passées les émotions feintes et les tartuferies habituelles des commentateurs du tout et du rien humain qui occupent paisiblement la parole de sens commun dans les journaux, les radios et les télévisions,  il pourrait être intéressant de voir quels regards sont posés aujourd’hui sur les derniers événements  qui se sont déroulés en Espagne et Ecosse qui nous ont valu « un automne des indépendances » à donner le frisson dans l’ouest de l’Europe. Un automne qui s’est soldé par un happy end pour les tenants du status quo, autrement dit avec une victoire du non en Ecosse et une consultation sans valeur constitutionnelle en Catalogne. Comme toujours, dans le premier cas, c’est la peur de l’avenir –de plus en plus incertain dans l’Empire de l’Ouest- qui a rejeté toute séparation pacifique de l’Ecosse du Royaume-Uni, en dépit du passé, de l’histoire et des arguments économiques dont les indépendantistes pouvaient se prévaloir. En Catalogne, c’est le blocage d’une constitution historique, qui ne reconnaît pas le droit à l’autodétermination –droit reconnu et appliqué cependant par l’autoproclamée «  communauté internationale » au Soudan du sud en 2010 sans créer d’émotion particulière- qui a bloqué le processus. Je commencerai par le regard que jette, à chaud, puisque les articles publiés l’ont été avant les votes écossais et catalan, par la revue Regards , justement nommée, revue mensuelle dont la directrice de publication est Clémentine Autain et le directeur l’historien Roger Martelli, militants tous deux, appartenant à la sphère politique militante du Front de gauche. Il s’agit de la publication d’un dossier dans le dernier numéro trimestriel de cette revue, numéro d’automne 2014, encore en kiosque. Le dossier occupe 33 pages (de la page 42 à la page 75) et son titre, qui vaut ce qu’il vaut en tant que jeu terminologique est « Le repli sur sol ». Son sous-titre est aussi une sorte de rappel stylistique discret des divers monstres qui hantent l’Europe (nationalismes, xénophobie, fascisme « cool » ou pas), et au spectre qui ne la hante plus, le communisme : Partout en Europe, les nationalismes, indépendantismes et autres régionalismes ébranlent les Etats-nations et dessinent les nouvelles cartes de l’identité. Le dossier est composé d’une introduction de Roger Martelli, « Les Etats-nations en morceaux », d’un premier article panoramique de Guillaume Liégard, « Frontières en Europe, ça craque », d’un ensemble d’étude de cas intitulé « Comment ça chauffe » avec une partie sur l’Ecosse, une deuxième sur la Belgique, une troisième sur la Catalogne et une quatrième sur Béziers ( ???), nous y reviendrons. Quelques citations de figures historiques du marxisme sur la question et de rappels intéressants sur la position des austromarxistes sur cette question ou celle des bolchéviks et du célèbre opuscule écrit par Staline en 1913, Le marxisme et la question nationale, montrent que les différences étaient profondes, les approches contradictoires au sein d ela famille marxiste élargie. La partie 3 « Pourquoi ça chauffe » est à mettre au crédit de Roger Martelli qui vient ajouter une voix, la sienne, aux dissonances que nous avons relevées ci-dessus. Réglons un point d’importance, je l’ai dit,  la thèse liminaire est celle qu’énoncent le sous-titre et les titres de parties, autrement dit une tentative pour mettre dans le même sac la montée du fascisme xénophobe et les revendications nationales. D’où l’étrange présence d’un article sur la maire de Béziers et son nouveau maire, l’ancien reporter sans frontières devenu compagnon de route du FN, Robert Ménard. Cet article montre comment le nouveau maire de droite  utilise les légendes identitaires locales pour « redonner du lustre à la ville », dit-il lui-même.  Les signes d’égalité que le dossier place entre la revendication écossaise, la revendication catalane,  le séparatisme flamand en Belgique et Roland Ménard peuvent être qualifiés de « tendancieux » ou tirant, par leur simple assemblage, le discours vers la thèse à démontrer : les plus riche d’Europe ne veulent pas partager. On se demande pourquoi, dans ce cas, l’éclatement de la Tchécoslovaquie, l’explosion de la Yougoslavie et de l’URSS, la crise de l’Ukraine, celle du Kosovo albanais ou les liens tendus entre la Macédoine et ses voisins n’ont pas plus intéressé dans cette discussion sur les raisons et les conséquences possibles de la disparition d’Etats d’Europe.  Pourtant dans les cas que je viens de citer, des Etats ont disparu, rien de tel à l’ouest de l’Empire. Or tous nos Etats constitutifs de ce patrimoine d’Etats-nations revendiqué, résultent de traités signés depuis celui qui mit fin à la guerre de trente ans (Traité de Westphalie de 1648), à la guerre franco-espagnole (Traité des Pyrénées de 1659), à la guerre de succession d’Espagne  (Traité d’Utrecht de 1713). Autrement dit, tout ceci commence bien avant l’étape traditionnellement consacrée de constitution des Etats nationaux aux XIXe et XXe siècles (le Congrès de Vienne de 1815, le Traité de Nice de 1860, les Traités de Versailles de 1871 et 1919). Tous, sans exception, eurent comme conséquence la modification profonde des frontières des Etats à l’intérieur de l’Europe. La cible de ces mouvements récents ce n’est pas l’existence même des Etats-nations, bien au contraire puisqu’ils visent tous précisément à doter les nations qui se reconnaissent comme telles d’un Etat. La cible et le motif premier c’est l’Europe et sa structure impériale qui cherche à établir en son sein des noyaux forts et centraux en laissant à leur périphérie une nébuleuse d’entités politiquement et économiquement affaiblies –cette nébuleuse n’est pas forcément démographiquement ou territorialement faible, elle peut être constituée d’Etats très peuplés ou très vastes- soumises aux volontés du centre. Une Allemagne puissante au centre, avec ses multiples coffres-forts où elle cache ses sous (Lichtenstein, Luxembourg, Autriche) et ses pays-ateliers qui fabriquent pour pas cher la fameuse Deutsch Qualität qu’on nous vante à coups de messages publicitaires. Le déplacement de ces pays-ateliers(ou pays-usines) vers l’est de l’Europe, la domination allemande recréent effectivement ces tensions qui ne sont pas nouvelles, loin s’en faut.  Nous nous retrouvons donc devant un Empire dans lequel le centre, qui n’est pas et n’a jamais été le « couple franco-allemand », a créé les conditions de cette volonté centrifuge ou de l’effondrement de certains équilibres économiques locaux. La recherche d’un refuge identitaire, d’un nouveau cocon protecteur est le résultat de cette hégémonie.On ne peut donc assimiler le Maire de Béziers et le Parti National Écossais, ni les Démocrates-chrétiens Catalans avec je ne sais quel Front National ou Ligue du Nord. La gauche a toujours eu beaucoup de mal à penser les nations entre un discours internationaliste utopique et une voie moyenne, sorte de ni-ni, ni centralisme imposé ni exaltation de la spécificité. C’est ce second discours que tient Roger Martelli qui prône l’idée de la défense d’une « mise en commun » contre la compétition entre Etats au sein de l’Europe. On ne peut qu’être d’accord avec lui mais qu’il nous dise si le moindre signe que l’Europe et les Etats qui la constituent sont sur cette voie est visible à l’horizon. Pour notre part, nous n’en voyons aucun.

 


Liens:
 http://www.regards.fr/
 http://www.ilustracionliberal.com/44/el-fascismo-progresista-reflexiones-a-proposito-de-la-obra-de-jonah-goldberg-manuel-pastor.html

Imposible Sinaí

maxaubyAndreMalraux_en_Sieera_de_TeruelpeliMax Aub et André Malraux dans les rues de Madrid pendant le tournage de Sierra de Teruel (L’espoir).

 

En rangeant mes livres (déménager est toujours un moment pénible  où les souvenirs  des lectures passées remontent à la surface comme bois flotté), j’ai retrouvé, au milieu de tout un bric-à-brac littéraire, un petit livre de Max Aub que j’avais acheté il y a une vingtaine d’année en furetant dans les rayons de la Libraire espagnole de la rue de Seine. Il s’agit de Imposible Sinaí . En vérité je cherchais une version espagnole des Crimes exemplaires de cet auteur. Depuis je l’ai trouvée à Madrid, rassurez-vous.

D’abord l’anecdote. Quelques semaines plus tôt, en me rendant à Madrid, je fis une halte  à Burgos pour déguster  morcilla et leche frita et me donner du temps pour déjeuner le lendemain, à Lerma, d’un fabuleux corderito lechal (toujours en bonne compagnie).  Passant devant un libraire du centre de la ville, j’avisai une librairie disposant à première vue d’un fonds intéressant. J’entre. Je demande s’ils ont en rayon des ouvrages de Max Aub. Réponse du libraire: « Aquí no vendemos literatura extranjera. » Max Aub, l’une des plus brillantes écritures espagnoles du siècle était donc inconnu de ce libraire. A méditer.

Imposible Sinaí a été publié par Seix Barral en 1982, dix ans après la mort de son auteur. Dans la courte note qui ouvre le livre, Max Aub nous dit:

« Estos escritos fueron encontrados en bolsillos y mochilas de muertos árabes y judíos de la llamada « guerra de los seis días » en 1967. Las traducciones deben mucho a mis alumnos. Se lo agradezco. No tomo parte; sólo escojo para su publicación los que me parecieron más característicos. »

De ces textes courts je retiens quatre lignes, signées par  Salomon Chavsky, soldat israelien mort au cours du cinquième jour à Bir GifGafa, en plein Sinaï:

« Pobres árabes, árabes pobres… ¿Cuál es el adjetivo, cuál es el sustantivo? »

 

 

Michael Kohlhaas, Un Quichotte sans Sancho

PHOedcc2c62-c47c-11e2-82bd-ed616738bb79-805x453Voici quelques jours j’ai vu le film d’Arnaud des Paillères, Michael Kohlhaas, adaptation du roman éponyme d’Heinrich Von Kleist publié au début du XIXe siècle.

L’histoire de ce marchand de chevaux, homme de la classe moyenne paisible qui va jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la violence pour faire respecter son droit est à la fois exceptionnelle et glaçante. Le contexte est celui de la réforme et de l’établissement de frontières douanières entre la Saxe et la Prusse et la subsistance de certaines formes de violence féodale dans la structure de ces Etats germaniques, tout ceci au milieu d’une tourmente religieuse  née un siècle plus tôt, le développement de la Réforme luthérienne.

Arnaud des Paillères déplace l’intrigue dans d’autres paysages, dans un autre contexte historique, il la déplace vers la France de ce même XVIe siècle finissant et vers le sud, entre Béarn et Navarre. Le Prince Electeur de Saxe devient une Marguerite de Navarre machiavélique, aussi forte qu’un lion et aussi rusée qu’un renard. Et les paysages sont ceux d’une Lozère austère et froide, ce qu’elle est en vérité pendant la saison hivernale, ceux qui aiment ces paysages-là le savent bien. Les changements sont nombreux. La fille de Michael Kohlhaas est un personnage ajouté, le chemineau catalan interprété par Sergi Lopez aussi et Denis Lavant est une synthèse de la pensée protestante sur le pouvoir qui engage à la soumission et à la pénitence.

http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2013/08/13/arnaud-des-pallieres-a-50-ans-ce-qui-m-interesse-c-est-toujours-la-question-de-la-revolte_3460684_3246.html

L’homme Michael Kohlhass qui en résulte (sous les traits de Mads Mikkelsen) me plaît. Il n’est pas sans me rappeler l’espagnol de l’Abbaye aux Hommes de Caen dont je parlais il y a quelques jours qui écrivait sur l’un des murs de cette abbaye, à la même époque ou peu s’en faut,  « Antes muerto que mudado ».

Dans l’entretient que j’ai mis en référence ci-dessus Arnaud des Paillères évoque un fait avéré qu’il a tenté de restitué dans son film : « …il y avait à l’époque, notamment dans le sud de la France, des tas de petits parlers, de dialectes… Les gens se comprenaient d’une langue à l’autre, surtout les marchands. »

Ainsi il propose un échange bref entre Michael Kohlhaas et le pasteur qui protège sa fille en hochdeutsch, passage incongru mais fascinant et il donne à Sergi Lopez l’occasion de nous proposer, sous la silhouette d’un Sancho Panza venu d’une autre culture, un long monologue cervantin en langue catalane. Voici ce qu’il en dit dans le même entretien :

« Alors que j’étais en phase d’écriture, je me suis pris de passion pour le plus beau film d’époque que j’aie vu depuis des années : Honor de Cavalleria, d’Albert Serra. Je tombe par terre en le voyant, je rêve un jour de pouvoir faire une chose comme celle-là, tellement pure, tellement splendide, tellement délicate ! Le personnage joué par Sergi Lopez est une sorte d’hommage au film. Il ne vient pas de Kleist, c’est une invention pure. Ensuite, un peu pour remercier Sergi d’avoir accepté ce petit rôle, je lui ai proposé de dire son texte en catalan. »

En France, ce manque de linéarité des langages a toujours importuné, ceci apparaît toujours dans les critiques faites au film (par exemple on peut lire dans Le Figaro du 24 mai 2013 cette petite, toute petite remarque:

« Dépayser Kleist, pourquoi pas? Mais les acteurs – le Danois Mads Mikkelsen et l’Allemand Bruno Ganz – dialoguent en français, chacun avec son accent. »

Perfide remarque… pourtant la diversité des langues  est un élément moteur et nécessaire des fictions  qui  se situent dans une France diverse, celle des temps monarchiques.

En voyant la figure de Michael Kohlhaas telle que la propose le film, homme blessé à mort par l’injustice, on ne peut s’empêcher de penser à  Don Quichotte et la référence d’Arnaud des Paillères au film d’Albert Serra Honor de cavalleria est explicite. Michael Kohlhaas serait un Don Quichotte qui n’aurait pas rencontré son Sancho alors que leurs chemins s’étaient croisés.

Pour terminer cette note, je pense que ce film est tout d’abord un hommage à René Allio mais aussi à John Ford et à Clint Eastwood. La façon de filmer la violence, la rendre étouffante, indécise, muette, de prendre un parti pris austère dans les dialogues –on parle peu, sans aucun excès de ton, sans effets-, l’ombre et la lumière se mêlant en contrastant chaque scène. Bref du bon cinéma, humaniste et sans concessions.  

Note de fin: Le roman d’Heinrich Von Kliest a été réédité cet été dans la collection des Mille et unes nuits (n° 622) accompagné d’un commentaire d’Arnaud des Paillères sur son adaptation au cinéma , de fiches sur les personnages et d’un entretien avec Mads Mikelsen. Tout ça pour un prix modique…

Les Français ont parmi eux toujours des nations étranges…

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La citation tirée de l’Epitre  XLII de Clément Marot a de quoi surprendre mais pour qui connaît l’histoire du commerce et de la navigation comme l’histoire religieuse, il y a toujours eu des étrangers installés en nombre sur le sol français. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hispa_0007-4640_1914_num_16_3_1874

De façon remarquable depuis le Moyen-âge et surtout depuis Philippe le Bel qui leur accorda des privilèges de résidence.

Profitant des journées du Patrimoine (et d’un temps assez maussade), j’ai visité aujourd’hui, en bonne compagnie, l’Abbaye aux Hommes de la ville de Caen. Cette abbaye bénédictine fut fondée par Guillaume le Conquérant. Il fit bâtir deux abbayes en les installant à la périphérie de son château mais dans des directions diamétralement opposées : l’Abbaye aux Dames à l’Est et l’Abbaye aux Hommes à l’Ouest. Maintes fois remaniée et partiellement détruite (au XVIIIe siècle en particulier), elle était devenue lycée à l’époque napoléonienne, lycée devenu le Lycée Malherbe au cours du XIXe siècle. Le Lycée ayant émigré vers des locaux neufs en 1961, l’Abbaye est devenue l’Hôtel de Ville de Caen depuis 1965. Seule l’église St Etienne reste vouée au culte catholique.

Revenons à Clément Marot. Dans ce qui est appelé la Salle des Gardes de cet ensemble, j’ai pu voir une pierre portant une inscription intrigante (photo ci-dessus).

Si l’on en croit le texte de commentaire qui présent l’objet, il s’agit d’une « dalle de pierre de Caen taillée et gravée, provenant du mur du parc de l’Abbaye aux Hommes ». Elle porte une inscription gravée en espagnol et une date difficilement lisible: 1531 ou 1581. L’inscription est la suivante : « Antes muerto que mudado », autrement dit « Plutôt mourir que changer ». Je ne reviendrai pas sur les influences artistiques ou culturelles au sens large de l’Espagne dans ces régions  qui se trouvaient tout au long des lignes de navigation commerciale entre l’Espagne et la Flandre (le cas d’Harfleur en témoigne). On sait également qu’il y eut de nombreux clercs espagnols à l’Abbaye aux Hommes.

C’est la formule qui me plaît. Voici un espagnol, clerc ou artiste qui, dans un moment de « fougue hispanique », épanche sa colère en usant de son don pour la taille de pierre. Bravache, orgueilleuse, la formule détonne dans un ensemble qui devait encore appliquer les 73 règles de Saint Benoit dont la règle 6, Garder le silence :

1 Faisons ce que dit le Prophète : « J’ai mis un frein à ma bouche. J’ai gardé le silence. Je me suis fait petit et je n’ai même pas parlé de choses bonnes  » (Psaume 38, 2-3).

Notre espagnol a respecté la règle et, en silence, a revendiqué par écrit le droit de rester « debout dans ses bottes ». Cet homme me plaît. Il reste à déchiffrer les arabesques… qui présentent ces deux lettres de l’alphabet grec superposées : ϒ (upsilon), indiquant symboliquement les deux chemins de vie qui divergent, celui du vice et celui de la vertu, et λ (lambda), indiquant la non-personne, l’indifférenciation ou l’anonymat. Mais les deux superposées… je ne sais pas, peut-être une signature cryptée. Ou une étoile à six branches… gravée par un juif espagnol qui résiste à la conversion.

Nouvelles de l’Empire III

cartellFinalement le 18 septembre les Ecossais ont voté pour le maintien de leur nation dans le Royaume-Uni. L’Europe respire. Naturellement, on peut penser que le résultat est du au bon sens des électeurs, on peut aussi penser que les peuples ont toujours peur du saut dans l’inconnu. On peut cependant tirer quelques enseignements de ce scrutin et de cette campagne.

Le premier, c’est que les questions sociales ou, plus généralement de welfare, ont été au centre des débats. La politique de réduction brutale des dépenses sociales, qui touche à peu près tous les pays d’Europe à un degré plus ou moins prononcé, a produit son effet dans la montée du vote pour l’indépendance.

Le deuxième, c’est que les modalités de scrutin choisi donneront de quoi réfléchir aux autres nations. Le droit de vote à 16 ans répond à une logique encourageant la participation des jeunes à la vie de la cité. Ce même  droit de vote donné à toute personne résidant en Ecosse et refusé à tout Ecossais résidant à l’étranger est une remarquable primauté donnée au droit du sol, que l’on y voit ou non une manœuvre du SPN pour empêcher que les écossais résidant hors d’Ecosse ne votent pour le maintien dans le RU. N’oublions pas ce même droit avait été refusé aux russes résidant dans les pays baltes au moment de leur indépendance, sur un critère exclusivement lié à l’origine.

Le troisième, c’est que pour contrebalancer le dynamisme du oui à l » »’indépendance, le gouvernement britannique a proposé plus d’autonomie non seulement à l’Ecosse mais aussi aux autres composantes du Royaume-Uni, c’est-à dire une forme de fédéralisme largement, très largement décentralisé. Cette autonomie toucherait une compétence névralgique (la couverture sociale) mais aussi des compétences en matière de recettes fiscales et de gestion budgétaire.  

Ces deux derniers points sont essentiels car les politiques régionales des pays ayant engagé depuis une trentaine d’années (la France en particulier) un processus de décentralisation, ont toujours conservé la maîtrise des compétences fiscales et budgétaires, compétences que l‘on considère généralement comme régaliennes. D’autres pays ont pratiqué une politique de compétence partagée variable. C’est le cas de l’Espagne où la fixation de l’assiette de l’impôt reste une compétence de l’Etat, mais sa collecte est une compétence partagée à des taux différents négociés avec chacune des Communautés Autonomes. C’est  la notion de « cupo » -quote-part. Par exemple, le pays Basque verse une fraction des impôts qu’il collecte à l’Etat, non pas en proportion de ses recettes, mais en fonction des besoins du budget dont l’Etat a besoin pour assurer ses compétences régaliennes (fonctionnement, défense, Maison Royale, etc.). Il est négocié tous les cinq ans, non sans mal quelquefois. Or il y a trois ans, la demande du gouvernement catalan consistait à obtenir une égalité de traitement  de la Catalogne en matière fiscale avec la Navarre et Euskadi, seules régions à bénéficier du système du « cupo ». Le refus du gouvernement de Mariano Rajoy a été l’un des ferments de la politique catalane de surenchère qui a poussé à la convocation d’un référendum, toujours considéré comme illégal par le pouvoir qui s’appuie, à juste raison, sur la Constitution de 1978.

Mariano Rajoy semble avoir compris que ne pas tenir droit dans ses bottes en matière fiscale, c’est-à-dire de faire quelques concessions pourrait lui permettre de sortir de l’impasse politique dans laquelle un vote favorable à l’indépendance pourrait le mettre.  C’est le sens de quelques annonces faites ces derniers même si elles sont toujours assorties d’une condition : renoncer au référendum.

http://www.eleconomista.es/economia/noticias/6083880/09/14/Rajoy-elevara-la-capacidad-fiscal-de-Cataluna-si-Mas-retira-el-referendum.html#.Kku8eApvoVyc3JX

Que faudrait-il à l’Espagne pour que le traitement de ces difficultés se fasse dans la plus grande sérénité possible ? Approfondir une pratique: celle du  fair-play